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L'analyse des processus de travail à la Bibliothèque nationale de France

1994
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    L'analyse des processus de travail à la Bibliothèque nationale de France

    Une approche nouvelle des ressources humaines

    Par Alain Massuard, Bibliothèque nationale de France

    La gestion des ressources humaines à la Bibliothèque nationale de France constitue une question centrale de plusieurs points de vue.

    Tout d'abord, et même si cela constitue une évidence, parce que la volonté de l'ensemble des agents qui travaillent à la réalisation de ce projet est que l'établissement fonctionne au mieux.

    Ensuite, parce que sa dimension et ses effectifs en font l'entreprise publique culturelle la plus importante de France et probablement une des plus importantes en Europe par ses effectifs. Il y a donc là un défi de gestion qui repose sur des savoir-faire, des compétences qu'il faut valoriser au mieux. Le cadre traditionnel d'exercice des métiers qui contribuent à faire fonctionner une bibliothèque, organisés en grandes entités fonctionnelles : constitution des collections, traitement intellectuel des documents, traitement physique, services au public, services administratifs et financiers, n'est pas obligatoirement le seul et le meilleur cadre organisationnel possible. C'est seulement après une analyse fine de chacune des fonctions de la bibliothèque, de leurs conditions de réalisation (moyens en personnels, outils informatiques, localisation dans le bâtiment) et une mise en regard de cette analyse avec les missions et les objectifs de l'établissement que le choix de principe d'un type d'organisation peut être fait en toute connaissance de cause.

    Enfin, la volonté de gérer dans une même entité administrative l'ensemble que constituaient les départements et services de la Bibliothèque nationale, Tolbiac et le Centre technique du livre de Marne-la-Vallée ajoute un niveau de complexité supplémentaire à cette question, par la multiplication des sites, la diversité des compétences mises en oeuvre et le niveau d'ambition des services au public souhaités (à commencer par l'amplitude des horaires d'ouverture qui est annoncée).

    La gestion des ressources humaines n'est pas séparable de la réflexion sur l'organisation du travail. C'est par cet angle d'approche que la question a tout d'abord été traitée par l'EPBF, à partir de 1991, en concertation avec la Bibliothèque nationale dans le cadre d'un planning d'actions jusqu'à l'ouverture de Tolbiac (l'hypothèse était alors d'une ouverture en 1995).

    La définition de ce planning et sa mise en route ont été assurées avec l'assistance technique de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) et le cabinet STRATORG jusqu'au début de 1993. Au-delà de cette date les deux établissements ont assuré en commun le suivi de ces questions sur leurs forces propres, le Département de la préfiguration administrative de l'EPBF ayant particulièrement en charge ces dossiers avec des relais dans le Département de l'informatique et dans celui de la bibliothéconomie. Ce planning avait été validé par les deux établissements. (cf tableau 1.)

    Les travaux de base conduits dans le cadre de ce planning d'action restent valides et servent de socle à toutes les analyses ultérieures.

    Il s'agit essentiellement du recensement des fonctions de la bibliothèque, de l'adéquation fonctions/missions, du calcul des effectifs et de la définition des qualifications par grandes fonctions.

    Le choix d'organisation globale, reposant sur des équipes qui regroupent un ensemble de compétences leur permettant d'assurer une continuité de tâches qui va du choix des acquisitions jusqu'à la mise à disposition des ouvrages dans les salles de lecture en passant par le traitement physique et intellectuel de ces documents, a fait aussi l'objet d'une validation d'ensemble, même si bien des questions de détail dans l'application de ce principe restent à instruire.

    Bien entendu, la période qui ira de la livraison du bâtiment de Tolbiac, en mars 1995, à l'ouverture de la bibliothèque au public, en octobre 1996, servira à tester toutes les hypothèses de conception de l'organisation du travail. Il en ira probablement de même sur le site de Richelieu dans le cadre de la nécessaire réorganisation entraînée par le redéploiement des départements spécialisés dans les espaces libérés par le déménagement des départements des livres imprimés et des périodiques, ainsi que la Phonothèque nationale.

    Analyse des processus de travail

    Mais c'est sur une autre approche des ressources humaines que nous voudrions nous pencher dans cet article : l'analyse des processus de travail.

    On entend par processus un ensemble continu se décomposant en tâches qui aboutissent à la réalisation d'une fonction. La conception du système d'information de la bibliothèque repose sur un long travail d'analyse de chacune des fonctions attendues de l'informatisation qui a abouti aux dossiers de spécifications externes (DSE) du système. Ce travail a été conduit au sein de groupes qui réunissaient des informaticiens et des analystes, tant du Département de l'informatique et des nouvelles techniques de l'EPBFque de la Bibliothèque nationale, avec une assistance technique externe et des usagers du système, personnels des deux établissements choisis pour leurs compétences et leurs pratiques dans chacune des fonctions couvertes par l'automatisation.

    Les descriptions de tâches contenues dans les DSEne couvrent pas la totalité des processus de travail en jeu dans le fonctionnement de la bibliothèque mais seulement ceux qui sont totalement affectés par l'automatisation. Il était donc nécessaire, et prévu contractuellement dans le marché de réalisation du système d'information, de fournir aux entreprises la description précise des processus de travail qui ont recours, même partiellement, aux outils informatiques.

    Un groupe de travail a donc traité cette analyse. Il était placé sous la responsabilité du Département de la préfiguration administrative de l'EPBFet associait des représentants des services informatiques et des bibliothécaires des deux établissements, ainsi que des experts intervenant ponctuellement pour chacun des processus en fonction de leur compétence propre. Le groupe a bénéficié de l'assistance technique d'un consultant qui connaissait déjà bien les fonctions de la bibliothèque pour avoir participé à la conception du système d'information.

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    Tableau 1 : planning BN / EPBF

    Dans un premier temps, et à titre de test de sa méthode de travail, le groupe a analysé les processus suivants, en excluant les processus administratifs et financiers :

    • « accès à l'espace recherche (rez-de-jardin);
    • « accueil chercheurs :
      • accès à la salle de recherche bibliographique ;
      • accès à la salle de documentation sur le livre et la lecture ;
      • accès à la salle de la réserve ;
    • « accueil tous publics :
      • accès aux espaces haut-de-jardin ;
      • accès à la salle d'orientation bibliographique ;
      • accueil des visites organisées ;
    • « sortie des chercheurs ;
    • « communication des documents imprimés stockés en magasin ;
    • « communication des documents en salle de réserve ;
    • « consultation des documents en libre accès ;
    • « prêt entre bibliothèques ;
    • « reproduction ;
    • « retour des documents en consultation;
    • « constitution du fonds documentaire, acquisitions.

    La première séance de travail était consacrée à une première mise à plat de la description des tâches constitutives du processus, soit à partir d'un premier niveau de description réalisé antérieurement par l'assistance technique, soit à partir de documents existants produits par les services, ou encore à partir de l'analyse orale donnée par les experts ». Il est intéressant de constater que rien n'est plus difficile que de décrire ce que l'on fait tous les jours ; le compte rendu écrit de la première réunion servait justement à corriger cet écart entre la description produite dans un premier temps et sa formalisation par écrit. Les relectures de comptes rendus se sont donc faites en réunion, précédant les réunions de synthèse avec le consultant. C'est seulement à l'issue de ces dernières qu'un premier état de formalisation était fourni au groupe pour relecture et finalisation.

    Le temps passé sur cette description est donc important. Le groupe de travail s'est réuni de septembre 1993 à fin février 1994, à raison de deux réunions de trois à quatre heures par semaine. Le processus « reproduction », à lui seul, a nécessité plus de vingt heures de réunion. Le travail de compte rendu était très important aussi ainsi que celui d'animation des réunions. Ils nécessitent une bonne connaissance préalable des dossiers et une grande rigueur d'esprit. Les membres du groupe de travail doivent avouer qu'ils ont parfois désespéré... et que l'évocation des coups de « douchette sur les codes barre les mettaient dans des états proches de l'hystérie.

    La formalisation des processus

    La formalisation est très importante pour assurer la continuité de description d'un processus à l'autre mais aussi pour permettre un traitement automatisé des descriptions sur lequel nous reviendrons. Elle comporte l'identification du processus, de la fonction et la référence exhaustive des tâches qui contribuent à sa réalisation. Le mode - assisté ou automatisé - de réalisation de la tâche ainsi que sa nature - tâche de production ou de service - sont précisés.

    La formalisation est faite dans un cadre codifié utilisé en entreprise dans l'analyse des processus de production. Pour l'illustrer, nous nous servirons du processus «communication des documents en salle de réserve ».

    Il recouvrira les fonctions et sous-processus suivants :

    • « fonction : demande de documents ;
    • « fonction : étude, validation de la demande ;

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    Tableau 2

    • « sous-processus : traitement de la demande ;
    • « fonction : communication des documents en salle ;
    • « fonction : gestion du retour des documents.

    La fonction communication des documents en salle se subdivisera elle-même en tâches :

    • « appel du lecteur - entretien éventuel ;
    • « contrôle des documents ;
    • « enregistrement de la remise des documents ;
    • « remise des documents au lecteur.

    La description du processus s'ouvre par un énoncé des principes généraux qui le régissent. Ici, par exemple, doit être soulignée la règle qui différencie cette salle des autres salles de travail de l'espace recherche, à savoir que la communication des documents est subordonnée à une procédure de validation par le conservateur. La procédure de validation devra donc être décrite puisqu'elle n'existe que dans ce processus particulier.

    Cette partie du document relève aussi les hypothèses à lever et les points à traiter : dans cet exemple, la nécessité d'automatiser le contrôle du rendu des documents de la Grande Réserve. Les écarts par rapport aux dossiers de spécification de conception du système d'information ont permis, dans cet exemple toujours, de noter que la gestion des mises de côté et la validation des demandes de documents provenant d'autres départements étaient à spécifier.

    La description de la tâche « appel du lecteur» est présentée dans le tableau 2.

    Les fiches suivantes, aussi détaillées, continuent la description dans l'ordre logique des tâches. Certaines de ces tâches peuvent renvoyer à une autre description dans la mesure où elles se retrouvent dans plusieurs processus. C'est le cas bien évidemment pour le prélèvement de documents en magasins, mais aussi pour des tâches liées au service du public et qui sont semblables dans des salles dont la fonction est différente. La communication des microformes, par exemple, fera l'objet d'une même description que l'on soit dans une salle de travail d'un département thématique de l'espace recherche ou dans la salle de recherche bibliographique. Cette segmentation de processus différents en tâches semblables oblige à des contrôles de cohérence : a-t-on traité de manière différente des situations de travail similaires ? Les mêmes outils, les mêmes applications du système d'information sont-ils mis en oeuvre ?

    Ces descriptions servent aussi à repérer les écarts entre les indications fournies dans les DSEet les choix d'organisation du travail décrits par le groupe. Ces écarts peuvent être induits par une instruction plus approfondie du processus mais aussi par des modifications des données externes telles que le bâtiment, la volumétrie...

    Traitement automatisé des processus

    Comme nous l'avons signalé plus haut, la description des processus est ensuite saisie pour être traitée de manière automatisée. Le consultant a conçu un applicatif du logiciel « 4D baptisé APPORGA, spécialement dédié à ce traitement. Il s'agit d'un gestionnaire de fichiers qui permet, une fois effectuée la formalisation des tâches décrites dans les processus de travail, de constituer un référentiel qui peut être constamment remis à jour.

    Les consultations de cet applicatif sont de deux types :

    • tris
    • recherche

    Dans chaque fichier, il est possible d'effectuer plusieurs types de recherche :

    • recherche simple ;
    • par format ;
    • unitaire.

    La recherche unitaire rend possible une recherche rapide - sur les rubriques indexées uniquement - particulièrement appropriée pour les modifications ultérieures.

    Ainsi, l'applicatif APPORGA permet d'avoir une description dynamique, souple et à jour, des tâches exécutées par les agents. Il permet aussi un repérage ou une localisation d'un référentiel donné (type d'emploi, espace et postes de travail, application du système d'information...) à des étapes données d'un processus de travail. Enfin il sert à identifier rapidement tous les postes susceptibles d'être occupés par un type de qualification donné, ou ceux pour lesquels il n'y a pas besoin d'agent.

    Cet outil de travail permet aussi de s'assurer de la continuité spatiale des espaces concernés par les processus et de corriger ainsi des anomalies de programmation ou d'organisation.

    Par exemple, nous allons pouvoir vérifier que les hypothèses d'organisation du groupe qui a travaillé sur le circuit du document sont cohérentes avec la description des processus de travail (voir tableau 2). En terme de continuité il permet aussi de vérifier la conformité des processus au système d'information.

    Il est donc nécessaire de confronter les référentiels stockés sur APPORGA avec de nombreuses données externes, souvent produites par d'autres groupes de travail et dont l'évolution aboutit à une logique de calendrier propre. Le cas type de ces confrontations et des arbitrages qu'elles induisent est celui de l'organisation de l'accueil des chercheurs et des espaces d'accréditation. Il est rapidement apparu au groupe de travail qu'il y avait intérêt à permettre aux chercheurs de présaisir un certain nombre de données qui accéléreront le traitement de sa demande d'accréditation. Cela suppose un espace prévu à cet effet dans les locaux destinés à l'accueil des chercheurs. Le choix du groupe doit dans ce cas être comparé à celui de la programmation du bâtiment et faire l'objet d'un arbitrage s'ils sont différents. L'information doit ensuite très vite aller vers la direction des travaux pour faire l'objet d'une décision de modification des ordres de travaux. Si le planning d'aménagement des espaces est plus rapide que celui de l'analyse des processus, la suggestion du groupe se heurtera à... des cloisons et la solution initiale sera appliquée, entraînant éventuellement une modification des processus de travail connexes à celui-là.

    Conclusion

    On voit que cette approche, nouvelle pour des bibliothécaires, puisqu'elle reprend des techniques issues de la gestion des entreprises de production, a le mérite de fournir des outils très fins d'analyse des situations de travail et de définir des modes opératoires qui permettent d'ajuster les qualifications des agents concernés dans chacune des tâches décrites avec les espaces et les outils de travail. Par contre, cette méthode d'analyse doit être compensée par une approche globale de l'organisation et des objectifs de la politique de ressources humaines que l'établissement entend conduire car, sinon, nous risquerions de nous enfermer dans une logique micro-organisationnelle qui aboutirait vite à des choix d'organisation tayloristes et au travail à la chaîne.