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    Conclusion

    Par Michel Melot, Conservateur général des bibliothèques

    J'ai bien noté, comme vous, la mesure n°39 annoncée par monsieur le ministre de la Culture dans son Plan d'action pour le livre et la lecture, le 25 octobre dernier, et qui est ainsi libellée «Constitution d'un réseau national des maisons d'écrivains et musées littéraires ». Le Conseil supérieur des bibliothèques s'est d'ailleurs réjoui de ce plan, qui comporte beaucoup d'autres mesures opportunes, et a souhaité qu'elles soient au plus tôt mises en pratique. Sur ce point précis, l'Association des bibliothécaires français anticipe donc, par cette journée d'étude, sur les mesures concrètes que le ministère s'est engagé à prendre.

    Le Conseil supérieur des bibliothèques ne s'est pas penché sur le cas des maisons d'écrivains, mais il connaît bien ce type de problème, qu'il a eu à traiter pour les bibliothèques musicales et qui ressortit à ce qu'on a nommé «la malédiction des organigrammes Comme les bibliothèques musicales, les maisons d'écrivains occupent un «vide administratif qui les condamne à être ignorées ou marginalisées dans les services centraux c'est-à-dire aussi dans les lignes budgétaires consacrées à la culture. Ni véritablement musées, ni toujours monuments historiques, rarement bibliothèques, les maisons d'écrivains hésitent entre différentes appartenances et ne sont totalement prises en compte par aucune. C'est sous la tutelle des musées qu'elle se rangent d'abord, mais elles sont des musées sans collections d'oeuvres d'art, et, lorsqu'elles veulent en acquérir, il s'agit d'abord de livres et de documents d'archives, dont les crédits sont dispensés par d'autres directions. On comprend que la Commission d'achat des musées, créée pour apprécier la valeur des objets d'art à acquérir, ne mette pas dans ses priorités l'acquisition de ce qui, ailleurs, apparaîtrait comme de la documentation. Elle renvoie donc le dossier à la direction du Livre, et au Centre national du livre, ou à celle des Archives. Mais ces collections de littérature, ne sont-elles que de la documentation lorsqu'elles sont ainsi recueillies et conservées in situ, y acquérant une valeur historique incontestable, indépendamment de leur valeur propre ?

    La direction du Livre se sent la première concernée et il est significatif que cette journée ait été spontanément organisée à l'initiative de bibliothécaires, mais les plus motivés pour agir n'ont pas la compétence administrative, ni les moyens financiers pour le faire. La compétence intellectuelle ne coïncide pas avec la compétence juridique. Voilà une des difficultés auxquelles se heurtent le développement et le fonctionnement normal des maisons d'écrivains. On a entendu le cas exemplaire de la maison de Stendhal à Grenoble, directement gérée par la bibliothèque municipale, comme un de ses services, et ainsi naturellement reliée aux larges collections de la bibliothèque, aux activités des chercheurs et aux compétences du conservateur spécialisé qui est monsieur Jocteur-Montrozier.

    L'histoire de la littérature est ainsi écartelée entre des musées sans fonds, réduits à la simple attraction touristique, et des fonds sans musées, indistincts dans les bibliothèques et les archives. Souvent mal acceptées dans les FRAM (fonds régionaux d'acquisition des musées), parfois mal reçues dans les FRAB (fonds régionaux d'acquisition des bibliothèques), les maisons d'écrivains sont-elles condamnées à demeurer des coquilles vides ? Il est vrai qu'à ce flou administratif, correspond un flou théorique, qu'a remarquablement analysé madame Grinbaum-Salgas. Sur le statut hybride de ces institutions, madame Fox-Pitt a parlé de « liaisons dangereuses ». Si elles veulent être des musées, elles doivent en assumer les principes et participer à la sacralisation des oeuvres qu'elles conservent, de façon méthodique et, si j'ose dire, méritée. Si elles veulent être bibliothèques et dépôts d'archives, elles doivent aussi en accepter les contraintes, et s'ouvrir aux chercheurs. La conservation d'une maison d'écrivain participe à la fortune critique de celui-ci, c'est une reconnaissance officielle de son succès, lié à une partie de la théorie littéraire : la recherche biographique.

    Des musée d'idées...

    L'analyse de l'oeuvre est alors accaparée et souvent encombrée par le procès de célébration de l'auteur. Une maison d'écrivain ne peut se contenter d'être un lieu de pèlerinage. Sa situation est la plus favorable au développement des études littéraires, mais aussi la plus propice aux complaisances hagiographiques. Si l'on veut bénéficier à la fois de l'environnement unique et sensible qu'elles constituent et de l'étude critique qu'elles favorisent, il faut y développer des activités puissantes, diverses, largement ouvertes sur les autres pays et les autres disciplines. Elles doivent être des musées d'idées, des conservatoires de la pensée et des lieux vivants de la critique. Nous avons vu, dans le cas de la maison de Chateaubriand, une réussite de ce genre, un lieu évocateur, significatif non seulement de l'écrivain célèbre mais du monde dans lequel il a vécu, à la fois lieu de promenade et de recueillement, mais aussi centre d'études pourvu d'une riche bibliothèque spécialisée et même d'appartements où peuvent séjourner les chercheurs les plus autorisés. C'est vers cet ensemble harmonieux qu'il faut tendre si l'on veut dépasser le dilemme qui condamne les maisons d'écrivains à l'un ou à l'autre sort : site touristique sans rayonnement intérieur, où l'on ne ressent que l'absence de celui qu'on honore, ou centre d'étude actif et fertile, mais abstrait de toute réalité historique ou de tout sentiment d'appartenance à laquelle la maison d'écrivain doit nous attacher.

    Les cas favorables de Grenoble ou de la Vallée-aux-Loups, que nous avons cités, sont rarissimes. Ils sont, soit le fruit d'une volonté politique forte qui dégage des moyens importants comme l'a fait le département des Hauts-de-Seine, soit le fruit d'accords multiples et compliqués qui permettent aux différents acteurs intéressés de collaborer à cette oeuvre nécessairement composite qu'est une maison d'écrivain. Une maison d'écrivain serait alors un regroupement d'intérêt de l'État, des collectivités locales, de l'Université et des centres de recherches français et étrangers, et souvent d'au moins une association créée autour de l'écrivain concerné : on sait la difficulté de tels montages. On a vu, par quelques exemples, que les greffes entraînent parfois des rejets. Déjà, l'État, représenté par le ministère de la Culture, de l'Éducation nationale, du Tourisme, a bien du mal, on le voit, à coordonner les différentes directions responsables de tels programmes. Voilà donc ce qu'il faut faire : favoriser, et pour cela faciliter, les consortiums capables de donner aux maisons d'écrivains toutes leurs dimensions : touristique, pédagogique, culturelle, scientifique, à tous les niveaux.

    Pour cela, il faut d'abord connaître les maisons d'écrivains. Le vaste registre sur lequel elles se répartissent : lieux de tourisme, lieux d'expositions et de spectacles, musées, centres d'étude, s'assortit d'une extrême diversité de régimes juridiques, public ou privé. Ainsi les maisons d'écrivains, divisées, dispersées, s'ignorent-elles les unes les autres et ne sont regroupées nulle part, contrairement à ce qui se passe à l'étranger où elles sont représentées par des associations professionnelles ou des administrations spécifiques et parfois puissantes, particulièrement en Allemagne, dans les pays scandinaves et les pays de l'Est. J'ai été surpris d'apprendre, par Judith Meyer-Petit, directeur du musée Balzac, qu'elle était la seule à représenter les maisons françaises d'écrivains dans la section des maisons d'écrivains et des musées littéraires (International Comittee of Litterary Museums) de l'ICOM (International Council of Museums). Notre pays serait-il si pauvre en littérature ?

    Les premières tâches apparaissent donc évidentes à l'issue de cette journée. Il faut identifier nos maisons d'écrivains, en perfectionner la liste, par région, par catégorie, par types d'activité, et la cartographier pour en donner une claire vision à nous-mêmes et au monde entier. Ensuite, il faut les renforcer et les professionnaliser, pour accroître le nombre et la qualité de leurs activités. Mieux situées administrativement, par des conventions et des aides, elles seront mieux ouvertes au public, mieux liées aux chercheurs et signalées à l'intérêt des autres pays du monde. Il faut sortir du musée-reliquaire ou du musée-sanctuaire, comme l'ont dit ici plusieurs intervenants. Les lieux de mémoire doivent être aussi des lieux de recherche de la mémoire. Le souvenir, comme l'a bien dit madame Meyer-Petit, est indissociable de l'avenir.

    Un vaste public lettré

    Les maisons d'écrivains doivent répondre à une demande que l'on peut réellement qualifier de populaire. Les Français sont viscéralement attachés à leur langue, et à la qualité de leur langue. Les maisons d'écrivains ont une capacité à attirer un vaste public lettré ou désireux de l'être. On ne doit pas négliger l'aspect touristique des lieux de mémoire. Il correspond à un besoin social profond d'identification et, lorsqu'il s'agit d'honorer l'écriture et la langue, un lieu constitutif de l'idée de nation et de culture nationale. Mais il existe une autre demande, peut-être plus forte encore, de la communauté internationale. La littérature française est mondialement connue et reconnue et il y aurait quelque paradoxe à l'abandonner aux seuls études étrangères. La réputation de certains écrivains français comme Jean-Jacques Rousseau ou Jules Verne facilite cette ouverture. On visite Pierre Loti à Istanbul, un circuit Lamartine est en projet au Liban. Il existe des sociétés proustiennes ou hugoliennes aux États-Unis ou au Japon. Les maisons d'écrivains sont, de toute évidence, promises au succès pour peu qu'on leur en donne et qu'elles s'en donnent les moyens. Elles ne doivent pas, en tous cas, décevoir ces attentes. Il appartient aux maisons d'écrivains en tant qu'institutions représentatives de chacun d'entre eux, d'entretenir et de développer les échanges entre la France et les institutions, associations, universités, qui, dans beaucoup de pays leur consacrent leurs travaux.

    Les maisons d'écrivains, lieux de commémoration mais aussi de recherche et de critique peuvent être aussi d'admirables lieux de création. Où mieux situer les résidences de jeunes écrivains qui, de plus en plus, sont encouragés par des bourses ou engagés dans des travaux d'ateliers littéraires et d'animation ? Si les maisons d'écrivains sont naturellement des lieux de pédagogie ayant vocation à accueillir les écoliers et les étudiants, que ce ne soit pas dans le cadre sympathique et superficiel de promenades scolaires dont leur visite risque de ne constituer que la partie la moins attractive. Le support pédagogique qu'ils offrent doit être aussi vivant et créatif, lieux de transmission du savoir et non de réminiscence d'un savoir oublié.

    On le voit, ce mélange actif est difficile à obtenir, comme dans toutes les bonnes recettes. Mais, à ce prix, le patrimoine littéraire, qui mérite bien cela, sera ancré dans une réalité historique, la dure abstraction des mots trouvera un peu de chair, un environnement sensible, propice à les faire mieux comprendre.

    Cette journée n'est qu'une première pierre. Nous sommes tous étonnés d'être ici, ensemble. Nous nous connaissons par hasard, sans savoir qui nous sommes, et nous voici appelés à travailler les uns avec les autres, malgré nos différences de carrière, de statut, de région ou de tutelle. L'initiative de l'ABF ne sera pas un feu de paille. Elle va dans le sens des voeux du ministre de la Culture, des collectivités territoriales, de plus en plus soucieuses de leur patrimoine culturel. Elle répond surtout à l'attente d'un large public, de plus en plus curieux de l'histoire littéraire, plus encore, apparemment, dans certains pays voisins qu'en France même. Le Conseil de l'Europe annonce un programme de mise en réseau baptisé les « Routes du livre . Jean-François Seron, responsable du livre à la DRAC de la région Centre, particulièrement riche en littérature, nous annonce la tenue à Bourges, les 18 et 19 octobre prochains, des journées consacrées aux maisons d'écrivains.

    Nous devons donc une grande reconnaissance au groupe Paris et à la Section étude et recherche de l'ABF qui ont pris l'initiative de cette réunion, à Robert Tranchida, du Musée Balzac, qui en a eu l'idée, à Jean-Claude Garretta, Maud Espérou et Laurence Varret qui l'ont organisée. Elle marque sans doute un point de départ dans l'indispensable fédération des maisons d'écrivains françaises, préalable à tout nouvel essor.