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La position d'ECUP sur les droits des utilisateurs de documents électroniques soumis au droit d'auteur du 9 septembre 1996

1997
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    La position d'ECUP sur les droits des utilisateurs de documents électroniques soumis au droit d'auteur du 9 septembre 1996


    Ce document expose la position au niveau européen du groupe ECUP. Il ne traduit pas forcément le point de vue de l'INIST. Ce texte est fondé sur des concepts européens qui ne correspondent pas toujours au droit français notamment la théorie du fair-dealing et le privilège des bibliothèques. Le fair-dealing autorise la copie à des fins de recherche, éducatives et pour un usage privé...

    En application du privilège des bibliothèques, les bibliothécaires peuvent faire des copies pour le compte des utilisateurs dans des conditions très strictes.

    L'objectif de cette prise de position est d'engager un débat avec les titulaires des droits d'auteur et de four nir des bases de références pour les professionnels de l'information.

    Le principe de base de cette position est la volonté de préserver l'équilibre entre la protection des titulaires des droits et les utilisateurs des oeuvres protégées. Chaque année, les bibliothèques européennes proposent tout un éventail de services à des millions de chercheurs, d'étudiants et de membres du grand public.

    Ces services sont proposés dans le respect des lois nationales sur le droit d'auteur. Depuis l'arrivée des nouvelles technologies, ces services sont de plus en plus efficaces. Les bibliothèques reconnaissent que ces technologies - et en particulier les possibilités qu'elles offrent pour la reproduction très aisée de documents soumis au droit d'auteur - donnent lieu à des incertitudes quant à la compensation pécuniaire versée aux titulaires du droit d'auteur en contrepartie de l'utilisation des oeuvres.

    L'impossibilité de contrôler l'information électronique soulève un certain nombre de craintes que les bibliothèques partagent avec les titulaires des droits. Il ne faudrait pas pour autant que les réactions à ces incertitudes conduisent à limiter exagérément l'utilisation de l'information électronique par les particuliers et les professionnels. Rappelons, en effet, que les bibliothèques offrent un environnement unique grâce auquel les éditeurs peuvent mettre leurs produits à la disposition de l'ensemble du public dans des conditions parfaitement maîtrisées.

    Un scénario où rien ne pourrait être regardé, lu, utilisé ou copié sans autorisation et sans contrepartie financière serait un cauchemar pour les bibliothèques. Cette situation serait d'autant plus déraisonnable que les prix des livres et revues scientifiques augmentent à raison de 10 % par an.

    Par ailleurs, les redevances versées pour obtenir des licences d'utilisation de documents électroniques sont souvent plus élevées que les prix des revues ou des livres équivalents. De plus, les accords de licence stipulent généralement une obligation d'achat de l'édition papier en plus.

    Compte tenu de l'évolution de l'environnement électronique, cela risque d'aboutir à une situation où les ressources d'information ne seront accessibles qu'aux bibliothèques et aux publics qui ont les moyens de les payer. Les systèmes d'information publique développés par les bibliothèques seraient remplacés par des réseaux commerciaux, les droits du public sur l'information se réduiraient en conséquence et on se retrouverait dans une société de plus en plus polarisée entre ceux qui possèdent les moyens d'accéder à l'information et ceux qui en sont dépourvus.

    Depuis un siècle, l'univers de l'information imprimée s'est progressivement doté de lignes directrices et de pratiques qui permettent d'assurer un équilibre entre les droits des utilisateurs et ceux des ayants droit sur les informations soumises au droit d'auteur.

    Cet équilibre doit être préservé dans l'environnement numérique. Sachant que de plus en plus d'informations paraissent aujourd'hui exclusivement sous forme électronique, le droit légitime du public d'utiliser des contenus soumis au droit d'auteur doivent être protégés. Les nouvelles technologies doivent être utilisées au bénéfice de tous - du public comme des bibliothèques et des titulaires du droit d'auteur.

    A/Principes

    La position d'ECUP fixe un certain nombre de principes.

    Principe directeur

    L'utilisateur a le droit d'accéder à toute information soumise au droit d'auteur et d'en réaliser une copie pour son utilisation personnelle et à des fins de recherche ou d'éducation (théorie du fair-dealing).

    Les bibliothèques ont le devoir d'assurer l'accès aux informations soumises au droit d'auteur, et elles doivent être en mesure de le faire sans contrevenir au principe de « l'exploitation normale d'un ouvrage».

    Dans l'environnement électronique, cela signifie que :

    • Sans contrevenir au respect du droit d'auteur, le public est en droit de pouvoir:
      • lire ou regarder des documents en vente publique et soumis au droit d'auteur, sur place ou à distance ;
      • copier un nombre limité de pages, électroniquement ou sur papier, pour utilisation personnelle et à des fins de recherche ou d'éducation.
    • Sans contrevenir au respect du droit d'auteur, les bibliothèques doivent pouvoir:
      • utiliser les technologies électroniques pour conserver dans leurs collections des documents soumis au droit d'auteur;
      • fournir un accès sur place aux documents électroniques protégés;
      • fournir un accès à distance aux utilisateurs inscrits à cet effet;
      • fournir sur place des copies de documents soumis au droit d'auteur, sous format électronique ou papier.
    • Les utilisateurs et les bibliothèques ont le droit d'exiger:
      • que les publications officielles et les documents du domaine public soient disponibles sous format électronique, sans restrictions liées au droit d'auteur;
      • que les documents du domaine public puissent être numérisés sans restrictions liées au droit d'auteur ;
      • l'octroi de licences autorisant l'utilisation de documents soumis au droit d'auteur, sous des conditions raisonnables qui ne portent pas atteinte aux principes de base des lois nationales sur le droit d'auteur concernant les activités légales des bibliothèques et des utilisateurs ;
      • que les instances de contrôle du droit d'auteur soient capables de faire la distinction entre l'utilisation licite et illicite ;
      • que les concédants de licences mettent en place un système permettant aux bibliothèques de gérer efficacement leurs différentes licences.
    • Les titulaires du droit d'auteur ont le droit d'exiger que les bibliothèques mettent tout en oeuvre pour:
      • mettre en place les mécanismes réglementaires et techniques nécessaires pour assurer le respect des restrictions contractuelles ;
      • aviser les titulaires du droit d'auteur de toute infraction commise par un utilisateur, sans toutefois être tenues pour responsables des intentions de l'utilisateur final lorsque les informations sont en sa possession;
      • informer leurs utilisateurs des restrictions liées au droit d'auteur concernant l'information électronique.

    B/Activités autorisées par les bibliothèques à l'égard des documents soumis au droit d'auteur

    Nous avons pris comme point de départ quatre types de bibliothèques, les groupes d'utilisateurs ouverts ou fermés, les utilisateurs inscrits ou non inscrits et les modes d'accès sur place ou à distance. La matrice des activités se trouve à la fin de ce document.

    1. Définitions

    Bibliothèques J

    • Bibliothèques nationales
    • Bibliothèques universitaires
    • Bibliothèques publiques
    • Autres, bibliothèques spécialisées,...

    Activités internes des bibliothèques

    Toutes activités nécessaires à la conservation et à l'organisation efficaces des informations et des publications imprimées ou sous format électronique.

    Groupes d'utilisateurs ouverts

    Cette définition couvre tout groupe composé de personnes non identifiables, c'est-à-dire le public dans son ensemble.

    Groupes d'utilisateurs fermés

    Cette définition couvre tout groupe clairement identifiable composé de personnes ayant des relations formelles avec l'organisation.

    Utilisateurs inscrits

    Cette définition couvre toute personne abonnée à une bibliothèque ou ayant payé le droit d'utiliser un mot de passe.

    Utilisateurs non inscrits

    Cette définition couvre toute personne inconnue par la bibliothèque.

    Accès surplace

    La définition des activités sur place couvre toute activité qui a lieu dans les locaux où les informations sont fournies ou dans un environnement contrôlable.

    Accès à distance

    La définition des activités à distance couvre toute autre activité qui a lieu en dehors des locaux de la bibliothèque ou en dehors d'un environnement contrôlable.

    Activité autorisée

    Une activité est autorisée dès lors qu'elle n'est pas perçue comme une activité qui porte atteinte au droit d'auteur. Cela signifie que la bibliothèque n'est pas obligée de demander l'autorisation du titulaire du droit d'auteur, l'activité n'étant pas soumise à licence.

    Utilisation soumise à licence

    Cette définition s'applique à l'utilisation de documents obtenus sous format électronique auprès de l'éditeur.

    Visualisation

    Ce terme recouvre les activités d'accès, de consultation, de recherche et de récupération des informations.

    2. Activités

    Ces activités divergent en fonction du type de bibliothèques (bibliothèques nationales, universitaires, publiques ou autres), et en fonction des catégories de leurs utilisateurs.

    Activités internes des bibliothèques

    Afin de répondre aux demandes des utilisateurs, les bibliothèques doivent être autorisées à numériser, à conserver en permanence et à indexer les documents qui ne peuvent pas être obtenus sous format électronique auprès de l'éditeur. Les bibliothèques doivent également être autorisées à conserver en permanence, à indexer et à réaliser une copie de conservation de toute publication électronique fournie par l'éditeur.

    Groupe ouvert d'utilisateurs sur place avec inscription

    Il s'agit d'un groupe de personnes non identifiables mais qui deviennent identifiables dès qu'elles sont inscrites auprès d'une bibliothèque, et qui accèdent à la collection électronique de la bibliothèque à l'aide d'équipements situés dans les locaux de la bibliothèque ou dans un environnement contrôlable.

    Les bibliothèques nationales, universitaires et publiques doivent pouvoir donner à ces utilisateurs la possibilité de visualiser des documents électroniques en texte intégral et de copier électroniquement ou sur papier un nombre limité de pages des contenus numérisés par la bibliothèque ou des contenus obtenus sous format électronique auprès de l'éditeur. Pour la catégorie des «Autres» bibliothèques, il est considéré que l'accès est autorisé uniquement pour leurs personnels ou pour un groupe défini de personnes.

    Groupe ouvert d'utilisateurs sur place sans inscription

    Cette définition concerne toute bibliothèque qui remplit les fonctions d'une bibliothèque publique ouverte à tous sans formalités d'identification. Ces bibliothèques doivent pouvoir donner à ces groupes d'utilisateurs la possibilité de visualiser des documents électroniques en texte intégral et de copier sur papier un nombre limité de pages des contenus numérisés par la bibliothèque ou des contenus obtenus sous format électronique auprès de l'éditeur.

    Groupe ouvert d'utilisateurs distants avec inscription

    Cette définition s'applique à tout groupe de personnes non identifiables mais qui deviennent identifiables dès lors qu'elles sont inscrites en demandant un mot de passe ou en signant un formulaire électronique et qui peuvent accéder à la collection de la bibliothèque à partir d'un endroit situé en dehors des locaux de la bibliothèque ou en dehors d'un environnement contrôlable.

    Les bibliothèques doivent être autorisées à donner à ces utilisateurs la possibilité de visualiser des documents en texte intégral, et de copier électroniquement ou sur papier un nombre limité de pages des contenus numérisés par elles. Les droits d'auteur correspondant à l'utilisation de services de fourniture de documents électroniques (FDE) sont à verser aux titulaires du droit d'auteur. Ces services doivent être facturés à l'acte.

    Pour les produits électroniques obtenus auprès de l'éditeur, les bibliothèques doivent être autorisées à donner à ce groupe d'utilisateurs la possibilité de visualiser sur demande une page du contenu soumis à droit d'auteur. Lorsque les produits sont utilisés sous licence, les bibliothèques doivent être autorisées à donner à ce groupe d'utilisateurs la possibilité de visualiser le texte intégral et de copier les documents électroniquement ou sur papier.

    En cas d'utilisation de services de fourniture de documents électroniques, les bibliothèques doivent utiliser un système de facturation à l'acte et reverser les droits d'auteur correspondants aux titulaires du droit d'auteur.

    Groupe ouvert d'utilisateurs distants sans inscription

    Les bibliothèques ne fourniront pas d'accès à leurs fonds documentaire électronique soumis à droits d'auteur aux utilisateurs distants non inscrits.

    Groupe fermé d'utilisateurs sur place/distants

    Les bibliothèques doivent être autorisées à donner à ces utilisateurs la possibilité de visualiser des documents en texte intégral, et de copier électroniquement ou sur papier un nombre limité de pages des contenus numérisés par elles. Pour les produits électroniques obtenus auprès de l'éditeur, les bibliothèques universitaires et «Autres» doivent être autorisées, sous réserve d'avoir obtenu une licence, à donner à ce groupe d'utilisateurs la possibilité de visualiser le texte intégral, de réaliser des copies électroniques et sur papier, sur place ou à distance, et d'utiliser le service de fourniture de documents électroniques de la bibliothèque.

    C/Arguments juridiques

    Les fondements juridiques de l'argumentation développée dans la déclaration de position de l'ECUP en faveur des bibliothèques se trouvent dans l'article 9 (2) de la Convention de Berne. Celle-ci, signée par tous les États membres de l'Union européenne, établit le cadre réglementaire international de la protection du droit d'auteur à travers le monde.

    La Convention de Berne établit un certain nombre de normes minimales à respecter pour assurer la protection du droit d'auteur. Pour les besoins de notre argumentation, le droit exclusif le plus important établi par la Convention de Berne est le droit de reproduction visé à l'article 9-1. «Les auteurs et les oeuvres littéraires et artistiques protégés en vertu de cette Convention ont le droit exclusif d'autoriser la -reproduction de ces oeuvres, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    L'article 9 (1) fait référence à « la reproduction de ces oeuvres, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit». Or, selon le Guide de la Convention de Berne publié par l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), cette expression est formulée de telle sorte qu'elle recouvre toutes les méthodes de reproduction, y compris tous les autres procédés connus ou à découvrir.

    Le Comité directeur d'ECUP considère que cela englobe la réalisation de copies électroniques.

    Le droit de reproduction visé à l'article 9-1 peut être limité « dans certains cas particuliers», conformément aux dispositions de l'article 9-2 de la Convention de Berne.

    «Le droit de reproduction de ces oeuvres dans certains cas particuliers relève de la législation des pays membres de l'Union, sous réserve que la reproduction soit compatible avec l'exploitation normale de l'oeuvre et ne porte pas un préjudice exagéré aux intérêts légitimes de l'auteur.»

    Les dispositions légales nationales qui autorisent la photocopie pour une utilisation personnelle ou à des fins de recherche ou d'éducation se basent sur l'article 9-2. Or, l'importance de cet article tient en particulier à l'expression «exploitation normale de l'oeuvre,,. Les actes de la Conférence de Stockholm (1967) ne donnent aucune indication quant à l'interprétation de l'expression exploitation normale». Selon le rapport du Comité de rédaction, la réalisation d'un « très grand nombre de copies» dans un but particulier ne serait pas compatible avec l'exploitation normale d'une oeuvre.

    Le Comité directeur de l'ECUP reconnaît que l'expression exploitation normale d'une oeuvre» doit être interprétée de façon à autoriser le fonctionnement de services de bibliothèque qui ne concurrencent pas des services ou des produits similaires proposés par l'éditeur. Dès lors, les « droits de l'utilisateur» à l'égard des oeuvres soumises au droit d'auteur sont applicables. En revanche, si une bibliothèque souhaite, par exemple, numériser des contenus qui sont déjà disponibles sous un format électronique chez l'éditeur, cette activité serait incompatible avec l'exploitation normale de l'oeuvre. Il en va de même si la bibliothèque fournit à un utilisateur distant un produit que celui-ci aurait pu obtenir auprès de l'éditeur.

    Le fait de l'incompatibilité du service avec l'exploitation normale de l'oeuvre ne devrait pas interdire aux bibliothèques de le proposer. Les bibliothèques devraient alors verser des droits d'auteur aux titulaires du droit d'auteur en contrepartie de la fourniture du document aux utilisateurs.

    A l'heure actuelle, les éditeurs testent des technologies nouvelles pour mieux satisfaire la demande du marché. Le monde de l'édition s'oriente vers la fourniture d'articles «sur demande» à des utilisateurs individuels. Les bibliothèques gèrent des services de ce type depuis plusieurs années, en fournissant des articles aux utilisateurs individuels par courrier, par télécopie et par voie électronique.

    L'incompatibilité avec l'exploitation normale de l'oeuvre» apparaît dès lors que le même service pour les mêmes contenus est proposé par l'éditeur.

    Si l'éditeur ne le propose pas, le service peut continuer et doit être considéré comme un service de copie sur demande pour une utilisation privée ou à des fins de recherche et/ou d'éducation.

    D/Conclusions

    Le Comité directeur de l'ECUP est de l'avis que l'émergence des nouvelles technologies et des services associés ne justifie pas à l'heure actuelle une révision en profondeur des lois nationales et internationales sur le droit d'auteur. Les lois en vigueur fournissent un cadre qui est toujours apte à bien servir les intérêts des utilisateurs, des bibliothèques et des titulaires du droit d'auteur. Les bibliothèques et les éditeurs devraient tirer profit des incertitudes quant à l'avenir en testant des produits nouveaux et des technologies nouvelles par le biais de projets pilotes menés dans l'environnement contrôlable des bibliothèques. De plus, il paraît vital que les bibliothèques et les titulaires du droit d'auteur poursuivent leurs débats sur les défis de la société électronique.