Index des revues

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La bibliothèque de l'Ecole Nationale de Médecine et de Pharmacie

1961

    La bibliothèque de l'Ecole Nationale de Médecine et de Pharmacie

    Par Jean Monteil

    La Bibliothèque de l'Ecole de Médecine et de Pharmacie de Grenoble naquit, vers 1880, dans la sordide conciergerie de l'Hôpital de Grenoble, où l'Ecole, longtemps simple annexe de cet hôpital, était encore logée, avant de trouver (en 1896) dans les locaux actuels, un cadre digne d'elle. Elle grandit au milieu d'un capharnaüm que laisse entrevoir cette phrase d'un ancien rapport : « Divers travaux d'installation ont été exécutés pour les chiens, pour les cobayes, ainsi que pour les livres ». Parmi les dons qui, à l'origine, la constituèrent à peu près exclusivement, on peut signaler une partie de la bibliothèque de Clot-Bey et un manuscrit, récemment découvert, qui contient des notes prises à un cours de Bichat.

    Les dons, après avoir longtemps suffi aux besoins de la bibliothèque, finirent par tarir : 5 482 titres furent inscrits jusqu'en 1930, en une cinquantaine d'années, et 186 de 1930 à 1950. En 1950, les crédits permirent, pour la première fois, une véritable politique d'achats : des manuels furent acquis ; 30 titres de périodiques étaient reçus ; enfin, avec les « Excerpta medica » (1951) et l'« Index medicus » (1952), la bibliographie apparut. C'était la fin d'une très longue préhistoire qui s'annonçait.

    1954 et 1955, apportant à l'Ecole la nationalisation et la qualité d'Ecole de plein exercice, ouvrirent les temps historiques. L'Ecole, soumise au régime des Instituts d'Université, devait assurer, désormais, au lieu des trois premières années seulement, une scolarité complète de Médecine et de Pharmacie, à la seule exception, pour la Médecine, de la soutenance de la thèse, et l'agrégation était imposée aux nouveaux professeurs et aux maîtres de conférences. Cependant, les frais de fonctionnement des Ecoles, y compris le budget des bibliothèques, étaient laissés à la charge des villes.

    Ainsi, guidée par la Direction des Bibliothèques, placée sous la direction de Mme le Conservateur de la Bibliothèque universitaire, pourvue d'un personnel d'Etat, la bibliothèque, à son tour, entra dans l'histoire. Elle y entra exactement le 1er décembre 1954, jour où Mlle Giteau entrait à Grenoble. Quand on relit, dans le tout premier rapport de Mlle Giteau, rédigé six jours à peine après son arrivée, le tableau de la situation qu'elle trouva, on admire qu'elle ait eu le courage de persévérer. Encore ignorait-elle la longue épreuve que lui réservait le Laboratoire de Chimie, situé sous les locaux de la bibliothèque, et d'où montèrent très fidèlement, tous les mardis matin, pendant des années, des émanations d'hydrogène sulfuré, empestant l'atmosphère et provoquant les réactions physiologiques les plus variées. Son successeur, qui a eu le privilège de voir la fin de cet épisode malodorant, est reconnaissant à la Direction des Bibliothèques de l'aide qu'il en a reçue à cette occasion.

    Quelques chiffres traduiront la création d'une bibliothèque moderne, qui fut, au prix d'un effort gigantesque, l'oeuvre de Mlle Giteau - et ce n'est pas par hasard que le rapport de celle-ci sur la réorganisation de la bibliothèque commençait par le mot «créer». L'agrandissement de l'Ecole permit l'ouverture d'une salle de lecture de 64 places et d'une salle des professeurs, en même temps salle des périodiques, de 12 places, comportant un coin pour les bibliographies. Les combles furent aménagés en magasins et purent accueillir 1 km 200 de rayonnages métalliques.

    L'affectation d'un agent de bureau et d'un gardien fut obtenue.

    La bibliothèque possède à peu près 8 000 volumes et 65 000 thèses. La salle de lecture offre aux étudiants 540 volumes d'usuels, qui leur sont prêtés à court terme. 366 titres de périodiques sont reçus, et les fascicules récents de 281 d'entre eux sont à la disposition du public dans la salle des professeurs. L'équipement bibliographique ne permet, pour l'instant, de remonter que dix ans en arrière, mais la réimpression des volumes 1 à 18 de la « Current list » va reculer de dix autres années ces possibilités de recherche.

    La fréquentation, un peu freinée par la limitation des heures d'ouverture, qui est due à l'insuffisance du personnel, accuse cependant, pour l'année scolaire 1959-1960, 18 000 entrées et 6 000 volumes prêtés.

    Un dépouillement sélectif des périodiques est effectué ; il concerne en particulier les numéros spéciaux, les groupes d'articles portant sur un même sujet, les comptes rendus de congrès et les travaux des professeurs de l'Ecole. La plupart de ces notices se retrouvent, avec celles des ouvrages récemment acquis et celles des nouveaux titres de périodiques, dans la liste trimestrielle multigraphiée des nouvelles acquisitions, dont la diffusion est faite aux professeurs. Les listes de l'année 1959-1960 comportaient 521 notices d'ouvrages et de dépouillements. D'autre part, après avis favorable de la Commission de la Bibliothèque, et en accord avec deux Directeurs successifs, les acquisitions des laboratoires, ouvrages et périodiques, sont enregistrées et cataloguées (sur fiches vertes) à la bibliothèque : 219 titres, acquis par 7 laboratoires, ont été enregistrés en deux ans et demi.

    Tel est le résultat, à peu près satisfaisant au niveau des études, que la bibliothèque doit à la grande réforme de 1954. Or, vers 1959, l'éveil de la recherche dans les laboratoires a créé des besoins nouveaux et provoqué un développement prodigieux du service de prêt inter-bibliothèque, service de plus en plus lourd au triple point de vue des recherches bibliographiques, du secrétariat et de la manutention. Le nombre des volumes empruntés hors de Grenoble vient de quadrupler en deux ans, 1958 : 121 ; 1960 : 483.

    La nature des demandes appelle une remarque qui intéresse les conditions mêmes de la recherche : parmi les articles de périodiques demandés, la proportion des références anciennes ne cesse de croître ; les références antérieures à 1940 représentaient en 1958 13 %, en 1959 20 % et en 1960 34 % de l'ensemble, et dans cette dernière année, 13 % des références étaient antérieures à 1914. Ainsi se trouve posée cette loi paradoxale, qu'il serait curieux de vérifier dans d'autres établissements scientifiques : plus la recherche se développe, plus elle se tourne vers le passé. Le fonds que la terminologie officielle qualifie de « fonds mort » ne cesse, en réalité, d'apporter sa contribution à la recherche la plus actuelle. Aussi est-il souhaitable que les collections de périodiques soient complétées : des dons très abondants sont déjà venus, et l'on peut encore beaucoup attendre d'un échange de doubles qui va être organisé.

    Cet afflux de demandes vient considérablement alourdir le service du prêt dans les grandes bibliothèques universitaires. Le Fonds National de Prêt, déposé à l'intention des bibliothèques d'Ecoles de Médecine, à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de Paris, ne peut, malheureusement, remédier à cet engorgement : il est, en effet, composé d'ouvrages, alors que les demandes portent, pour 95 % au moins, sur des périodiques. Les ressources de la photographie sont d'ailleurs de plus en plus utilisées. Pour les revues rares, en particulier anglo-saxonnes, introuvables en Europe, la bibliothèque use largement du service de photographie de la National Library of Medicine de Washington, qui fournit des photocopies gratuites.

    Ainsi, à chaque étape, la bibliothèque, malgré des moyens insuffisants en personnel, en locaux (le fonds ancien est déposé à la Bibliothèque universitaire), en crédits (l'imputation aux villes des frais de fonctionnement des Ecoles est une solution dépassée), a pu faire face aux exigences nouvelles. Elle se laisse encore, malgré son accroissement, aisément dominer. Elle a conservé, de son plus lointain passé, une familiarité, une intimité, que l'on peut donc bien appeler l'esprit de la conciergerie avec, toutefois, par comparaison avec les temps héroïques, beaucoup moins de délabrement et beaucoup moins d'animaux.

    On peut se demander si cette efficacité ne retarde pas, en quelque sorte, pour cette bibliothèque, les menaces qui pèsent sur la profession de bibliothécaire, et qu'analysait M. Lethève dans ce Bulletin (1) . Si le bibliothécaire d'une section spécialisée de Bibliothèque universitaire (ou d'une bibliothèque assimilée) est moins menacé que d'autres dans son existence, ne serait-ce pas que son travail est dans une relation plus immédiate avec celui de ses lecteurs - que, s'occupant d'une seule discipline, il peut mieux aider les chercheurs à maîtriser à la fois une bibliographie de plus en plus torrentielle, et même le foisonnement de la terminologie technique - Ne serait-ce pas qu'il est, quoique avec sa fonction propre, plus visiblement intégré à l'équipe des chercheurs, plus visiblement solidaire du travail de recherche - Et s'il en était ainsi, cette dispersion à laquelle va nous condamner l'éclatement des bibliothèques universitaires, et qui, certes, va poser de graves problèmes de coordination, ne serait-elle pas, avec l'intérêt des chercheurs, le salut de notre profession elle-même - Si telle est la bonne voie, les bibliothèques médicales l'ont depuis longtemps montrée.

    Quant à la situation de la bibliothèque, telle qu'elle a été décrite, elle va être modifiée par la réforme des études médicales, qui va amener le transfert de l'Ecole à La Tronche, auprès de l'hôpital et réaliser, par la juxtaposition des deux établissements dans un « Centre Hospitalier et Universitaire », une concentration des locaux, des ressources et des activités. C'est dire, au moment où l'Ecole et sa bibliothèque, après soixante-cinq ans de vie urbaine, vont revenir aux champs, combien l'esprit de la conciergerie, s'il pouvait subsister, répondrait aux exigences de proximité et d'accessibilité qui sont celles de la réforme ; et l'on peut rêver, en particulier, d'une bibliothèque constamment disponible, même dans des séances d'ouverture du soir. Encore si loin de la réalisation, que dire de plus - On en est, pour l'heure, à prévoir les surfaces nécessaires aux futurs locaux. Qu'il suffise, pour aujourd'hui, d'avoir montré l'équilibre actuel, qui donne à l'étape en cours son intérêt et, peut-être, du même coup, à ce trop long propos, son excuse.

    1. La profession de bibliothécaire est-elle menacée de disparaître ? In Bull. inform. A.B.F., juin 1960, n° 32, p. 79-83. retour au texte