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    Le bibliothécaire informateur

    Par Jacques Faule, Bureau des politiques documentaires et de la formation Direction du Livre et de la Lecture

    « Les échanges professionnels m'apportent beaucoup. Il y a toujours quelqu'un qui répond aux questions. » 19 mai 1994, table-ronde électronique Biblio-Fr Francine Alfandary Columbia Law School New York francine@lawmail.law.columbia.edu

    Il y a deux oppositions qui ont la vie dure dans notre métier. La première est banale, c'est un pont aux ânes de la bibliothéconomie : il s'agit de la séparation des soeurs siamoises, la bibliothécaire et la documentaliste, phénomène français qu'illustrent les titres de nos revues professionnelles où figurent dans un cas les mots « bibliothèques ou «bibliothécaire et dans l'autre « documentaliste et « sciences de l'information ". L'ADBS regroupe documentalistes et bibliothécaires. Mais si on trouve Documentaliste dans les BM, le lit-on ? Et inversement lit-on le Bulletin de l'ABFdans les centres de doc ? Les dénominations BPI et ENSSIB qui recouvrent les deux composantes - bibliothèque et information - n'ont pas fait florès et sont incompréhensibles au profane. Les Québécois ont associé les deux composantes du même métier : leur revue professionnelle s'appelle Documentation et bibliothèques, tout comme, il est vrai, le Bulletin dit d'informations de l'ABF.

    Mais ne nous enfermons pas dans une querelle de mots, car ce schisme ne résiste pas à l'examen. Le métier est un amalgame de compétences, les faits le prouvent. Le catalogage, l'informatisation, le code à barres, l'accès à distance - et la mise en réseau - pour ce qui est des techniques, la disponibilité, la précision et la rapidité d'exécution - et la garantie de qualité - pour ce qui est du personnel sont des tâches et des attitudes qu'on retrouve dans les centres de doc aussi bien privés que publics, dans les bibliothèques aussi bien spécialisées que généralistes (1)

    La deuxième opposition est plus ancienne et plus tenace, me semble-t-il. Il s'agit de la distinction entre les bibliothécaires « patrimoniaux et les bibliothécaires « informateurs Ceux-ci acquièrent le patrimoine, l'analysent, valorisent des écrits qui restent en bonne place ; ceux-là achètent et distribuent - disséminent - des romans et des documents qui circulent entre toutes les mains. Les premiers gèrent des documents, les seconds traitent des extraits de documents (2) .Je crois que ce schéma est encore vrai dans l'esprit de beaucoup d'entre nous mais qu'il n'est pas justifié.

    Mon propos n'est pas de mettre sur le même plan «l'évitement par Flaubert des répétitions de morphèmes lexicaux dans Madame Bovary "le théâtre kabuki à Kyoto au XVIesiècle », « la pomme de discorde entre Tchèques et Slovaques au sujet du barrage de Gabcikovo » et le marché des robinets mitigeurs thermostatiques », il est de dire : « Toute question posée - ou suscitée - dans l'enceinte d'une bibliothèque publique est légitime. »

    Nos collections sont incontestablement la matière et la richesse première de nos bibliothèques et l'érudition des bibliothécaires un atout essentiel de leur développement. Mais l'éducation sur les sources nobles et pérennes n'est pas incompatible avec l'information sur les données triviales et fugitives. D'autant que bel ouvrage et fait divers ont tout autant droit de cité dans nos bibliothèques. FRANTEXT et l'AFP se tiennent désormais par la main : les réseaux et la numérisation pressent le mouvement. L'information documentaire ou documentée - au sens où on dit d'un texte, d'une thèse qu'ils sont documentés, étayés - a besoin d'interprètes, selon le mot de Michelet.

    Les bibliothécaires sont des passeurs.

    Les soeurs siamoises

    Trois éléments jouent comme des aimants pour rapprocher bibliothécaire et documentaliste.

    La polyvalence documentaire

    Le premier aimant qui rapproche du bibliothécaire un documentaliste et du documentaliste un bibliothécaire, si j'en crois les contacts que je garde avec nos collègues de la presse par exemple et qu'atteste le livre publié ces jours-ci, sous la direction d'Alain Vuillemin (3) , c'est la polyvalence documentaire. Bibliothèque généraliste ne veut pas dire bibliothécaire qui donne une réponse moyenne mais une réponse spécifique. Ces capacités documentaires s'acquièrent rapidement, le plus souvent sur le tas et suite à des changements de poste. Mais il arrive encore que chacune des tâches bibliothéconomiques - choisir, saisir, acquérir, cataloguer, accueillir, exposer, renseigner et former - soit faite séparément. Vous vous souvenez que dans les années 1960, on parlait beaucoup de la Suède où étaient expérimentées de nouvelles formes de travail, moins aliénantes, où chaque ouvrier, comme dans les ateliers de Volvo, participait au montage de toutes les pièces du véhicule. Notre métier n'est pas à ce point spécialisé qu'il nous impose un partage des tâches. Même si c'était le cas, même si on me démontrait que l'émiettement des tâches, leur parcellisation était bon pour la rentabilité, j'estime que la rotation des tâches et la mobilité de l'emploi sont souhaitables car elles nous permettent de résoudre des problèmes de terrain. A leur tour ces solutions constituent autant de repères qui nous aident ensuite à prendre des décisions dans des circonstances comparables.

    La micro-informatique

    Le deuxième aimant et facteur de rapprochement entre « la doc et « la bibli », c'est naturellement un outil de travail qui s'est banalisé en un temps record, moins de dix ans : le micro-ordinateur et plus exactement le poste de travail communicant et intégré, migrant aisément - simultanément - d'un environnement à un autre. Avec 30 000 F TTC aujourd'hui vous pouvez gérer un fichier bibliographique de 100 000 références, lire un CD-ROM, consulter des banques ASCII et vidéotex, recevoir des logiciels libres de droit en shareware, couper-coller à loisir et envoyer le tout par courrier, par télécopie ou sur les réseaux à une vitesse record. Ce primat de la vitesse - vitesse de traitement, vitesse d'exécution - est l'un des atouts de la micro-informatique.

    L'information économique

    L'intrusion de l'économie dans la bibliothèque constitue le facteur déterminant de rapprochement et de combinaison des deux métiers. Non pas tant au sens où l'entend la dernière livraison du BBF, « Les bibliothèques saisies par l'économie » ou encore ce sobre « bilan d'une expérience d'archivage électronique de la documentation des fichiers informatiques » dressé par Michèle Conchon. Encore que si notre rôle n'est pas de remplacer les cabinets de consultant, nous ne pouvons pas non plus ignorer l'aide et les conseils que nous pouvons apporter, forts de nos expériences et de nos acquis, à diverses catégories de lecteurs dans l'élaboration d'un cahier des charges, dans la rédaction d'un contrat ou d'une demande de partenariat, de la détermination des prix des marchés publics, etc. Intrusion de l'économie non pas tant au sens où le secteur de la télématique est l'un des secteurs dont la croissance est le double de l'ensemble de l'économie (4) , donc générateur d'emplois. « Le minitel a créé 350 000 emplois », lisait-on dans Le Monde du 9 juin 1994.

    Intrusion de l'économie précisément dans le sens où les questions microéconomiques, les questions sur les études de marché et les bilans d'entreprise se sont emparées des lecteurs, de leurs préoccupations, en particulier de ceux qui sont engagés dans la vie active, de ceux qui sont à la recherche d'un emploi et notamment des huit cent mille Rmistes pour qui s'informer peut constituer une démarche d'insertion. Il ne s'agit donc pas de notre gestion administrative interne. Non, ce qui s'est produit ces dernières années et qui est sans doute le miroir des préoccupations d'une partie de nos contemporains, c'est le besoin frénétique et exprimé sans ambages d'informations spécialisées, chiffrées, dites pointues. Et le terme est juste car ces questions, croyez-moi, ne cessent de nous tarauder huit heures par jour depuis une bonne dizaine d'années. Je parle au présent car je traite ce même type de question en administration centrale lorsque qu'il m'est demandé d'évaluer la charge de personnel supplémentaire qu'entraîne l'ouverture dominicale d'une bibliothèque ou de comparer les coûts de raccordement à INTERNET sur TRANSPAC, OLEANE, FNET et RENATER.

    Il y a là une dimension qui a été immédiatement perçue par les différents directeurs de la BPI et par des collègues qui se sont employés à transformer le secteur du « 3» en une bibliothèque des affaires, de l'emploi et des segments de secteurs économiques et industriels.

    Pour traiter ces questions difficiles qui supposent des recherches croisées, par exemple la compétitivité de l'Alle-magne dans le secteur de la machine-outil », pour la plupart d'entre nous qui n'entendons rien à l'économie - par paresse d'esprit, manque de formation ou de curiosité ou aversion pure et simple -, il a fallu s'initier le plus souvent sur le tas à des instruments, des outils, des classeurs à feuillets mobiles, des dictionnaires permanents, des Jurisclasseurs, des Lamy sociaux et informatiques, des études CXP, des brochures Précepta et Dafsa, bref des livres que nous n'avions jamais fréquentés. Les bibliothécaires ont travaillé pour mettre en valeur ces fonds de référence, pour les faire connaître au public mais aussi au personnel. Et ceci en suivant l'évolution des supports comme les bibliothèques l'ont fait en mettant leurs catalogues sur minitel et en répondant à la demande ; comme beaucoup de bibliothèques le font en élargissant leurs horaires d'ouverture (par exemple, Amiens ou Limoges). Il faudrait insister sur ce chapitre de l'économie car, à mon sens, la partie n'est pas gagnée ; même s'il n'est pas forcément souhaitable qu'il y ait dans toutes les bibliothèques municipales un rayonnage consacré à l'information économique et aux moyens de se la procurer, je crois que si la demande se fait jour même timidement on peut, on doit essayer d'y répondre en commençant par exemple par installer, par montrer ostensiblement un Kompass régional ou le Point économique Insee sur les données locales et noter les réactions. Qu'importe si on marche sur les plates-bandes des chambres de commerce et d'industrie, le plus n'est pas l'ennemi du bien.

    La dimension économique du métier d'informateur doit être reconnue pleinement car le fait de s'intéresser à des disciplines qui sont extérieures à sa propre formation initiale, en clair qu'un littéraire - puisque c'est le cas de figure le plus courant - s'intéresse à l'industrie, est en soi une attitude positive qu'il convient d'encourager. Le personnel qui accepte de s'impliquer intellectuellement pour traiter ces questions austères ou ardues, souvent tordues, apprivoise les données économiques : « Il n'y a pas de texte difficile quand on l'a dans sa poche écrivait Giono à propos des livres de poche (5) .

    Les « patrimoniaux » et « les informateurs »

    Informer sur l'ancien et instruire sur le nouveau

    Si les métiers de bibliothécaire et de documentaliste sont aujourd'hui interchangeables, sinon identiques, le mélange des genres aussi est-il souhaitable ?

    Un bibliothécaire qui organise une exposition sur un relieur d'art, un graveur lorrain, un paysagiste marnais, sur les lettres manuscrites de peintres ou de musiciens ou encore sur Walter Benjamin, et qui valorise son fonds ou le fonds qui lui est prêté, fait évidemment de l'information au sens le plus noble du terme puisqu'il élève la communication du patrimoine au niveau d'un art. Et tous les bibliothécaires qui mettent en valeur leurs fonds, qu'ils soient locaux, acquis ou préemptés, sont les agents les plus dignes d'éloge du rayonnement de l'information auprès de la communauté, et l'accent doit être mis sur ce rôle irremplaçable. Irremplaçable parce que ces fonds, le plus souvent littéraires, artistiques et historiques, que nous détenons en lieu et place au titre de nos concitoyens, nous sommes de par notre formation aptes à en accroître l'audience et à en étendre la connaissance.

    Ce rôle de découvreur et de révélateur de fonds anciens est fondamental. Mais mettre en perspective les fonds nouveaux est aussi capital.

    Les activités des uns et des autres sont foncièrement semblables même si elles semblent à première vue contradictoires car les premiers travaillent sur des fonds anciens qu'ils « remettent] en liberté (6) , les seconds travaillent sur des documents récents qu'ils rattachent à une tradition (7) .

    Informer collectivement

    Pourtant, dans les deux exemples, l'exemple savant, l'exemple profane, c'est « une pensée de précision », « une sobriété démonstrative (8) qui s'expriment. La matière des données se coule dans une empreinte formalisée et normalisée propre à emprunter des chemins, des canaux collectifs.

    L'information peut alors être montrée à des groupes de lecteurs par des moyens pédagogiques. Nous avons les outils et nous savons les utiliser : tableaux papier, transparents, cristaux liquides.

    Et quand je dis montrer, ce n'est pas, ce n'est plus en s'adressant individuellement à la personne, au lecteur sauf exception et sauf messagerie interindividuelle sur laquelle nous reviendrons. Je crois que vu la masse des gens qui nous sollicitent ou qui nous solliciteront, qui nous accaparent, qui nous assaillent, nous devons nous organiser et préparer une réponse collective, en amont de la demande.

    Le bibliothécaire est capable d'identifier un document. Mais connaître le document demande une curiosité particulière. Jean-Claude Garreta a raison de rappeler (9) la distinction entre bibliologie matérielle qui est l'étude de la fabrication du livre et bibliographie analytique qui ajoute à la description une analyse du contenu. Je serai plus royaliste que M. Garreta en disant que notre travail consiste non seulement à analyser le contenu mais aussi à décrire le fonctionnement de ce contenu. Il consiste à dire et à écrire que figurent dans tel ouvrage les tables des incipit, des noms et des sujets et à décrire le plus pédagogiquement possible la méthodologie pour accéder à l'information dans des ouvrages spécifiques comme le Kompass et les Jurisclasseurs.

    Mais le bibliothécaire fait oeuvre tout aussi utile - pas scientifique, ni historienne, utile - quand il montre à un thésard les épreuves d'un roman corrigées par l'auteur ou quand il explique à un lecteur la méthode pour accéder à une dépêche de l'AFP sur l'audiotex, à savoir qu'il peut retrouver cette dépêche - pour prendre un exemple tiré de la BPI - dans le bulletin hebdomadaire d'informations scientifiques de l'AFP coté 5 (0) ; la récupérer dans le CD-ROM de l'agence consultable en Salle d'actualité (en précisant le mode de recopie, sur imprimante, sur disquette) ; appeler un service télétel haut-palier depuis son domicile ou à partir d'un point minitel ; s'adresser à un service de bases de données qui lui dira les tarifs pratiqués pour la même banque sur différents serveurs ASCII et qui pourra lui extraire un échantillon de texte intégral ; accéder enfin via INTERNET à une sélection de dépêches réunies par notre ambassade aux États-Unis en indiquant les modalités et les coûts depuis son micro-ordinateur ou son minitel basculé en mode ASCII.

    Une information plus disponible car immatérielle : paradoxe!

    Cette information peut être stockée dans le système d'information de la bibliothèque. Je crois qu'on ne peut plus parler seulement de catalogue de bibliothèque. Il s'agit bien de système d'information, voire de système de connaissance que nous pouvons aider à mettre en place.

    Car de deux choses l'une : soit on considère l'outil informatique communiquant comme secondaire dans notre métier, comme une machine à rédiger des notes, au seul usage restreint d'une certaine catégorie de personnel. Ce qui signifie qu'on prend ses distances avec le principe de la mise en réseau et du partage des ressources et qu'on se consacre alors à la recherche solitaire et à la méditation spéculative, mais dans ce cas-là on est bibliologue ou chercheur, on n'est plus bibliothécaire.

    Soit on considère que la micro-informatique communicante est un outil d'autant plus nécessaire, le réseau collectif un principe d'autant plus intangible que la situation française mérite, exige cet effort de coopération et de productivité, pour des raisons techniques et des raisons historiques. Parmi les raisons techniques, citons seulement la commande Microsoft Word chercher », qui permet de repérer en un temps record toute chaîne de caractères dans le fouillis de vos fichiers.

    La dimension des collections est la principale raison historique : la France n'est pas la Californie qui compte, pour 30 millions d'habitants, parmi des centaines de bibliothèques publiques, 35 dont le fonds comporte plus de 400 000 volumes et dont 13 ont un fonds supérieur à 1 million. Et Paris n'est pas Berlin qui compte pour 3,1 millions d'habitants une dizaine de bibliothèques publiques, d'État et universitaires, de 500 000 volumes chacune, ouvertes sans interruption toute l'année.

    Une information réciproque

    La mise en commun des ressources est déjà effective lorsque les catalogues sont interrogeables à distance.

    Y aura-t-il vraiment une différence de statut entre une banque de données de vulgarisation scientifique réalisée par la BU de Caen, les sonnets de Shakespeare, l'organigramme de la Bibliothèque du Congrès et l'une des plus grandes banques de données de presse anglophone UNCOVER, dès lors qu'on pourra consulter le tout sur réseau avec un antéserveur transparent ? En tout cas il n'y a pas de différence dans le traitement du contenu et dans le moyen d'y accéder puisqu'un minitel suffit. Deux bibliothèques municipales sont accessibles par INTERNET et cent neuf le sont par minitel, phénomène qui ne laisse pas d'interloquer nos collègues étrangers.

    A moyen terme, on peut prévoir que ces catalogues seront reliés entre eux et qu'ils offriront à la fois un service global - catalogue collectif articulé sur les services d'information et d'actualité existant déjà dans des BM - et des services individualisés - messagerie minitel comme celle de la BPI ou messagerie INTERNET. Conversion rétrospective des fonds (par exemple ceux des 26 BMqui sont engagées dans les deux premières campagnes à hauteur de 1,3 million de notices) et mise en mémoire de nos dispositifs d'information vont de pair. Les limites de capacité de stockage des textes sont repoussées tous les jours sur nos stations de travail individuelles et davantage encore sur réseau local où les serveurs bureautique et d'application hébergent les données provenant des ordinateurs personnels : on peut donc charger la mule !

    La coopération s'établit d'autre part entre les bibliothécaires eux-mêmes, et ceci n'est pas un effet de rhétorique, entre les savoirs des bibliothécaires qui rédigent et échangent des notes, des contributions, des présentations de CD-ROM, par exemple un abécédaire pour accéder à INTERNET avec un minitel. Ce qu'on peut obtenir avec les grands serveurs sur le plan documentaire, la possibilité d'écarter les doublons quand on interroge plusieurs banques de données dans le même domaine, on est en train de le faire pour nos activités. Car le travail en commun sur une grande échelle permet de bénéficier de l'expérience d'autrui et d'éviter la duplication des tâches et pas seulement de dériver des notices.

    Ce catalogue fourre-tout, rétrospectif et prospectif, contiendra - contient car c'est déjà le cas pour plusieurs catalogues du réseau INTERNET - livres et infos, infos et livres de façon indissociable. Les mêmes informations peuvent se retrouver sur des supports différents, par exemple MEDLINE ou PASCAL sur papier, vidéotex, ASCII et CD-ROM et les méthodes d'accès à la même information, au même contenu ne sont pas identiques.

    Les catalogues seront ainsi en mesure de vous donner une information globale sur :

    • les instructions pour utiliser tel CD-ROM;
    • les descriptifs de leurs contenus (introuvables aujourd'hui : à ma connaissance, il n'y a pas de catalogage des CD-ROM dans les OPAC, ni d'ailleurs des banques de données, et encore moins des services télétel équivalents) ;
    • les réorientations (dire au lecteur languedocien qu'ELECTRE et la Bibliographie nationale de France sont consultables à la bibliothèque du Carré-d'art à Nîmes, dire au lecteur girondin que le bilan économique et social du Monde est consultable à la bibliothèque municipale de Bordeaux-Mériadeck, etc.

    Toutes données qui englobent notices d'utilisation, renseignements pratiques, "trucs du métier et contact fiable : l'anonymat n'est pas de mise dans l'échange d'informations. Loin de nous fondre dans l'anonymat, le réseau nous engage individuellement. Et aussi une assistance technique : savons-nous utiliser cet appareil à microfiche, à microfilm, ce CD-ROM ? Savons-nous changer de support, proposer celui qui est disponible ? Savons-nous s'il existe d'autres biais pour accéder à la même référence ou au même texte ? Car le texte intégral existe aussi en ligne ou sur disque numérique ou bien encore sur INTERNET (10) . Il n'existe pas aujourd'hui de questions sur les contenus qui n'aient d'immédiates répercussions sur les supports et qui n'impliquent une réflexion sur le choix des vecteurs de transmission, sur les modalités, tarifs ou délais de prêt et de fourniture.

    L'information transversale

    Les milliers de bibliothécaires qui s'expriment sur les réseaux apportent aussi leur science et constituent un instrument d'information horizontale ou transversale, irremplaçable pour ceux qui l'utilisent qui contribue à enrichir et vivifier le système d'information traditionnel, pyramidal, hiérarchique, administratif, l'information dite verticale.

    La prochaine étape sera décisive et ne sera gagnée qu'avec le concours et le soutien des directeurs d'établissement et des responsables administratifs et politiques. Il s'agit de l'insertion dans le système d'information de la bibliothèque lui-même de la circulation des notes, comptes rendus, mémos et prises de décision. Elle permettra d'énormes progrès dans la productivité des services surtout pour ceux qui se trouvent éloignés dans l'espace, par exemple les sections de grandes bibliothèques ou encore les annexes de bibliothèques municipales.

    D'une façon générale, la possibilité pour un bibliothécaire isolé dans l'espace (notamment rural), dans le temps (par exemple les bibliothèques ouvertes la nuit) ou dans une fonction spécifique (par exemple le catalogage) de participer aux échanges d'information sur les réseaux est d'une importance capitale car un tissu immatériel rassemble ces individus dispersés dans une communauté de réflexion. La messagerie et la participation aux forums électroniques constituent un média de relation qui fonde une entité bibliothécaire.

    L'archiviste selon Michelet

    Venons-en à la définition de l'archiviste selon Michelet. Le bibliothécaire est une triade : celui qui réunit, celui qui catalogue, celui qui interprète. C'est en appendice du deuxième volume de son Histoire de France qu'il décrit les Archives nationales dont il fait remonter le premier inventaire à Richelieu : « Personne ne sut comme lui enrichir et exploiter les archives. » Richelieu dont « les limiers - c'est ainsi que sont désignés les archivistes - poursuivirent infatigablement l'oeuvre réunissant, cataloguant, interprétant ».

    Réunir, nous savons faire, je plaide seulement pour qu'on oriente davantage les achats vers ce qu'on appelle à la BPI le " trois point », c'est-à-dire non seulement les guides juridiques, les guides de Cv et d'embauche, mais les annuaires industriels, mais les études de marché. Ce secteur absorbe à la BPI jus-qu'à 15 % du budget des acquisitions des livres, davantage si on compte les CD-ROMd'info économique comme F & S ou Kompass, bien plus si on incorpore les périodiques spécialisés du type LSA, Points de vente ou l'Annuaire de l 'agro-alimentaire.

    Cataloguer, au sens large du terme, c'est-à-dire ordonner des informations sur un support dynamique, est la tâche fondamentale. Tous les documents et aussi la plupart de nos tâches peuvent faire l'objet d'un enregistrement et servir plus tard. Chacun a dans son microordinateur des informations - données textuelles et chiffrées, fichier bibliographie, répertoire, annuaire - utiles à ses collèges et à la collectivité : qu'après accord de sa hiérarchie, il les mette en réseau. Un exemple a été donné récemment par Michel Melot qui, sur INTERNET, a d'abord fait circuler la table des matières du rapport annuel du Conseil supérieur des bibliothèques, puis le texte intégral, puis sa version traduite en anglais par Jack Kessler (11) .

    Et puis on pourrait s'atteler à l'indexation matière des ouvrages d'imagination. Quelle saisissante analyse des épidémies au Moyen Age que Le Hussard sur le toit de Jean Giono, quelle implacable description du milieu des fonctionnaires internationaux que Belle du Seigneur d'Albert Cohen ! L'information passe aussi par la fiction : « la littérature fait gagner beaucoup de temps écrivait l'économiste Paul Fabra (12) .

    Interpréter : que veut dire Michelet quand il parle de ces limiers - les archivistes - qui « interprètent » ?

    « Toutefois je ne tardais pas à m'apercevoir dans le silence apparent de ces galeries, qu'il y avait un mouvement, un murmure qui n'était pas de la mort. Ces papiers, ces parchemins laissés là depuis longtemps ne demandaient pas mieux que de revenir au jour. Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d'hommes, de provinces, de peuples. D'abord les familles et les fiefs, blasonnés dans leur poussière, réclamaient contre l'oubli. Les provinces se soulevaient, alléguant qu'à tort la centralisation avait cru les anéantir. Les ordonnances de nos rois prétendaient n'avoir pas été effacées par la multitude des lois modernes. [...]

    « Doucement, messieurs les morts, procédons par ordre s'il vous plaît. Tous vous avez droit sur l'histoire. L'individuel est beau comme individuel, le général comme général. Le Fief a raison, la Monarchie davantage, encore plus la République !... La province doit revivre ; l'ancienne diversité de la France sera caractérisée par une forte géographie. Elle doit reparaître mais à condition de permettre que, la diversité s'effaçant peu à peu, l'identification du pays succède à son tour. Revive la Monarchie, revive la France ! Qu'un grand essai de classification serve une fois de fil en ce chaos. Une telle systématisation servira, quoique imparfaite. Dût la tête s'emboîter mal aux épaules, la jambe s'agencer mal à la cuisse, c'est quelque chose de revivre. »

    Un texte, me semble-t-il, qui trouve une correspondance aujourd'hui avec Georges Mounin, l'immense linguiste récemment disparu qui avait exploré les voies de « la communication poétique (13) et aussi avec Pierre Bourdieu, lorsqu'il écrit : « [...] s'armelr] de toutes les ressources de l'érudition, non pour contribuer à la célébration sacralisante des classiques, au culte des ancêtres et du don des morts mais pour appeler et préparer le lecteur à trinquer avec les morts, comme disait Saint-Amand: [arracher] au sanctuaire de l'Histoire et de l'académisme des textes et des auteurs fétichisés pour les remettre en liberté (14) ».

    Le bibliothécaire se fait l'interprète des livres certes dans l'échange oral ou direct. Mais le lecteur recherche-t-il ce contact ? Les bonnes bibliothèques comme les bonnes librairies ne sont pas forcément celles où le personnel est sur le dos du lecteur. Le bibliothécaire se fait l'interprète des livres en offrant au lecteur le maximum d'informations sur ces livres et en lui permettant d'utiliser sans intermédiaire les moyens qui sont aujourd'hui à sa disposition.

    Interpréter, traiter les données comme des archives, c'est-à-dire les mettre en ordre, les coordonner, les comparer et les centraliser pour les rendre accessibles (interpréter et prêt inter sont presque le même mot) et les faire revivre, les remettre en liberté par la consultation, le prêt, les mettre en scène par l'affichage et l'exposition.

    Un travail en définitive proche de celui du traducteur. De même que le bibliothécaire organise l'ensemble des livres et des données, les agence, et les dispose selon un ordre et une signalétique qui permettent au lecteur de mieux embrasser les perspectives documentaires, d'en mieux discerner le sens, de même le traducteur s'attache à une interprétation non selon la lettre mais selon l'esprit.

    Les passeurs

    On pourrait définir les passeurs par ce à quoi ils s'opposent : la rétention d'information, la censure, l'autocensure. De nombreux collègues - bibliothécaires ou non - manifestent de façon éclatante et persévérante cette volonté de constituer une information documentée et citoyenne et de la faire passer au vu et au su de tous et le plus souvent en silence.

    Passeur par les expositions

    Les livres, et les textes sont des objets d'exposition à part entière. Les bibliothécaires sont avec les libraires les professionnels les mieux placés pour montrer les textes imprimés et aussi pour analyser les images car isolée de ses causes et de son contexte, l'image frappe un étage de notre perception où l'analyse intellectuelle et donc la mise en route de la mémoire interviennent faiblement (15) ».

    Peut-être vous souvenez-vous de l'exposition Censures réalisée il y a quelques années à la BPI ? L'une des pièces condamnées des Fleurs du mal était placardée : c'était A celle qui est trop gaie.. Le poème écrit, affiché, montré s'exprimait avec une intensité prodigieuse qui changeait le visiteur en pierre, en pierre vive.

    Passeur aussi par la lecture à haute voix. Pourquoi ne pas étendre l'heure du conte aux adultes ?

    Passeur par l'exemple

    Des innovations réussies vont faire tache d'huile n'en doutons pas, et ce congrès nous le confirmera ; ainsi la BDP de Saône-et-Loire (16) qui crée une navette spécifique pour alimenter directement en livres mais aussi en dossiers d'information les lecteurs des communes à l'aide d'un procédé qui rappelle irrésistiblement celui dont parle le pilote de vapeur Mark Twain dans Vie sur le Mississippi.

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    Aide-mémoire pour l'accès au service du ministère de la Culture et de la Francophonie et à Internet avec un minitel

    Passeur par l'écrit

    Ainsi Alain Vuillemin (17) qui depuis plusieurs années coordonne des travaux d'édition considérables sur tous les aspects des banques de données. Dans le dernier ouvrage dont il est le maître d'oeuvre, il nous offre des vues originales et hardies sur les questions de droit. Passeuses les nombreuses bibliothèques municipales qui diffusent un bulletin d'information même modeste. Passeuse Anne Sanouillet, de l'Urfist de Nice et son précieux guide réédité, L'INTERNET pour nous autres.

    Passeurs les informaticiens qui font tomber les murs entre nos deux métiers et tous ceux qui nous font bénéficier de leurs expériences (notamment en publiant régulièrement les échanges de leur service SVP, dit Hotline).

    Passeurs les profs à la mémoire phénoménale, les hommes-livres de Fahrenheit 451 tel Christian Allègre, professeur à Montréal, qui anime une tableronde littéraire intitulée Balzac-L et qui vous renseigne dans l'heure sur les boucles d'oreilles du père d'Emma, tel Tim Unwin de l'université d'Australie occidentale (University of Western Austra-lia) qui traite en ligne et sans filet (18) de la hantise des répétitions chez Flaubert.

    Je terminerai sur un florilège de ces échanges à la fois toniques et réfléchis, espiègles et savants qui circulent tous les jours sur INTERNET et notamment sur la table-ronde francophone des bibliothécaires du monde entier, Biblio-Fr, animée-modérée depuis un an par Her-vé Le Crosnier qui a lancé une enquête sur les attentes des participants.

    « La progression des abonnés à cette table-ronde est éloquente : 150 en septembre 1993, 399 en janvier 1994 (dont 118 Français) et 611 aujourd'hui (dont 247 Français, soit le double en 4 mois).

    « La majorité des abonnés français viennent encore de l'INRIA et des bibliothèques scientifiques, notamment mathématiques et aussi d'établissements comme l'iNIST. »

    La plupart des revues bibliothéconomiques étrangères disposent aujourd'hui d'une adresse électronique. Mon souhait est que le Bulletin de l'ABF ouvre la voie, se dote d'une connexion au réseau et serve ainsi de carrefour, en ligne cette fois, des bibliothécaires francophones de lecture publique.

    Vaste programme, n'est-ce pas : mettre les documentations spéciales dans sa poche, déclencher la mise en route de la mémoire, et... passer!

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    Extraits d'internet

    1. Le réseau Brise" de Saint-Étienne, souvent cité, qui associe archives, BM, BU, centre de doc et laboratoire est un exemple de cette fusion des savoirs. retour au texte

    2. Cf. la définition dichotomique donnée par Éric Sutter dans son chapitre intitulé Les logiciels documentaires in Les Centres de documentation et les nouvelles technologies de l'information, La Documentation française, 1994 : Dans la pratique, par leurs prestations, les centres de ressources documentaires se rapprochent, en amont, des bibliothèques et des centres d'archivages ou des médiathèques en raison des activités de gestion et de conservation des documents ou de dossiers qui se trouvent induites et, en aval, du monde de l'information, au sens large, par les tâches de repérage, de traitement, de communication ou de diffusion d'extraits de documents - (p. 341). retour au texte

    3. Les Centres de documentation et les nouvelles technologies de l'information, sous la direction d'Alain Vuillemin, La Documentation française, 1994. retour au texte

    4. Désormais, le moteur de l'économie n'est plus l'industrie, mais les télécommunications et l'information. L..] le "Livre blanc de la croissance, de la compétitivité et de l'emploi" [de la Commission européenne] approuvé en décembre 1993 propose la création de 15 millions d'emplois entre 1994 et 1999. - Le Monde, 4 juin 1994, p. 9, Autoroutes de l'information : le New Deal des années 90 .. retour au texte

    5. Les Trois Arbres de Palzem, Gallimard, 1984. retour au texte

    6. Bourdieu (Pierre), Les Règles de l'art, Seuil, 1992. retour au texte

    7. Une discipline n'est pas réduite à son actualité -, Blanc-Montmayeur (Martine).- Gérer les jardins de la connaissance ». Bulletin de l'ABF, n° 162, 1er trimestre 1994, p. 25-27. retour au texte

    8. Mounin (Georges).- La Communication poétique, Gallimard, 1969, p. 14. retour au texte

    9. Pour la bibliologie matérielle .. Nouvelles du livre ancien, n° 76-77, automne-hiver 1993. retour au texte

    10. Ainsi l'oeuvre de Shakespeare (pièces et sonnets) dans le catalogue de Dartmouth, ainsi Voltaire sur CD-ROM présenté par Bernard Pivot dans son émission Bouillon de culture, ainsi Don Qui-chotte via le réseau américain ATT (Le Monde du 4 juin 1994). retour au texte

    11. Consultant californien francophile qui a fait sa thèse sur le philosophe politique Jean Bodin et aussi le meilleur connaisseur et propagateur américain de la réalité des bibliothèques françaises, J. Kessler a écrit un livre en anglais sur l'accès électronique aux catalogues de bibliothèques. J. Kessler est l'auteur d'une lettre d'information électronique bimestrielle sur les bibliothèques françaises. retour au texte

    12. Le Monde du 16 juin 1991, vive la littérature ». retour au texte

    13. Op. cit., p. 284 notamment : La recherche bibliographique, l'histoire littéraire L..], l'explication historique, sociologique, sont nécessaires : elles sont la chasse forcenée, et justifiée, aux situations qui seules permettront la lecture véritable. - retour au texte

    14. Les Règles de l'art, op. cit., p. 13. retour au texte

    15. Revel (Jean-François).- La Connaissance inutile, Fayard, p. 321. retour au texte

    16. Je remercie Pierre Fenard, directeur de la médiathèque départementale de prêt des Alpes-Maritimes, de m'avoir donné cette information sur la navette mise en place par la BDPde Saône-et-Loire. retour au texte

    17. Alain Vuillemin, professeur à l'université d'Artois en histoire littéraire générale et littérature comparée, est l'auteur et le coordonnateur d'ouvrages collectifs, entre autres, de : Les Banques de données littéraires comparatistes et francophones (Pulim, 1993), Les Marchés de l'information documentaire (ADBS), Les Centres de documentation et les nouvelles technologies de l'information. (La Documentation française). retour au texte

    18. Le net[work] . est à fois réseau et filet. retour au texte