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Problèmes posés au bibliothécaire par la création d'une section d'adolescents à Tours

1960

    Problèmes posés au bibliothécaire par la création d'une section d'adolescents à Tours

    Par R. Fillet

    Les adolescents trouvent difficilement leur place dans les bibliothèques municipales, qui, de plus en plus, accordent de l'importance au service de lecture publique pour adultes et à la section pour enfants : il faut ménager à ces lecteurs une transition et c'est ce que plusieurs de nos collègues tentent de faire, soit en créant une section réservée aux adolescents, soit en procédant à des enquêtes sur leurs lectures, préalables à une action en profondeur.

    Avant d'exposer l'expérience de Tours, je tiens à faire état des réponses de deux collègues à qui j'avais demandé ce qu'elles avaient réalisé dans ce domaine.

    A La Rochelle, Mlle de Saint-Affrique a organisé, dans un coin de la salle pour la jeunesse, une section pour adolescents, réservée aux jeunes de 13 à 16 ans. Malheureusement, l'emplacement de la section, l'impossibilité d'avoir un bibliothécaire spécialement chargé de conseiller et guider les adolescents, a imposé un choix sévère ; il va de Bernage à Cronin, de Balzac à Buck, de Frison-Roche à Saint-Exupéry.

    A Châlons-sur-Marne, Mme Jeulinapu consacrer à la section d'adolescents une salle particulière, claire, meublée «jeune», garnie déjà de 1200 livres (40% de romans, 10% de biographies, 50% de documentaires) répartis en usuels et en livres pour le prêt. Mais cette salle accueillante et toute prête à fonctionner n'a pu être ouverte faute de personnel.

    A Tours, la section pour adolescents est installée dans une partie, nettement délimitée par des cordelières, de la section de prêt à domicile dont elle occupe 119 m2 sur 564. Les usuels correspondent aux programmes jusqu'à la seconde, puisqu'ensuite les lycéens ont accès à la salle de travail. Ils peuvent obtenir des ouvrages de cette salle en précisant par écrit le sujet de leur étude ; la recherche est alors effectuée par la sous-bibliothécaire, et le ou les ouvrages apportés à la section pour adolescents. Les ouvrages destinés au prêt portent tous un cachet « Adolescent », de même que les cartes d'inscription : les opérations du prêt se faisant au même bureau que pour adultes, les employés ont ainsi la possibilité d'un contrôle rapide. La sous-bibliothécaire responsable du prêt à domicile a son bureau dans la section adolescents. C'est à elle que les livres sont rendus, ce qui permet de prendre et de garder contact avec les lecteurs à l'occasion de leurs lectures. Le conseil n'est donné que s'il est demandé : la contrainte est illusoire et va à rencontre du but poursuivi. Le choix est très large, étant donné que nous voulons toucher des adolescents d'âge et de maturité très divers.

    Le comportement des enfants est, évidemment, aussi variable que leur caractère. Ceux qui viennent de la section d'enfants s'adaptent très vite ; certains ont du mal à se détacher des collections ; nous voyons fléchir, pendant quelque temps, le niveau des lectures de ceux qui appréciaient l'environnement douillet des employées de la section jeunesse, puis il remonte, l'apprentissage fait de la liberté. Les 15-16 ans sont, en fait, les plus favorisés par les livres qui leur sont offerts, et dans lesquels ils puisent largement ; peu demandent des conseils. Les plus âgés se dirigent vers le rayonnage placé derrière la sous-bibliothécaire ; là se trouvent des ouvrages marqués d'un G (=grands) que nous ne prêtons qu'à ceux dont nous avons éprouvé la maturité et dont nous sommes certains qu'ils ne communiqueront pas ces livres à de plus jeunes lecteurs. Nous avons voulu éviter que les grands adolescents se sentent évincés de l'univers des adultes, et que, par voie de conséquence, ils empruntent aux camarades des livres... douteux (cf. l'enquête de Colmar). Il ne faut d'ailleurs pas mésestimer les problèmes qui se posent à eux, et qui sont graves, angoissants, d'autant plus préoccupants que le contact avec les parents n'est pas toujours facile.

    Les attitudes des parents sont, elles aussi, très différentes. Un certain nombre ont donné à leurs enfants l'ordre de demander conseil, et suivent deprès leurs lectures. Sans doute, extrêmement rares sont ceux qui s'intéressent aux lectures de leurs enfants avec le souci d'aboutir à une sorte de débat introduisant à certains problèmes. En fait, les difficultés dues aux parents viennent de deux côtés :

    • - D'une part, des indifférents complets, dont les enfants sont moralement livrés à eux-mêmes. Nous nous refusons d'en assumer la responsabilité à leur place, tout en ressentant celle qui nous incombe par notre choix et les conseils que nous pouvons donner. C'est un fardeau purement moral, sans conséquence fâcheuse pour la bibliothèque qui ne recevra aucun blâme, mais c'est, en fait, le problème le plus préoccupant ;
    • - D'autre part, de ceux qui exercent sur les enfants une tutelle dangereuse, perdant de vue le sens de l'éducation, qui n'est pas d'obtenir une perfection immédiate, mais de conduire à un état d'adulte. Ces parents viennent protester ou se plaignent aux autorités municipales. Nous insistons, dans .nos réponses, sur la nécessité de montrer le mal à côté du bien, nous soutenons que les mots crus sont moins nocifs que les situations troubles, nous indiquons que des lectures jugées dangereuses permettent d'aborder des problèmes sur lesquels le silence est plus dangereux encore.

    En fait, les résultats obtenus après un an sont intéressants, les efforts et les peines n'ont pas été prodigués en vain. Il y a encore beaucoup à lutter, et cela surtout dans deux directions. Nous devons :

    • 1] Etendre le rayonnement de la section auprès des adolescents travailleurs manuels ; pour cela, il faut multiplier les petits dépôts dans les foyers, les maisons de jeunes, il faut rapprocher le livre de ses lecteurs, former des responsables bénévoles ;
    • 2] Mener auprès des parents une véritable action psychologique, en les réunissant - que ce soit par quartiers, par paroisses, par familles professionnelles, par affinités diverses, peu importe ; il faut savoir utiliser les groupements déjà constitués, en abordant avec eux, sans peur des mots pour aller au fond des choses, des problèmes tels que leur rôle respectif et celui des éducateurs et du bibliothécaire dans l'éducation.