Bibliothécaires et éditeurs poursuivent un but commun : la plus grande diffusion possible des écrits des auteurs. Cette diffusion est encore actuellement réalisée sous forme de livres imprimés. L'indispensable rémunération des auteurs et des éditeurs est fonction du nombre de livres vendus : celui qui acquiert un livre rémunère automatiquement et complètement ceux qui l'ont créé, il s'agit de l'utilisation finale de cette création.
L'acquisition d'un livre peut engendrer deux activités dérivées :
L'importance prise au cours des dernières années par les deux phénomènes entraîne la nécessité d'y associer une rémunération, car ces utilisations, marginales au départ, ont aujourd'hui sur la vente des livres un effet négatif, en vertu du principe des vases communicants : un écrit a un public donné, hélas non extensible, la photocopie et le prêt, en s'étendant, diminuent de façon très sensible les ventes d'exemplaires imprimés.
De ce fait, ces deux types d'utilisation dérivées entraînent la mise en place de formules de rémunération adaptées :
Que va-t-il se passer dans le contexte de l'évolution technologique actuelle?
Le livre restera peut-être encore pour quelque temps le support de base de cette nouvelle diffusion.
Dès le départ on perçoit bien qu'après sa saisie sous forme numérisée une nouvelle diffusion va avoir lieu :
On comprend également qu'un texte, une fois entré dans une mémoire d'ordinateur, ne se distingue plus d'une base de données qui n'aurait jamais été produite sous forme de papier.
Et l'on imagine aisément que demain une proportion croissante de ce qui était autrefois un livre n'existera plus dès l'origine que sous forme «électronique».
On ne se trouvera plus dès lors dans le domaine d'une exploitation dérivée (de livres existant par ailleurs) mais dans le domaine de l'exploitation primaire, autant dire essentielle.
Pour que l'information contenue dans ces « ex-livres puisse être diffusée largement, il faut trouver le moyen de rémunérer équitablement ses créateurs. Ne pas le faire c'est, très vite, tarir la source de l'information.
Les pouvoirs publics reconnaissent, tant aux Etats-Unis (rapport Lehman) qu'en Europe (rapport Bangemann), que la croissance de la société de l'information, ressource économique et sociale majeure, dépend largement des investissements du secteur privé. Ces investissements visent à rendre accessible un vaste «contenu», mais ne pourront évidemment se faire que si les investisseurs peuvent en espérer une contrepartie raisonnable. Les droits nationaux et, au plan international, la Convention de Berne, semblent parfaitement capables de fournir le cadre juridique nécessaire.
Ils donnent aux créateurs et à ceux qui les représentent le droit exclusif d'autoriser :
Il est intéressant de noter que ce système juridique a été reconnu, dans le cadre des fameuses négociations "TRIPS" du GATT, comme le mieux adapté à la protection des logiciels informatiques.
On l'a vu, l'accès en réseau aux textes va devenir un moyen primaire de diffusion des oeuvres au même titre que la vente des livres. L'avenir numérique est un avenir commercial, ce qui suscite un certain nombre de questions quant à la définition du périmètre des droits et des exceptions qui y seront apportées.
Dans le cadre classique de l'édition, c'est essentiellement le droit de reproduction qui est en cause : un texte est reproduit et diffusé sous forme d'exemplaires imprimés. Avec le développement de la numérisation, les textes ne seront plus seulement reproduits pour être lus sur un support, mais seront également diffusés dans des réseaux - fermés ou ouverts - et accessibles à l'écran. Même s'il est aujourd'hui difficile de lire en continu un texte à l'écran, peut-on exclure qu'une telle lecture soit un jour aussi aisée que celle d'un livre?
L'accès à l'écran modifie évidemment la problématique économique et juridique de l'édition, une seule opération de numérisation permettant à un grand nombre d'utilisateurs d'avoir accès individuellement et simultanément au même texte.
L'éditeur se trouve face à une exploitation de ses oeuvres par représentation, ce qui implique une tout autre économie de la gestion des droits :
En fait cette façon de voir n'est pas exacte. Une personne qui accède à des textes protégés à partir d'un réseau et en fait des copies sur un support papier ou sur un support électronique ne se trouvera pas la plupart du temps dans le cadre d'un usage privé, mais dans le cadre de l'exploitation d'une oeuvre, justifiant le cas échéant que certains actes soient limités, et en tout état de cause qu'ils donnent lieu à rémunération des auteurs et des éditeurs.
La succession des actes de reproduction et de représentation par des personnes différentes, qui conditionne la reproduction par l'utilisateur, exclut que l'on puisse considérer que l'on se trouve toujours dans l'hypothèse de l'usage privé du copiste. Il y a en effet :
L'ensemble constitue une chaîne d'exploitation des oeuvres qui doit être maîtrisée.
Dans ce contexte, toute copie - fût-elle traditionnellement considérée comme privée - change de nature :
On ne peut considérer qu'une personne se procurant des copies d'une oeuvre dans une bibliothèque à partir d'une matrice sous forme numérique se trouve dans le champ de l'exception de copie privée. La délivrance de ce type de copies est un mode d'exploitation normale des oeuvres qui doit au moins donner lieu à la rémunération des auteurs et des éditeurs, et plus probablement être purement et simplement couvert par le droit exclusif.
La réalisation de copies à partir d'un site privé ou individuel d'accès constitue également un acte d'exploitation des oeuvres qui ne saurait rentrer dans le cadre de l'exception de copie privée : la faculté offerte de reproduire des oeuvres à partir d'un réseau fera partie intégrante de l'exploitation commerciale de ces oeuvres, l'éditeur ayant prévu ce type d'utilisation dans le calcul de la rentabilité du réseau mis en place.
La récente conférence de Genève vient de préciser de façon très claire l'application de la Convention de Berne à la communication au public par les moyens de télécommunication. L'article 8 du traité est ainsi rédigé : ( .. les auteurs d'oeuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d'autoriser toute communication au public de leurs oeuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit de manière individualisée ».
Cette disposition est importante, avant tout parce qu'elle consacre au niveau international le principe que la communication d'une oeuvre à des moments différents choisis par les utilisateurs est bien une communication publique, la pluralité des personnes concernées excluant que l'on se trouve dans le cadre d'une communication privée.
Or c'est bien l'essence même d'un réseau d'offrir à la consultation des oeuvres protégées, sans qu'il y ait de communication simultanée à un public identifié en tant que tel, mais simplement une mise à disposition avec communication à la demande. Il n'y avait guère de doute théorique sur ce point, mais il est positif qu'un texte qui a vocation à s'appliquer à un très grand nombre d'Etats le consacre aussi clairement.
Pour que la protection accordée par le droit d'auteur soit efficace, la diffusion d'oeuvres numérisées doit s'accompagner de mesures techniques visant à restreindre les risques d'utilisation ou de réutilisation des oeuvres préjudiciables aux titulaires de droits. De même, il est nécessaire que la diffusion soit accompagnée d'informations sur le régime des droits (identité de l'auteur, de l'éditeur, conditions et modalités d'utilisation de l'oeuvre, codage de ces informations). Ces informations permettent notamment d'assurer la rémunération des titulaires, et de suivre les différentes utilisations qui peuvent être faites des oeuvres.
Mais tout procédé technique, tout codage, aussi élaboré soit-il, est susceptible d'être déjoué. Il est donc apparu nécessaire de prévoir une obligation pour les Etats d'introduire des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques de protection. C'est l'objet de l'article 11 du Traité.
Dans le même esprit, l'article 12 fait obligation aux Etats de prévoir des sanctions contre toute personne qui accomplit un acte qui va permettre de supprimer ou modifier sans autorisation une information relative au régime des droits, ainsi que des sanctions à l'encontre des personnes qui distribuent ou communiquent au public des oeuvres dont les informations concernant le régime des droits ont été supprimées ou modifiées sans autorisation.
Quant au droit de reproduction, l'article 9 de la Convention de Berne en réglemente l'exercice, et prévoit notamment que les exceptions à son application ne doivent pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.
Le droit français renforce les dispositions de la Convention de Berne. Le droit de communication au public existe, sous forme du droit de représentation qui consiste en la communication d'une oeuvre au public par un procédé quelconque.
Le droit de reproduction s'entend, lui, de la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public de manière indirecte.
Il n'y a jamais eu de doute sur le fait que la numérisation est couverte par cette définition.
Il y a, à ce jour, peu de jurisprudence appliquant les règles du droit d'auteur à la diffusion sur les réseaux d'oeuvres protégées. On peut néanmoins citer une ordonnance de référé du Tribunal de Paris en date du 14 août 1996, qui estime que la mise à la disposition sur des pages web d'oeuvres protégées sans autorisation constitue une contrefaçon, et ce, semble-t-il, au titre du droit de reproduction et du droit de représentation.
Selon le juge, cette contrefaçon est constituée par la faculté donnée à des personnes connectées au réseau de visiter les pages reproduites et d'en prendre éventuellement copie, favorisant ainsi une utilisation collective, même s'il n'y avait aucun acte positif de la part du titulaire du site.
Les principes que le SNE a appliqués lors de la négociation avec la BNF sont proches de ceux rappelés par l'ordonnance de référé.
En effet, la convention signée le 11 mars dernier prévoit des autorisations et une rémunération au titre des différentes opérations réalisées : numérisation (droit de reproduction), accès à l'écran (droit de représentation), stockage temporaire (droit de reproduction), déchargement partiel sur différents supports (droit de reproduction).
Cette convention constitue donc - au moins sur le plan des principes - un précédent important pour l'application du droit d'auteur aux réseaux dans les relations des éditeurs avec les institutions publiques, notamment les bibliothèques, dans la mesure où ce qui est admis dans un réseau fermé comme celui de la BNF, l'est a fortiori dans un réseau plus largement ouvert.
Les services que souhaitent offrir les bibliothèques dans ce nouveau contexte découlent des missions qui leur sont traditionnellement imparties. Rappelons-les :
Comme on l'a vu, l'univers électronique crée ici un double problème :
Editeurs et bibliothécaires, dont, il faut encore une fois le rappeler, la mission est la même : rendre les oeuvres accessibles au public, doivent dans un tel contexte travailler ensemble à la recherche de solutions, dans le cadre des lois et des conventions internationales. Ces solutions doivent être aussi simples que possible - mais l'électronique offre en elle-même des solutions aux problèmes qu'elle pose - et naturellement aussi peu coûteuses que possible.
Une distinction évidente sera faite ici entre utilisateurs privés et ceux qui sont investis d'une mission de service public. Il est possible de mettre en plan de nombreux systèmes de licences pour les utilisations électroniques des oeuvres. Dans la plupart des cas, l'objectif consiste à remplacer un paiement unique pour des produits qui, au demeurant, sont constamment en évolution, par des paiements en fonction de l'utilisation qui en est faite.
Une bibliothèque pourra à son choix, soit demander à l'utilisateur d'acquitter, cas par cas, le prix de chaque utilisation ou de chaque série d'utilisations, soit prendre à sa charge ce coût.
Bien sûr, les licences accordées établiront les limites dans lesquelles l'oeuvre fournie par l'éditeur à la bibliothèque pourra être reproduite et diffusée. Il sera toujours nécessaire de s'assurer que, non seulement les bibliothèques mais encore leurs usagers, respectent les engagements ainsi définis.
A titre d'exemple, les principes suivants peuvent inspirer les contrats :
Pour éviter une complexité excessive, les éditeurs sont évidemment prêts à adopter une certaine standardisation de leurs contrats, de nature à faciliter la tâche des bibliothèques et de leurs usagers.
Il ne faut pas oublier que, dans toute démarche commerciale - et la diffusion des oeuvres sous forme numérisée en est une - le fournisseur cherche à simplifier la vie de ses «clients».
On pourra ainsi trouver, comme c'est le cas par exemple pour la reproduction et la diffusion des oeuvres musicales, ou pour la reprographie, des contrats-types, des méthodes de recouvrement de droits par «guichets uniques», et même à la limite des accords collectifs. Dans un premier temps, comme c'est par exemple le cas de l'accord conclu avec la BNF, les partenaires s'entendront pour réaliser des tests qui permettront d'appréhender au mieux la réalité, de voir ce qui est praticable et ce qui ne l'est pas.
On a pu prétendre que, rendues nécessaires pour prendre en compte les changements qu'entraîne la numérisation dans les conditions de diffusion de l'écrit, ces mesures allaient affecter défavorablement le rôle des bibliothèques, dépositaires et diffuseurs de l'information.
Il en va tout autrement, car d'une part la collecte et la mise en forme de l'information sont de plus en plus coûteuses, d'autre part l'évolution rapide des connaissances dans tous les domaines transforme la façon dont les utilisateurs souhaitent les appréhender. A l'achat «massif» se substituera probablement très vite le paiement lié étroitement à l'utilisation ponctuelle.
Les bibliothécaires seront plus que jamais des partenaires des autres professionnels de la chaîne de l'information, choisissant les réseaux appropriés et guidant les utilisateurs dans leurs propres choix.
Bien sûr, il est vraisemblable que, face aux inévitables lacunes du financement public, les accords décrits ci-dessus permettront aux bibliothèques de faire convenablement rémunérer leurs services par leurs usagers
On objectera que dans ce système les «pauvres» seront désavantagés. Rien n'est moins sûr, et en tout cas à l'heure actuelle les livres que procurent « gratuitement"les bibliothèques à certains de leurs usagers sont bien payés par la collectivité. Ce paiement se poursuivra sous d'autres formes : les éditeurs ne demandent ni plus, ni moins. Ils vont devoir le demander autrement, c'est tout.
Ce n'est pas en tarissant l'information à la source - et encore une fois ne pas la rémunérer, c'est empêcher qu'elle existe - qu'on la rendra accessible au plus grand nombre.
Editeurs et bibliothécaires, partenaires de toujours dans la chaîne du livre, seront demain partenaires sur les autoroutes de l'information. Ils ont une mission commune qui est la diffusion la plus large possible, et par tous les moyens, des oeuvres qui leur sont confiées. La révolution technologique, qui rend nécessaire une série d'adaptations dans un cadre juridique existant, est à la fois un défi et une chance qu'il faut saisir. A défaut, d'autres sauraient prendre le relais, il n'est pas certain que les intérêts du public seraient alors aussi bien défendus.