Dans la Russie des années 20, les journaux soviétiques sollicitaient les témoignages des ouvriers et des paysans de tout l'immense territoire de l'Union. Parmi les journalistes confrontés à la difficulté d'exploiter ces écrits à l'état brut se trouva l'un des fondateurs du mouvement formaliste russe, Victor Chklovski (1893-1984). Théoricien mais aussi praticien de la littérature, puisqu'il fut, durant sa longue vie, journaliste à ses heures mais également écrivain, et même scénariste, Victor Chklovski entreprit en 1927 de dispenser quelques conseils de rédaction à l'intention de ce très large (et prolixe) public de correspondants autodidactes.
Il fallait faire vite, efficace, et il choisit un ton qui n'avait rien de froid ou théorique, mais au contraire on ne peut plus direct, souvent drôle et familier, parfois carrément décourageant... car sa volonté était aussi de réfréner les ardeurs de ces nombreux écrivants en leur faisant prendre conscience de règles basiques : « Tous les procédés d'entame d'un texte littéraire sont déjà le fruit de l'expérience d'un millier de personnes nées avant nous. Ainsi, explique-t-il, « // convient de bâtir sa vie de façon à être libre de ne pas écrire quand "ça ne vient pas"", ajoutant que pour pouvoir écrire, il faut avoir une autre profession, car « ne s'occuper que de littérature, ce n'est même plus de l'assolement triennal, c'est épuiser la ferre , En 80 brèves pages, Victor Chklovski réussit à aborder le travail journalistique, la prose littéraire, le choix et l'élaboration du sujet, le développement de l'oeuvre tout en arrivant à placer « quelques mots- sur la poésie ; et à rappeler aussi l'importance de la lecture car, précise-t-il, "Si tu veux apprendre à écrire, apprends aussi à lire et de fait, tout son manuel revient davantage à former des lecteurs « conscients plutôt que de véritables auteurs, comme le font d'ailleurs de nos jours les ateliers d'écriture. Sa qualité fondamentale est de s'appuyer sur de nombreux exemples qui éclairent d'emblée le propos et rendent perceptible le travail de création littéraire. Ce livre facile à lire et pourtant sans concession était, jusqu'en 1997, resté inédit en français (à saluer l'esprit de recherche de l'éditeur, nouveau sur le marché) ; Technique du métier d'écrivain représente une excellente introduction à l'oeuvre de V. Chklovski. traduite depuis 1963, dont la plupart des huit autres titres disponibles en français, sont également consacrés à décortiquer"la littérature et donc à rendre le lecteur actif et exigeant.