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    Le choix de la répartition thématique

    Les responsabilités d'acquisition

    Par Jean-François Jacques, Conservateur en chef Médiathèque d'Issy-les-Moulineaux

    Chaque acquisition doit répondre à une triple nécessité : être efficace eu égard au public auquel elle s'adresse ou qu'elle vise à attirer, à retenir et à satisfaire ; être correcte intrinsèquement (qualité du contenu, indépendamment de ses usages) ; être juste par rapport au fonds du secteur dans lequel elle va trouver sa place (actualité, équilibre, visibilité de la nouveauté...). Cette multiplicité de critères - connue de tous, mais qu'il est nécessaire de rappeler - est d'autant plus difficile à coordonner, pour un même domaine intellectuel, que plusieurs personnes interviennent éventuellement sur ce fonds.

    L'organisation des acquisitions et du traitement des documents dans une section se fait dans la connaissance des besoins et des demandes du public, et donc avec ou par ceux qui, chargés de l'accueil et du renseignement, sont à l'écoute des usagers. Les «acheteurs " doivent maîtriser cette analyse.

    Les outils d'analyse à disposition du bibliothécaire chargé de ce travail résident d'une part dans l'appréciation qu'il peut porter sur la demande, quand elle émane d'un usager : s'agit-il d'un usager fidèle ou passager, résidant ou non de la commune, sûr de sa demande ou utilisateur de bibliographies de hasard, voire militant d'une cause, d'un genre, d'un auteur ? Cette analyse peut être commune, et elle ne nécessite pas forcément que l'on soit spécialiste du domaine. Mais les outils intellectuels de l'acheteur résident d'autre part dans la connaissance qu'il a du domaine traité. Il doit en effet rapporter chaque demande, chaque question, à l'ensemble plus vaste des grandes notions, des grands auteurs, de l'histoire ou de l'actualité de ce domaine.

    L'acheteur devra ensuite rattacher ce besoin à l'état du marché du document dans le domaine considéré. Pour être efficace, il devra aller rapidement vers les libraires, les diffuseurs, les éditeurs, les collections les plus sûrs.

    Il devra enfin être à même d'opérer en permanence une analyse du fonds dont il s'occupe, surtout si on observe une certaine « rotation » des personnes. Il devra défendre son secteur, dans l'élaboration des politiques d'acquisition et la répartition des budgets, avec un argumentaire construit autour de cette connaissance et pas seulement autour de chiffres bruts (x % de renouvellement par exemple).

    La répartition thématique du travail d'une section entre les agents qui la composent s'impose donc. Un assistant (ou assistant qualifié ou bibliothécaire...) va avoir la responsabilité du fonds littérature, un autre du fonds langues (classe 400 plus littératures en langues d'origine), etc. La répartition peut se faire grosso modo selon la Dewey, mais d'autres regroupements sont possibles, selon le nombre d'acheteurs, les connaissances personnelles, les critères de répartition et de cohérence des fonds.

    La spécialisation fait partie du profil de poste : ainsi, il est cohérent de recruter, pour s'occuper des langues, un (e) professionnel (le) possédant un Deug ou une licence LEA, ou ayant fait de la linguistique ; pour le secteur scientifique, une personne titulaire d'un Deug B ou d'une licence de biologie ; pour le « centre d'information sur le monde de l'entreprise (Infocime), fonds emploi-économie-gestion ", un bibliothécaire ayant une expérience de plusieurs années de librairie dans ces domaines, etc.

    Ces critères de recrutement permettent de motiver sérieusement le ou la candidate, qui verra sa formation de spécialité reconnue alors même que les statuts la nient. La formation universitaire constitue un ancrage non négligeable dans la difficile opération de recrutement. Elle permet aussi de mieux apprécier et intégrer les éléments de complémentarité recherchés au sein d'une équipe.

    Bien sûr, ces compétences ne s'apprécient pas uniquement à travers des critères universitaires. Des éléments contrôlables de culture et de goût personnel, ou d'expérience acquise dans l'exercice de la profession, jouent autant. Il faut savoir les déceler, par exemple au cours des entretiens préalables aux recrutements. Il faut aussi que les impétrants sachent les mettre en valeur dans leurs CV.

    Les statistiques de prêts et de fonds étant toujours produites selon la Dewey, on peut alors envisager leur utilisation pour la vérification de la validité et de l'efficacité de la répartition du budget, calculée en nombre de livres acquis et en montant global annuel, lié au coût moyen des documents de la classe ou du domaine considérés. Chaque « acheteur » connaît donc dès le début de l'année son budget et son volume d'acquisition - d'autant mieux qu'il a participé à son élaboration au sein de son secteur ou de l'équipement, ayant pu, si les statistiques le permettent, mesurer les résultats de son action ou proposer une action nouvelle au vu de statistiques médiocres, ou plus simplement après analyse des carences du fonds, des retards de sous-secteurs particuliers.

    Il est ainsi possible d'établir un plan, sur plusieurs années, de remise à niveau de secteurs successifs. Cela peut d'ailleurs aller jusqu'au développement important et volontariste de tel ou tel secteur, au-delà de la qualité et de la quantité atteintes pour d'autres. Les aides du CNL y poussent, et cela peut aussi constituer un facteur de motivation pour un acheteur que de se voir confier à la fois la préparation du dossier de demande de subvention et son exécution. En quelques années, tout le monde aura eu sa subvention, pourvu que les critères du CNL restent suffisamment larges !

    Cette méthode peut aussi être assez efficace dans la défense du budget auprès des élus, puisqu'elle permet d'isoler et de rendre visible le besoin dans tel ou tel domaine, qui va justifier une croissance.

    Cette répartition du travail ne va pas sans inconvénients. Il y a tout d'abord une relative contradiction entre la polyvalence demandée aux agents en service public (savoir orienter l'usager quelle que soit sa demande) et leur spécialisation dans les acquisitions. Elle peut parfois dérouter l'usager exigeant, qui prend vite l'habitude de ne vouloir s'adresser qu'à la personne la plus compétente. Cela peut s'avérer à la fois difficile à gérer pour les agents en poste en l'absence du « spécialiste » et valorisant pour ledit spécialiste.

    Cette organisation pourrait aussi être un facteur d'immobilisme, par rapport à des solutions " tournantes ». L'expérience montre cependant que la vie quotidienne, les rotations lentes mais spontanées venant de la mobilité des agents, les connaissances acquises en cours d'emploi contrecarrent cette tendance.

    Un autre inconvénient est statutaire. On objectera que le bac seul est exigible pour les assistants, et le bac plus diplôme professionnel pour les assistants qualifiés. Mais nous savons tous qu'une très grande majorité des candidats reçus aux concours ont plus que ces diplômes. Je pense pour ma part que le niveau de recrutement de base pour un (e) profession-nel (le) chargé (e) des acquisitions est assistant qualifié avec un niveau bac + 2 dans une spécialité, plus une année ou deux de professionnalisation (DUT...). C'est bien sûr bac + 3 ou 4, mais l'argument de la spécialisation peut aussi permettre de défendre auprès de la collectivité une requalification des postes à l'occasion des recrutements.

    Positivement, cette spécialisation est rapidement reconnue du public, qui va apprécier de pouvoir dialoguer avec la personne même qui traite le fonds qui l'intéresse. L'acheteur pouvant approfondir sa connaissance de l'édition, des libraires spécialisés dans son domaine, lire et dépouiller de préférence les périodiques qui lui sont liés, la qualité des acquisitions et du fonds devient plus rapidement visible, plus pointue. Le lecteur le décèle rapidement. Les réponses - publiques - apportées au cahier de suggestions en témoignent.

    Le travail de mise en valeur et d'animation du fonds en est facilité. Chaque acheteur est ainsi reconnu comme spécialiste, aussi bien par le reste de l'équipe que par les partenaires extérieurs avec lesquels il pourra traiter : conférenciers, documentalistes spécialisés, universitaires, etc. Il sera ainsi à la fois plus motivé et plus compétent pour proposer, initier et mener des actions d'animation, de mise en valeur des fonds, de réponses à des propositions de partenariat de la part du " tissu social

    Dans l'organisation de l'équipe enfin, le management en est facilité. On n'attend plus de chacun qu'il se conforme à un modèle plus ou moins égalitariste de bon « technicien des bibliothèques » : la formation individuelle et les goûts de chacun étant reconnus de tous, les différences et les personnalités sont mieux acceptées. C'est la cohérence dans la diversité qui fait une équipe dynamique, la motivation venant non de l'homogénéité mais de la complémentarité.