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    Documenter l'art contemporain

    Pratiques actuelles

    Par MONIQUE NICOL, Documentaliste de l'Institut d'art contemporain de Villeurbanne. Présidente de la sous-section Art de l'Abf.

    CET EXPOSÉ PORTERA SUR LES ACTIVITÉS DOCUMENTAIRES DES STRUCTURES DE DIFFUSION DE L'ART CONTEMPORAIN, c'est-à-dire les musées d'art contemporain, les centres d'art, les Frac (Fonds régionaux d'art contemporain) et les artothèques, auxquels ont été adjoints les établissements de formation que sont les écoles d'art. Il échoit à toutes ces institutions et elles assument de fait, si ce n'est pour toutes de droit, une mission documentaire qui va de l'aide à la médiation à la recherche universitaire, voire à l'archive.

    Les Sources de l'histoire de l'art, répertoire des collections documentaires en art et architecture en France, avait permis d'établir en 1994 que les bibliothèques de musées et les fonds spécialisés en art représentaient une ressource majeure pour l'étude de l'histoire de l'art. Ces fonds conservent en effet un total de deux millions de volumes, là où les bibliothèques universitaires n'en conservent qu'un million dans le même domaine.

    L'art contemporain ne dérogera pas, semble-t-il, à cette règle puisque ses bibliothèques et documentations ont vu leur développement singulièrement stimulé par et dans les institutions muséales. Par ailleurs, la relative faible présence de l'art contemporain dans les enseignements, et donc dans les collections bibliographiques universitaires, encourage d'emblée, du moins à l'heure actuelle, cette prédominance des bibliothèques de musées.

    Enfin, l'art contemporain n'a pas échappé à la vague de fond d'une exigence généralisée d'information et de documentation dans un monde où l'accès à l'information est l'objet de toutes les attentions. Il y participe dans cette optique d'ouverture et d'éducation inscrite dans la perspective du droit à la culture donnée en sous-titre à cette journée de réflexion « Art et bibliothèques ».

    Le paysage de la diffusion de la création contemporaine

    Initiées en 1982 par le ministère de Jack Lang, les politiques publiques de diffusion de la création contemporaine n'ont cessé de se développer et de s'affirmer depuis près de vingt ans. Leur maturité s'est accompagnée d'un fort investissement dans l'activité de médiation, dans des établissements désormais parfaitement rodés et structurés pour la monstration des oeuvres. Cette mission pédagogique est d'ailleurs une exigence fondamentale de la part des tutelles publiques dans les contrats de subventionnement. La « Charte des missions de service public pour les institutions de l'art contemporain » publiée dans la lettre d'information du ministère de la Culture du 14 mai 2001 en témoigne largement.

    Cette diffusion publique de l'art contemporain est assurée par plusieurs types d'établissements.

    Les Frac, créés par décret d'État en 1982, ont enrichi leurs collections jus-qu'à proposer aujourd'hui, pour la majorité d'entre eux, des collections pleinement représentatives de la création plastique contemporaine nationale et internationale. Et cette représentativité n'est pas sans incidence sur la qualité de leurs fonds documentaires. Les liens étroits qu'ils entretiennent avec les artistes, particulièrement avec les plus jeunes, en font les récepteurs privilégiés d'informations sur leurs activités - rappelons ici que les Frac ont l'obligation d'acheter des oeuvres d'artistes vivants.

    Parallèlement, le paysage muséal en art moderne et contemporain s'est densifié avec une accélération remarquable tout au long des années 90.

    Le Musée d'art contemporain du Carré d'art qui nous accueille aujourd'hui date de 1993. Avant lui, le Capc de Bordeaux, créé en 1975 et initialement centre d'art, est devenu musée d'art contemporain en 1984, et l'inauguration de son importante bibliothèque-médiathèque date de 1990.

    À leur suite, ce sont Nice, Marseille, Lyon, Strasbourg et Toulouse qui se sont dotés de musées d'art moderne et/ou contemporain : le Musée d'art moderne et d'art contemporain (Mamac) de Nice et le Musée d'art contemporain de Marseille ont ouvert leurs portes en 1994, le Musée d'art contemporain de Lyon s'est installé dans ses murs en 1995 (après les douze ans d'existence du musée « Saint-Pierre Art Contemporain dans l'enceinte du Musée des beaux-arts), Strasbourg a inauguré son Musée d'art moderne et contemporain en 1998, et Toulouse Les Abattoirs », espaces d'art moderne et contemporain en 2000 - espaces au pluriel puisqu'il s'agit de la réunion dans une même institution d'un musée d'art contemporain, d'un Frac et d'un centre d'art.

    Le temps est même venu des musées d'art contemporain de fondations privées françaises : après l'installation de la collection d'Yvon Lambert en Avignon, François Pinault présentera la sienne sur l'île Seguin en 2004.

    Les musées d'art moderne, plus anciens, nous intéressent aussi pleinement puisqu'ils consacrent jusqu'à la moitié de leur activité à l'art contemporain : à Paris, le Musée national d'art moderne et le Musée d'art moderne de la Ville de Paris ; en province, le Musée d'art moderne de Lille Métropole (anciennement de Villeneuve d'Ascq), celui de SaintÉtienne ou encore le Musée de Grenoble, transféré en 1993 dans un nouveau bâtiment, et dont la singularité est d'être le seul musée de province à posséder une collection qui s'étend du Moyen Âge à nos jours. Il consacre ainsi de nombreuses expositions et une part non négligeable de sa collection à la période contemporaine.

    Les centres d'art sont nés de volontés singulières d'individus passionnés, ou du moins grâce à leur complicité, dans le désert qu'était la France dans ce domaine à la fin des années 70. Depuis, ils ont eux aussi affermi leur existence. Les pionniers aujourd'hui considérés comme historiques, ce sont le Capc de Bordeaux dont nous avons vu qu'il était devenu musée, le Nouveau Musée de Villeurbanne, devenu Institut d'art contemporain en 1998 après sa fusion avec le Frac Rhône-Alpes, et enfin le Consortium de Dijon dont le Centre Georges Pompidou a présenté la collection en 1998.

    Dans les années 80, ces centres ont été « labellisés « par l'État à qui revient par ailleurs la création de deux centres nationaux d'art contemporain, le Magasin à Grenoble en 1986 et le centre d'art de la Villa Arson de Nice en 1984, associé en 1986 à l'École d'art pilote internationale.

    On a assisté par la suite à la création d'un certain nombre de centres d'art municipaux, pas autant que de médiathèques municipales, bien sûr, mais qui participaient de la même volonté de diversifier et d'étoffer l'offre culturelle publique.

    Dans la région Rhône-Alpes, le centre d'arts plastiques de Saint-Fons, par exemple, a développé une politique documentaire remarquable pour une institution somme toute modeste.

    Les artothèques sont actuellement au nombre d'une cinquantaine, la grande majorité d'entre elles étant intégrée à des bibliothèques ou médiathèques municipales.

    Quant aux écoles d'art incluses dans cette étude, elles sont évidemment concernées par l'art contemporain en tant qu'elles forment la génération d'artistes de demain, et que celle d'aujourd'hui y est présente à des fonctions d'enseignants.

    Des bibliothèques et documentations en pleine expansion

    L'art dit « contemporain naît avec les grandes ruptures artistiques des années 60. Il a en partie surmonté les réticences et les préjugés dont il a longtemps souffert et il commence en tout cas à avoir une histoire, même à entrer dans l'Histoire, à construire une mémoire et à devenir objet d'étude au même titre que l'art des siècles passés.

    Le développement remarquable de services documentaires autonomes dans de très nombreuses structures de conservation et de diffusion révèle un souci et une volonté manifestes de créer les conditions de cette étude et de cette mémoire.

    L'entrée dans le patrimoine public de l'art contemporain associée au développement des activités de médiation a été le moteur le plus efficace de la mise en place de documentations ouvertes à la recherche externe, dans des structures qui auparavant se contentaient d'une documentation interne réservée aux seuls professionnels pour la préparation d'expositions ou d'acquisitions d'oeuvres. Les bouleversements engendrés par Internet, et toutes les mises en réseau qu'il autorise, ont sans doute aussi contribué à la structuration de ces fonds documentaires dans une dynamique d'information et de visibilité.

    À l'heure actuelle, toute création de musée d'art contemporain inclut dans son cahier des charges une bibliothèque-documentation. Les politiques d'offre culturelle exigent aujourd'hui cette dimension documentaire, là où il y a vingt ans, on se préoccupait surtout de créer de manière novatrice des structures de diffusion et de monstration des oeuvres.

    Ce mouvement général remarquable ne doit cependant pas occulter des situations très diversifiées. Si les institutions nouvelles ou bénéficiant de nouveaux espaces s'équipent toutes de bibliothèques - celle des Abattoirs de Toulouse, le dernier-né des grands équipements d'art contemporain, portant même le nom « moderne de médiathèque -, les autres dépendent des politiques subjectives de leur direction. Certains directeurs considèrent que c'est un volet indispensable à leur mission, d'autres non, ou du moins ils ne l'impulsent pas avec détermination. Cela dépend de leur intérêt pour le livre et la recherche - autre que la leur qui est celle du professionnel. Le livre d'artiste peut aussi être un guide et l'objet d'une collection spécifique parallèle à la collection d'oeuvres d'art comme c'est le cas au Frac Pays de la Loire, par exemple.

    Un certain nombre de Frac, plus que de centres d'art d'ailleurs, et ce sans doute en raison de leur mission de constitution et de diffusion d'une collection, souhaitent valoriser une documentation accumulée pendant deux décennies. Ils confient alors à des professionnels la gestion de véritables services documentaires.

    Citons le Frac Bretagne, dont la documentation fonctionne en partenariat avec les Archives de la critique d'art de l'Université de Rennes 2. Citons à nouveau le Frac Pays de la Loire, mais aussi le Frac Basse-Normandie, le Frac Lorraine, le Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur qui travaille à la création d'un centre de ressources, ou le Frac Limousin qui, à l'occasion d'un changement de direction, réactive sa documentation là où l'ancienne avait mené une politique d'édition ambitieuse. L'un a souvent été par le passé exclusif de l'autre.

    Pour mémoire, dans les centres d'art évoqués plus haut, on peut repérer, au moment de leur fondation, trois partis pris différents autour du livre : le Magasin de Grenoble a créé une librairie très pointue en art et architecture ; le Consortium de Dijon a créé une maison d'édition, Les Presses du réel, dont la politique éditoriale excède largement la publication de ses catalogues d'expositions ; et l'ex-Nouveau Musée est connu pour la spécialisation de son fonds documentaire et ses publications de livres d'artistes et de textes théoriques : le seul donc qui se soit engagé à mener de front les deux activités.

    Sur les cinquante artothèques présentes dans le répertoire réalisé par la Délégation aux arts plastiques, quatre indiquent qu'elles possèdent un fonds de catalogues et multimédia spécialisé, une précise qu'il est centré sur les artistes du fonds d'estampes et les trois autres qu'il est élargi à l'art contemporain en général. Quatorze signalent par ailleurs la production de dossiers pédagogiques et de fiches sur les oeuvres.

    Publics et espaces de travail

    Ces bibliothèques-documentations en art contemporain sont fréquentées par un public externe varié : des étudiants en histoire de l'art, des professionnels de l'art contemporain - rédacteurs de notices, conférenciers, médiateurs -, des critiques et des éditeurs de revues, plus ponctuellement par des étudiants d'écoles d'art ou des lycéens, bien que dans ce dernier cas les fonds puissent se révéler difficiles d'accès en raison de leur niveau élevé de spécialisation.

    Dans toutes les constructions récentes, les salles de lecture et de travail qui accueillent le public chercheur ont bénéficié, rapportées à la surface totale de chaque bâtiment, d'une taille très confortable :

    • * à la médiathèque des Abattoirs, une salle de lecture de 270 m2offre 36 places assises dont un pôle multimédia avec 8 postes informatiques et 3 moniteurs vidéo ;
    • M à la documentation du Frac Pays de la Loire, une salle de 60 m propose 16 places assises ;
    • M au Frac Bretagne, c'est une salle de 180 m2 et 12 places assises ;
    • 3 au Musée de Grenoble, une salle de 130 m2pour 45 places assises et 2 boxes de consultation, Internet, cédéroms et vidéocassettes ;
    • M et enfin la bibliothèque des Musées de Strasbourg, installée au Musée d'art moderne et contemporain offre 65 places assises.

    Indiquons encore que les trois premiers - Abattoirs, Frac Bretagne et Frac Pays de la Loire - proposent l'intégralité de leurs collections en libre accès.

    Par comparaison :

    • à la documentation du Mnam-Cci, la salle de lecture est de 500 m2 ;
    • * au Capc, elle atteint 470 m2, soit les 2/3 de l'espace total ;
    • * et au Musée d'art moderne de SaintÉtienne, une salle de lecture de 45 m2 et une mezzanine de 160 m proposent un total de 32 places assises. Un futur réaménagement prévoit une très forte augmentation des documents en libre accès et donc un agrandissement très substantiel des surfaces de lecture et de travail.

    Précisons enfin que si les bibliothèques de musées ont en général des horaires d'ouverture fixes pendant lesquels l'accès est libre, les plus petites structures sont souvent contraintes à l'accès sur rendez-vous, mais pas réservé, cette pratique ne caractérisant que les seuls musées d'art moderne parisiens.

    Fonctions, collections et produits de la documentation en art contemporain

    Une documentation work in progress

    Les missions documentaires des musées et autres centres d'art ou Frac sont guidées par les collections et les programmes d'expositions, et l'activité documentaire répond d'abord aux nécessités de la recherche interne et de la production d'outils de médiation liés à l'actualité institutionnelle.

    L'institution constitue ainsi le socle sur lequel s'appuiera ensuite une politique documentaire de fond. La sélection imposée par les engagements esthétiques institutionnels est une limite vis-à-vis d'un impossible et inutile documenter tous les artistes et tous les mouvements actuels ,, générant un paysage documentaire varié aux richesses singulières.

    L'art contemporain, ce sont des artistes vivants, mais les documenter, c'est aussi témoigner de leur évolution et de leurs parcours, et donc travailler au jour le jour dans la durée. C'est ce suivi des parcours individuels et des tendances artistiques qui donnera leur cohérence et leur qualité aux ensembles qui en résulteront. Passée l'exigence de l'actualité, mais par définition toujours en connexion avec elle, ce sont alors des critères de mémoire et de conservation qui président à la constitution des fonds. Fonds qui seront alors à même de satisfaire la recherche externe, qu'elle soit universitaire, professionnelle ou amateur.

    Documenter l'art « contemporain »

    Si les ouvrages théoriques - philosophie, esthétique, théorie, critique et sociologie de l'art, monographies sur les grands mouvements - et les catalogues des grandes (ou moins grandes) expositions collectives sont une part importante de nos fonds bibliographiques, la documentation en art contemporain a le souci majeur de rendre compte le plus exhaustivement possible de l'activité des artistes dans leur individualité : des expositions aux oeuvres entrées dans des collections, des commandes publiques aux participations à des biennales et à toutes interventions dans l'espace public.

    Sur les artistes, on constitue, sans surprise, des collections de catalogues, de livres, de films, de cd, de cédéroms et d'URL de sites Internet, et même des enregistrements d'émissions de radio. L'actualité de notre objet, l'art dit en train de se faire ,, nous incite et nous oblige à réunir des collections relevant plus strictement de la documentation qui viennent compléter des collections bibliographiques insuffisantes car ne relayant que partiellement l'activité artistique.

    Toute production d'oeuvre et toute exposition ne donnent pas lieu à une publication, en particulier lorsqu'il s'agit d'un jeune artiste. Les commandes publiques suscitent très rarement l'édition d'un catalogue mais impliquent toujours la publication d'un dossier de presse par les instances commanditaires. Enfin, un communiqué de presse d'exposition peut se transformer en un précieux outil de présentation concise du travail d'un artiste alors que le catalogue de la même exposition présentera l'intérêt d'une réflexion approfondie et d'une illustration substantielle. On collecte ainsi de la littérature grise et de la littérature qu'on peut appeller de plaquette » : des bio-bibliographies non publiées, des communiqués de presse, des fiches sur des artistes produites pour des expositions (celles produites régulièrement par le Mamco de Genève ou le CCC de Tours, par exemple), de dépliants d'expositions, d'autres sur des oeuvres d'art public. On collecte bien sûr des articles de presse et, pour en faciliter la consultation, on les rassemble dans des reliures disponibles dans les dossiers d'artistes. On archive des photographies d'oeuvres, des cartons d'invitation et des affiches. À tout cela s'ajoutent des pages extraites de sites Internet conservées sous forme imprimée - de la commande publique aux sites personnels et aux pages sur des sites de galeries ou de musées avec des vues d'expositions -, des extraits de catalogues de collections publiques ou privées et des interventions d'artistes dans certaines revues. Citons pour finir cette mine sur l'art vidéo qu'est le site Internet du diffuseur américain Electronic Art Intermix < www.eai.org > qui y propose les synopsis des oeuvres et des commentaires sur les contextes historiques de leur production avec des textes sur les artistes et les groupes ou tendances auxquels ils ont appartenu ou appartiennent, et tous les liens hypertextes qui s'imposent.

    Les jeunes artistes

    La collecte de documents sur les plus jeunes artistes est plutôt assurée par les Frac et les centres d'art en raison de leur mission et de leur intérêt visà-vis de la jeune création. Une institution et sa documentation peuvent aussi s'intéresser à un jeune artiste qui n'y a jamais fait l'objet d'une exposition ou d'une acquisition, mais dont on a repéré que le travail est prometteur de tels engagements.

    Cette attention soutenue à des documents encore modestes portera des fruits dont on ne peut pas encore totalement mesurer la valeur, du moins pas pour tous les artistes : il y faut cette conscience de l'histoire de l'art en marche et d'un futur qui ne nous appartient pas mais qu'il faut servir en acceptant cette part d'incertitude. Le pari fermement affirmé est en tout cas sous les meilleures augures, celles de la valeur documentaire et historique, voire artistique, des documents précoces, comme de ceux qui suivront bien sûr.

    Par ailleurs, toute institution est amenée à conserver dans ses archives d'expositions et d'acquisitions des documents originaux tels que des lettres, des déclarations, des schémas ou des dessins d'artistes et des courriers de galeristes. Pour les acquisitions, ces documents sont archivés dans les dossiers d'oeuvres - limités à la vie de l'oeuvre - gérés par un service spécifique. Pour les expositions, le traitement des documents pour une intégration dans des dossiers documentaires reste problématique, puis-qu'un document original ne doit pas être séparé de ses archives d'origine. C'est pourquoi, la documentation de l'Institut d'art contemporain de Villeurbanne a fait traiter ses archives d'exposition et d'édition, ce qui permet la recherche de documents au sein de celles-ci. Le Frac Bretagne mène quant à lui une politique spécifique et active de conservation et de recherche de documents originaux.

    Les figures historiques

    Après quarante ans d'art contemporain, quelques figures majeures se sont imposées historiquement et certains artistes sont même déjà morts. Leurs oeuvres sont entrées dans toutes les collections publiques de musées qui donc les documentent. Dans d'autres fonds, ces figures peuvent cependant être l'objet d'un soin particulier qui tient d'une continuité d'intérêt mais ne tend plus à l'exhaustivité. Une politique rétrospective d'achats d'anti-quariat de livres épuisés permet en revanche de valoriser et de fortifier des ensembles majeurs déjà constitués. L'accent est en tout cas mis de fait, pour ces figures historiques, sur les collections bibliographiques qui sont importantes.

    Dossiers d'artistes et produits documentaires

    Les dossiers d'artistes forment les trésors les plus singuliers des fonds en art contemporain mais aussi les plus aléatoires puisqu'alimentés par tous les documents imprimés autres que le livre reçus par l'institution. Pallier cet aléatoire suppose de mettre en place des procédures spécifiques telles que l'envoi régulier de courriers aux artistes pour la demande de documentation. Un dossier envoyé par un jeune artiste ou sa galerie est d'une valeur incomparable. Un premier lien avec une galerie lors d'un achat d'oeuvres peut aussi devenir une source automatique d'envois postérieurs d'informations assez fournies. Un travail spécifique sur un dossier est évidemment l'occasion de l'améliorer, mais il reste difficile de récupérer rétrospectivement autre chose que des livres ou des articles de presse, sauf à s'adresser à l'artiste et/ou à engager une recherche d'archives qui ne s'impose pas forcément ou dont on n'a pas les moyens.

    Toutes les structures qui ont répondu à la petite enquête menée pour cet état des lieux font des dossiers d'artistes. La bibliothèque du Musée de Grenoble souligne bien que l'art contemporain fait exclusivement l'objet de tels dossiers.

    Tous les dossiers d'artistes de la collection d'un musée ou d'un Frac sont suivis. Certains musées constituent également des dossiers d'artistes locaux, connus et moins connus. C'est le cas à Toulouse, à Lyon, ce fut le cas à Saint-Étienne, et c'est bien sûr l'axe unique de Documents d'artistes.

    Les dossiers des artistes des expositions de l'institution, s'ils bénéficient d'une alimentation fournie lors de leur création, ne sont pas toujours suivis. Les pratiques sont là très diverses et la décision du suivi dépend évidemment de la charge de travail acceptable par le personnel susceptible de s'y consacrer. La très récente médiathèque des Abattoirs, dont la mission de service public est sans doute la plus marquée, réalise aussi des dossiers thématiques sur des mouvements, des institutions et des manifestations artistiques nationales et internationales. Les grandes foires et biennales sont partout l'objet d'une attention particulière.

    Pour chaque artiste exposé, la documentation de l'Institut d'art contemporain de Villeurbanne réalise une revue de presse reliée et organisée chronologiquement à partir de ses collections de périodiques et d'articles présents dans les dossiers. Les dossiers d'artistes très fournis font par ailleurs l'objet d'une organisation structurée plus ou moins détaillée selon la taille du dossier.

    Le Centre d'information et de documentation (CID) de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris réalise des dossiers sur les artistes enseignants, sur les personnalités des jurys de diplôme (dont des critiques, des commissaires d'exposition et des directeurs d'institutions), sur les anciens élèves devenus artistes, sur les thèmes des conférences du CIL et ceux des séminaires d'enseignement, qu'ils concernent des problématiques artistiques ou des sujets de société. Les travaux d'étudiants et les oeuvres des enseignants sont présents dans la diathèque.

    Enfin, la documentation du Mamac de Nice réalise des vitrines sur des artistes de la collection qui mettent en valeur des catalogues, des photographies, des cartons d'invitations et des affiches issus de ses fonds ; pour les expositions temporaires, ces vitrines sont élaborées en collaboration avec les artistes et leurs propres archives.

    Des projets de documentation électronique

    Hormis la base Documents d'artistes qui réalise des dossiers virtuels qui n'ont même jamais préexisté sous forme physique, seule la documentation du Musée national d'art moderne réalise actuellement des versions numérisées de certains de ses dossiers papier, complétés, le cas échéant, par des liens vers des sites Internet. En phase expérimentale, ces versions ne sont pour l'instant accessibles qu'en intranet. Le choix des dossiers à numériser se fait en fonction de l'actualité des expositions et de la collection ou de contacts spécifiques de la conservation avec de jeunes artistes. À ce jour, six artistes individuels et le mouvement Supports surfaces ont été traités, ce qui représente la numérisation de près de 300 documents.

    La Délégation aux arts plastiques a initié la mise en oeuvre, actuellement en phase de test, d'une DTD de dossiers d'artistes. Ses partenaires sont la documentation de la DAP, celle du Frac Bretagne, Documents d'artistes, la documentation du Musée national d'art moderne et celle de l'IAC de Villeurbanne. Ils doivent, pendant cette phase de test, numériser leurs dossiers papier avec cette DTD qui permet, et c'est aussi là l'intérêt de ce travail et de son partage, d'élaborer le dossier le plus complet possible sur chaque artiste traité.

    Videomuseum, équivalent de la base Joconde pour l'art du XX"siècle dans les collections publiques françaises, s'est récemment équipé d'un logiciel adapté à Internet nommé Navigart et s'oriente par ailleurs vers une exigence d'amélioration des références documentaires sur les oeuvres recensées. L'idéal serait à terme qu'il puisse proposer des liens avec les dossiers de la DAP, eux aussi promis à la consultation sur Internet.

    Enfin, la documentation de l'Institut d'art contemporain de Villeurbanne produit depuis quelques mois des dossiers destinés à apporter un éclairage sur les oeuvres de la collection du Frac Rhône-Alpes diffusées dans des établissements scolaires sous forme de mini-expositions. Volontairement très sélectifs, de vingt à trente pages au plus, ils veulent concilier qualité scientifique documentaire et efficacité informative. Ils comportent :

    • une bio-bibliographie,
    • des informations sur l'oeuvre, et s'il existe, un essai sur celle-ci,
    • éventuellement la mention d'un site ou d'une oeuvre de l'artiste sur le web,
    • un entretien avec l'artiste,
    • un ou deux articles critiques généraux sur le travail de l'artiste.

    Ces dossiers seront destinés à une numérisation prochaine sur le site Internet de l'institution sous la forme de nouveautés régulières du type « flash sur une oeuvre ».

    Conclusion

    La carte des bibliothèques d'art contemporain se dessine désormais très nettement. La diversité des fonds et la variété de leurs missions en font les outils indispensables de la recherche en art contemporain autant que les conservatoires de sa mémoire. Malgré des moyens modestes pour de petites institutions telles que les Frac, l'engagement et le sérieux du travail entrepris sont prometteurs de collections qui prendront avec le temps leur juste valeur. Enfin, tous ces centres de documentation révèlent pour le présent des capacités de mobilité et d'activation de leurs fonds qui sont au fond proches de celles requises par la documentation d'entreprise. Seuls le terrain et les finalités changent. Il est ici question de culture et d'aide à l'éducation et à la recherche.

    Bien que cette documentation traite encore majoritairement des documents imprimés, elle n'en est pas moins intéressée et sollicitée par les développements de la documentation électronique, en particulier pour la numérisation de documents originaux. Le projet de base de dossiers d'artistes de la DAP devrait faire jouer aux différents centres tout leur rôle de fournisseur de dossiers virtuels dans une exploitation raisonnée de la complémentarité des fonds. De très riches diathèques mériteraient également des programmes de numérisation pour les oeuvres non présentes dans les collections de Videomuseum.

    Il a peu été question d'Internet dans cet exposé, bien que nos pratiques de recherche sur le réseau soient fréquentes. La caractère fragmentaire et néanmoins précieux des informations recueillies sur l'activité des artistes justifierait une collaboration et une veille partagée de repérage de ces pages disséminées sur le web. La mise en oeuvre de ce type d'entreprise peut paraître lourde et il y faut des objectifs précis. Entre l'impossible totalité et une réalité virtuelle qui élargit incontestablement nos capacités documentaires, on devrait pouvoir affiner quelques stratégies. Pour les grandes avenues du net, quelques portails français - l'Internet culturel du ministère de la Culture - et étrangers - la médiathèque du Musée d'art contemporain de Montréal - sont des guides très opérationnels pour les institutions et les oeuvres en ligne.

    Pour finir, j'indiquerai qu'un groupe de travail « Bibliothèques d'art du XX"siècle », initié il y a quelques années par la documentation du Musée national d'art moderne, pourrait prochainement reprendre ses activités en collaboration avec le groupe des Bibliothèques d'art de l'Abf. Il pourrait être l'espace fédérateur de projets et de collaborations dignes d'une réflexion collective.