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    Vade-mecum à l'usage des bibliothécaires

    Les acquisitions en bibliothèques territoriales et les marchés publics

    Par Claudine Belayche, Directeur, Conservateur Bibliothèquemunicipale d'Angers

    La question des acquisitions (de livres surtout) en bibliothèque et des procédures de marchés publics est posée de façon récurrente depuis plusieurs années. À la fois par les élus (de nombreuses questions parlementaires en attestent), par les bibliothécaires eux-mêmes, confrontés à l'obligation de suivre des procédures quelque peu contraignantes pour leurs choix de fournisseurs, et plus encore par les fournisseurs traditionnels des bibliothèques, les libraires locaux, qui ont depuis plusieurs années engagé de véritables campagnes pour demander que soit revu le Code des marchés publics, avec des dérogations spécifiques concernant le marché du livre.

    Cet article n'a pas l'ambition d'être un cours complet sur les marchés, mais seulement d'être une aide très concrète et pratique aux collègues qui se trouvent devoir utiliser cette procédure et se sentent un peu démunis devant leurs élus, ou le service des marchés de leur collectivité.

    Le lecteur trouvera en note bibliographique finale quelques références d'articles facilement accessibles concernant les procédures de la commande publique, ainsi que le site Web de l'Association des acheteurs publics des collectivités territoriales (AACT), qui a publié d'intéressantes contributions sur cette question.

    Ce que ne disent pas (ou disent très peu) toutes ces contributions, c'est comment adapter les procédures de marchés au cas un peu particulier des documents de bibliothèque. C'est donc ce que je tenterai de faire modestement ici.

    Je précise que je ne suis pas une spécialiste des marchés, et que mes connaissances doivent beaucoup aux services des marchés des collectivités dans lesquelles j'ai pu exercer depuis une dizaine d'années, des discussions toujours passionnantes avec ces spécialistes qui vous obligent à définir les spécificités d'un cahier de clauses techniques, et de la lecture systématique des documents édités par ces mêmes collectivités (et d'autres) sur les procédures applicables à la commande publique.

    Je voudrais dire aussi que, ayant travaillé dans des villes où les marchés étaient la règle, j'ai dû participer régulièrement à la rédaction de ceux-ci, et éventuellement aux étapes de l'ouverture des plis et des rapports techniques nécessaires.

    Pourquoi un bibliothécaire doit-il, dans tous les cas, se préoccuper des procédures de marchés publics ?

    Rappelons d'abord que tous les textes régissant la commande publique, et particulièrement le Code des marchés publics, se fondent sur une philosophie de l'égalité de toutes les entreprises devant la puissance publique, et doivent assurer la possibilité égale pour chaque entreprise d'accéder au rang de fournisseur d'une collectivité publique.

    Philosophiquement, c'est l'équivalent du statut général de la fonction publique, qui prévoit l'égalité de tous les citoyens devant les recrutements et concours de la fonction publique. Gardons en mémoire ce fondement, garant de la neutralité (politique, religieuse, idéologique) du service public et de la transparence de son fonctionnement !

    Selon la loi, seuls le maire ou le président de l'assemblée délibérante (et les adjoints délégués pour ce faire) sont responsables de la passation de la commande publique, qu'il s'agisse d'un simple achat sur facture ou de la passation d'un marché sur appel d'offres européen. La loi ne connaît que la signature des responsables élus, et explicitement délégués, pour passer une commande (1) Les bibliothécaires n'agissent, ne signent de bons de commande, qu'explicitement délégués pour ce faire (parfois cette « délégation » est implicite). Ce sera donc toujours la collectivité qui passera un marché, jamais la bibliothèque !

    Les récentes modifications du Code des marchés publics ont quelque peu changé la donne : outre les élus considérés comme responsables d'éventuelles erreurs ou d'irrégularités, les fonctionnaires territoriaux qui ont préparé les marchés peuvent être rendus responsables si les procédures prévues par le Code n'étaient pas respectées de façon délibérée. Suite à de nombreux contrôles des chambres régionales des comptes, après le contrôle de légalité exercé par les préfectures, et parfois quelques mises en examen d'élus mais aussi de fonctionnaires considérés comme responsables (ou complices) d'irrégularités dans la passation des marchés, les collectivités sont devenues nettement plus exigeantes sur le sujet et plus « regardantes » sur les conditions de la commande publique.

    Il faut dire aussi - et c'est la marque du développement des bibliothèques depuis quelques années - que, les budgets d'acquisition ayant atteint des sommes non négligeables, dans tous les types de bibliothèques, celles-ci se trouvent de plus en plus souvent en position d'être au-delà des seuils réglementaires.

    Comme gestionnaires de fonds publics, les bibliothécaires sont donc soumis à une application scrupuleuse des textes législatifs et réglementaires. La connaissance des textes, des procédures, est une aide précieuse pour donner aux pièces constitutives des dossiers les contenus techniques qui seront la traduction des demandes, des impératifs de la gestion d'une bibliothèque et de ses collections.

    Utiliser les cahiers de clauses techniques comme un moyen de mieux acheter parce que l'on aura travaillé à leur élaboration, c'est la lecture positive de l'obligation réglementaire de la passation des marchés que je proposerai ici.

    Question : type de fourniture et questions de seuils

    Type de fourniture ou de prestation

    Il faut d'abord s'entendre sur le type de commande que l'on souhaite passer : la fourniture, au sens des marchés, est l'acquisition d'objets, de matériels existants sur le marché, qu'ils figurent sur un catalogue ou puissent être fournis par une entreprise.

    Il faut distinguer très précisément la « fourniture » de la « prestation de service qui, elle, suppose la définition de prestations sur un cahier des charges précis, prestations qui seront réalisées explicitement pour le demandeur (2) . Dans le domaine des bibliothèques, cette distinction prend tout son sens.

    Fourniture de documents: aujourd'hui, la multiplication des supports fait que l'on achètera des livres, revues, disques, vidéogrammes, cédéroms...

    Il y a une claire différenciation entre ces supports, non seulement au niveau technique mais surtout par la législation qui leur est applicable et les circuits de distribution :

    • * Les livres sont soumis à la loi de 1981, dite loi Lang, sur le prix unique et bénéficient d'une TVA réduite à 5,5 %.
    • * Les périodiques bénéficient d'une TVA minorée, les abonnements étant réglés avant service fait », une dérogation aux principes financiers des collectivités publiques, et la structuration des achats est évidemment distincte, ainsi d'ailleurs que les fournisseurs.
    • Les disques audio font l'objet de réglementations différentes, par leur TVA, par le type de fournisseur, par les catalogues et les diffuseurs distincts... et ne sont pas soumis à prix public unique.
    • * Les vidéogrammes supposent que l'on s'assure, outre le support, des droits de diffusion et/ou de prêt, et présentent obligatoirement des clauses spécifiques par rapport au livre (en tout cas dans l'état actuel de la législation), etc.

    À partir de ces critères, le « type de fourniture qui servira de base aux calculs financiers des seuils tiendra compte de ces distinctions. Autant on devra additionner tous les livres de la collectivité (en principe !) ou tous les abonnements, autant on séparera les disques des livres ou des périodiques.

    Prestation : de quoi s'agit-il ?

    La fourniture de documents est considérée comme une livraison de matériels. En revanche, sera considérée comme prestation toute opération d'accompagnement n'ayant pas de rapport direct avec la fourniture.

    Les délais de livraison sont considérés comme un attribut de la fourniture, exigés du fournisseur et évalués comme tels. Il s'agit d'une clause constitutive de la qualité de la livraison.

    Les services des marchés sont plus circonspects quand il s'agit de demander, en accompagnement de la fourniture stricto sensu, des « animations accueils d'auteurs...

    Même si ces opérations contribuent à l'animation de la bibliothèque, aux mêmes objectifs du service, il est assez difficile de prouver qu'il s'agit d'un attribut de la fourniture.

    Demander la fourniture d'affiches ou de catalogues d'éditeurs est facilement plaidable ; demander que le fournisseur s'engage à « aider la bibliothèque à organiser l'accueil d'auteurs ", sans d'ailleurs pouvoir savoir qui (ce qui ne permet donc pas une mise en concurrence équitable), les services de marchés seront réticents à intégrer les demandes d'animation en accompagnement de marchés de fournitures.

    Quels sont les seuils applicables ?

    Les seuils applicables aux différents types de marchés à rédiger s'appuient sur les valeurs financières prévisionnelles de la dépense qu'engagera la collectivité. Ils sont identiques pour les fournitures, les travaux et les prestations. Ils concernent une opération ou la dépense annuelle pour une fourniture donnée.

    L'opération prend en compte l'idée d'une programmation financière (éventuellement pluriannuelle) sur un projet donné : la création d'un fonds de bibliothèque accompagnant une construction est une opération. C'est toute la dépense d'achat de documents qui devra être prise en compte, même si cette dépense est découpée en plusieurs exercices budgétaires. La dépense courante (acquisitions de fonctionnement courant) est appréciée sur la base du budget annuel.

    Au sens du Code, c'est toute la collectivité qui est concernée ; théoriquement donc, on devrait ajouter tous les achats de livres (écoles, bibliothèques, documentation...) pour vérifier le niveau par rapport au seuil. Cela est rarement fait ! Mais, la bibliothèque étant pour les livres au moins le service qui dépense le plus dans la collectivité, on lui demandera de respecter les procédures au moins pour ses crédits.

    • * Au-dessous de 300 000 F pour le même type de fourniture, ou le même fournisseur, pour l'ensemble de la collectivité, aucune procédure n'est imposée, mais la collectivité peut ouvrir une procédure de marché.
    • * De 300 000 F à 700 000 F pour le même type de fourniture, ou le même fournisseur, pour l'ensemble de la collectivité, l'obligation légale est de procéder à l'ouverture d'une procédure de marchés de type marché négocié, ou facultativement sur appel d'offres.
    • * À partir de 700 000 F, pour le même type de fourniture, ou le même fournisseur, pour l'ensemble de la collectivité, c'est la procédure de l'appel d'offres qui s'impose.
    • * Enfin, à partir de 1 300 000 F pour le même type de fourniture, ou le même fournisseur, pour l'ensemble de la collectivité, pour les marchés de fournitures et prestations, l'appel d'offres doit être européen.

    Le Code prévoit que, au-dessous de 300 000 F par type de fourniture, et par fournisseur, l'on puisse s'affranchir des procédures des marchés. Comment interpréter cette souplesse ? C'est ce que certains appellent le hors marché ».

    Il ne faut pas oublier que cette mesure concerne la totalité des achats de la collectivité, ce qui représente très peu dans les collectivités un peu importantes. Cette règle est plutôt conçue comme une souplesse, dans le cas ou le ou les fournisseurs attributaires ne pourraient répondre à une commande. Dans le domaine du livre ou du disque, il est clair que cette possibilité sera très utilisée : achats chez les soldeurs, achats d'ouvrages à diffusion spécifique « hors commerce ", documents en langues étrangères, éventuellement documents qui n'ont pu être obtenus auprès de l'attributaire dans les conditions du marché...

    C'est d'ailleurs sur ce point que les chambres régionales et le contrôle de légalité seront le plus rigoureux : les « fractionnements » sont traqués, puisqu'ils reviennent à découper en opérations de moins de 300 000 F pour éviter de passer un marché !

    Dans le cas des documents en bibliothèque, autant il sera facile de distinguer livres et disques, autant différencier entre livres de jeunesse et livres pour adultes » pour être, dans chaque cas, au-dessous des 300 000 F paraîtra peu défendable, la distinction ne faisant l'objet d'aucune explicitation dans une nomenclature.

    Catégories de marchés

    Les " lots d'un marché permettent de spécifier dans le même marché, pour des sous-ensembles de la fourniture - au sein de l'ensemble livres, on peut distinguer des catégories -, des montants et des spécifications (voir infra) adaptés. Chaque lot pourra faire l'objet, évidemment, de passation de bons de commande fractionnés.

    Les marchés à bons de commande

    Selon le type de demande de fourniture, on passera la commande en une seule fois ou des bons de commande seront échelonnés sur toute la durée du marché : ce seront des marchés à bons de commande (article 273 du Code des marchés). C'est le cas usuel dans les acquisitions de documents, hors les périodiques si l'on contracte avec une centrale d'achats à laquelle on confie le soin de passer les abonnements une fois dans l'année.

    Cela donne donc aux services une souplesse certaine, puisque les crédits seront engagés au fur et à mesure des besoins du service (la production éditoriale est irrégulière) et que les montants engagés ne sont pas fixés au départ. On peut se contenter de montants indicatifs, ou de fourchettes (mini-mum-maximum : écart de 1 à 4).

    Dans ce type de marchés, on peut prévoir dans le règlement de la consultation que chaque lot soit attribué à un ou à plusieurs fournisseurs, sous réserve évidemment que chacun réponde exactement aux critères édictés. Si un tel choix est fait, doivent être précisés le nombre maximal d'attributaires sur chaque lot et le montant (mini-mum-maximum) pour chaque attributaire.

    Certaines préfectures, ou certaines directions départementales de la concurrence et des prix (services du ministère des Finances, membres de droit de la commission d'appel d'offres), refusent que le nombre d'attributaires pour chaque lot soit supérieur à un. Dans ce cas, il faut en tenir compte, au risque de voir refusée la notification du marché (entraînant l'annulation de toute la procédure).

    On peut alors, si l'on préfère un partage des attributions entre plusieurs fournisseurs, proposer un ensemble de lots plus découpé, plus important en nombre. Cette proposition comportera éventuellement des modalités et critères de jugement des offres différents selon les fournitures attendues, et indiquera si l'on accepte que les fournisseurs soumissionnent pour un ou plusieurs lots, ou même sur la totalité.

    Pour la bibliothèque, ce mode de passation donne, une fois désignés le ou les fournisseurs, la possibilité de mettre en oeuvre une politique d'acquisition d'abord au regard des impératifs de gestion des collections de la bibliothèque.

    En guise de résumé

    Lorsqu'il participe à la rédaction d'un marché, généralement piloté par un service chargé des marchés pour la collectivité, le bibliothécaire doit pouvoir spécifier, pour intégration au règlement de la consultation et au cahier des clauses administratives, comment il envisage de travailler avec son ou ses fournisseurs.

    Ce sera une grosse commande annuelle, ou ce seront une série de « petites commandes » que facilitera grandement un marché à bons de commande. On souhaitera un ou plusieurs fournisseurs, parce que, connaissant le marché, on postule que tel ou tel ne pourra valablement répondre à tous les critères définis dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP, voir infra), et l'on proposera de découper la totalité de la fourniture attendue en « lots » qui doivent avoir une cohérence interne (documents de catégorie semblable) et avoir un sens pour les fournisseurs (une des difficultés est de s'entendre sur les termes : par exemple, les catégories d'ouvrages au sens des statistiques nationales de l'édition correspondent très mal aux catégories de documents vues par les classifications des bibliothèques).

    Il faudra veiller, dans la rédaction des clauses, à ce que les éventuelles catégories définies le soient de façon claire et également compréhensible par tous : si l'on écrit « bandes dessinées », intègre-t-on les BD jeunesse ? Si l'on écrit « albums jeunesse », intègre-t-on les BD jeunesse ?

    Le cahier des clauses administratives générales (CCAG) et le cahier des clauses techniques particulières (CCTP)

    Il est assez rare que le bibliothécaire doive rédiger toutes les parties contractuelles du marché ; les services administratifs s'en chargent le plus souvent, à l'aide de logiciels adaptés. En revanche, il est fondamental que le bibliothécaire participe activement à l'élaboration du marché pour tout ce qui concerne les clauses administratives générales (distinction de lots éventuels, marchés à bons de commande ou non...), car ces clauses sont en relation directe avec l'organisation du circuit des acquisitions.

    Le marché étant rédigé au service de la bibliothèque et de la collectivité, et non l'inverse, il faut que la description des clauses formalisée dans cette procédure soit en totale cohérence avec l'organisation de la bibliothèque.

    Le cahier des clauses administratives générales

    Outre les formulations générales à toutes les procédures, et non spécifiques aux documents de bibliothèque, on aura à se prononcer sur la répartition en lots principalement.

    Découper la totalité de la fourniture en lots présente de nombreux avantages. D'abord éviter de « mettre tous ses oeufs dans le même panier », c'est-à-dire se prémunir contre le risque du fournisseur unique, qui serait une dépendance trop grande et préjudiciable à la fois au bon fonctionnement d'une bibliothèque et certainement à l'équilibre économique de ce fournisseur (3) .

    De plus, on sait parfaitement que tous les fournisseurs, même les meilleurs, ne sont pas excellents dans tous les domaines. Toute bibliothèque qui passe un marché (total acquisition de livres de 450 000 F par exemple, soit quelque 4 000 documents) aura des exigences variées, qu'un fournisseur comprendra mal ou ne pourra satisfaire également.

    Mais surtout, dans l'optique d'un marché de collectivité où seraient regroupés les services des écoles ou collèges, la documentation, les bibliothèques, il est clair que les attentes, les exigences, les types de commande, les rythmes de commande, ne seront pas identiques. Distinguer des lots permettra de personnaliser pour chaque service les attentes et exigences spécifiques du service.

    Dans cette logique, on aura à prédéterminer si le ou les fournisseurs peuvent soumissionner pour un ou plusieurs lots, ou pour la totalité des lots. Il est clair que, si l'on organise un découpage serré (en spécialités...), il serait contradictoire d'autoriser la soumission pour tous les lots !

    Le cahier des clauses techniques particulières

    C'est dans ce cadre que la bibliothèque doit expliciter ses attentes « techniques » quant au fournisseur. En d'autres termes, quels sont les éléments techniques de la fourniture, quels sont les critères de qualité de la fourniture qui feront la différence, et seront donc les critères de jugement des offres ?

    Mieux-disant ou moins-disant ?

    L'une des critiques les plus répandues qui pèsent sur les procédures de marchés est celle-ci : « Oui, de toute façon, les commissions privilégient systématiquement le moins-disant et se préoccupent peu de la qualité de la fourniture. » Il est vrai que le « taux de remise » est, fort logiquement dans tout achat, un élément difficile à éliminer de l'examen de l'offre. La loi autorise maintenant à examiner les offres dans l'optique d'un « mieux-disant » agréant l'idée que le rapport qualité/prix doit être le critère prioritaire d'étude de l'offre.

    Encore faut-il être capable de déterminer de façon objective les critères de cette qualité, sachant que, pour la fourniture de livres ou de documents, le document fourni en fin de parcours sera le même. Les choses se compliquent encore du fait de la loi sur le prix unique du livre, qui fixe un prix public pour tous les livres édités en France et autorise des rabais en direction des collectivités : évidemment, le taux de remise est facilement visible dans une proposition, alors que les qualités de service d'accompagnement ne seront vues (vécues) que par les bibliothécaires... après notification du marché !

    Analyser les critères de qualité de la fourniture attendue

    C'est le travail que le bibliothécaire doit fournir aux élus qui justifiera des clauses techniques et surtout obligera la commission d'appel d'offres (4) à examiner les réponses, y compris les qualités techniques de la prestation, puisque les critères auront été explicités dans le CCTP. Cet examen se fera soit lors de la commission elle-même, soit (et c'est en général le cas s'il y a des critères complexes à analyser) suite à un « rapport d'analyse des offres rédigé par le service et qui éclairera la décision de la commission, en s'appuyant évidemment sur les critères définis au préalable.

    C'est donc une très fine préparation du CCTP, une réflexion sur les critères imposés à tous les soumissionnaires d'appréciation des offres, qui orientera les débats de la commission et les choix des priorités à établir quant aux qualités de la fourniture, mis en regard de son prix pour chaque dossier ouvert.

    Objectiver les critères de la qualité de service

    Un « bon libraire », un « bon disquaire»... pour une bibliothèque, comment les définir? Ou plutôt, comment définir les qualités qui s'attachent à une fourniture de documents satisfaisante pour les besoins de la bibliothèque et de ses utilisateurs ?

    Pour être valables, et opposables, ces critères doivent être mesurables en termes de fiabilité, de régularité, d'anticipation et de connaissance du marché.

    Fiabilité de la fourniture

    Cela concerne tous les éléments qui font que les documents fournis seront conformes exactement à la commande : le libraire doit s'engager à vérifier la livraison par rapport aux indications de la commande (vérification de l'éditeur, de l'édition, de la collection...).

    Régularité de la fourniture

    Cela concerne les délais de livraison par rapport à la commande. Ces délais peuvent être, selon les CCTP, contractualisés. Donnée objective : quel délai de livraison pour tel ou tel type de commande ? Évidemment, on ne demandera pas le même délai pour des ouvrages étrangers et pour les sorties « best-sellers de la semaine !

    Cette régularité s'applique aux délais, mais on peut l'étendre au suivi d'ouvrages en séries, au suivi des réimpressions...

    Connaissance du marché

    La connaissance du marché, et de l'édition, doit permettre au bibliothécaire de compter sur son fournisseur comme sur une source bibliographique, en particulier pour l'édition spécialisée. Le CCTP peut demander une information systématique sur les à à paraître », le suivi des programmes scolaires ou universitaires... : cela ne dépasse pas la compétence du librarie, défini comme l'intermédiaire naturel et spécialisé des éditeurs vers leurs clients.

    En ce sens, toutes informations complémentaires sur l'état de l'édition, affiches, annonces, catalogues, seront éventuellement valorisées comme un plus associé à la fourniture.

    Dans cet ordre d'idées, la bibliothèque peut demander un « office (5) », disons plutôt une « proposition sans engagement d'achat » de documents sur un profil établi par la bibliothèque. Là aussi, c'est l'adéquation entre le profil et la proposition du soumissionnaire (un exemple peut être demandé pour juger de la qualité des offres en commission) qui sera le critère apprécié.

    D'autres prestations peuvent être souhaitées, selon les modalités de travail de la bibliothèque. Si, dans le quotidien, le délai de mise en circulation des documents est un impératif, on précisera les délais de mise à disposition de l'office, la régularité... On souhaitera une information prioritaire sur les souscriptions annoncées par les éditeurs dans tel ou tel domaine, sur leurs prévisions de mises en vente (catalogue des à paraître)...

    Modalités de livraison -prix de la fourniture

    On peut avoir des exigences sur les modalités de la facturation, par exemple : factures groupées dans des délais réguliers, factures systématiquement " dans le colis », livraison dès que x % de la commande est disponible ou livraison en une seule fois... Bien sûr, on ne devra pas omettre de faire préciser le prix de la vente, calculé par rapport au prix public imprimé pour les ouvrages français, et les prix pratiqués sur échantillon pour les ouvrages étrangers.

    Cette somme d'exigences n'est en aucun cas limitative, elle vise seulement à montrer différentes approches de la demande qui, toutes, seront mesurables. Les critères peuvent d'ailleurs être classés par ordre d'importance, affectés pourquoi pas de coefficients (c'est assez difficile à faire). Mais, dans tous les cas, on verra très vite, en les présentant dans un tableau récapitulatif, que peu de libraires pourront répondre à tous les critères parfaitement : la combinaison des meilleures réponses, les plus pertinentes, au regard des spécifications pour chaque lot par exemple, donnera le rapport d'analyse objectif et déterminera les « mieux-disants (6) ».

    Pour des marchés de montants élevés (grandes villes et nombre de bibliothèques départementales), il sera loisible de partager le même lot entre plusieurs fournisseurs, pour autant qu'il apparaît à la lecture de leurs offres qu'ils remplissent la majorité des critères de qualité imposés. On poura alors considérer que deux ou plusieurs fournisseurs proposent une qualité de service et un rapport qualité/ prix similaires, et sont choisis comme attributaires du marché.

    Des précautions à prendre

    Évidemment, les fournisseurs ont tendance à promettre de remplir les exigences de qualité de fourniture précisées. Pour s'en assurer, sur la durée, le bibliothécaire peut introduire dans les clauses du marché une possibilité de commande chez un autre fournisseur si jamais un ou plusieurs engagements n'étaient pas tenus : on peut par exemple écrire que, si telle clause n'était pas appliquée x fois sans explication, la collectivité se réserve le droit de changer de fournisseur.

    Une telle procédure reste exceptionnelle, mais il est de toute façon utile de la faire figurer au marché, que l'on ait choisi un seul fournisseur (cela permet de se procurer les documents même si l'attributaire fait trop défaut) ou plusieurs (dans ce cas, on peut « délaisser » légalement un fournisseur).

    Les critères qu'il vaudra mieux éviter

    Comme je le rappelais en début d'article, la procédure des marchés publics est une mise en concurrence nationale ou même européenne. Cela implique que le critère de localisation de l'entreprise soumissionnaire ne peut en aucun cas être discriminatoire. Écrire que le fournisseur doit être à moins de n kilomètres de la ville ne sera pas admis par un contrôle de légalité minimal.

    Puisque l'objet du marché est « la fourniture ", ce sont uniquement les qualités et quantités, la pertinence de cette fourniture qui seront jugées, et en aucun cas les conditions de son stockage ou de son acheminement...

    Le critère classique aller voir les livres en librairie proche de la bibliothèque ne peut caractériser la fourniture, puisqu'il est alors demandé de voir » des objets qui ne feront pas nécessairement partie de la fourniture commandée ! Cette prestation n'entre pas dans le cadre du marché défini.

    De même, j'en ai déjà parlé, les animations d'accompagnement peuvent être jugées irégulières par rapport à un marché de fournitures.

    Conclusion

    Au terme de ces réflexions, et bien que j'aie tenté de simplifier à l'extrême, le lecteur pourra trouver que tout cela est bien compliqué, qu'il serait tellement plus simple de laisser les bibliothécaires choisir leurs fournisseurs selon leur connaissance du terrain.

    Oui, certainement, encore que... N'oublions pas que les bibliothécaires agissent dans le cadre de réglementations publiques, qu'ils manient des fonds publics, et que les lois ne sont pas faites seulement pour eux. N'oublions pas non plus que, si les bibliothécaires pouvaient choisir tout seuls, d'autres pourraient le faire aussi (élus, fonctionnaires, notabilités diverses...) et que des pressions en tous sens ne manqueraient pas de se faire jour !

    Aux bibliothécaires, par la connaissance de leurs besoins et des textes réglementaires, d'être assez efficaces pour faire passer les critères de qualité de service comme prioritaires auprès de leurs élus. Dans nombre de villes ou de départements, les collectivités sont engagées dans des procédures appelées chartes de qualité du service public » : c'est l'occasion ou jamais de s'en saisir, pour le plus grand bien des usagers du service public des bibliothèques !

    1. Selon la loi, seuls le maire, ses adjoints délégués dans leur domaine explicite de délégation, le directeur général des services et les directeurs généraux adjoints, éventuellement, ont compétence pour signer des bons de commande... Les problèmes de certains collègues dans des villes nous l'ont rappelé avec force ! La bibliothèque ne sera donc en position de négocier un marché que si elle est établissement public autonome (cas inexistant actuellement dans les collectivités territoriales). retour au texte

    2. Existent également le cas des « prestations intellectuelles », qui concernent en particulier les marchés d'étude et de conception (logicielle par exemple), et les marchés de travaux (les plus importants au niveau financier). retour au texte

    3. J'ai très volontairement éliminé d'emblée la procédure dite d'« adjudication », qui consiste justement à déléguer la totalité du sevice à une société unique pour toute la durée du marché. Totalement inadaptée aux marchés concernant les fournitures de bibliothèque, vu la spécificité du marché du livre, elle est à proscrire absolument. retour au texte

    4. La commission d'appel d'offres est unique dans une collectivité donnée, désignée en conseil au début de la mandature. Elle se compose d'élus, sous la présidence du maire ou d'un adjoint délégué, mais rien n'oblige à ce que l'élu aux affaires culturelles en soit membre, et donc soit systématiquement consulté pour les marchés concernant son secteur. En revanche, le texte de l'appel d'offres est soumis au conseil municipal (ou à l'assemblée délibérante de la collectivité) et préalablement donc aux commissions sectorielles : l'élu peut, doit en prendre connaissance. Au bibliothécaire revient la responsabilité de prendre les devants lors de la passation de l'appel d'offres, de faire des propositions argumentées ; les élus locaux y sont rarement insensibles... retour au texte

    5. Attention : office désignant autre chose dans les relations libraire-éditeur, il vaut mieux éviter d'utiliser ce mot dans un CCTP, cela pourrait porter à confusion. retour au texte

    6. Les lecteurs reconnaîtront là des éléments présents dans le document de l'Arald cité en bibliographie : l'auteur de ces lignes a participé en 1997 au groupe de travail qui a abouti à la rédaction du Code des bons usages... retour au texte