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    Bibliothèques universitaires

    Entre l'espoir et l'inquiétude

    Par Annie Coisy, Directrice du service communde la documentation Universiténouvelle de Bretagne-Sud

    A l'heure des bilans, si l'on tente de mesurer les progrès accomplis dans les bibliothèques universitaires en dix ans, à partir des faits mais aussi de la façon dont ils sont perçus, sélectionnés, transmis et utilisés, c'est une impression mitigée qui domine : le « temps des mutations (1) » dure depuis si longtemps qu'on se demande s'il se terminera, et de quelle façon.

    Quelques raisons d'espérer

    Le nombre de textes consacrés à la documentation universitaire depuis le signal d'alarme du rapport Miquel semble bien dénoter une prise de conscience, au moins chez les décideurs, de l'importance de l'enjeu : non seulement des instances tutélaires comme la DISTNB puis la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, des institutions dont c'est la vocation, comme le Conseil supérieur des bibliothèques, se préoccupent régulièrement de cette question. Mais elle est examinée aussi par le Comité national d'évaluation lors de ses visites dans les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, et fait l'objet d'un récent rapport au Sénat. Les BU sont disséquées, leurs performances analysées par rapport aux enjeux nationaux et internationaux.

    Même si tout a été dit concernant le retard persistant de la France par rapport à la Grande-Bretagne, à l'Allemagne ou aux États-Unis, même si de nombreuses explications peuvent expliquer ce retard (choix politiques nationaux, sources de financement différentes et différenciées), l'optimiste pourra donc au moins se réjouir de la sollicitude dont les BU font l'objet. Il pourra aussi se féliciter que certains messages aient été entendus : par exemple, que la perspective de bibliothèques virtuelles ne rend pas caduque la préoccupation d'offrir et de construire des espaces réels, matériels, pour accueillir publics et documents. Ou encore, que l'éternelle comparaison entre les médiathèque publiques » (par définition modernes et soucieuses du lecteur, alors que les BU seraient par une sorte de fatalité, contre l'affirmation même des faits, des structures vieillottes, peu ouvertes et inadaptées) est souvent injuste et méconnaît l'amplitude croissante de leurs horaires d'ouverture, leur souci de faciliter l'accès libre à des collections nombreuses sur tous supports (le rapport Lachenaud constate l'importance des efforts financiers consentis) ou à la documentation distante grâce au prêt entre bibliothèques, leur familiarité avec les nouvelles technologies, leur pratique du travail en réseau, leur souci de toucher des publics extérieurs à l'Université. Et si les bibliothécaires peuvent regretter d'être moins reconnus dans leur compétence - par exemple en matière d'acquisitions documentaires - et plus soumis à la pression des décideurs et prescripteurs que leurs homologues de la lecture publique, s'ils ont difficilement la maîtrise d'une implantation rationnelle des ressources documentaires de leur établissement, du moins peu-vent-ils s'appuyer sur un texte : la loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, et sur des décrets à la fois précis et souples facilitant la structuration de services communs de la documentation dans les universités.

    Quelques sujets d'inquiétude

    Cependant, l'existence de textes réglementaires ne met pas à l'abri de tous les dangers : certes, ils assignent à l'enseignement supérieur une mission documentaire explicite et multiforme ; certes, la plupart des universités se sont dotées de services communs de la documentation chargés de fédérer les ressources documentaires des établissements. Mais on peut se demander si : de même que les directeurs de SCD utilisent les textes pour faire valoir ce qui leur paraît essentiel en matière de structuration, de fonctionnement, de politique documentaire (2) , de même les Présidents d'université n'ont pas tendance à instrumentaliser la documentation pour s'imposer face aux diverses composantes de leur établissement, et à l'afficher comme un enjeu majeur de leur politique pour obtenir des crédits auprès du Ministère.

    En tout cas, la prolifération même des rapports sur la documentation universitaire, au-delà de l'interrogation qu'elle suscite sur la réalité du rattrapage du retard des BU, conduit à nuancer l'impression optimiste qu'on pouvait tout d'abord éprouver.

    Définir la qualité

    Ainsi, les bibliothèques universitaires semblent essentiellement jugées - sauf dans les tableaux détaillés publiés par la SDBD - à l'aune de performances quantitatives : nombre de livres et d'abonnements, budget d'acquisitions documentaires, équipements informatiques, réseaux de cédéroms, surfaces, nombre d'heures et de semaines d'ouverture, de séances de formation des utilisateurs. Ce qui va dans le sens, ailleurs dénoncé, d'une concurrence entre universités fondée sur le rapprochement de chiffres absolus, sans mettre en évidence ni la dynamique à l'oeuvre dans les unes et les autres, ni la proportion relative de documentation récente et ancienne ou la part destinée à l'enseignement, à la recherche, à la culture générale, ni le montant respectif des crédits consacrés aux achats documentaires à la BU, dans les bibliothèques associées au SCD et dans les composantes...

    Bien sûr, les données chiffrées permettent des mesures, des comparaisons, liées à une certaine conception de la qualité des services, mais qui ne l'épuisent pas et surtout ne l'explicitent pas.

    Il serait pourtant important de définir des références. Or par exemple, aussi bien dans les « états généraux de l'université que dans le projet U3M, les bibliothèques relèvent du secteur « vie de l'étudiant » ; lorsqu'il s'agit de leurs missions de formation à la recherche documentaire ou d'animation culturelle, elles sont liées d'emblée au public étudiant, a fortiori de premier cycle ; public majoritaire certes, même si une décélération commence à se faire sentir ; mais non public unique, puisque les SCD sont des services destinés à l'ensemble de la communauté universitaire et au-delà. Parfois évoqué au détour de tel ou tel rapport, le risque de « secondarisation » (rapport Miquel), voire de "primarisation (rapport Lachenaud), n'est pas analysé dans toutes ses implications potentielles.

    Ressources humaines

    Quant aux personnels, une lecture attentive des textes suscite quelques interrogations : on peut lire dans le rapport Lachenaud, au sujet des moniteurs de bibliothèque : « leur rôle est capital pour les BU elles-mêmes comme pour les étudiants. En effet, ils remplissent des tâches ne nécessitant pas de qualification professionnelle particulière (3) , mais pourtant essentielles au bon fonctionnement d'une bibliothèque universitaire : opérations de prêt, participation au catalogage, activités informatiques. » De la même façon, le recours aux emplois-jeunes est présenté comme la panacée, alors que les tâches qu'on envisage de leur confier (accueil, médiation documentaire, nouvelles technologies) relèvent a priori des missions des corps de professionnels déjà existants.

    On peut préférer la suggestion positive du rapport Miquel prévoyant la nécessaire ouverture des BU à d'autres catégories de personnel, qu'il s'agisse des documentalistes, des enseignants, des informaticiens, des personnels de sécurité... ,, (4) On peut même ajouter à cette liste les personnels administratifs, dont la présence soulagerait bien des directeurs de tâches très prenantes, mais dans lesquelles ils ne sont pas irremplaçables ni même forcément les meilleurs.

    La fonction de directeur et plus largement les missions des personnels de catégorie A mériteraient elles-mêmes d'être questionnées : entre le souhait formulé par Arlette Pailley-Katz, lors de l'audition de l'ADBU par le sénateur Lachenaud, d'un nombre accru de personnels de catégorie B, pour permettre aux catégories A d'accomplir « leurs tâches de gestion et d'encadrement (5) ", et le rapport Miquel déplorant que les professionnels aient été assimilés à des personnels d'intendance et de gestion, dont le nombre diminuerait en raison directe de l'informatisation, alors que, bien au contraire, l'activité des bibliothèques est une activité de service étroitement liée à l'encadrement pédagogique (6) , on sent que le sens du mot gestion » fait problème (le rôle du directeur n'est-il pas plutôt de faire adhérer les universitaires et le personnel du SCD à un projet politique ?).

    Cette question des personnels n'est pas dépourvue de signification. En effet, au niveau des établissements, c'est souvent à l'occasion des demandes de postes de personnels non enseignants qu'on mesure la limite de l'intérêt porté à la documentation, même lors-qu'elle est affichée comme une priorité. Autant les emplois relevant des corps de bibliothèques ne posent pas trop de problèmes tant qu'ils sont fléchés, autant les postes de technicien ou d'ingénieur informatique qui seraient nécessaires, ou les postes liés à la comptabilité ou à la gestion des personnels, souvent trop spécifiques pour être confiés entièrement aux services centraux des établissements, sont difficiles à faire admettre. Même les postes de PRCE (professeurs certifiés en documentation) sont susceptibles d'être remis dans le « pot commun à tout moment.

    La politique documentaire

    Toutes ces difficultés peuvent sans doute être imputées à deux causes : l'absence de réelle définition de ce qu'est une politique documentaire » - dans laquelle le directeur du SCD ou de la BU a certainement sa part de responsabilité - mais aussi une interprétation contestable du principe d'autonomie des universités. On pourrait souhaiter que soit largement méditée cette phrase du rapport 1995 du CSB : «l'autonomie des universités est un mode de fonctionnement : ce n'est pas une politique. Au nom de ce principe respectable, on a confondu décentralisation et émiettement et on a opposé une décentralisation restrictive et catégorielle à une décentralisation coordonnée ».

    Or une véritable politique documentaire, loin d'être une «simple politique d'acquisition, devrait prendre en compte à la fois la situation locale (quelles missions l'Université assigne-t-elle, et dans quel ordre de priorité, à son SCD ? Quels sont les publics à toucher ? Partant, quels moyens attribuer à tel ou tel secteur? Quels financements supplémentaires demander par exemple à d'autres composantes ?), mais aussi la nature des forces documentaires en présence dans la ville, les synergies ou les complémentarités qu'on peut faire jouer, par exemple dans le domaine de l'animation culturelle (manifestations partagées entre plusieurs structures), de la conservation partagée ou de la numérisation de collections de périodiques à l'échelon départemental etc. Au-delà, mais c'est plus difficile encore malgré les schémas directeurs régionaux dans le contexte actuel de concurrence entre les universités, il faudrait mettre en place une véritable politique régionale de la documentation dans l'enseignement supérieur. Associations professionnelles et relations personnelles avec les collègues peuvent y aider, mais il est difficile de parvenir à des résultats concrets : la création de « consortia » de BU pour l'acquisition de ressources électroniques en est un bon exemple, en particulier quand il s'agit de trouver des critères acceptables de partenariat.

    Pour relativiser, on ne voit pas pourquoi, à vrai dire, la politique documentaire serait plus facile à élaborer que la politique d'établissement, ou serait à l'écart des tensions qui s'y exercent, entre composantes, et entre les composantes et la Présidence. Mais le problème est que la documentation doit être pensée dans la durée et la sérénité, sans être totalement dépendante des aléas politiques, sans être lancée à la poursuite exclusive - et désespérée ? - de l'information d'utilité immédiate au détriment de la constitution d'un véritable centre de ressources et de maturation du savoir : là encore, la réflexion s'inscrit dans le contexte plus large d'autres débats, loin d'être clos, sur les missions assignées à l'Université et à la recherche.

    « À quoi rêvons-nous, quand nous ne rêvons pas ? »

    Dans ce contexte, parfois encourageant, car on sent une évolution de la réflexion (par exemple, sur la notion de sections disciplinaires ou de bibliothèques de premier cycle), parfois inquiétant, surtout quand on appartient à une petite université récente, pluridisciplinaire et multi-sites, que peut-on attendre de l'avenir? Ce serait peut-être que l'État joue davantage encore son rôle de garant de l'égalité d'accès des différents publics à toute l'information et à la documentation disponibles, dans une transparence accrue. Par exemple, que la règle du jeu soit clairement affichée dans la répartition des crédits entre part contractuelle et dotation sur critères ; que la partie documentaire du volet « recherche des contrats d'établissement soit réellement prise en compte ; que le Ministère puisse traiter globalement des questions d'intérêt national comme la négociation de licences avec les éditeurs ou le droit de copie ; qu'il mette en place rapidement des indicateurs fiables et nuancés en matière de taux d'encadrement, prenant en compte non seulement le nombre d'étudiants mais aussi les missions à accomplir (en dehors de la politique patrimoniale, des CADIST ou des structures de formation, elles ne sont pas si variables d'une université à l'autre), les horaires d'ouverture, les sites à desservir... Il a déjà su le faire pour les opérations de conversion rétrospective des fichiers des bibliothèques et pour la mise en place du futur Système universitaire de documentation ; la tâche se poursuit avec la réflexion sur les fonctions des personnels ou la numérisation des thèses. Qu'il joue pleinement ce rôle ; le reste, sur place, nous essaierons de nous en charger..

    1. Selon le titre du récent rapport présenté au Sénat par Jean-Philippe Lachenaud retour au texte

    2. Point souligné à juste titre par Sylvie Fayet et Bruno Van Dooren dans Les bibliothèques en France: 1991-1997. Paris : Electre-Éditions du Cercle de la Librairie, 1998, p. 67. retour au texte

    3. Jean-Philippe Lachenaud : Bibliothèques universitaires: le temps des mutations, p. 32. retour au texte

    4. André Miquel : Les bibliothèques universitaires: rapport... Paris : la Documentation française, 1989, p. 40. retour au texte

    5. Jean-Philippe Lachenaud : ibid., annexe 4, p. 52. retour au texte

    6. André Miquel : ibid., p. 28. retour au texte