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    Les artothèques

    Des collections à vocation pédagogique

    Par FRANÇOISE LONARDONI, chargée des collections graphiques contemporaines, bibliothèque municipale de Lyon

    Brève histoire des artothèques

    Les artothèques, dans l'acception actuelle du terme (1) , font leur apparition aux Pays-Bas dans les années 1960. La première à ouvrir ses portes en France fut celle de Grenoble, en 1968, située dans la Maison de la Culture. La date, le concept et la situation institutionnelle de cette nouvelle structure sont emblématiques d'une idéologie et d'une époque. L'utopie de répandre et démocratiser la culture s'appuie ici sur une pratique en contradiction forte avec la tradition de conservation des musées et, dans une mesure moindre, des bibliothèques. Les musées de 1792, réglementés en 1945, puis théorisés par André Malraux, préconisent notamment la transmission des témoins de l'activité humaine, et entendent offrir la « délectation « au plus grand nombre. Cette question, complexe, de l'appréciation sera approfondie au cours de cet exposé, à travers le prisme particulier du prêt d'oeuvres d'art.

    Description technique a minima des collections d'artothèques

    Prêter des oeuvres d'art originales comporte des risques patrimoniaux et économiques. C'est vraisemblablement ce qui a conduit la plupart des artothèques aux collections de multiples : photographies et estampes tout d'abord, élargies aux oeuvres sur papier dans certains cas, et plus rarement à la sculpture. L'art est traversé par les mutations technologiques des dernières décennies, et les collections prêtables peuvent s'en faire les témoins, ces nouveaux supports comportant de manière intrinsèque les notions de reproduction et de diffusion : vidéos d'artistes, cédéroms oeuvres d'art, tirages numériques sont entrés en force dans les collections d'artothèques, et ont été particulièrement favorisés dans les bibliothèques où le traitement des supports multimédias est devenu routinier depuis bien longtemps.

    Période couverte par les collections

    Il apparaît impossible de dissocier les critères constitutifs de ces collections (oeuvres multiples, originales, contemporaines) des présupposés éducatifs qui forment le fondement de l'artothèque. Le souhait de diffuser l'art sans distinction de classe sociale revient à faire le constat de l'imperméabilité entre l'art et « le peuple ,.

    Les artothèques ont pour vocation, affirmée ou implicite, de réduire cet écart, et d'élargir le public. L'art contemporain en est le support pertinent, car méconnu et massivement rejeté.

    Tout aussi important est l'argument économique, qui est finalement ratta-chable à un principe cognitif élémentaire. Une reproduction perd les qualités plastiques essentielles à l'oeuvre d'art : couleur, format, support, matière. Comme il est impossible financièrement de proposer au public des oeuvres originales antérieures aux années 1950, les artothèques vont se tourner naturellement vers la jeune création. Elles rempliront un rôle efficace de soutien aux jeunes artistes par des achats, expositions, et toutes actions de sensibilisation à leur travail.

    Typologie des rejets selon Nathalie Heinich et leçons propres à l'artothèque

    Nous reprenons ici quelques thèmes de « l'art contemporain exposé aux rejets (2) », pour ce qu'ils ont de particulièrement éloquent au regard du travail mené par les artothèques.

    Le premier rejet sera dans une disqualification par l'absence de beauté : « c'est moche ,. À ce jugement esthétique se substitue parfois une description subjective des effets produits par l'oeuvre (« ça ne me touche pas »). C'est, selon Nathalie Heinich, un sentiment d'incompétence chez le sujet, qui s'estime insuffisamment qualifié pour produire une évaluation de l'oeuvre.

    L'indignation sera volontiers proclamée lorsqu'elle touche à des valeurs universelles : morale, justice, intérêt national, ou sort des limites traditionnellement assignées à l'art : pré-définition de ce qu'« est « une peinture, une sculpture.

    Lorsque la situation s'y prête, il s'ensuit une demande d'explication. Et c'est bien sur le terrain de la médiation que les professionnels de la culture font peser leurs efforts depuis presque deux décennies. On aperçoit ici l'interstice particulier dans lequel l'artothèque va se glisser : par la fonctionnalité matérielle de l'emprunt, un accueil personnalisé pourra exister, et un dialogue devant l'oeuvre sera plus nécessaire en raison du choix que la personne doit opérer dans la collection.

    En outre, pour l'art contemporain, le message à délivrer au public non averti est sûrement plus complexe qu'un simple éveil d'intérêt : c'est du déplacement de la question esthétique à la question du sens, opéré dans l'art à partir des années 1960, qu'il s'agit de parler.

    Il faut insister ici sur la nécessaire implication des acteurs qui dialoguent avec le public, dans les artothèques ou ailleurs : les choix qui président à une acquisition d'oeuvre d'art mobilisent tous les registres que le public en rejet convoque : esthétique, économique, éthique, herméneutique.

    La connaissance de ces mécanismes de rejet est fondamentale pour l'élaboration d'une stratégie de médiation. Elle doit aussi situer avec justesse l'écart des niveaux de référence entre le professionnel et le profane. Peut-être plus qu'une autre structure, l'artothèque peut offrir une possibilité d'acquisition du savoir par l'offre documentaire et l'échange verbal devant l'oeuvre d'art.

    Réception de l'oeuvre d'art : de l'intérêt d'emprunter

    Si l'on déplore qu'aucune étude appliquée au dispositif des artothèques n'ait encore été menée, nous pourrons synthétiser ici la communication de Jean-Christophe Vilatte (3) portant sur le rôle de la familiarisation dans la préférence.

    La question du temps passé à regarder l'oeuvre d'art est-elle un facteur pour sa perception, voire sa compréhension ? jean-Christophe Vilatte reprend les trois états du plaisir esthétique selon Goethe pour établir un lien entre la durée du contact avec l'oeuvre et l'amélioration de la perception : l'émerveillement, état premier, provoque un déséquilibre intérieur. En poursuivant l'observation, Goethe passe à l'état de contemplation, pour, en approfondissant encore, arriver à l'étape ultime souhaitable : celle du jugement.

    La durée du contact semble donc être un facteur d'approfondissement. J.-C. Vilatte cite ensuite des études ne portant pas sur des oeuvres d'art mais qui vont établir que la reconnaissance de schémas familiers, mémorisés, va amener plus de plaisir. Le phénomène serait lié à la réduction de l'incertitude et de l'inconnu. À travers trois méthodes différentes - la répétition de stimuli visuels, la conjugaison stimulus-discours, et l'étude d'individus ayant ou n'ayant pas du tout l'expérience pratique de la peinture -, il est pressenti que la répétition augmenterait dans certains cas positivement l'appréciation, que l'adjonction de discours au stimulus visuel modifierait la perception et le jugement, et enfin que les profanes deviendraient rapidement performants du point de vue perceptif et cognitif si on leur donnait accès au langage de l'art pictural. Baume au coeur des médiateurs et pédagogues !

    Ces résultats sont nuancés par d'autres études expérimentales, qui montrent que le discours accompagnant la présentation visuelle n'augmente les performances que pour une durée limitée dans le temps. En outre, le dispositif « répétition-préférence » est combattu par un principe qui se substitue à lui : celui de l'habituation, phénomène de sélection qui nous donne la possibilité de ne pas réagir aux événements répétitifs et anodins.

    Ces quelques résultats n'ont donc aucun pouvoir de prédiction, et les études à mettre en oeuvre devront bien sûr s'appuyer sur des oeuvres d'art d'une part, et sur la modalité particulière de l'artothèque d'autre part.

    1. On sait en effet que dès les années 1920, une artothèque fonctionnait à Berlin, sur la volonté d'un petit groupe d'artistes qui diffusaient ainsi leurs oeuvres et l'art de leur temps. Les critères (informels ou implicites) utilisés aujourd'hui pour définir une artothèque publique n'étaient pas remplis alors. retour au texte

    2. Nathalie Heinich, L'art contemporain exposé aux rejets: études de cas, Jacqueline Chambon, Nîmes, 1998. retour au texte

    3. Jean-Christophe Vilatte, Familiarité et préférence: bilan de recherches en psychologie et perspectives, Université de Nancy 2, in : Actes du colloque de Caen, à paraître en 2001, Les artothèques : des outils novateurs au service de l'art et de ses publics », Association pour le Développement et la Recherche sur les Artothèques, et ministère de la culture, Délégation aux Arts Plastiques - octobre 2000. retour au texte