Par leurs fonds patrimoniaux inscrits dans l'histoire de l'établissement, par une volonté affirmée de développer une collection attentive au patrimoine contemporain dans les livres, les bibliothèques ont, pour des raisons initiales diverses, mais avec des préoccupations souvent similaires, témoigné, ces dernières années, d'une réelle attention pour des livres que nous qualifierons, pour simplifier d'emblée, de « livres d'artistes ».
Nous prendrons en compte, particulièrement, le travail effectué par les bibliothèques publiques, non spécialisées, les bibliothèques municipales des villes de toutes tailles qui ont consacré des compétences, des crédits, des espaces et du temps à ces livres singuliers.
Les bibliothèques municipales ouvrent leurs portes à un public vaste et le plus divers possible. Elles ont pour vocation de répondre aux attentes et aux exigences de ce public dans les domaines les plus divers de la culture, de la documentation, de l'information et des loisirs.
L'avantage de l'offre de bibliothèques aussi largement ouvertes à tous est évident : liberté et autonomie d'accès, diversité, variété et transversalité de l'offre, publics tout aussi divers selon les âges, les compétences et les centres d'intérêt, larges plages d'ouverture au public, nombreux champs de proposition et de prospection dans le domaine de l'édition, attention portée à tous les aspects de la création contemporaine autour de l'écrit, de l'image et des musiques.
Le libre accès favorise le butinage permettant toutes sortes de découvertes, d'initiatives et d'initiations : curiosité, flânerie, tentations et tentatives, essais et prospections... Ce sont les principes de l'offre des bibliothèques.
Les usagers des bibliothèques municipales les fréquentent de façon autonome, avec curiosité, en se laissant aussi guider par les propositions des bibliothécaires.
Autre avantage, lieu d'accès à la culture gratuit, les bibliothèques ne sélectionnent pas leurs usagers, elles ne posent pas de préalables à leur venue dans leurs locaux, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'expositions, de manifestations, de rendez-vous exceptionnels autour de certains aspects des collections : cette offre est toujours sans condition.
C'est donc un accès simple, ouvert, libre et aisé à la création contemporaine, que les bibliothèques proposent et affirment.
Ni galeries, ni musées, ni centres d'art, les bibliothèques prennent en compte leurs publics, dans le cadre des missions de service public qui leur sont dévolues.
Et, dans le domaine du livre d'artiste, les compétences des bibliothèques à démocratiser l'accès à la création sont sensibles et réelles.
Aujourd'hui, les collections de livres d'artistes existent et se développent, trouvent un public, des lecteurs, des spectateurs, étonnés de découvrir des pans entiers de l'édition contemporaine qu'ils ignoraient jusqu'à présent, car proposés dans des lieux qu'ils ne fréquentent pas : des galeries, des centres d'art, certaines librairies spécialisées, particulièrement regroupées en région parisienne, quelques rares manifestations.
Ces compétences voient leur intérêt renforcé par la complémentarité et la transversalité des collections et des supports : l'édition contemporaine de bibliophilie prend encore plus de sens si elle s'inscrit au milieu des films, des disques, des livres en édition courante, des revues, des cédéroms proposés par la bibliothèque.
Une collection de livres d'artistes qui se développe et affirme son existence dans une bibliothèque est valorisée aisément, visible, proche des usagers et de leurs pratiques du lieu.
Elle doit cependant respecter des conditions précises de protection et de conservation, de communication et de présentation au public.
Elle porte attention aux textes contemporains, à la poésie, aux petites structures éditoriales, aux revues littéraires et de poésie, à l'art et à la création de notre époque, aux vidéos d'artistes, aux sites Internet d'artistes, à tout ce foisonnement d'initiatives qui ponctuent l'offre actuelle des artistes et des créateurs quels que soient leurs modes d'expression.
Les éléments communiqués ci-après proviennent de l'enquête entreprise par Marie-Françoise Quignard lors de l'élaboration de la base Volart - base informatique destinée à recenser, décrire et localiser les collections de livres d'artiste constituées par les bibliothèques françaises -.
Cette enquête a été envoyée à 1 100 bibliothèques, municipales et spécialisées, relevant aussi d'écoles et de centres d'art...
L'enquête demandait si l'établissement était concerné par ce recensement et s'il souhaitait y participer. 318 réponses ont été reçues, dont 187 favorables et 116 disant que l'établissement n'était pas concerné. Les refus de participation exprimés sont au nombre de 15.
Parmi les établissements concernés, on compte : 72 bibliothèques municipales, 4 bibliothèques de grands établissements, 2 bibliothèques universitaires, 8 bibliothèques de FRAC, 21 bibliothèques de musées, 7 bibliothèques d'écoles d'art.
Parmi ces établissements, le plus grand nombre sont les bibliothèques des grandes villes françaises : Lyon, Marseille, Grenoble, Nice, Quimper, Montpellier, Rouen, Amiens, Le Havre, Lille..., mais on découvre, dans cet inventaire de lieux, des villes de taille et d'importance bien moins considérables : Yzeure, Brie-sur-Marne, Lanester, Saint-Junien, Riom, Bagnolssur-Cèze, Wasquehal..., nombreuses petites et moyennes communes.
Les collections relèvent rarement d'une gestion spécifique. Elles sont aussi rarement sous la responsabilité précise d'un professionnel qui se consacrerait à ce fonds.
On trouve dans ces fonds peu de livres étrangers, sinon lorsque l'on parle de livres d'artistes dans le sens strict du terme (définition de Anne Moeglin-Delcroix).
Les bibliothèques des FRAC et des écoles d'art semblent réellement plus attentives aux artistes contemporains et aux artistes étrangers.
60 % des établissements déclarent posséder en très petit nombre des exemplaires présentant des particularités, une histoire personnalisée : dédicace, mention marginale, ex-libris...
40 % des établissement commandent des reliures d'art pour certains de leurs ouvrages (Riom, Montpellier...).
La plupart des établissements procèdent aux acquisitions directement auprès des créateurs des livres : éditeurs, artistes...
17 bibliothèques municipales bénéficient du dépôt légal imprimeur.
La moitié des établissements communiquent leurs fonds pour une consultation sur place.
1 seul établissement propose de prêter une partie de ses collections (Roubaix).
28 % des établissements communiquent une partie seulement de leur collection.
18 % ne communiquent pas du tout leur fonds.
Quelques bibliothèques programment régulièrement des actions de valorisation à partir de manifestations allant au-delà de la simple exposition de certains livres.
42 % seulement des établissements ont catalogué leur collection.
38 % l'ont fait en partie seulement.
Et sur l'ensemble de ces établissements, 47 % des catalogues sont informatisés.
13 % des établissements ont élaboré un catalogue spécifique pour ce fonds.
Concernant la date de création du fonds, 91 établissements ont répondu :
Les bibliothèques développent le plus souvent ces fonds à partir d'une histoire locale spécifique et originale : les collections s'inscrivent majoritairement dans un territoire local, à partir d'un auteur, d'un créateur, d'un éditeur de la région, de la ville (Charleville-Mézières par exemple pour le fonds Rimbaud).
Certains achats s'inscrivent, d'évidence, dans l'histoire patrimoniale des établissements.
Les achats sont plus difficiles à repérer et recenser quand ils sont le fait d'établissements moins ancrés dans une démarche patrimoniale.
Face aux multiples réalités des bibliothèques, la complexité du repérage des fonds est aussi accrue par la multiplicité des aspects de la bibliophilie contemporaine : comment distinguer livres illustrés, livres de peintres, livres à frontispice, livres d'artistes, livres d'artiste...
Complexité d'ailleurs rencontrée par le questionnaire pour la base Volart quant à la détermination des types de livres concernés par l'inventaire.
Par conséquent, le champ d'édition et de création couvert est délicat à cerner.
Les informations provenant des bibliothèques quant à la constitution des collections sont parcellaires, incomplètes, parfois inexistantes. C'est là aussi que le projet de base Volart prend tout son intérêt.
Il apparaît que les acquisitions des bibliothèques ne couvrent pas la totalité de l'offre éditoriale en bibliophilie contemporaine. Par exemple, très peu de bibliothèques achètent des livres conçus par les grands éditeurs historiques de ce domaine. Très peu de bibliothèques procèdent à des achats rétrospectifs. La plus grande partie des établissements effectuent leurs achats auprès d'éditeurs ou de courtiers qui proposent des expériences de livres intéressantes mais pas toujours essentielles, tant du point de vue de l'histoire que de la création.
On peut déplorer le manque de coordination nationale et l'absence de politiques raisonnées et collectives dans les différentes régions.
Mais on peut aussi déplorer l'absence de mesures incitatives raisonnées. De ce fait, les expériences nombreuses et passionnées des bibliothèques s'élaborent sans coordination, sans partages ni échanges, sans informations centralisées et dans l'absence de critères et priorités d'acquisitions repérés en commun.
L'ensemble des achats des bibliothèques semblerait se centrer sur quelques éditeurs plus présents ou représentés que d'autres, et sans la solidité historique qu'apporte une collection inscrite dans l'histoire du livre. L'incidence de ces données montre que les collections sont souvent uniformes, avec des redondances présentant peu d'intérêt à être aussi souvent réitérées.
À ce contexte, il faut ajouter le manque d'information bibliographique et les difficultés rencontrées par les bibliothécaires, particulièrement en région, pour trouver les fournisseurs - libraires spécialisées -, éditeurs, pour visiter les manifestations, recevoir les catalogues, bref, se former et s'informer.
La réflexion et les éléments apportés par les bibliothèques tendent à faire apparaître la création d'un fonds patrimonial comme une démarche révélant le souhait, plus ou moins clairement revendiqué, de donner à la bibliothèque qui n'a pas une histoire patrimoniale, une image plus forte, plus pérenne. Démarche finalement très révélatrice de la fragilité d'existence de certains établissements, à la recherche, à travers certaines de leurs initiatives, d'une validation, d'une crédibilisation de leurs missions.
Il est vrai que la plupart des élus de petites, moyennes ou grandes collectivités sont toujours extrêmement sensibles aux missions patrimoniales des établissements culturels.
Cependant, après une période très riche en initiatives de la part des bibliothèques municipales, des créations de collections, des manifestations et des rencontres dans ce domaine d'édition, on note, de façon générale, un ralentissement des initiatives, un ralentissement des achats et, apparemment, un moins fort intérêt des bibliothèques pour les livres d'artistes :
Il est important de souligner que les plus importantes préoccupations ne sont pas là mais au niveau de l'offre de livres : l'évolution de l'édition ces toutes dernières années, atteste de la disparition des prises de risques par les éditeurs, les créateurs de livres.
Il est devenu rare de voir « naître des livres importants et pouvant revendiquer une place dans l'histoire du livre illustré français.
On peut repérer à l'heure actuelle encore quelques grands éditeurs mais leur nombre diminue et la relève ne semble pas assurée.
Quoi qu'il en soit, aucun éditeur actuellement n'a un catalogue portant une ambition aussi exigeante et forte que les catalogues si justement remarquables et célèbres de Maeght, Tériade, Skira, Iliazd...
Les initiatives éditoriales actuelles nous donnent trop souvent à voir des feuillets assemblés, au texte manuscrit - pour de simples raisons de coût, de facilité - et illustrés de façon approximative par un artiste qui pense que le marché du livre d'artiste sera sans doute plus porteur que le marché de l'art... et que les bibliothèques sont d'éventuels bons clients à ne pas négliger...
Et le problème, de façon encore plus générale, est un problème aussi du marché de l'art avec une concentration, dans les domaines artistiques, des achats par les institutions, et, par conséquent, une réelle hégémonie de ces institutions.
Or, des livres rares achetés par des institutions ne trouvent pas le public autrefois très présent des collectionneurs particuliers, des bibliophiles, du privé.
Sachant que c'est ce marché privé qui permet de donner une histoire aux livres rares. de fixer leur cote, c'est ce marché qui assure l'avenir des livres rares car. par la reconnaissance et la valeur donnée aux livres, il en suscite le désir... donc la vie !
Même si nous, les bibliothécaires, vivons notre relation à ces propositions d'éditions de façon passionnée et curieuse, nous devons connaître ces données et faire en sorte que l'institution, les institutions que nous représentons ne mettent pas en péril l'existence même de ces ouvrages et l'avenir de cette activité éditoriale.
Nous devons avoir le même souci quant au dépôt légal qu'il est indispensable d'effectuer. Là encore, c'est l'avenir de la conservation, donc de la pérennisation de cette activité éditoriale et de sa communication future qui sont en question.
Les bibliothèques sont donc au coeur du dispositif favorisant un accès démocratique à la culture sous toutes ses formes, à l'art et à la création contemporaine.
On sait que, pour favoriser l'accès d'un individu à la maîtrise d'un domaine de connaissance, trois critères doivent être satisfaits :
Avec leurs collections quotidiennes. leurs personnels et leurs modes de fonctionnement, les bibliothèques, plus que tous les autres lieux culturels, sont douées pour satisfaire pleinement ces conditions.