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    Rapport d'orientation

    Par Claudine Belayche, Présidente ABF

    Quelles orientations pour l'association en cette année 1995, déjà très engagée, et probablement le début 996 ? Notre année est en effet rythmée par cette rencontre annuelle où l'ensemble des adhérents ont l'occasion, par leurs représentants dans les différents conseils ou directement en assemblée générale aujourd'hui d'exprimer leurs avis, leurs propositions, les orientations qu'ils souhaitent voir l'association se donner.

    Le rapport d'activité qui vous a été présenté, a montré la continuité du travail du bureau, élu à Vichy, sur les principaux points d'intervention de l'association des trois dernières années ; l'année 1995-1996 ne verra probablement pas le règlement des problèmes de fond que nous suivons et sur lesquels nous tentons d'intervenir depuis longtemps. Je vous propose donc, avec le bureau élu, et après avis du Conseil national réuni hier, les orientations suivantes.

    Une législation pour les bibliothèques

    C'est un voeu régulièrement exprimé dans les congrès, et ce n'est pas un voeu pieux. À un moment charnière de la vie politique il est évident que l'association doit se saisir de cette opportunité pour reprendre le dossier, le présenter aux nouveaux ministres.

    La proposition d'une loi sur les bibliothèques s'articulera sur les nécessités d'approfondissement et de précision quant aux répartitions de compétences entre collectivités territoriales, et sur les exigences de coopération entre collectivités publiques.

    Après une prise de contact avec les nouveaux décideurs, il faudra reprendre le dossier qui avait été préparé en 1988 par la commission Réseaux et le mettre à jour pour tenir compte des évolutions des bibliothèques, de leurs tutelles, de la situation générale en France et dans le paysage mondial, en particulier en rapport avec l'organisation et la réglementation des échanges internationaux.

    Le développement des bibliothèques dans le contexte économique et technique actuel

    Le développement à marche forcée de ce qu'il est convenu d'appeler les nouvelles technologies de l'information, avec ses deux aspects majeurs : l'unimédia numérique (plus souvent désigné sous le terme de multimédia) et la généralisation des réseaux, bouleverse l'environnement des bibliothèques et les somme de renoncer à tout isolement. Il leur appartient d'être présentes dans ce nouveau contexte et de participer à la gigantesque redistribution des cartes à laquelle on assiste dans les domaines de la culture, des loisirs et de l'information.

    Les bibliothécaires sont à la fois contraints à une mise à jour de leurs connaissances et à une redéfinition de leurs missions et de leurs domaines d'intervention : il est permis de parler de nécessaire refonda-tion du métier. Tout ceci pose des problèmes techniques, juridiques, institutionnels, culturels majeurs, sans qu'il soit possible d'apporter de réponses immédiates.

    Alors que d'importantes inégalités dans les nouveaux modes d'accès à l'information, à la connaissance, à la culture et aux loisirs risquent de provoquer des béances entre les nations, les groupes sociaux, les régions et entre les bibliothèques elles-mêmes, il n'est pas exclu qu'un des enjeux auxquels nous soyons confrontés soit celui de la persistance de structures d'accès démocratique à l'information dans un environnement en voie de « mercantilisation » généralisée. Les bibliothèques, sont acteurs de l'économie de l'information et, pour une partie d'entre elles, garantes de la pérennité et de la qualité d'un service public d'accès à l'information et à la culture.

    Il appartiendra à l'ABF de contribuer dans la mesure de ses moyens à l'information et à la réflexion de la profession dans tous les aspects de ce phénomène, de la technique à l'éthique. L'ABF se doit d'y être très attentive, d'exercer une vigilance absolue, au risque de voir se fragmenter la profession. Cette vigilance doit également s'exercer sur les conditions d'accès aux documents, quel que soit leur support, pour éviter l'extension d'un système de bibliothèques à deux vitesses : il serait dommageable en effet que l'ouverture des bibliothèques aux nouveaux supports de l'information, conçue au départ comme une ouverture sur le monde moderne et l'actualisation des connaissances, soit, pour des raisons économiques, limitée aux collectivités et aux publics socio-économiquement en capacité de payer pour les services proposés.

    La loi sur les bibliothèques que nous réclamons devra aussi assurer la possibilité d'un service de base, fondamental, pour tous les citoyens du pays.

    La nécessité de personnels qualifiés et en nombre suffisant dans les établissements

    Les problèmes statutaires ont occupé l'association, depuis 1990, largement, et ne sont pas résolus pour autant aujourd'hui. Que ce soit pour les personnels territoriaux ou de la fonction de l'État, des imperfections, de graves erreurs, d'insolubles problèmes subsistent. Des décrets d'application ne sont pas publiés, des concours ne sont pas organisés...

    L'ABF n'a pas vocation à se substituer aux syndicats. Elle défend les principes fondamentaux nécessaires pour un fonctionnement équilibré des établissements, pour un développement de la lecture publique comme de la recherche en université. Pour cela, toutes les analyses démontrent qu'un personnel bénéficiant d'une formation initiale et régulièrement mise à jour, suffisant en nombre et non précaire, est le gage d'un service qui peut se développer dans le temps, s'approfondir, et répondre aux besoins exprimés ou potentiels de publics divers.

    Ce point restera donc l'une des préoccupations fondamentales de l'association et pour être plus précise :

    • ENSSIB : suites données au rapport de la Commission d'évaluation à laquelle nous avons participé, évolution des enseignements à l'École ;
    • concours territoriaux, particulièrement en catégorie B (B-type et Cil) : professionnalisation des épreuves pour assurer que la liste d'aptitude permette un recrutement sur des critères clairement professionnels, et correspondant aux nécessités des établissements ;
    • assurances de mise en place de formations continues de qualité, variées, correspondant aux demandes exprimées, offrant un nombre de places suffisantes ;
    • mise en place de procédures effectives pour assurer la mobilité entre fonctions publiques (État et territoriale) actuellement prévue dans les textes statutaires mais difficilement réalisable en pratique.

    Le Congrès de Clermont-Ferrand/Vichy, l'an dernier, avait largement évoqué la nécessité de formations suivies, cohérentes, complètes. L'ABF a dit à plusieurs reprises son inquiétude devant la faiblesse des formations post-recrutement dans la fonction territoriale (en particulier dans le domaine bibliothéconomique) et l'absence de dispositifs de ces formations pour le tiers réseau, et en partie pour la fonction de l'État (en catégorie C et B).

    Nous devrons continuer à interpeller les directions chargées de ces questions sur les nécessités de mettre en place des formations initiales, sanctionnées par des diplômes nationaux, à chaque niveau de recrutement, au risque de voir se créer, dans chaque université, des diplômes d'université qui ne seraient pas nécessairement reconnus dans les titres admis en équivalence pour l'un ou l'autre concours.

    La formation d'auxiliaire de bibliothèques

    Cette formation connaît un succès constant dans toutes les régions où elle est organisée. Depuis qu'elle a été homologuée, comme une formation professionnelle continue, l'ABF a dû la formaliser, pour se conformer aux obligations de l'homologation. Cette harmonisation entre les différents centres est en cours, que ce soit pour les conditions de rémunération des enseignants ou pour l'harmonisation des programmes.

    Cette formation reste la seule, à ce jour, existante de façon cohérente pour le niveau élémentaire d'emploi en bibliothèque, et si elle est de fait reconnue par les employeurs et professionnels (nombre d'annonces portent formation ABF souhaitée ») elle ne l'est pas statutairement. Nous devons nous fixer de tenter de la faire reconnaître, par exemple comme équivalence d'un examen professionnel en catégorie C.

    Cette formation est réclamée par des pays africains, comme correspondant aux besoins de réseaux de lecture publique en constitution. Au Cameroun, elle a déjà été dispensée depuis deux ans avec un examen conforme au niveau français, elle est demandée dans d'autres pays. Il faudra qu'elle soit, si c'est le cas, contractualisée et harmonisée, comme elle l'est avec les centres régionaux.

    Les bibliothèques dans la chaîne du livre, acteurs de l'économie du livre ?

    Depuis quelques années, à nouveau, les bibliothèques se sont retrouvées accusées de plusieurs maux par les partenaires que sont libraires et éditeurs. Débat que l'on aurait cru achevé et qui a reparu à l'occasion de la fameuse directive européenne de novembre 1992 sur les droits de prêt en bibliothèques et droits dérivés.

    Après la parution de notre dossier sur le droit de prêt nous avons dû exposer cette position régulièrement, avec constance, en ayant l'impression de répéter. Il faudra probablement continuer car le débat n'est pas clairement tranché, et tout laisse croire que le lobbying reprendra dans quelques semaines.

    Il faudra également discuter avec les syndicats de libraires, qui présentent une position commune devant nous sur le problème des remises et leur demande de modification de la loi Lang sur les plafonnements des remises aux collectivités. On sait que le débat est d'abord gouverné par l'Éducation nationale, première « cliente » de l'édition scolaire (et des grands éditeurs).

    Comme sur le droit de prêt, il faudra expliquer les complexités et montrer en particulier que les remises ne sont pas le seul critère d'achat chez un fournisseur ou un autre. En un mot l'ABF doit se montrer présente dans les discussions d'une interprofession qui n'est pas monolithique, doit argumenter, défendre les principes du service public. L'ABF devra, elle aussi, intervenir auprès des décideurs.

    Les relations internationales

    L'ABF est de plus en plus sollicitée par des associations étrangères, à la fois dans le domaine de la coopération ou pour des opérations ponctuelles. L'ouverture des frontières à l'Est, le développement des pays africains, ont provoqué une demande de plus en plus régulière de contacts, de formations, d'informations. Certains de nos collègues sont ici pour le dire.

    Devant cet afflux de demandes, la réponse n'est pas toujours facile, notamment parce que l'ABF n'a pas les moyens de certaines de ses homologues étrangères, fortement soutenues par leurs gouvernements.

    L'Association participe depuis sa constitution à EBLIDA, interassociation européenne, créée dans un premier temps pour être un interlocuteur valable devant les instances de décision européennes. EBLIDA a assuré une forte présence, en particulier sur les problèmes juridico-économiques, il lui est demandé beaucoup plus : d'être un relais vers les pays de l'Est européen, de développer son intervention sur d'autres secteurs... La discussion est ouverte : elle est à la fois une question de principe... et une question de moyens !

    L'association est également engagée dans l'IFLA, elle a appuyé cette année plusieurs collègues pour leur participation à des comités permanents et l'une pour le bureau exécutif. Cette présence, au-delà des individus, est aussi l'assurance que la France et les bibliothèques françaises, montrent un certain savoir-faire, même si dans nombre de domaines elles ont encore à apprendre des autres.

    Notre intervention auprès de pays étrangers, très demandeurs (pays africains, anciens « pays de l'Est » européen), peut surtout se constituer autour d'aide technique, par exemple dans le domaine des formations, dans le domaine de l'organisation d'associations (dans les pays de l'Est, qui reconstituent des associations de bibliothécaires, nous sommes appelés à expliquer nos statuts, leur mise en oeuvre,...), pour la participation à des échanges entre établissements.

    L'organisation interne de l'association

    Statutairement, l'association fonctionne par des systèmes de délégation à double niveau :

    • vertical, c'est-à-dire par secteurs d'activités sur tout le territoire : ce sont les sections, deux maintenant (BP et SER) ;
    • horizontal, géographique, ce sont les groupes régionaux où se retrouvent tous les collègues d'une aire géographique à peu près régionale ;
    • dans le conseil national, instance décisive statutaire de l'ABF, se retrouvent présents, mais parfois sans droit de vote, certains groupes régionaux trop petits en nombre.

    Sur proposition du Bureau national, le Conseil national a adopté le principe d'une nouvelle répartition des votes en son sein, qui pourrait, si l'Assemblée générale le décide, prendre effet en 1996. L'idée est celle d'une répartition, où le poids respectif des groupes serait calculé à la proportionnelle : chaque groupe aura un nombre de voix calculé au prorata de son poids en nombre d'adhérents. Ces modifications ont pour objectif d'assurer un fonctionnement plus collectif, où les adhérents soient mieux représentés, où tous ceux et celles qui souhaitent participer à des actions, des initiatives nationales ou régionales, puissent trouver le lieu d'expression de cette initiative.

    Cette année a été marquée, dans l'association, dans les groupes et sections, d'une forte activité de journées d'étude, de publications, etc. Cela prouve l'utilité de l'ABF, de sa nécessité pour nombre de collègues isolés dans leurs établissements.

    Depuis plusieurs années, fonctionnent dans l'association des commissions thématiques, dont vous aurez les comptes rendus d'activités dans quelques instants. Regroupements thématiques, regroupements plus généralistes,, dans les groupes et sections, c'est certainement une caractéristique de fonctionnement de notre association : elle peut paraître complexe, lourde à certains, elle offre en revanche une variété de possibilités d'interventions, de participations pour tous les adhérents qui le souhaitent. Elle me semble également bien représenter la dialectique « éternelle entre généraliste et spécialiste qui traverse notre profession depuis des lustres, et peut-être plus encore aujourd'hui.

    Je crois utile, à ce moment de l'histoire de l'association, de poser d'une autre façon la question qu'avait évoquée Françoise Danset l'an dernier dans son rapport d'activités : adhérent consommateur ou adhérent participant ? Pourquoi adhérez-vous à l'ABF ? Question qui reste d'actualité, comme elle l'est pour tout le mouvement associatif.

    Mais, pour les professionnels, quels qu'ils soient, particulièrement devant le développement des nouvelles technologies, l'autre thématique est celle de l'hyperspécialisation ou du généraliste : la coexistence dans l'ABF de structures doubles est-elle une réponse ? Probablement pas la seule, mais certainement l'une d'elles, me semble-t-il.

    En tout cas, je crois nécessaire de réfléchir dans ce sens, pour éviter la fracture qui pourrait se creuser entre différents secteurs de la profession, si nous croyons encore à l'unicité d'un métier qui n'exclut pas la diversité.