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Y a-t-il des photographies à la bibliothèque nationale ?

1977
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    Y a-t-il des photographies à la bibliothèque nationale ?

    Par Bernard Marbot, Conservateur au Département des Estampes et de la Photographie

    En 1851, la Bibliothèque nationale a reçu ses premières photographies; en 1977, elle possède plus d'un million d'épreuves positives ou négatives : daguerréotypes, calotypes, tirages anciens sur papier salé ou albuminé, épreuves au charbon, plaques au collodion ou au gélatino-bromure, etc. Le dépôt légal a été une source d'enrichissement régulière et intéressante mais incomplète : les professionnels semblent avoir appliqué la règle spontanément mais les amateurs qui, au XIXe siècle, ont participé au moins autant que les autres aux progrès techniques du procédé et à la beauté des résultats y ont échappé. Les dons et l'achat de quelques grandes collections (notamment les 50 000 pièces de l'atelier Nadar en 1950 ou les 80 000 épreuves appartenant au collectionneur Georges Sirot, en 1956) ont permis plus tard de combler en partie ces lacunes. Quant à la production contemporaine française ou étrangère, elle fait l'objet depuis la dernière guerre d'une politique d'acquisition aussi suivie que le permettent les crédits (vraiment modestes) dégagés à cet effet.

    Ces collections sont conservées au Cabinet des Estampes (devenu en 1976 Département des estampes et de la photographie). La divulgation de la photographie (1839) coïncide avec l'arrivée à la tête du cabinet de Duchesne aîné qui avait auparavant grandement contribué à réorganiser le classement des fonds et à en rationaliser la conservation : le premier exemplaire d'une gravure allait dans un album ou un portefeuille sous le nom de son auteur, les doubles étaient répartis dans de grandes séries documentaires (portraits, histoire, topographie, moeurs et costumes, etc.).

    Rien ne s'opposait à ce qu'on en fasse autant avec la photographie (déposée en deux exemplaires) sinon les conservateurs eux-mêmes qui les considéraient sans doute comme une technique de reproduction sans grande valeur esthétique ni avenir culturel. Les épreuves ont donc été dispersées dans les séries documentaires au milieu de centaines de milliers de gravures ou versées dans des fonds d'attente. On ne saurait blâmer nos lointains prédécesseurs d'avoir agi ainsi alors qu'ils se préoccupaient par ailleurs d'assurer à leur Département la possession de nombreuses gravures ou lithographies choisies ; ils reflétaient l'indifférence de la plupart de leurs contemporains à l'égard d'une invention qui dégoûtait si fort Baudelaire.

    Il serait vain pour les mêmes raisons de regretter qu'Achille Deveria, le frère du peintre, lui-même dessinateur et lithographe, n'ait rien changé à cette situation lorsqu'il succéda à Duchesne, en 1855. Il était pourtant coéditeur avec Louis Rousseau, un préparateur du Muséum, passionné de la chambre noire, d'une publication qui fait date dans l'histoire de la photographie. Peut-être n'en a-t-il pas eu le temps ; il est mort en 1857, laissant une collection personnelle de 113 000 pièces gravées dans laquelle on a retrouvé récemment quelques centaines de photographies.

    Au moins la Bibliothèque nationale a-t-elle joué son rôle d'organisme de conservation en accueillant pendant près d'un siècle, sans enthousiasme mais sans parti pris, ces milliers de documents dont la plus grande partie, autrement, aurait péri comme il en périt encore actuellement chaque année par ignorance au hasard des successions, déménagements ou démolitions d'immeubles. Ainsi a-t-elle permis à ces documents d'attendre l'époque qui consacrerait la photographie comme fait culturel.

    L'intérêt du public et des chercheurs pour la photographie, qu'il soit d'ordre artistique, documentaire... ou pécuniaire est un phénomène encore récent, du moins en France, mais qui se développe à un rythme accéléré comme le veut notre temps. Constatation peut-être affligeante mais révélatrice de cet engouement, dans les ventes publiques et chez les marchands, les s'envolent: en 1962, un amateur éclairé s'émerveillait qu'un Cameron (photographe anglais du XIXe siècle) ait pu être payé 3 000 frs ; dans une vente de 1976, un tirage identique a été adjugé à un prix voisin de 16 000 frs.

    Tantôt devançant le mouvement, tantôt le suivant, la Bibliothèque nationale a pris part à ce développement. Quelques grandes expositions ont eu lieu sur son initiative ou avec sa participation ; une galerie permanente, la deuxième du genre, en France, a été ouverte en 1971. Et surtout, elle a entrepris d'inventorier ses richesses et d'en rassembler l'essentiel dans une série qui serait à la fois significative, en quantité et en qualité, de ce qu'elle possède et représentative de l'évolution du procédé, de son ambivalence (valeur esthétique et/ou-documentaire), des talents qu'il a suscités, de sa place dans la société.

    Mais l'inventaire rapide et ordonné d'un tel fonds avec l'élaboration (sous quelque forme que ce soit) des catalogues-auteurs et sujets indispensables à une communication facile et pertinente nécessiterait d'autres moyens que ceux mis en oeuvre (trois personnes). Il n'existe pas de répertoires, de corpus qui puissent faciliter les attributions et les datations ; ni de système de classement des thèmes iconographiques qui permettent d'établir un catalogue-matière satisfaisant. On commence seulement à étudier sérieusement les conditions et les règles d'une bonne conservation des documents.

    Ouvrages de références, systèmes documentaires spécifiques de l'image, travaux de contretypage et de restauration, pour toutes ces questions, la Bibliothèque nationale a un rôle exemplaire à jouer en raison de l'étendue et de la diversité de son fonds ; il serait regrettable qu'elle s'en laisse dépouiller faute de moyens pour appliquer une politique rationnelle, continue... et coordonatrice. Car, si la Bibliothèque nationale a une collection d'importance internationale, elle n'est pas le seul organisme public à posséder des photographies ou des documents relatifs à la photographie. Souhaitons que le repérage des fonds conservés dans les bibliothèques des diverses administrations soit entrepris un jour afin d'assurer la conservation de ce patrimoine et d'en faciliter l'exploitation pour la recherche.