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    le renouveau des bibliothèques universitaires

    Par Pierre Carbone, Directeur du Service communde la documentation Université Paris XII- Val-de-Marne

    Une nouvelle carte universitaire

    En dix ans, avec la mise en oeuvre d'Université 2000 (U2000), la carte de l'enseignement supérieur français a changé. Les bibliothèques universitaires comptaient 324 sites de taille diverse en 1996 (sections, sous-sections, antennes) au lieu de 195 sites en 1988. Ce phénomène est dû principalement à la création d'universités nouvelles multipolaires (4 en Ile-de-France, 2 en Nord/Pas-de-Calais, 1 à La Rochelle, 1 en Bretagne Sud) auxquelles s'ajoute l'université de technologie de Troyes, à l'émergence d'une cinquantaine d'antennes universitaires délocalisées et à l'implantation de départements d'IUT dans des villes moyennes.

    Presque tous les départements français ont aujourd'hui une présence universitaire et l'ensemble des filières post-baccalauréat s'est développé dans les grandes villes comme dans les villes petites ou moyennes : à côté des filières universitaires, les sections de techniciens supérieurs dans les lycées accueillent près de 240 000 élèves et les filières des grandes écoles (classes préparatoires incluses) en accueillent près de 200 000.

    Les formations universitaires ont elles-mêmes évolué vers une plus grande diversification, avec la création d'Instituts universitaires professionnalisés, ou des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Cette diversification s'est accompagnée d'un assouplissement de l'organisation de la pédagogie : plusieurs campagnes de rénovation, notamment des enseignements de premier cycle, se sont succédé, la liaison avec les milieux professionnels s'est renforcée, et la formation continue s'est de plus en plus affirmée parallèlement à la formation initiale. L'université s'ouvre ainsi à de nouveaux publics et à de nouveaux partenaires.

    Quantitativement, le nombre d'étudiants inscrits à l'université a considérablement augmenté, même si l'on observe aujourd'hui une pause. On comptait, en 19971998, 1,44 million d'étudiants inscrits à l'université (51,6 % en 1er cycle IUT inclus, 34,2 % en 2ecycle et 14,2 % en 3e cycle), soit 45 % de plus qu'en 1987-1988, et plus de 80 000 inscrits dans les IUFM. La croissance des effectifs a été particulièrement forte en IUT et en sciences - filières d'ingénieurs incluses - (supérieure à 70 %), un peu moins en lettres (+ 56 %) et en droit, économie et gestion (+ 40 %) ; on note en revanche une baisse en santé (- 9 %).

    Des moyens en progression constante mais inégale

    Les problèmes qui étaient jugés critiques en 1988-1989 étaient la faible attirance des BU pour les étudiants et les enseignants, le manque d'ouvrages pour les étudiants, les horaires d'ouverture insuffisants et le manque de places de travail. Pour remédier au scandale qu'était la situation des BU il y a dix ans, le rapport Miquel, entre autres propositions, préconisait les mesures suivantes :

    • quadrupler les subventions aux BU (de 150 MF à 600 MF) de façon à ce qu'elles puissent acheter un livre par étudiant et par an,
    • créer 1 500 emplois pour ramener le taux d'encadrement de 3,25 à 4 agents pour 1 000 étudiants (en prévoyant une augmentation des effectifs étudiants de 20 % seulement),
    • et construire 370 000 mètres carrés nouveaux, afin d'atteindre 1 mètre carré par étudiant.

    Si ces propositions n'ont pas été entièrement réalisées, un effort, inégal selon les années mais continu au cours de cette décennie, a été engagé en faveur des BU, notamment au plan des personnels et des crédits de fonctionnement, de façon moins nette pour les locaux.

    Le pouvoir d'achat documentaire a progressé de façon significative. Les subventions de fonctionnement sont passées de 150 MF en 1988 à 535 MF en 1999. Cette augmentation des dotations a eu un effet très net sur les acquisitions documentaires : 863 000 livres ont été acquis en 1996 contre 336 000 en 1988 (soit + 156 %), et les abonnements à des revues sont passés de 66 000 titres en 1988 à 108 000 en 1996 (soit + 63 %). En ratio par étudiant toutefois, le progrès est moins marqué : les achats de livres ont évolué de 1 volume pour 3 étudiants à 1 volume pour 1,7 étudiant, les abonnements de périodiques de 1 titre pour 15 étudiants à 1 pour 13 étudiants. Mais on compte encore près d'une trentaine de BU en dessous de 100 000 volumes, et une vingtaine entre 100 000 et 200 000 volumes, soit la moitié des BU avec des collections encore insuffisantes. De plus, on note dans les années récentes des phénomènes qui, à budget constant, risquent de menacer ce pouvoir d'achat : l'augmentation régulière du coût des abonnements, la diversification des supports et des modes d'accès à l'information avec l'essor de la documentation électronique.

    La situation est encore critique pour les locaux. En effet, on a compté peu de constructions dans les premières années d'U2000, jus-qu'en 1995, et une véritable montée en charge seulement à partir de 1996 : si l'on prend les opérations égales ou supérieures à 1 000 mètres carrés, ce sont près de 150 000 mètres carrés qui ont été ouverts de 1991 à 1997 (65 opérations, soit une moyenne de 2 300 mètres carrés par opération, seulement 10 opérations égales ou supérieures à 4 000 mètres carrés), et 15 opérations étaient prévues pour 1998 pour un total de 43 000 mètres carrés (seulement 2 opérations égales ou supérieures à 4 000 mètres carrés). En fait, ce sont principalement les nouveaux sites qui ont bénéficié de constructions de bibliothèques, souvent de taille modeste, et on relève peu de constructions neuves ou d'extensions sur les sites existants pendant la première moitié de la décennie. Des opérations significatives, telles la BU de Paris VIII, ont demandé dix ans d'efforts constants et sont encore trop isolées.

    Au total, près de 200 000 mètres carrés auront été ouverts de 1991 à 1998, alors que les constructions universitaires ont bénéficié au total pendant la même période de 2,6 millions de mètres carrés neufs - la part des BU est inférieure à 8 % - et de 700 000 mètres carrés réhabilités. En fait, priorité a été donnée dans U2000 à la pédagogie, à la construction d'amphis et de salles d'enseignement, et la BU conçue comme élément de la vie étudiante venait après. De ce fait, les BU disposaient de 0,51 mètre carré par étudiant (contre 0,65 mètre carré en 1988), et d'1 place pour 17 étudiants (1 place pour 15 étudiants en 1988).

    Globalement, la progression des moyens en crédits, en personnels et en locaux est incontestable. Elle a été toutefois inégale selon les années, l'effort budgétaire ayant porté tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre de ces aspects. La nécessité d'un développement global et harmonieux s'est heurtée en fait aux réalités budgétaires.

    La modernisation des services

    En même temps, la qualité du service s'est considérablement améliorée.

    Les horaires d'ouverture sont passés d'une moyenne de 40 heures par semaine en 1988 à plus de 50 heures en 1998, et beaucoup de BU se rapprochent des 60 heures ou les dépassent. Les périodes de fermeture ont diminué, et de façon générale, les BU sont maintenant les services les plus ouverts dans les universités.

    Les BU se sont aussi informatisées. Seules quelques-unes d'entre elles se lançaient en 1988 dans l'implantation d'un système intégré de gestion de bibliothèque ; dix ans plus tard, 85 bibliothèques en étaient équipées. Le travail en réseau s'est considérablement développé, presque toutes les BU ayant adhéré à un réseau de catalogage avant la mise en place prochaine du système universitaire.

    C'est cette amélioration qui a permis une augmentation de la productivité avec une progression modérée des personnels. Par rapport à 1988, avec une augmentation des personnels de près de 50 % environ, les BU ont traité des flux d'acquisition qui ont plus que doublé, ont assuré une extension continue des horaires d'ouverture tout en ouvrant une centaine de nouveaux sites, ont accueilli environ 80 % de lecteurs en plus et assuré 80 % de transactions de prêt et communication de documents en plus.

    De nouveaux services sont apparus : les réseaux de cédéroms (on en comptait 75 en 1996), l'accès à Internet ou à des ressources numérisées par l'établissement. Ce développement des ressources électroniques est l'aspect le plus visible, les BU sont des pôles de modernité dans l'université. Même si des accès décentralisés ou individualisés à ces ressources sont possibles et souhaitables, leur usage ne peut se développer qu'en s'appuyant sur des centres où elles sont aisément consultables par tous, et c'est bien le rôle des BU que d'abriter des centres de ressources électroniques.

    Cette modernisation a aussi contribué à décloisonner la BU, à la rapprocher des centres de ressources informatiques, ou des services d'informatique pédagogique, à être impliquée parfois dans la mise en place de nouvelles techniques d'enseignement.

    La documentation, un service et un réseau

    Les évolutions de la carte universitaire et de la démographie étudiante ont par ailleurs contraint les BU à trouver des solutions aux questions suivantes : quelles bibliothèques construire dans des universités nouvelles multipolaires en fort développement ? Comment desservir les « petits sites ? Quel niveau de collections et de services est le plus adéquat aux antennes ? Comment prendre en compte l'environnement existant en matière de bibliothèque sur les nouveaux sites et quels liens de coopération établir au niveau local ?

    Plus généralement, l'ensemble des BU, récentes ou non, a dû faire face à la fois à une demande de plus en plus massive et de plus en plus diversifiée du fait de l'évolution des formations. La diversité et la complexité se sont accrues dans l'université, et la dynamique dans laquelle les BU se sont engagées depuis 1988 n'a pas été sans déséquilibres, qui représentent pour elles un défi constant.

    Dans cette évolution d'ensemble, deux notions centrales apparaissent : celles de service et de réseau. Un problème est posé, notamment au plan local, par la multipolarité croissante, mais il n'a sans doute pas de solution unique : dans un contexte donné, quelle est la meilleure organisation des fonctions ? Qu'est-ce qui doit être centralisé et qu'est-ce qui doit être décentralisé ? Par ailleurs, avec le développement des ressources électroniques, qui amène nécessairement les établissements à nouer des coopérations selon des configurations diverses, la définition d'un nouvel équilibre entre ce qui est fourni localement et ce qui est accessible en réseau se pose à tous les établissements.

    L'intégration des BU au sein des universités, un mouvement encore en cours

    Les questions de politique documentaire deviennent de plus en plus, on le voit, des problèmes de choix politiques au sein de l'université, et leur solution peut amener à engager des investissements importants. Si les BU ont globalement progressé au cours de cette décennie, c'est notamment parce qu'elles se sont mieux intégrées dans les universités, que leurs enjeux ont fait l'objet de décisions au niveau de direction des universités. La concomitance du lancement de la politique contractuelle et de la mise en place des services communs de la documentation a eu des effets très positifs. L'importance des moyens mis sur les volets documentaires des contrats par l'État a aussi favorisé la prise de conscience des établissements : la notion de " politique documentaire - s'est banalisée, et elle a souvent été inscrite au nombre des priorités dans les contrats, à des places variables toutefois (dans l'environnement de la pédagogie, ou la modernisation des établissements, beaucoup plus rarement dans le développement de la politique scientifique).

    Le renforcement de l'autonomie des universités en matière de documentation a eu cependant pour effet de mettre au second plan l'interuniversitaire, et presque toutes les bibliothèques interuniversitaires de province ont éclaté pour donner naissance à autant de SCD que d'universités. La coopération au plan local doit être reconstruite sur de nouvelles bases.

    On peut regretter aussi un raté : l'absence d'intégration des BU dans la contractualisation de la recherche. Les enseignants chercheurs se conçoivent encore trop en enseignants quand ils pensent aux BU et formulent volontiers des suggestions d'achat pour répondre aux besoins de leurs étudiants, mais ils disent moins souvent leurs attentes en tant que chercheurs vis-à-vis de leur BU. Leur tendance reste trop souvent de se constituer leurs propres moyens de documentation ou bien de recourir à d'autres bibliothèques en France ou à l'étranger.

    De la même façon, les intégrations de bibliothèques d'UFR ou de laboratoires sont encore trop rares. L'idée est parfois acquise qu'une BU peut intégrer une BUFR à fonction pédagogique, mais il est beaucoup plus rarement admis que l'intégration des bibliothèques de laboratoire puisse avoir un caractère positif.

    L'articulation des BU avec la recherche reste à réaliser. C'est le point sur lequel des évolutions sont nécessaires, d'autant plus que le développement des ressources électroniques met en jeu la question des rapports avec la recherche. Par ailleurs, dans la préparation d'U3M, l'idée domine qu'il faut mettre l'accent sur le qualitatif plus que sur le quantitatif, en fait sur la recherche plus que sur l'accueil de nouveaux étudiants dont les flux n'augmentent pas, et la BU est rangée parmi les rubriques de la vie étudiante (avec le logement, la restauration, l'accueil des handicapés, la vie culturelle et associative, etc.).

    Quand il s'est agi de décider des investissements immobiliers dans U2000, les BU n'ont pas suffisamment été perçues comme les outils d'une pédagogie nouvelle et elles ont subi les effets d'une trop forte priorité accordée aux locaux d'enseignement. Actuellement, elles sont insuffisamment perçues comme instruments généraux de la recherche, et il faudrait éviter aujourd'hui qu'une trop forte priorité accordée aux locaux de recherche n'ait les mêmes effets négatifs.

    Les enjeux actuels

    Cette double fonction de la documentation, au carrefour de la pédagogie et de la recherche doit être réaffirmée. La documentation n'est pas simplement une ressource externe à la disposition des fonctions d'enseignement et de recherche, elle est en fait un processus qui doit être de plus en plus intégré à l'acte pédagogique et au travail de recherche. La transition en cours vers une économie de l'information justifie que les différents acteurs aillent dans ce sens. Il est de plus en plus possible de valoriser l'information disponible dans les BU ou accessible à travers elles en créant des services de veille documentaire en liaison directe avec les laboratoires de recherche ou avec les entreprises partenaires de l'université (notamment les PME/PMI). De même, il est de plus en plus possible, en utilisant notamment les ressources électroniques, de faire de la BU un levier pour changer la pédagogie, de prendre le service de documentation comme point d'appui pour une pédagogie diversifiée et ouverte à de nouveaux publics (étudiants en formation continue, apprentis) et de garantir ainsi un égal accès à l'information.

    Mais de même que les BUFR se sont développées dans les années 1970-1980 à côté de BU toutes neuves mais incapables d'acheter suffisamment, le péril existe que l'accès à l'information ne passe pas principalement par la BU et qu'une multitude de démarches individuelles conduise à un éparpillement des efforts. L'enjeu qui se dessine est que le SCD soit le centre de diffusion et de valorisation de l'information dans l'université et dans son environnement. Une question concrète se pose alors : dans un monde fait de réseaux multiples où les voies d'accès à l'information sont diverses, quels services le SCD doit et peut fournir et comment doit-il s'organiser pour les procurer à la communauté universitaire ? Dans cette démarche, un écueil est à éviter : vouloir sauter une étape, alors que l'univers de l'information est un monde où les supports et les modes d'accès s'accumulent sans que le nouveau supprime l'ancien.

    En d'autres termes, les SCD doivent à la fois développer les collections traditionnelles et les nouveaux services, et l'accès à l'information - même s'il peut être effectué directement par l'utilisateur - est plus performant et plus économique dans un centre documentaire, avec l'aide de spécialistes et une médiation. Les SCD sont les mieux placés dans l'université pour assurer ce nouveau métier de médiateur en information .

    Le virtuel ne permettra pas de faire l'économie de nouvellesconstructions de bibliothèques uni-versitaires, ou alors ce sera ennégligeant les étudiants et en ren-forçant ou en recréant de nou-velles BUFR, c'est-à-dire en obéis-sant à des logiques individualistesau lieu de favoriser la mise encommun des ressources et la cir-culation de l'information. L'un despropos du rapport Miquel, entreautres, reste d'une grande actua-lité : « La bibliothèque d'aujour-d'hui, c'est l'association d'unebibliothèque réelle, offrant en libreaccès des documents de base, etd'une bibliothèque virtuelle, com-posée de banques de données enligne ou sur Cédérom et dedisques optiques numériques.

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