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Eléments d'analyse pour la réflexion et le débat

1994
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    Eléments d'analyse pour la réflexion et le débat

    Par Jean-Claude Annezer, Bibliothèque interuniversitaire de Toulouse

    Avant-dire

    Beaucoup a été dit et écrit au cours de cette année sur les statuts, les cadres d'emploi, les concours, les formations... sans pouvoir pourtant apaiser l'incertitude et la morosité d'une bonne partie de la profession.

    En arrière-fond de toutes les réactions, de toutes les critiques, il y a une conscience vive, partagée par la plupart d'entre nous, d'une profonde évolution des pratiques de notre métier et de leur place, de leur inscription dans la ville, l'université, l'école, les réseaux départementaux, les entreprises, les prisons, les hôpitaux. Que l'on mette l'accent sur le savoir culturel ou sur les technologies, nos pratiques professionnelles changent et nul ne sait de quoi l'avenir sera fait : les optimistes disent qu'il y a des acquis prometteurs, une solidification de notre identité, les pessimistes que la situation est à l'éparpillement, à la fragilité et à l'émiettement des acquis ; les ratés des statuts et des dispositifs de formation ont produit des failles et des reculs qui laissent désabusé plus d'un d'entre nous.

    L'absence de référent fort et stable (une loi sur les bibliothèques par exemple), les dérives « technologiques des formations de l'ENSSIB alors que manquent, semble-t-il, un réel transfert et une réelle possibilité d'appropriation de la culture du métier, les décalages de plus en plus patents entre les propositions de formation du CNFPT et les valeurs du métier, sont autant de motifs d'insatisfaction et de crainte. L'inertie des mécanismes de régulation et la diminution de l'engagement associatif ou syndical donnent même à penser que nous sommes en train de perdre le contrôle de notre métier tout en cherchant à renouveler, à refonder une adhésion forte, une appartenance communautaire autour de valeurs et de concepts communs. Ce paradoxe semble exacerber la pesanteur de nos identifications professionnelles et affadir les conditions mêmes d'un renouveau des formations.

    Le thème de ce carrefour s'inscrit donc dans un contexte difficile. Il y a parmi nous des collègues qui ont réussi à traverser la plupart des difficultés, mais à quel prix ; d'autres qui ont échoué, malgré des investissements importants ; et d'autres encore qui tentent d'agir sur les situations et les dispositifs pour les mettre en cohérence avec les exigences actuelles du métier, mais il y faut tant de détermination et de ténacité !

    Il importe aujourd'hui que nous réfléchissions ensemble sur les enjeux de notre métier, sans oublier nos doutes et nos incertitudes mais en les approfondissant. Quelle est la nature de ce métier que nous vivons sous des formes différentes ? Sommes-nous encore capables d'en repenser les fondements, d'en mettre en lumière les contours et les limites, les évolutions prévisibles (ou inattendues) diffuses ? Il importe aussi que nous nous interrogions sur les représentations qui se nouent autour des modalités de son exercice ; qu'est-ce qui en émerge comme chances, comme raidissements ?

    Quel métier ? Quelles pratiques professionnelles ?

    1) Y a-t-il autant de types de bibliothécaires qu'il y a de variétés de bibliothèques ? Comment peuvent-ils former un » corps univoque - ?

    Existe-t-il un noyau ou un substrat commun et des valeurs partageables ? Nos secteurs d'activités ne sont-ils pas tous semblables (traitement et transfert d'informations préexistantes) ?

    2) Quelles sont les dimensions de nos qualifications professionnelles ?

    Sur quels apprentissages s'appuient-elles (apprentissages organisés = formations ; apprentissages diffus = expériences) ? Ne prennent-elles sens que par rapport à des situations ? Sont-elles tributaires des moyens mis à disposition ? Sont-elles reconnaissables et reconnues dans l'ordre social (statuts hiérarchisés) ? Structurent-elles notre « idendité au travail (comportements, aspirations, valeurs) ?

    3) Comment vivons-nous, exerçons-nous nos qualifications ?

    Nos qualifications se réduisent-elles à des compétences, entendues comme « démonstrations de capacités à faire, dans des situations données » ? Conduisent-elles à une juste reconnaissance de notre statut social ? Comportent-elles une part de jugement sur nos compétences ? Nos compétences constituent-elles une mobilisation effective des acquis de notre formation (connaissances, capacités, comportements) ? Quelle part donnons-nous à la motivation dans l'exercice de nos compétences ?

    4) Comment pensons-nous notre professionnalisme ?

    Consiste-t-il avant tout en une mobilisation optimale de nos capacités et de nos comportements dans des situations variées ? Peut-il aussi consister en une capacité à " modéliser », à formaliser nos expériences professionnelles vécues (discernement) ? Les capacités à s'organiser et à organiser une bibliothèque sont-elles au coeur de notre professionnalisme ? Les capacités à s'expliquer, à convaincre et à inspirer confiance sont-elles l'expression la plus vive de notre professionnalisme ?

    5) Compétences individuelles et compétences collectives

    Sommes-nous convaincus que le capital des compétences d'une bibliothèque n'est pas seulement composé de compétences individuelles ?

    De quoi dépend la qualification collective d'une bibliothèque (vision d'ensemble des relations mutuelles entre les compétences individuelles) ? Cette qualification collective n'exige-t-elle pas que nous prêtions attention aux « chaînes de compétences dans nos bibliothèques et que nous en assurions la fiabilité ? Comment avons-nous forgé ou comptons-nous forger la compétence collective de nos équipes ? Quels sont les freins et les obstacles que nous rencontrons pour que la compétence collective soit réellement la résultante des interactions entre tous les personnels de la bibliothèque ?

    Quelles formations ?

    1) Les dispositifs de formation que nous avons vécus (subis ?) sont-ils ou ont-ils été efficaces par rapport à nos attentes et à nos actuelles situations professionnelles ?

    Quelles influences (positives ou négatives) ont eu les formations sur les différents aspects de notre métier ? Quels ont été et quels sont pour nous aujourd'hui les aspects prioritaires du métier de bibliothécaire auxquels les formations devraient préparer avec plus d'efficacité ? Constatons-nous une synergie ou une distorsion entre l'évolution de notre métier et l'évolution des formations professionnelles ?

    2) Comment pouvons-nous établir une typologie des critères susceptibles de nous permettre d'analyser les formations ?

    Un dispositif et un programme de formation doivent-ils être prioritairement pertinents par rapport à la situation d'ensemble de notre profession et aux évolutions que nous entrevoyons ? Comment peuvent-ils être cohérents avec le développement des compétences que nous savons aujourd'hui nécessaires à l'accomplissement des missions de nos bibliothèques ? Sont-ils adaptés et adaptables aux évolutions actuelles de notre métier ? Leur conformité aux données réglementaires, statutaires leur permet-elle de concorder avec les variables de notre environnement professionnel ? Comment apprécions-nous leur efficacité ? Leurs résultats et leurs effets correspondent-ils aux objectifs de l'exercice actuel du métier ? Ces dispositifs de formation se préoccupent-ils en permanence de l'adhésion de la profession ?

    3) Les niveaux de formation correspondent-ils réellement à des niveaux de compétences, eux-mêmes conditionnés par des fonctions ?

    Quelles sont les compétences de base du métier de bibliothécaire ? Quelles en sont les tâches spécialisées ? Comment nous préparons-nous (sommesnous préparés) aux fonctions d'encadrement et de responsabilité ? Comment les formations tiennent-elles compte de l'évolution des connaissances, des techniques et des champs de nos responsabilités ? Comment contribuent-elles à une meilleure reconnaissance des professionnels qu'elles sont chargées de former (diplômes, compétences, statuts) ? Comment participent-elles à l'amélioration de la qualité des services de nos bibliothèques ? Les compétences professionnelles que ces formations doivent permettre d'atteindre sont-elles clairement définies comme objectifs pédagogiques ? Les contenus et les méthodes de ces formations sont-ils conformes à ces objectifs ? En quoi des « référentiels de compétences . pour nos métiers peuvent-ils mieux structurer les formations professionnelles (en évitant les dérives technocratiques et managériales) ?

    Qui sommes-nous pour souhaiter être vus tels que nous sommes ?

    « Et peut-être est-ce le moment de dire un mot du rôle des bibliothécaires qui certes n'ont une fonction ni de thérapeutes, ni d'assistants sociaux, ni de directeurs de conscience, mais dont la présence dans ces lieux mêmes dont ils ont la responsabilité et la garde a un sens de communication et de médiation irremplaçable [ ...

    » En cette fin de siècle où tant d'illusions s'écroulent, où tant de menaces rôdent, la circulation des livres est peut-être un des rares espoirs de progrès qui demeurent. » (Raymond Jean, in Bibliothèques, une nouvelle génération, 1993)

    « Pour mieux s'intégrer aux métiers du savoir et de la culture auxquels ils appartiennent, les professionnels des bibliothèques doivent éviter de s'enfermer dans leur professionnalisme et dans la technicité de leurs métiers, et s'ouvrir davantage à des savoirs généraux et spécialisés selon les types d'établissement dans lesquels ils travaillent et selon les besoins et les demandes de leur public [...].

    « Les formations futures devront avant tout se situer à un haut niveau culturel et scientifique, marquant la priorité donnée aux contenus de connaissance plutôt qu'aux technologies de l'information. » (Alain Gleyze et Daniel Renoult, in Bulletin d'informations de l'ABF, nO 150, 1991)