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    Classer/ penser

    Par Philippe Debrion, Directeur réseau des médiathèques de Saint-Quentin-en-Yvelines
    Penser/classer:que signifie la barre de fraction?Quemedemande-t-onau juste ? Si je pense avant de classer ? Si je classe avant de penser ? Comment je classe ce que je pense ? Comment je pense quand je veux classer ? Penser/classer Georges Perec - Hachette, 1985, p. 154, Textes du XXesiècle.

    Si l'on part du principe que le rapport que va entretenir le public avec la collection est l'un des fondements de la bibliothèque ou de la médiathèque, le mode de classement ou l'organisation de ces collections dans l'espace revêt une importance toute particulière. De quelle nature vat-il être ? Comment va-t-il se construire ? Que peut-on faire pour l'améliorer ? Comment le rendre plus simple, atténuer les contraintes liées au service public et, de ce fait, au partage de la collection ou des services ? La liste des questions est longue et les réponses sont peu nombreuses. De surcroît dans cette relation nous voulons voir un accès égalitaire au savoir et faire en sorte que cet accès soit pour le plus grand nombre.

    Concevoir l'organisation de la collection dans une médiathèque revient à se poser ces questions et à tenter de concilier ces contraintes, pour ne pas dire ces contradictions.

    Organiser les collections dans l'espace

    Partager et accéder à une collection induit des contraintes que des évolutions de classement, comme le libre accès, n'ont pas résolues. Trois problèmes, parmi d'autres, peuvent être ici soulevés comme représentatifs des difficultés qui conditionnent l'organisation des collections.

    La frustration de la bibliothèque

    Ce que Roland Barthes appelle la frustration de la bibliothèque, le livre désiré n'est jamais là et, de ce fait, il y a obligation de frustration : il s'agit seulement et simplement de reconnaître la trace de refoulement qu'il y a dans ce trait fondamental et inévitable de la Bibliothèque publique (ou simplement collective) : sa facticité [...] tendanciellement le livre désiré n'y est jamais, cependant qu'un autre livre vous est proposé : la Bibliothèque est l'espace des substituts de désir (1)

    L'embarras du choix

    « L'embarras du choix » de Barbier-Bouvet renforce encore la frustration, car une fois épuisé les références que l'on aurait voulu obtenir, il faut parcourir les rayons pour trouver quoi lire : La multiplication des possibles rend plus complexe encore la maîtrise des messages et augmente le nombre des décisions et des micro-décisions qu'il devient nécessaire de prendre pour aboutir à l'information ou à l'oeuvre (2) . »

    Multiplication des SMppOMS

    Enfin, le livre n'est plus l'unique support de la collection. Avec l'arrivée de nouveaux supports, d'autres modes d'expression sont venus enrichir l'offre de la médiathèque. Cette multiplication des supports qui constituent la collection a fait croire à la possibilité d'utiliser le terme multimédia pour la désigner. Or, il faut laisser à ce terme ses propriétés : le multimédia ne vaut que si différents modes d'expression sont inscrits sur le même support (et non sur la même étagère). Il serait plus opportun d'utiliser le terme de classement multi-supports. Cette appellation désigne bien cette accumulation des différents types de supports qui, si elle devait se répéter indéfiniment, pourrait bien faire perdre l'image que nous tentons de donner. En plus de se diriger au sein du savoir, le public doit désormais se diriger au sein des supports qui nécessitent une panoplie d'instruments de lecture impressionnante.

    La quête du classement idéal

    La tentation est alors forte de chercher le classement idéal qui va résoudre, entre autres, les problèmes précédents et permettre de modifier considérablement le rapport des usagers avec la bibliothèque. Malheureusement, la quête semble vouée à l'échec et cet idéal toujours différé, du fait même de l'hétérogénéité des publics et des attentes : « Une mise en espace déterminée sera toujours plus propice à l'épanouissement de certaines modalités de lecture et source de gêne pour d'autres, même si, en définitive, tout le monde arrive à s'en accommoder (3) ...

    Pourtant, il semblait que de nouvelles modalités de classement pouvaient permettre de modifier cet état de fait : grâce, entre autres, aux centres d'intérêts mais surtout au multimédia. Avant d'organiser il a fallu observer et se forger une opinion (provisoire) sur les modes de classement.

    Le classement multimédia

    Le classement, mélangeant différents supports sur un même rayonnage, aurait des vertus dépassant largement la simple volonté de montrer la diversité des collections disponibles sur un même sujet : « Outre la simplification du classement, le public de non-habitués ne peut qu'être séduit par la variété des supports. Et les bibliothécaires souhaitent vivement attirer en particulier le public des adolescents qui, venus chercher une cassette vidéo ou un disque, auront à portée de main un album, un livrer (4) » Classer ainsi revient à vouloir mettre sur le même plan les supports et les modes d'expression différents comme pour montrer que l'on peut indifféremment utiliser l'un ou l'autre. La vidéo est alors considérée comme le miel qui va attirer le public qui face à la multitude des supports va prendre le roman puisque le film est déjà emprunté. C'est ignorer le mode d'appropriation par le public qui, quel que soit le classement, va utiliser la bibliothèque selon son propre désir et non ceux, projetés, des bibliothécaires. L'organisation de l'espace est pavée de voeux pieux qui ne conduisent parfois qu'à semer le doute et à renforcer l'embarras face aux collections.

    On ne peut déléguer au mode de classement la notion d'accès au savoir. Quelle que soit l'option choisie pour organiser les collections, le savoir ne se donnera pas si le public est dans l'ignorance de cette organisation. Car il ne faut pas se tromper d'objectif, notre rôle est de mettre à disposition du public une collection, pas de créer des chausse-trappes pour le dérouter ou lui compliquer la tâche. Si, pour parodier, on pense que le classement est structuré comme du langage », alors il faut apprendre ce langage au public. La formation du public est la condition nécessaire et indispensable pour qu'il utilise de façon autonome la bibliothèque. On ne peut à la fois vouloir développer le savoir et la connaissance et laisser le public dans l'ignorance de l'utilisation de la bibliothèque. D'ailleurs, quel que soit le mode de classement choisi, on ne peut faire l'économie de cette formation.

    L'utilité du classement multimédia ne vaut que par les résultats qu'il engendre, paradoxalement l'utilisation d'un nouveau mode de classement n'a pas fait l'objet d'une évaluation auprès du public (5) . Si les objectifs semblent à peu près clairs, les résultats, eux, sont totalement inconnus et nul ne sait si les buts poursuivis ont été atteints. L'impact est-il vraiment celui qui était poursuivi ? Le public a-t-il modifié son mode de fonctionnement vis-à-vis de son rapport aux collections ? Si la réponse est positive, de quel public s'agit-il ?

    Les centres d'intérêts

    La volonté du classement par centres d'intérêts est de tenter de réduire les difficultés liées à l'utilisation de la Dewey. Mais n'est-il pas préférable d'améliorer la connaissance de la Dewey, tout comme la recherche d'informations ? Il ne faut pas se leurrer, la complexité de la recherche documentaire ne peut être résolue par l'adoption d'une classification minimaliste.

    Toutefois, nous avons examiné avec attention l'aspect séduisant de cette démarche avant l'aménagement de la médiathèque du Canal, mais en définitive nous l'avons rejetée car, d'une part, elle fait plutôt partie d'un espace particulier qu'est la bibliothèque du Mans et d'autre part, il nous a semblé plus important de maintenir la Dewey puisqu'elle est utilisée dans la plupart des bibliothèques, y compris celles des nouvelles universités, comme c'est le cas à Saint-Quentin-en-Yvelines.

    Organisation du classement dans la médiathèque du Canal

    Partant de ces constats, il nous a fallu organiser le classement des collections dans la médiathèque du Canal. La structure du bâtiment nous a imposé une segmentation en huit espaces identifiés, répartis sur quatre niveaux. De ce fait, nous avons réparti les services en combinant le support et la fonction attendue et en renforçant même l'identification des lieux (visionnement sur place des films vidéo dans la vidéothèque), nommant les espaces en fonction de leurs particularités : bibliothèque, discothèque, vidéothèque...

    Les collections ont suivi cette répartition, puisque, par exemple, à la discothèque tous les documents relatifs à la musique sont classés dans le même espace quels que soient leurs supports (mais pas sur la même étagère !).

    La vidéothèque, quant à elle, devrait encore évoluer puisque limitée actuellement aux films (fiction et documentaire) et au cinéma, il est question actuellement d'y faire entrer l'image et plus particulièrement ce qui est relatif à la documentation par l'image.

    La classification décimale de Dewey est bien entendue utilisée pour le classement de tous les documents (hormis les disques) avec une limitation à une cote de six chiffres (imposée à l'origine par les VI de Tobias). Cette contrainte a été maintenue, encore que la plupart des cotes soient en dessous de cette limite.

    Conditions matérielles

    L'organisation dans l'espace des collections ne peut se résumer à matérialiser le classement ; la concrétisation de cette organisation peut revêtir une importance particulière, surtout si l'on veut modifier le rapport entre le public et la collection. « Les bibliothèques ont des leçons à tirer des pratiques du circuit commercial : par la qualité du cadre et de l'accueil, par la mise en scène des produits, par ses circuits imposés, la librairie invite à la consommation (6) . -

    Installer des rayonnages, c'est cloisonner, segmenter, créer une circulation. Une fois installé, chaque rayonnage fait écran (mur) et cela d'autant plus qu'il est garni de livres qui ne prennent du sens que lorsqu'on est près d'eux. Au loin ils ne forment qu'une masse qui constitue de fait le premier rapport à la collection.

    Pour améliorer cette présentation, un rayonnage muni d'un éclairage vertical fixé à l'intérieur de chaque montant a été choisi pour la bibliothèque (ou au secteur adultes si l'on préfère ce type d'expression). Cela crée une lumière particulière, qui, n'éclairant que les livres, met ceux-ci en valeur et casse l'image monolithique qu'ils peuvent avoir sur les rayons.

    Cette sorte de mise en scène 'souligne la présentation en valorisant le livre et crée un effet de « vitrine ,. Ce type de rayonnage modifie la vision des livres que l'on peut avoir dans la bibliothèque. L'effet de masse semble brisé, la présence du livre s'accentue. Il est vrai que cette présentation peut paraître « empruntée » à la librairie puisque le fabricant (Métala) fournit presque exclusivement des librairies, mais il s'agit d'une opportunité car ce fournisseur fut le seul à proposer le rayonnage décrit dans le cahier des charges. Cet éclairage a aussi permis de concilier le souhait de l'architecte d'avoir de véritables meubles plutôt que des structures en métal. Le mobilier se devait de ressembler à une des définitions du terme bibliothèque : Meuble ou assemblage de tablettes permettant de ranger et classer des livres (7) ,.

    Toutefois, cette installation a eu au moins un effet négatif, la multiplication des néons crée une source de chaleur supplémentaire. Si cela permet en hiver d'un peu moins chauffer, par contre en été cela fait monter la température. Cette contrainte associée à une ventilation qui n'a pas pris en compte cet état de fait a rendu l'été 1994 particulièrement difficile à supporter. L'installation d'une climatisation d'ici le mois de mai prochain résoudra ce problème.

    Conclusion

    Il nous semble important d'apprendre au public à utiliser la bibliothèque. Avant de vouloir modifier le classement, peut-être pourrions-nous revoir les OPAC, les normes ou les lourdeurs administratives qui perturbent les relations avec le public. Une des priorités à Saint-Quentin-en-Yvelines est l'amélioration de l'accueil et la qualité des relations entre le public et le personnel ; la multiplication des possibilités d'accès au fonds que ce soit par des présentations, des éditions de documents, des choix critiques. La méthode doit être hétérogène tout comme le public. C'est l'une des conditions de la pérennité des services d'une médiathèque.

    1. Le bruissement de la /aMgt<e / Roland Barthes - Seuil, 1984. retour au texte

    2. L'embarras du choix - / Jean-François Barbier-Bouvet in Bulletin des bibliothèques de France, t. 31, n° 4, 1986, p. 294. retour au texte

    3. Des livres )ibres - / Étisêo Veron in Bulletin des bibliothèques de France, t. 33, n° 6, 1988, p. 441. retour au texte

    4. De la bibliothèque à la mukimédiathèque '/ Claude Combet et Laurence Saintantonios in Livres-Hebdo, n° 111, 8/4/1994. retour au texte

    5. Cf. note 4. retour au texte

    6. Un espace pour le livre / Jacqueline Gascuet - Éditions du Cercle de la librairie, 1993. retour au texte

    7. Le grand Robert de la langue française. retour au texte