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Les centres de documentation et d'information (CDI) des lycées et collèges en France

1997
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    Les centres de documentation et d'information (CDI) des lycées et collèges en France

    Quelle contribution à la formation du citoyen

    Par Françoise CHAPRON, Maître de conférences à l'IUFM de Rouen, présidente honoraire de la FADBEN (Fédération des enseignants documentalistes de l'Éducation nationale

    La croissance et la multiplication des sources et supports de l' information, le développement de la production de biens culturels, le maillage des réseaux d'information et de communication, tel l'Internet, caractérisent les mutations rapides de ce qu'il est désormais banal d'appeler la société de l'information. L'offre de nouveaux média modifie le rapport au savoir. L'École et ses maîtres n'en sont plus les principaux dispensateurs. La multiplication des émetteurs pose le problème de l'autorité de la source d'information ou du savoir, de sa qualité, de sa fiabilité.

    Le flux constant d'informations suscite une illusion de liberté due à la pratique du zapping, mais aussi parallèlement, s'accroît le risque de passivité devant la mosaïque d'images de plus en plus centrées sur l'émotionnel, voire le spectaculaire, notamment à la télévision et au cinéma. Une déréalisation progressive, liée à l'usage des images virtuelles, s'installe, entraînant l'illusion d'une toute puissance qui permet de fuir ou d'occulter la réalité, phénomène particulièrement sensible chez les jeunes en difficultés sociales ou psychologiques. La rupture de l'espace/temps dans la diffusion ou la consultation des sources d'information escamote le temps de la réflexion et du nécessaire recul critique.

    Par ailleurs, les repères sociaux et moraux, jusque là assumés conjointement par la famille, la société et l'École s'émiettent. Trop souvent, est renvoyé à l'École le soin d'installer ou de reconstruire le lien social et le rapport à la Loi qui fait défaut. La formation à la citoyenneté est, de ce fait, de plus en plus fortement affirmée dans les missions du système éducatif français.

    Quels sont les objectifs assignés à cette formation en France ? comment les CDI des lycées et collèges peuvent ils être des structures favorisant des réponses (forcément partielles) à ce problème ? quel rôle peuvent jouer les enseignants documentalistes dans cette formation des citoyens de demain que sont les jeunes adolescents du niveau secondaire français ?

    Les rapports entre l'École, la démocratie et la République ont toujours été très étroits en France. Nourrie de l'idéal de la philosophie des Lumières et de la Révolution française, l'École a fortement contribué à la construction du sentiment républicain depuis plus d'un siècle. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l'Éducation nationale, réaffirmait encore récemment que la démocratie, qui est conscience, ne peut vivre sans un citoyen éclairé; l'Ecole, les médias la justice, autant que les institutions politiques, y concourent - (1) en formant des citoyens, capables de jugement autonome.

    La formation de l'homme et du citoyen : une mission éducative réaffirmée

    La Loi d'orientation sur l'Éducation du 10 juillet 1989 pose un droit à l'éducation afin de «permettre à chaque élève de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie professionnelle, d'exercer sa citoyenneté» (2) .

    Face à la montée de l'échec scolaire et aux difficultés de comportements, voire de la violence au sein de l'Ecole et de la société, les nouveaux programmes du niveau collège rappellent pour toutes les disciplines, le rôle spécifique de chacune d'entre elles dans ce domaine, qu'il s'agisse du français capacité à communiquer avec autrui, à structurer le jugement pour devenir un citoyen conscient, autonome et responsable, des sciences de la vie et de la terre : réflexion sur la bioéthique ou l'environnement... L'Éducation civique, discipline autonome enseignée sur les quatre années du collège, s'organise autour de trois finalités :

    • l'Éducation aux droits de l'Homme et à la citoyenneté par l'acquisition des principes et valeurs qui fondent et organisent la démocratie et la République, la connaissance des institutions et des lois, la compréhension des règles de la vie sociale et politique ;
    • l'Education au sens des responsabilités individuelles et collectives;
    • l'Education au jugement notamment par l'exercice de l'esprit critique et par la pratique de l'argumentation (3) .

    Au lycée, cette formation à la citoyenneté est présente en histoire et en philosophie notamment, mais surtout les lycéens à travers les conseils de délègues d'élèves, la gestion de la Maison des lycéens, la publication de journaux lycéens » (4) peuvent s'exercer à l'exercice de responsabilités concrètes.

    Ensembles de savoirs et de pratiques, cette formation à la citoyenneté fait partie des missions de tous les membres de la communauté éducative ; les enseignants documentalistes, responsables du CDI, sont donc comme les autres acteurs concernés par la mise en oeuvre de ces instructions officielles.

    Le CDI constitue un lien dans l'Ecole avec le monde extérieur à travers la mise à disposition locale ou à distance de ressources informationnelles qui passent de plus en plus souvent par l'usage de nouveaux outils de communication. L'espace CDI est en profonde mutation. L'offre éditoriale s'est largement diversifiée qu'il s'agisse de l'écrit toujours présent (livres de fiction, ouvrages documentaires, périodiques généraux ou spécialises), des documents audiovisuels, vidéogrammes notamment, des logiciels, céderoms, CD-I, CD-photos...

    Le CDI, un outil au service de la formation du citoyen

    1. Un interface avec le monde extérieur

    L'accès à des banques de données en ligne par le Minitel et, de plus en plus, par connexion aux grands réseaux (dont l'Internet), se développe en ce moment dans l'enseignement secondaire, et permet aux élèves de s'initier à l'usage des outils et gisements informationnels, qu'ils auront à utiliser dans leur vie culturelle, professionnelle et civique, et d'élargir leur horizon au-delà du strict cadre scolaire.

    L'appropriation des codes de lecture et des stratégies d'usage de ces sources nouvelles fait du CDI un laboratoire d'apprentissage propice à les préparer à l'usage d'autres structures culturelles, tels les bibliothèques, les centres de documentation spécialisés, les réseaux de communication. Il leur permet de réfléchir aux pratiques sociales de ces outils de communication, d'être en relation avec les objets du réel à travers leurs activités individuelles et collectives d'ordre scolaire, dans une visée de transfert à des pratiques personnelles intégrées hors de l'Ecole.

    2. Un outil au service de la construction des savoirs et de modes de pensée

    L'exercice de la citoyenneté passe par la construction de savoirs, permettant la compréhension des phénomènes historiques, sociaux économiques, culturels.

    Toutes les disciplines enseignées concourent à construire la personne et doivent viser à l'autonomie des élèves. Être citoyen, c'est comprendre, grâce à cette culture acquise dans différents domaines, située dans le temps de l'Histoire et la connaissance du monde présent, les enjeux des choix politiques, économiques, sociaux, voire éthiques sur lesquels l'individu, en tant que citoyen, sera appelé à se prononcer dans les différents scrutins qui rythment la vie d'une société démocratique. Avoir à donner son opinion, opérer des choix dans un domaine comme la bioéthique ou l'environnement, suppose d'avoir acquis un minimum de culture scientifique. Pour résister à la montée des discours d'exclusion, aux tentations racistes ou xénophobes, qui se caractérisent par une vision simpliste des solutions proposées, il est nécessaire de mobiliser des connaissances de base, aussi bien en économie qu'en biologie ou en histoire. Cet enjeu du savoir comme moyen d'une vie démocratique fondée sur la raison et la liberté de jugement est particulièrement sensible dans notre contexte politique et social actuel, face à de nombreux jeunes en situation difficile et sans repères culturels Cette notion de rapport au savoir est un des thèmes de réflexion et d'action pédagogique en lien avec lutte contre l'échec scolaire (5) .

    En cela le CDI, par la pluralité de ses ressources, offre une approche globale et complexe du savoir par la médiation des documents et leur confrontation possible. Il constitue un outil précieux de mise à distance et de synthèse d'un savoir trop souvent cloisonné dans des programmes ou des champs disciplinaires bien cernés.

    C'est au CDI que bien souvent l'élève va pouvoir faire des ponts entre ces îlots de savoirs acquis dans chaque cadre disciplinaire et éventuellement s'ouvrir vers des horizons culturels plus vastes.

    Le CDI, en tant qu'outil logistique permettant la mise en oeuvre de démarches de recherche, de traitement et de communication de l'information, induit tout un ensemble de processus intellectuels : mobilisation de connaissances, questionnement, travail sur les modes de représentation des connaissances, notamment par l'usage des langages documentaires, la comparaison des sources, de leur pertinence en fonction du questionnement initial, la mise en oeuvre de compétences d'analyse, de prélèvement, de reformulation, de synthèse et de communication de l'information trouvée. Le travail sur documents permet donc une élaboration progressive du savoir dans un processus individuel d'auto-socio-construction, qui sollicite des opérations mentales et des démarches de pensée diverses. Il contribue par la recherche de la preuve, de la vérité et la mise en débat des sources, à l'éveil de l'esprit critique nécessaire à l'autonomie de jugement et de comportement face à toute source d'information..

    3. Un lieu collectif de socialisation

    Le CDI est organisé selon des règles de fonctionnement qui se doivent d'être acceptées par tous et contractualisées. C'est un bien collectif, dont la qualité et la pérennité de fonctionnement implique le respect des lieux, des outils et objets, des personnes qui y travaillent, adultes comme élèves. D'ailleurs la participation spontanée, surtout des élèves les plus jeunes, à certains aspects de la gestion ou de l'animation du CDI en témoigne : tâches de prêt, traitement matériel des documents, participation aux politiques d'acquisition, à l'aménagement, organisation d'un point presse, aide à l'organisation d'animations lecture-dépouillement de périodiques pour les plus âgés, organisation de conférences, expositions et visites pédagogiques sont autant d'occasions de responsabilisation et de sensibilisation au sens de l'engagement collectif.

    L'accès au CDI d'élèves de classes d'âge et de cultures diverses, travaillant au côté d'adultes, eux mêmes divers, favorise échanges, brassages de classes et de niveaux, confrontations, débats, mais aussi solidarité, entraide autour de tâches communes et de la pratique d'un monitorat ou d'un tutorat, plus ou moins formalisé.

    Au CDI, le type de travail se démarque largement de la pédagogie frontale traditionnelle ; les relations adultes élèves se caractérisent par des activités effectuées, plus souvent côte à côte que face-à -face, dans lesquelles l'accompagnement, la relation d'aide et la médiation sont privilegiés.

    L'enseignant documentaliste : garant d'une formation au service de la citoyenneté

    1. Développer une culture de l'information

    Qu'elle soit stockée ou qu'elle circule sur des réseaux divers, l'information obéit à des règles et des contraintes de production, d'organisation (mise en forme, mise en scène), de diffusion spécifiques. Pour l'utiliser, les élèves doivent s'approprier les codes de l'information (écrits, images, textes), autant que les discours propres aux différents champs disciplinaires, qui relèvent d'épistémologies et de didactiques particulières. Les uns et les autres sont étroitement imbriqués dans l'exploitation des sources d'information. Cette double approche légitime un partenariat pédagogique fort avec les enseignants des différentes disciplines.En effet, le document n'est pas transparent (6) et la pratique de la médiation documentaire implique un repérage des savoirs et savoir-faire spécifiques, reliés au champ des sciences de l'information, et qui doivent être identifiés et scolarisés dans une démarche progressive de formation des élèves à la maîtrise de l'information. Il faut donc leur apprendre à construire des savoirs et savoir-faire dans le domaine de l'information-documentation pour construire des savoirs à partir du contenu des documents. L'ensemble de ces compétences exigibles, notamment au collège, fait l'objet d'une réflexion ministérielle.

    Parmi les savoirs documentaires qui peuvent participer d'une formation à la citoyenneté, citons les notions de source, référence, document primaire, document secondaire, langages documentaires, mode de représentation des connaissances, pertinence, validité, fiabilité de l'information et de la source.

    Un travail de réflexion mené avec les élèves autour des conditions d'élaboration et de diffusion des savoirs dans leur temporalité, leur évolution et leur relativité (par l'approche de l'histoire des sciences), peut permettre une mise à distance critique d'informations, d'affirmations, ou d'argumentaires, souvent pris au premier degré par les élèves, pourvu qu'ils aient trouvé un document, la plupart du temps investi d'une vertu de preuve ou de vérité unique par sa seule existence !

    Certaines attitudes sont à développer : le respect et la citation des sources, de la pensée d'autrui, une démarche de questionnement, de recherche de la vérité et de la preuve, un regard critique par l'analyse et la comparaison des sources, ce qui peut d'ailleurs amener l'élève à acquérir une forme d'expertise des sources proposées (pensons notamment aux sites web), la capacité à argumenter et à décoder des discours argumentatifs à justifier ses choix, à communiquer avec autrui.

    L'éducation aux médias et à l'image prend ainsi toute sa place dans cette démarche de formation : réflexion sur la distinction du fait et du commentaire, le rôle émotionnel de l'image, l'écriture journalistique, la différence entre information et communication, etc.

    2. Quelles démarches pédagogiques privilégier ?

    En tout premier lieu la démarche de projet ; chaque élève, individuellement ou en groupe, vient au CDI porteur d'un questionnement pour s'informer ou informer les autres. C'est ce projet qui peut donner sens à l'apprentissage immédiat ou à son possible réinvestissement scolaire ou extra scolaire. La capacité à élaborer un projet, à l'organiser, le mener à bien, contribue à une construction progressive de l'autonomie, projets plus guidés pour les plus jeunes, librement conçus pour les plus âgés, en fonction des compétences déjà acquises.

    Le travail de groupe favorise l'apprentissage de la tolérance de l'opinion d'autrui, la reconnaissance des compétences des autres, le sens de la négociation, la prise de parole et la pratique de l'argumentation à travers les situations de conflit socio-cognitif et les nécessaires régulations du travail et des comportements.

    La mise en place de démarches d'évaluation formative permet l'explicitation des objectifs des apprentissages visés, des critères de réussite de la tâche et de la production finale, la mise en place d'un contrat dont on peut évaluer la réalisation. La formation des élèves à l'auto- et la co-évaluation leur permet de situer leurs échecs, leurs réussites et celles des autres, d'acquérir un jugement nuancé, fondé sur des critères définis en commun.

    Ainsi, le recours aux ressources d'information du CDI et la mise en place d'acti-vites structurées, élaborées en partenariat pédagogique avec les autres enseignants ou acteurs de l'établissement scolaire (ou extérieurs), peut permettre aux élèves de construire des savoirs et d'apprendre à maîtriser les outils matériels et intellectuels, qui leur donneront une culture de l'information aussi nécessaire aujourd' hui que la culture littéraire, économique scientifique et technique visée par les programmes d'enseignement traditionnels.

    La formation du citoyen est fondée sur des pratiques, elle ne peut être assurée sans que les enseignants, et au premier chef le documentaliste, ne s'interrogent sur les valeurs et l'exemple qu'ils offrent aux élèves dans leur exercice professionnel. Une réflexion d'ordre éthique et déontologique est nécessaire.

    3. Ethique et déontologie de l'enseignant documentaliste

    Tout d'abord en tant que professionnel de l'information, le documentaliste doit organiser et gérer le système d'information qu'est le CDI en veillant à la pluralité et à la fiabilité des sources qu'il propose à ses usagers et en tenant compte de leur niveau et de leur âge.

    Ensuite, dans son rapport aux autres adultes, dans le travail d'équipe notamment, il doit être porteur de valeurs d'écoute, de tolérance, de coopération, de solidarité et d'engagement collectif, autant dans l'organisation d'activités pédagogiques que dans la construction du projet d'établissement, dont le projet CDI est une composante.

    Enfin, par ses attitudes relationnelles et pédagogiques, il doit manifester sa conviction de l'éducabilité de ses élèves, le souci de leur expression, son attachement à une conquête progressive de leur autonomie de pensée et d'action, qui constitue une des finalités de sa mission.

    Participer à la formation du citoyen à venir qu'est l'élève, c'est donc par une formation méthodique et raisonnée à la maitrise de l'information et d'un système d'information particulier comme le CDI, lui donner les moyens et les outils d'une émancipation progressive, dans le respect de sa personnalité Il s'agit de le former, au sens étymologique de former - aider à trouver sa forme -, à ne pas subir les pièges de la societé de l'information, à être responsable de ses choix culturels et civiques, dans une société qui change ses repères, ses modes de pensée et de communication. L'enjeu est celui de son intégration dans un tissu social, dans lequel il doit être un acteur libre et non un consommateur passif. Cette autonomie de jugement passe par la construction d'une culture garant de son intelligibilité du monde car, comme l'affirme Philippe Meirieu, « nul ne doit être privé d'une culture, qui seule lui permet de penser le monde et de se penser dans le monde,, (7)

    1. Chevènement, Jean-Pierre. Ecole et citoyenneté., in Dialogue, 1994, n°41, p 7-8. retour au texte

    2. Loi d'orientation sur l'Education du 10 juillet 1989, Bulletin officiel de l'éducation nationale, 31 août 1989, n° spécial 4, p. 3. retour au texte

    3. Ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Direction des lycées et collèges, Programmes de la classe de 61 un nouveau contrat pour l'école, 1995. L'éducation civique au collège, pp. 35-40. retour au texte

    4. Ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, direction des lycées et collèges, . Droits et obligations des élèves des lycées, collèges et établissements régionaux d'enseignement adaptés. : circulaire n°91-052 du 6 mars 1991, Bulletin officiel de l'éducation nationale, 14 mars 1991, non, pp. 913-918. retour au texte

    5. Chariot, Bernard ; Rochex, Jean-Yves. Bautier, Elisabeth. Ecole et savoir dans les banlieues et ailleurs ? Colin, 1994. (Formation des enseignants) ; et Develay, Michel. Donner du sens à l'école. ESF, 1996. (Pratiques et enjeux pédagogiques.) retour au texte

    6. Alava, Séraphin, -Pour une didactique de la médiation documentaire-, Documentaliste sciences de l'information, 1993, volume 30, n°l. retour au texte

    7. Meirieu, Philippe. L'envers du tableau : Quelle pédagogie pour quelle école ESF. 1993 retour au texte