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    Paris-Tokyo, Tokyo-Paris

    Par Nadine Dada, Conservateur bibliothèque de la Fondation nationaledes sciences politiques
    Par Keiko Okada, Bibliothèque de la Maison franco-japonaise de Tokyo
    La Société franco-japonaise des bibliothécaires et des documentalistes a tenu, les 74 et 75 octobre 7998, à la Maison de la culture du Japon à Paris, un symposium sur le thème « l'accès à l'information japonaise ». Madame Nadine Dada, conservateur à la bibliothèque de la Fondation nationale des sciences politiques, et madame Keiko Okada, responsable de la bibliothèque de la Maison Franco-japonaise de Tokyo, ont accepté de nous donner leurs communications qui doivent paraître prochainement dans le Bulletin de la Société franco-japonaise des bibliothécaires et documentalistes et qui seront difficilement accessibles à nos lecteurs, du fait que ce bulletin est publié au Japon. Nous les prions de trouver ici nos remerciements.

    La production scientifique japonaise en sciences sociales et les besoins français

    Je suis à la fois très sensible à l'honneur qui m'est fait d'intervenir dans le cadre de ce colloque et très humble dans ma démarche, n'étant ni spécialiste du Japon ni de sa langue. Mon expérience de conservateur d'une salle de science politique est, à mon avis, assez représentative des questions et des problèmes auxquels sont confrontés les personnels de bibliothèques de type universitaire non spécialistes d'une aire culturelle et qui doivent assister dans leurs recherches de jeunes chercheurs ou doctorants.

    Pour ce faire, j'aborderai les limites de l'aide documentaire que nous pouvons proposer, tant à travers ma pratique qu'à travers celle des étudiants. En indiquant les problèmes qu'ils rencontrent pour certaines catégories de documents, cela m'amènera à formuler quelques requêtes et à dégager des objets de complémentarité pour nos fonds respectifs.

    Je voudrais rappeler que la bibliothèque de la Fondation nationale des sciences politiques a un fonds de 800 000 ouvrages environ et de 6 000 périodiques vivants, y compris les publications annuelles. Nos langues d'acquisition sont, par ordre d'importance, l'anglais, le français puis, à un niveau d'acquisitions à peu près comparable, l'allemand, l'italien, l'espagnol et le russe. Nos champs thématiques couvrent ce qu'il est convenu d'appeler le politique, l'économique et le social même si l'histoire contemporaine, la sociologie et le droit occupent une place respectable dans nos acquisitions. Pour donner une idée de nos acquisitions sur le Japon, notre base de données recense, pour la période 1990-1997, 1 234 ouvrages et 56 titres de périodiques indexés « Japon », toutes langues confondues, publiés au Japon ou dans d'autres pays.

    Mais si on examine attentivement les acquisitions de monographies, outre le fait que nous n'avons aucun livre en japonais puisque nous ne traitons pas cette langue, les acquisitions anglo-saxonnes sont elles-mêmes incomplètes car nous avons un problème de repérage des ouvrages publiés en anglais dans les pays de la zone Asie-Pacifique qui ne relèvent ni de l'ancien Commonwealth ni de l'actuel car ils échappent aux circuits de diffusion anglais ou américains. Sur ce premier point il faudrait, soit que vous nous aidiez à avoir connaissance de ces ouvrages, soit que vous complétiez nos acquisitions (ce qui serait peut-être la meilleure solution car, par expérience, nous constatons que nos fournisseurs habituels, que ce soit Blackwell ou Dawson, ne traitent pas nos demandes dès que le pays d'édition d'un ouvrage n'est pas de leur ressort géographique, et ce même avec une information bibliographique complète). Quant à la solution qui consisterait à recourir à un libraire spécialisé dans la mesure où il faut prépayer le livre, ce ne peut être que ponctuel car cela ne correspond pas à nos règles comptables.

    Hormis cette réserve, un jeune chercheur peut aisément commencer sa recherche à partir de notre fonds, même s'il se plaint parfois des délais d'acquisition qui sont de 2 à 6 mois suivant l'origine du document. En revanche, l'aider à repérer dans les collections françaises les ouvrages et les périodiques de langue japonaise est plus ou moins facile suivant les catégories de documents. Les périodiques sont aisément repérables grâce au catalogue collectif national des publications en série : j'ai relevé 3 843 titres dans la dernière version du cédérom Myriade. Pour les ouvrages, je voudrais faire remarquer que les répertoires existants qui recensent les bibliothèques ou les centres de documentation susceptibles d'avoir un fonds en japonais, s'ils permettent d'identifier un lieu, restent insuffisants quant au descriptif du contenu de leurs collections. L'idéal pour nous, non spécialistes, serait évidemment que les catalogues de tous ces fonds soient accessibles en ligne via Internet ou qu'un réseau documentaire commun voit le jour. Dans une phase intermédiaire, ne serait-il pas possible qu'un répertoire similaire à celui réalisé par l'Association des bibliothécaires et documentalistes en études slaves (BESEDA) recense les fonds japonais dans les bibliothèques françaises ? Outre le repérage des fonds, il faut prendre en compte une demande croissante d'accès aux publications scientifiques dans les langues vernaculaires des pays d'Asie-Pacifique, reflet de l'explosion des sciences sociales dans ces pays et d'un désir de contrebalancer les points de vue anglo-saxons dominants.

    En poursuivant par catégorie de documents, nous manquons de détails en matière de publications officielles, car si nous pouvons dire à nos lecteurs avec certitude que la Bibliothèque nationale de France les reçoit par le biais des échanges, nous ne savons pas exactement ce que cela recouvre. La littérature grise d'origine administrative ou parapublique mériterait d'être collectée et exploitée car elle fait souvent défaut et oblige les jeunes chercheurs à se rendre auprès des institutions (donc au prix de voyages coûteux et pas toujours réalisables pour certains) ou à recourir à un réseau de relations pour se la procurer.

    Une autre forme de littérature grise dont ont besoin les jeunes chercheurs et qui fait défaut, ce sont les thèses. Si je m'en réfère au cédérom DocThèses, on recense 190 thèses soutenues depuis 1972 sur le Japon (145 en lettres, 22 en sciences et 23 dans les disciplines de santé) et en 1997 je recensais dans les Travaux universitaires inédits de science politique 5 études sur le Japon. Lors d'une enquête faite pour la Conférence d'évaluation de la science politique en Europe en 1996, nous avions constaté que sur 4 sujets de thèse déposés en France, un seul arrivait à soutenance. En extrapolant pour les seules thèses soutenues en lettres on arrive à une communauté de jeunes chercheurs de près de 600 membres pour la période précitée et donc intéressée par les travaux de leurs homologues japonais. La bibliothèque de la Maison du Japon pourrait-elle mettre à la disposition des jeunes chercheurs les catalogues des thèses soutenues au Japon, acheter des thèses à la demande, soit sous forme de microfiches, soit en version papier comme nous le faisons à la bibliothèque de la FNSP pour les thèses anglo-saxonnes ?

    Pour terminer, j'aborderai les ressources documentaires en ligne : je voudrais vous faire part d'une expérience qui est récente à la FNSP (puisque nous offrons un accès à Internet à nos étudiants depuis le deuxième trimestre 1997) mais qui a considérablement modifié l'offre et l'aide documentaire. À partir des universités qui structurent de l'information sur le Japon et offrent on line des sites japonais, on ne s'affranchit pas totalement de la barrière linguistique mais cela permet d'enrichir les choix des étudiants. L'un des sites que je conseille aux étudiants est un site italien qui structure pour tous les pays des liens vers les sites officiels et vers les sites où l'on trouve une information en langue anglaise et dans la langue du pays, tant sur les partis politiques que sur le gouvernement, les organisations, les médias et les élections (http://www.agora.stm.it/politic/). Les universités étrangères qui ont un département Asie important offrent soit de l'information en ligne soit des liens. C'est le cas de l'université de Standford (http://fuji.stanford.edu/JGUIDE/) qui couvre tous les aspects du Japon ou celui de l'université d'Helsinki pour l'économie (http://www.hkkk.fi/libwww/asian/). Pour l'Asie en général, nous pouvons citer l'université de Leyde (http://iias.leidenuniv.nl/), l'université de Murdoch (http://wwwsshe.murdoch.edu.au/), la bibliothèque virtuelle australienne (http://coombs.anu.edu.au/WWWVL-AsianStudies.html), sans oublier bien sûr le Centre de documentation sur le Japon de la bibliothèque du Congrès ou les départements asiatiques des bibliothèques anglaises. Dans ce domaine également, un enrichissement mutuel serait le bienvenu et l'intervention de monsieur Naito sur les bibliothèques électroniques japonaises sera ce premier complément.

    Mon dernier souhait est lié au programme d'une session de formation aux études japonaises pour les bibliothécaires qui s'est tenue à l'université Monash au début de 1997 (http://www.lib.monash.edu.au/hss/asrl/japtrain.htm), dont la Société franco-japonaise des bibliothécaires et des documentalistes pourrait s'inspirer pour que les rencontres et les échanges de ces journées trouvent un prolongement.

    Un établissement clé pour la diffusion au Japon d'informations documentaires françaises

    La maison franco-japonaise de Tokyo

    Paul Claudel, alors ambassadeur de France à Tokyo, et Eiichi Suhibusawa, grande figure du monde des affaires, homme d'une vaste culture profondément attaché à la France, furent à l'origine, en 1924, de la création de la Maison franco-japonaise de Tokyo. Le projet se concrétisa en 1926 par la reconnaissance d'un statut de fondation accordé par le ministère japonais de l'Éducation nationale. Depuis sa création, la Maison francojaponaise est dirigée par un Français ; le premier directeur fut Sylvain Lévi. Bernard Franck, ancien professeur au Collège de France, en assura également la direction, de même que Léon Vandermeersh, ancien directeur de l'École française d'Extrême-Orient ; le directeur actuel est Pascal Griolet. Des chercheurs, dits pensionnaires, y sont envoyés par le gouvernement français pour des séjours d'étude au Japon.

    La mission de la fondation est de contribuer aux échanges culturels entre nos deux pays et de promouvoir la recherche sur nos cultures respectives. Elle organise dans ce but conférences, colloques, séminaires et autres manifestations culturelles et elle édite des publications scientifiques. Le soutien des gouvernements japonais et français lui permet de jouer un rôle important dans la recherche ; 25 sociétés franco-japonaises spécialisées, animées par des chercheurs francophones de différentes disciplines, sont affiliées à la Maison franco-japonaise. Au titre de ses activités culturelles, la Maison franco-japonaise décerne le prix Shibusawa-Claudel ; en 1966, le conservateur de la bibliothèque d'Argenteuil, Georges Gottlieb, en fut le bénéficiaire.

    Une bibliothèque ouverte à tous

    La bibliothèque a été ouverte dès la deuxième année de la création de la Maison. Elle constitue, depuis, l'unique fenêtre sur la France pour les Japonais désireux d'acquérir des informations sur la culture et la science françaises. Pour les francophones résidant au Japon, elle est aussi une bibliothèque de recherche indispensable, grâce à un fonds français constitué depuis 74 ans. Malgré la perte de deux tiers des collections, brûlées au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle s'est néanmoins développée comme une bibliothèque de recherche spécialisée dans le domaine français, grâce à l'aide du gouvernement et des éditeurs français.

    Le déménagement de la Maison franco-japonaise dans le quartier d'Ebisu, en 1995, a été l'occasion de moderniser les modalités de son fonctionnement. La qualité du bâtiment et le large espace accordé à la bibliothèque offrent aux lecteurs un confort appréciable. Ses missions ont été en même temps renouvelées et précisées : la bibliothèque se définit désormais comme bibliothèque de recherche et comme un « centre de ressources », comme ceux que le ministère français des Affaires étrangères a installés à l'étranger. Il existe à Tokyo un autre centre de ressources à la médiathèque de l'Institut franco-japonais : les orientations des deux bibliothèques se conjuguent et se différencient : la bibliothèque de la Maison franco-japonaise répond aux besoins de la recherche, elle collabore avec les bibliothèques nationales et universitaires, les centres de documentation des deux pays.

    Un fonds irremplaçable

    Les collections sont importantes par leur nombre et leur qualité : fonds d'orientalisme, livres publiés avant 1960 et qui ne se trouvent guère dans les bibliothèques japonaises, comme la collection complète du Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient. Les livres envoyés au titre des échanges par les bibliothèques et universités françaises sont particulièrement appréciés des chercheurs japonais. Le National Center for Science Information Systems [NACSIS], organisme qui dépend du ministère japonais de l'Éducation, a reconnu l'importance de ce fonds en soutenant financièrement de 1995 à 1997 la saisie rétrospective des livres sur son catalogue collectif automatisé NASCIS-CAT. Sur les 34 000 livres saisis, 19 800 n'existaient pas dans cette base de données. En septembre 1998, la base comptait 220 000 ouvrages français qui représentaient 9,92 °/o des livres occidentaux. La part de la bibliothèque de la Maison franco-japonaise n'est pas négligeable : 10% environ des livres français, quand on rappelle que NACSIS-CAT fédère 612 établissements. Grâce à cette base de données accessible sur Internet (Nacsis-Web) le nombre des utilisateurs a nettement augmenté ; ils s'accordent pour montrer leur étonnement d'avoir trouvé le livre dont ils ne soupçonnaient pas la présence dans notre pays.

    Questions-réponses très fréquentes

    Au Japon, les demandes de renseignements par téléphone sont très fréquentes dans la vie quotidienne. Avant de se rendre dans une bibliothèque, on demande souvent des informations par téléphone, télécopie ou courrier ordinaire, pour se faire confirmer l'existence des documents recherchés, et cela même au temps d'Internet. Le service de référence répond aux questions en utilisant des ouvrages de référence, des cédéroms, Internet et des réseaux de télécommunications reliés à plusieurs centres de documentation français et japonais. La qualité de ce service offert par la bibliothèque est fondamentale, tant pour la réputation de l'ensemble de la Maison franco-japonaise que pour l'image que les institutions françaises doivent donner de leur compétence et de leur professionnalisme au public japonais.

    J'aimerais rappeler en exemple la demande par téléphone émanant d'une bibliothèque municipale. Le lecteur avait demandé à son bibliothécaire un document sur une vedette française d'après-guerre. Il me dit Uijijaninere] en japonais et était incapable d'en préciser l'orthographe française malgré une longue recherche. Instruite par l'expérience, j'ai trouvé dans un dictionnaire français de danse une rubrique « Jeanmaire, Renée, Zizi » ; à partir de là, mon correspondant a pu trouver des documents japonais sur cette danseuse.

    Membres et utilisateurs

    La Fondation de la Maison franco-japonaise regroupe 1 500 membres et 120 membres donateurs. Ils aiment la France et s'intéressent à sa culture. Nombre d'entre eux enseignent dans les universités et écrivent sur le domaine français. Ils sont des intermédiaires pour la culture française dans notre pays.

    Depuis la réouverture à Ebisu, des jeunes non francophones viennent consulter à la bibliothèque des livres japonais sur la France. À l'occasion de l'année de la France au Japon, en 1998, de nombreux livres japonais ont été publiés sur la France ; leurs auteurs étaient souvent des anciens et d'actuels utilisateurs de la bibliothèque.

    En 1997, des lecteurs ont créé une Association d'amis de la bibliothèque de la Maison franco-japonaise ; elle organise des conférences et diffuse des informations sur la bibliothèque.

    Coopération entre bibliothèques

    Les chercheurs sont satisfaits de recevoir par l'intermédiaire de la bibliothèque de la Maison du Japon les documents qu'ils ne peuvent pas trouver dans les autres bibliothèques du pays. Le nombre de prêts interbiblio-thèques augmente annuellement grâce aux catalogues informatisés ; en 1997 sur 390 demandes de prêts, 80 % ont pu être satisfaites.

    La Maison franco-japonaise pratique depuis longtemps des échanges de publications avec les établissements français installés en Europe, aux États-Unis en Russie ou dans d'autres pays. Le développement des réseaux télématiques facilitera les communications entre les bibliothécaires de France et du Japon.

    Entre nos deux pays, il existe un problème de langue : la plupart des Japonais ne parlent ni ne lisent le français ; l'inverse est aussi vrai. Toutefois, l'ouverture de la Maison de la culture du Japon à Paris est une chance pour une coopération fructueuse ; grâce à ces deux institutions clés, nous espérons qu'il y aura davantage d'utilisateurs pour recevoir des informations sur nos deux pays..

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    Maison franco-japonaise Bibliothèque