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    La photothèque du musée de l'Homme

    Par Jacqueline Dubois, Photothèque du musée de l'Homme
    Par Christine Barthe, Photothèque du musée de l'Homme

    Que signifie « hétéroclite » ? 1. Rare : qui s'écarte des règles Q de l'art. Une construction hétéroclite. Courant : fait d'un assemblage bizarre de pièces et de morceaux disparates. Un fatras d'objets hétéroclites. - Lat. gram. heteroclitus, d'origine grecque, XV siècle (cf. Dictionnaire Hachette, 1980).

    Tout visiteur se hasardant pour la première fois dans le dédale du musée de l'Homme pour accéder à sa photothèque peut se laisser aller à penser que seul Kafka et Courteline associés seraient ici dans leur élément : le monde classé, rangé, étiqueté pour l'éternité. Trop belle ordonnance envasée par l'insidieuse réalité et rendue désuète par le fil du temps. Voici piles et fiches, boîtes à biscuits et boîtes à chaussures, métal et bois, papiers et cartons, trombones et ficelles, nitrates et plaques de verre, diapositives et tirages anciens... Ce tableau de l'hétéroclite n'est pourtant qu'une apparence. La réalité est une documentation photographique importante dont on ne connaît que peu d'équivalent.

    Origines

    Un ensemble documentaire peut se constituer selon différents modes, liés aux méthodes d'acquisition et aux façons de collecter. Une des particularités des collections de la photothèque du musée de l'Homme est d'être un fonds doublement pionnier dans la mesure où étaient nouveaux, à l'époque de la collecte, le support du document, en l'occurrence la photographie sous ses différentes formes historiques, et les disciplines documentées, l'anthropologie physique (devenue biologique) et l'ethnologie.

    On retrouve donc dans cette collection des traits typiques des grandes collections de photographies constituées à la fin du XLXesiècle, mais aussi des surprises, tenant au flou des méthodes de collecte lié à la jeunesse de la discipline.

    La constitution de ce fonds évoque donc, d'une part les personnalités des différents acteurs et la manière dont ils ont pu agir selon les changements de statut des institutions, et d'autre part la façon dont ont évolué les disciplines de l'ethnologie, de l'anthropologie et de l'histoire de la photographie.

    Ainsi, les plus anciennes photographies conservées (daguerréotypes) ont été réalisées à la demande du laboratoire « d'anatomie et d'histoire naturelle de l'Homme " du Muséum national d'histoire naturelle, qui deviendra en 1855 laboratoire « d'anthropologie ou histoire naturelle de l'Homme ». Le laboratoire était alors dirigé par le professeur Serres qui a considérablement développé l'usage de la photographie (conférences à l'Académie des sciences, articles parus dans La Lumière). Ce laboratoire a collecté un grand nombre de photographies qui servaient de base de recherches, de documentation pédagogique par les expositions, de moyen d'échange avec les autres musées.

    A partir de 1878 le musée d'Ethnographie du Trocadéro (créé à la suite de l'Exposition universelle) engrange des documents comparables et adopte un format standard pour les ranger (tirage collé sur carton placé debout dans des tiroirs).

    Ces deux collections parallèles seront réunies à partir de 1928 lors de la rénovation du musée d'Ethnographie en musée de l'Homme qui sera rattaché au laboratoire d'anthropologie du Muséum. La photothèque en tant que service sera constituée à ce moment-là. C'était alors un lieu de consultation des documents par les chercheurs du musée et le public trouvait là une sorte d'image du musée, de ses collections comme de ses galeries. Ce service, très novateur dans les années trente, a perduré sur ces bases jusqu'à maintenant. A partir du moment où le principe du changement de statut qui fait passer ces « documents » au rang d'"objets d'art » est reconnu, on peut considérer aujourd'hui que ces ensembles de photographies sont passés à une autre phase de leur histoire : « simples " documents sans valeur ajoutée autre que leur contenu, ils sont devenus collections à part entière. En effet, l'avancement des connaissances sur l'histoire de la photographie a entraîné ces dernières années une revalorisation historique et esthétique des photographies. Les façons d'opérer ce changement deviennent assez secondaires : inventaires plus précis, recherches complémentaires, reconstitution des ensembles d'auteurs, datations, identifications...

    Le plus difficile est de faire admettre ce changement de statut car l'objet de collection implique des normes de conservation, des impératifs de sécurité, et donc des budgets conséquents. Et même si ces budgets se font attendre, il est pourtant nécessaire de commencer un minimum de travaux. La reconnaissance de ce changement de statut est alors amenée par toute une série d'actions de plus ou moins grande envergure qui, toutes, relèvent de la même politique. Ainsi se sont déroulées, depuis fin 1991, les différentes actions menées à la photothèque du musée de l'Homme.

    Un exemple parmi d'autres

    Pour montrer comment le statut d'une photographie peut évoluer en une centaine d'années, nous pouvons prendre l'exemple de Désiré Charnay (1) qui partit, comme d'autres avant et après lui, sur les traces des sites mexicains de Mitla et Chichen-Itza. A la différence de ses prédécesseurs, il en ramena des photographies qui sont non seulement les premières de ces sites, mais encore les plus monumentales, dans tous les sens du terme. Or, ce qui fut considéré comme exceptionnel à l'époque (et exposé à ce titre au musée d'Ethnographie du Trocadéro) tomba dans un oubli relatif : on ne négligea pas la valeur documentaire de ces photographies, mais leur existence en tant que support ancien le fut. Peu à peu fut constituée au XXesiècle une série de tirages au détriment des supports originaux qui, dans certains cas, ont été jetés lorsqu'ils étaient détériorés.

    Aujourd'hui, après inventaire complet de la collection et malgré les inévitables pertes, le fonds Charnay apparaît comme le plus important de cet auteur, sans équivalent dans d'autres collections publiques ou privées : plus de 500 négatifs originaux et autant de tirages anciens. Elle acquiert ainsi une valeur nouvelle : celle d'un ensemble où chaque pièce peut être étudiée en comparaison avec les autres. C'est donc un plus documentaire incontestable tant au plan de l'américanisme qu'à celui de la photographie.

    Un état des lieux

    Fin 1991, la photothèque est rattachée à la bibliothèque du musée de l'Homme. Un état des lieux est dressé avec l'aide d'un spécialiste de la photographie recruté judicieusement à ce moment. Le bilan est franchement alarmiste.

    Le service est très réduit en surface où espace de travail et espace public sont confondus en 170 m2seulement pour 400 000 documents. Trois agents, dont un à titre précaire, assurent le service public et commercial (recherches, commandes, facturation, suivi des droits, etc.) et si possible se chargent des entrées courantes à l'inventaire. Le retard est considérable quant au traitement - des grands dons en particulier, dont certains attendent depuis plusieurs dizaines d'années dans leur emballage d'origine : tiroirs et boîtes de toutes sortes... Les enregistrements et légendes sont donnés selon l'intérêt documentaire propre aux disciplines du musée ; elles ignorent généralement le concept de collection. En outre l'absence de fait de toutes notions de conservation et de leur caractère indispensable frappe tout conservateur qui découvre cet ensemble : l'historicité du support qui n'apparaît pas à la saisie de l'inventaire n'est pas davantage prise en compte pour son conditionnement ou son stockage. Par ailleurs il n'existe aucun budget propre au service obligé de fonctionner au coup par coup sur le budget général du musée, sans attribution de ligne particulière d'acquisition ni de conservation ou de restauration. Les résultats suivent en conséquence : des dons non traités s'entassent, oubliés parce que d'un intérêt documentaire moindre, tandis que les fonds d'intérêt « ethnographique " ou « anthropologique » sont livrés sans discernement à un accès libre et un photocopiage dévastateurs : fonds anciens du XIXesiècle au même titre que les reproductions d'aujourd'hui.

    Premières actions d'une politique en gestation

    Parallèlement à la réflexion, couplée à des demandes répétées de budget, une première subvention du ministère de la Culture, Commission nationale de la photographie, permet d'entamer les premiers travaux d'inventaire et de restauration sur quatre grandes collections de la photothèque et de prolonger le contrat de la spécialiste en poste.

    Ainsi au fil du travail, pouvait-on commencer à édicter les premières orientations d'une nouvelle politique.

    Organisation interne

    Des règles minimales de conservation, tant pour le personnel en fonction que pour les usagers, sont mises en place grâce à la constitution d'une réserve des photographies anciennes (jusque vers 1920) qui sont retirées du libre accès public - réserve aujourd'hui sommairement informatisée. La photocopie en est strictement interdite. L'usage des gants est recommandé dans toutes les manipulations des fonds anciens et modernes. Le tirage des plaques de verre est limité quand il n'y a pas de nécessité impérieuse. Le nettoyage partiel des locaux par une société spécialisée a permis des réaménagements et des rangements plus appropriés.

    Les premiers chantiers de restauration sont consacrés aux daguerréotypes (remontage de plaques trouvées nues), aux négatifs papier de Désiré Charnay, aux tirages panoramiques non montés, aux lacunes de tirages anciens et au nettoyage de la collection du cap Horn. Le tout est reconditionné dans des boîtes et passe-partout ad hoc et tenu hors poussière.

    Une formation professionnelle est proposée au personnel par le biais des stages de l'École nationale du patrimoine et du Getty Conservation Institute de Californie.

    Relations extérieures

    Une exposition de photographies, accompagnée de son catalogue, est montée dans le musée pour la première fois à l'occasion du mois de la photographie à Paris : L'Album Peaux-Rouges du prince Roland Bonaparte. Un second catalogue est en préparation concernant La Mission scientifique au cap Horn (1882-1883).

    Des relations s'établissent avec les grandes institutions spécialisées dans la photographie : c'est l'atelier de restauration du musée Carnavalet qui est consulte pour avis avant de prendre des décisions. Le musée d'Orsay, la Société de géographie et la Bibliothèque nationale de France - département de la Photographie - sont interrogés pour des compléments de collections et leur histoire, ainsi que la Société française de photographie et encore l'Institut français de restauration des oeuvres d'art (IFROA), dont les premiers élèves de la nouvelle section de photographie trouvent leur sujet de thèse dans nos collections.

    Des visites de grandes collections nationales ou étrangères aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Ita-lie permettent de mieux connaître l'ensemble du patrimoine photographique existant et de situer les collections de la photothèque, leur histoire et leur état, tout en créant un réseau professionnel environnant.

    L'exemple de Charnay cité plus haut n'est pas isolé dans l'ensemble des collections de la photothèque. On note parmi les collections anciennes les noms de Potteau, Rousseau, un ensemble de daguerréotypes datant des tout débuts de l'anthropologie, la collection Clérambault, des photographes comme Miot, Hughan, Crevaux. Dans les ensembles plus récents on retrouve les grandes missions du début du siècle (voyage de la Sémiramis par Lapicque) et des années trente comme la mission Dakar-Djibouti pour n'en citer qu'une. L'écart entre les conditions de survie précaires dans lesquelles ces types de fonds restent longtemps et leur valeur aujourd'hui exceptionnelle est hélas exemplaire. En effet, si les coûts de la restauration peuvent apparaître prohibitifs rapportés à la taille de la collection, il est néanmoins possible de mettre en place une politique de conservation préventive qui nécessite un minimum de personnel.

    L'intérêt nouvellement affiché du service pour l'histoire des collections modifie l'accueil des chercheurs, historiens de la photographie ou de l'anthropologie. Un échange d'informations s'instaure au bénéfice des collections, des utilisateurs et de la photothèque qui reconnaît aujourd'hui dans ses missions la valorisation.

    1. Désiré Charnay, aventurier du XIX'' siècle, a accompli pour le ministre de l'Instruction publique une mission au Mexique et au Yucatan de 1857 à 1861. retour au texte