Index des revues

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    Par Maud Espérou
    Bruno Blasselle
    Chartier Roger

    A pleines pages

    Histoire du livre

    vol.l, Paris, Gallimard, 1997. -160 p. (Découvertes. Histoire).-ISBN 2.07.053363.8. Le livre en révolutions : entretiens avec Jean Lebrun . - Paris, Textuel (diff. Le Seuil), 1997.160 p. ISBN 2.909317.34.X. -159 francs.

    Voici deux livres semblables par le nombre de pages, comparables par la qualité de l'iconographie, qui parlent de la même chose, le livre, et qui pourtant sont bien différents.

    Le premier est écrit par le Directeur du département des imprimés de la BnF, bien connu de la profession pour ses travaux et ses écrits. Dans cette célèbre petite collection de Gallimard, il présente le premier tome d'une histoire du livre qui va du volumen à l'Encyclopédie. Chacun des temps forts de cette histoire, l'atelier monastique, le travail du copiste, l'apparition du papier, l'invention des caractères mobiles et la controverse autour de la découverte de Gutenberg, l'imprimerie triomphante au service de l'humanisme, les législations répressives qui succèdent, est analysé. L'objet-livre est étudié sous tous ses aspects, les formats, la typographie, l'iconographie, la reliure... Le texte précis et érudit, tout en étant d'une lecture facile, s'appuie sur une riche illustration, peu courante comme ce portrait de Gutenberg du musée Gutenberg de Mayence, copie d'un original perdu, ou comme cette image d'une imprimerie de Toscane sur une fresque qui orne le Palais Pitti.

    Ce livre, très complet malgré son petit nombre de pages, répondra aux questions que peuvent se poser des esprits désireux de s'initier à l'histoire du livre ; il sera aussi une solide introduction à des études plus sérieuses sur les métiers du livre. Souhaitons que le 2etome vienne rapidement s'ouvrir sur la période contemporaine.

    Le second est de Roger Chartier qui, depuis plus de deux décennies, a placé l'histoire du livre au centre de l'histoire culturelle. Il inventorie, dans une série d'entretiens avec Jean Lebrun, tous les problèmes posés à cette histoire et fait appel pour y répondre à l'histoire sociale et politique, à la sociologie, à la philosophie.

    Le titre lui-même de l'ouvrage situe les déplacements du contenu : révolution, qui selon Le Robert est un changement brusque et important », s'applique bien à la révolution de Gutenberg ou à la révolution électronique ; mais révolution est aussi au premier sens « mouvement en courbe fermé", comme nous y invite dès le prologue Roger Chartier : "D'un côté, le lecteur de l'écran ressemble au lecteur de l'Antiquité : le texte qu 'il lit se déroule devant ses yeux ; bien sûr, il ne se déroule pas comme le texte d'un rouleau qu'il fallait dérouler horizontalement, puisqu'ici il se déroule verticalement. D'un autre côté, il est comme le lecteur médiéval ou le lecteur du livre imprimé qui peut utiliser des repères tels que la pagination, l'indexation, le découpage du texte. Il est à la fois ces deux lecteurs."

    Les thèmes abordés autour du livre et de la lecture sont marqués par une double problématique : l'auteur entre punition et protection », le texte entre auteur et éditeur le lecteur ente contraintes et liberté », la lecture « entre le manque et l'excès la bibliothèque entre « rassemblement et dispersion >,.

    Roger Chartier n'écrit pas une histoire linéaire et didactique. Il renvoie les pratiques contemporaines, de lecture, d'édition... à leurs origines et à leurs évolutions dans le temps et dans l'espace ; il les confronte entre elles. Les photographies officielles des présidents de la République qui reprennent « l'ensemble des codes qui gouvernent le portrait d'Ancien Régime sont un bel exemple de ces retours. . Parla représentation du livre, poursuit-il, le pouvoir se fonde sur la référence au savoir. " Un autre exemple de ces positions en miroir se retrouve dans « la peur de trop de livres [qui] est fort ancienne » et qui conduit à « une prolifération de lectures incontrôlées et [à] la multiplication de lecteurs incontrôlables ».

    En terminant sur le « numérique, comme rêve d'universel -, rêve qui hante régulièrement l'humanité, Roger Chartier en voit les ferments dangereux « dans le monopole exercé sur l'information et le patrimoine textuel, qui va de pair, d'ailleurs, avec les dominations linguistiques ou les impositions idéologiques ,. Il s'interroge toutefois sur la technique aussi souple qu'elle peut être puissante et sur ses « possibilités d'intervention dans le débat public à ceux-là mêmes qui. dans le monde de l'imprimé, ne pouvaient le faire

    Ce livre. riche d'une érudition sans faille au service d'une réflexion acérée sur l'écrit. s'adresse à un public cultivé. Ces lecteurs trouveront des réponses à leurs inquiétudes sur l'avenir de l'imprimé : la qualité de l'illustration, choisie et légendée par l'auteur lui-même, est un gage supplémentaire au plaisir qu'un livre bien fait peut apporter.