La réunification de l'Allemagne n'a pas été sans conséquences sur les bibliothèques de lecture publique allemandes. L'article ci-dessous a été écrit à la suite d'une rencontre avec les responsables de la Staatliche Fachstelle fur das ôffentliche Bibliothekswesen de Fribourg (Bade-Wurtemberg), le directeur, Konrad Heyde, et son adjoint Gieselher Reichhardt.
Au cours de notre entretien, nos collègues ont abordé la situation générale des bibliothèques allemandes depuis dix ans, et plus spécifiquement la situation dans le Land de Bade-Wurtemberg.
La réunification a eu pour conséquence majeure de limiter les budgets publics dans les États de l'ancienne Allemagne de l'Ouest, puisque les Lander et les collectivités devaient participer à la remise à niveau économique des États de l'ex-Allemagne de l'Est.
Pour les bibliothèques sous tutelle des collectivités territoriales, les budgets de fonctionnement, en particulier dans le domaine des acquisitions de documents et des frais de personnel, ont été réduits de façon draconienne à partir de 1990. La bibliothèque municipale de Fribourg (200 000 habitants), par exemple, a eu pour consigne de réduire le personnel de 10 % en trois ans.
Pour les bibliothèques de l'ex-Allemagne de l'Est, des missions d'expertise menées par les bibliothécaires de l'Ouest ont abouti à une restructuration complète du système. Sous le régime communiste, les bibliothèques étaient nombreuses, y compris dans les petites communes, avec un personnel souvent pléthorique. Les collections, en nombre important, étaient composées exclusivement de livres, souvent en multiples exemplaires puisque les bibliothèques étaient dotées automatiquement par l'État central, dont elles dépendaient directement, de plusieurs exemplaires de tout livre édité en Allemagne de l'Est : en effet, le temps de disponibilité en librairie dépassant rarement six mois, une des missions des bibliothèques était de les conserver.
Le système oriental des bibliothèques a été restructuré sur le modèle occidental. La tutelle des bibliothèques a été confiée aux communes et les missions ont été redéfinies. La différence entre bibliothèques scientifiques et bibliothèques de lecture publique, qui n'existait pas, a été introduite elle aussi.
La restructuration a abouti à la fermeture d'un grand nombre de petites bibliothèques et au licenciement du personnel en surnombre. Toutefois, le personnel reste plus nombreux à l'Est qu'il ne l'est à l'Ouest. Parallèlement, un désherbage des collections issues du système communiste, l'acquisition massive de littérature occidentale, l'introduction d'autres supports que l'imprimé, l'équipement technologique et la mise à niveau des bâtiments ont été entrepris, ainsi que la formation des bibliothécaires.
Le principal souci des bibliothèques a été de démontrer qu'elles étaient nécessaires, puisque certaines craignaient jusqu'à la remise en cause de leur existence. Elles ont donc cherché à être « rentables », et à démontrer à leurs tutelles qu'elles pouvaient l'être.
Le graphique 2 montre que les prêts n'ont pas diminué en Allemagne malgré la réduction des budgets et du personnel. Les chiffres du Bade-Wurtemberg confirment cette tendance. Il semblerait donc que, malgré la diminution des budgets d'acquisition et du personnel, l'activité ait continué à progresser (voir graphiques 2 et 3 (1) ).
Le tableau ci-dessous montre l'évolution croissante du nombre de prêts dans le Land de Bade-Wurtemberg par poste de professionnel :
Ce résultat est dû à l'introduction de « méthodes managériales » (K. Heyde) qui ont amené une rationalisation des processus et de l'organisation, issue de la mise en place d'une évaluation fine et comparative des méthodes de travail et des résultats. C'est la fondation Bertelsmann qui a introduit ce système de comparaison auprès de quelques bibliothèques de villes importantes (Ludwigshafen, Hildesheim, etc.), dès le début des années 1990.
L'expérience a été reprise par la Fachstelle de Fribourg auprès de onze bibliothèques de son secteur. Les bibliothèques sont invitées à mesurer très précisément le temps consacré à chaque tâche (traitement d'un document, prêt...) et à en évaluer le coût. La comparaison doit permettre de s'aligner sur la bibliothèque la plus performante. Cette comparaison s'étend aux résultats (nombre de prêts, d'adhérents). Elle a eu pour conséquence une tendance à adapter les fonds à la demande qui, si elle n'est pas dominante, selon Konrad Heyde, tend à prévaloir dans certaines bibliothèques.
Par exemple, à la bibliothèque de Wehr, ouverte en 1999 pour un regroupement de communes représentant 10 000 habitants, la littérature, en particulier classique, est réduite à la portion congrue puisque ce fonds intéresse un public réduit. L'accent est mis sur les fonds technologiques (informatique, multimédia), la vie pratique (recherche d'emploi, vie quotidienne) et les documentaires d'information concrets. Dénommée « médiathèque », une appellation encore peu répandue, elle met aussi l'accent sur les supports autres que l'imprimé. La bibliothèque, avec son mobilier chromé et son aménagement futuriste, son automate de prêt et ses corbeilles métalliques permettant de « faire son marché », est installée dans un ancien supermarché, dont elle a adapté le concept.
L'évaluation a eu pour conséquences positives une rationalisation des procédures et une modernisation des établissements, notamment :
L'évaluation a eu pour conséquence négative la polarisation sur les procédures et les résultats, ce qui a fait perdre de vue la réflexion sur les missions des bibliothèques publiques et leurs objectifs sociaux, culturels, pédagogiques, politiques.
Konrad Heyde, en tant que directeur de la Fachstelle, met l'accent depuis deux ans sur la réflexion concernant ces sujets, car il est conscient des dérives nées de la politique de rentabilisation à tout prix pratiquée depuis quelques années.
La crise financière des années 1990 a eu des répercussions positives sur les bibliothèques puisqu'elle a accéléré un processus de modernisation. Dans le Bade-Wurtemberg, le Land économiquement le plus fort, la crise est surmontée : les budgets des bibliothèques croissent à nouveau et des créations de postes professionnels sont prévues. Le nombre de bibliothèques en construction ou en réaménagement n'a jamais été aussi important qu'en ce début de siècle.
Selon nos collègues de Fribourg, cette tendance devrait s'étendre progressivement à l'ensemble de l'Allemagne, du moins dans les Lânder de l'ex-Allemagne de l'Ouest.