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    Carrefour 1

    Où commence le besoin de professionnalisme ?

    Par Jacques Branchu, rapport BDP de la Nièvre

    Introduction

    Pourquoi l'ABF a-t-elle choisi cette question pour l'un des carrefours du séminaire préparatoire au congrès, alors que le métier de bibliothécaire et sa spécificité sont aujourd'hui parfaitement reconnus ? Jean Mallet, qui introduit le carrefour, justifie cette interrogation par les pratiques inquiétantes qui tendent à se généraliser dans les bibliothèques.

    Partout en effet, dans les bibliothèques municipales, les bibliothèques départementales de prêt comme dans les bibliothèques universitaires, des CES sont recrutés massivement pour faire face à la récession économique qui conduit les collectivités à ne plus recruter. Partout, le service public repose sur ces CES et sans eux beaucoup d'établissements devraient réduire leurs heures d'ouverture...

    Les bibliothèques départementales de prêt ont vu ces dernières années le développement de bibliothèques municipales dans les communes de 2 000 à 2 500 habitants, parfois même dans les plus petites. Mais leur gestion repose sur le bénévolat à quasi 100%.

    De son côté, le séisme statutaire a entraîné les collectivités, quand elles ont recruté, à recruter des non-professionnels. On voit donc apparaître un service public fonctionnant à deux niveaux : avec des personnels professionnels, avec des personnels non titulaires.

    Quelques définitions

    Michel Melot, président du Conseil supérieur des bibliothèques, définit les termes pour mieux préciser la problématique du carrefour. Professionnalisme implique compétence et responsabilité qui se traduisent respectivement par diplôme et poste.

    Volontaire: Michel Melot préfère ce terme à celui de bénévole. Il distingue deux cas de volontaires : des professionnels retraités des bibliothèques mais sans responsabilité, des gens sans formation titulaires d'un poste de responsabilité, par exemple les bibliothécaires des centres de documentation des administrations.

    La profession est généralement méfiante vis-à-vis des volontaires qu'elle considère comme professionnels titulaires non formés.

    Marie-Christine Pascal, BDP71, propose une distinction plus fonctionnelle entre volontaires non formés et professionnels qualifiés (qu'ils soient volontaires ou rémunérés). Ainsi en Saône-et-Loire, 80 % des volontaires sont qualifiés et formés, mais non rémunérés.

    Les PULP

    Denis Llavori, BDP du Cantal, définit les besoins de professionnalisme dans les petites bibliothèques publiques rurales qu'il nomme joliment PULP (petites unités de lecture publique). Le bibliothécaire en milieu rural a son histoire. Les BCP à leur création en 1945 sont organisées autour de l'idée que le service public de lecture doit s'appuyer sur les ressources locales que constituent l'instituteur, animateur culturel de la commune, ou le secrétaire de mairie (qui est souvent d'ailleurs l'instituteur). A l'origine donc des salariés qui consacrent une part de leur temps de travail ou de loisir à la lecture. Salariés et militants ou les deux. Depuis, des évolutions sociologiques ont eu lieu et le service public repose à quasi 100 % sur le bénévolat.

    Denis Llavori cite le cas de deux bibliothèques du Cantal gérées par des bénévoles qui touchent près de 50 % de la population. Leurs responsables se plaignent de la lourdeur de la gestion et des exigences du public : la bibliothèque est victime de son succès. L'efficacité des petites bibliothèques rurales, en effet, n'est plus à démontrer : elles ont presque toute la gamme de l'offre documentaire des grandes bibliothèques municipales et la plupart de leurs services.

    Est-il donc raisonnable, alors qu'aujourd'hui la technicité du métier s'accroît de plus en plus, d'attendre des bénévoles qu'ils soient à la fois des gestionnaires, des comptables, des relais efficaces pour l'informatisation, des relais pour le prêt des nouveaux supports de l'information, des animateurs, de souhaiter qu'ils augmentent les heures d'ouverture, qu'ils accueillent le public et répondent à ses besoins documentaires, qu'ils fassent de la publicité pour leur bibliothèque, remplissent des statistiques, rencontrent les élus... ?

    Ne faut-il pas plutôt changer les mentalités, persuader les maires que le bibliothécaire est tout sauf un amateur ? Trois pistes sont proposées par Denis Llavori et ont été explorées par lui dans le Cantal :

    • l'incitation au financement par le conseil général des postes de professionnels sur des crédits d'intervention. Mais c'est la piste la plus dangereuse car elle ne s'accompagne pas d'un plan, d'une politique de développement cohérent ;
    • l'incitation à un recrutement intercommunal : les territoires ruraux ne pourront survivre que s'ils vivent ensemble. Un poste de bibliothécaire réparti par exemple entre trois communes est peu coûteux pour chacune d'elles. Un exemple de recrutement de ce type fonctionne dans le Cantal : un professionnel pour trois communes, soit un professionnel pour 1 400 habitants ;
    • l'incitation à un recrutement interactivités : les maires ont besoin de salariés pour leur bibliothèque, mais aussi pour leur musée, leur syndicat d'initiative. Deux communes du Cantal ont ainsi un mi-temps sur la bibliothèque, un mitemps sur le musée.

    « Faut-il tuer tout de suite tous les bénévoles ? s'interroge Denis Llavori pour conclure : « Non, pas tout de suite, car ce ne sont pas les travailleurs immigrés de la culture. Une évolution doit se faire, par la création d'un diplôme d'abord et sa reconnaissance.

    Des intervenants réagissent à cet exposé clair et volontairement provocateur. Culture et bibliothèque pour tous rappelle la formation qu'elle dispense pour les bénévoles de son réseau, une formation d'un an qui est destinée à former les professionnels qui ne sont pas des salariés, mais font le même travail qu'eux. Compétence et bénévolat ne s'opposent pas. CBPT durera tant que le réseau institutionnel ne sera pas apte à couvrir tous les besoins. CBPT assure qu'elle souhaite travailler avec les BDP.

    Marie-Christine Pascal porte à la réflexion des participants l'évolution de la Saône-et-Loire tout à fait significative. Les bénévoles qualifiées (elles ont reçu la formation ABF) font leurs preuves dans leurs bibliothèques puisqu'au bout de quelques années certaines sont recrutées par leur commune.

    Marie-Cécile Robin cite un cas particulier de bénévoles, celui de la BPI : le service public aux déficients visuels est ainsi assuré par une équipe de 30 bénévoles qui accompagnent les personnes handicapées dans leur accès à l'équipement et aux documents. La BPI assure leur formation.

    Pour Geneviève Boulbet, bibliothèque interuniversitaire de Toulouse, la formation ABF vise moins à qualifier les bénévoles qu'à leur montrer les partenaires qui peuvent les aider : les professionnels de la BDP. Pour elle la véritable spécificité des bénévoles, c'est la connaissance du milieu, l'accueil du public.

    Bibliothécaires-en-herbe

    Marie-Charlotte Delmas présente ensuite le projet réalisé au Plessis-Robinson. Cette réalisation, une BCD gérée par des bibliothécaires-en-herbe, repose sur une logique de territoire : prendre en compte les BCD et CDI existants et confier la gestion de la bibliothèque aux enfants, faute de personnel venant de l'école ou de disponibilité de la BM.

    A l'origine de ce projet deux volontés : celle de l'équipe enseignante désireuse de remettre à niveau une BCD existante, celle de la bibliothécaire salariée d'initier les enfants aux techniques de gestion d'une bibliothèque et d'établir des liens entre l'école et la BM.

    Marie-Charlotte Delmas expose les phases de la mise en oeuvre du projet :

    • l'édition (fabrication, histoire, environnement du livre, etc.) ;
    • le circuit du livre en bibliothèque ;
    • le classement (travail en groupe des enfants et débats autour des genres : fiction/non-fiction. Exemple : la religion est-elle de la fiction ? Oui, pour les .enfants mais l'autobiographie, c'est un documentaire, ce qui renvoie aux notions de réel et d'imaginaire ;
    • le travail sur le sujet du livre et son indexation Dewey ;
    • la signalisation de la BCD ;
    • la visite de la bibliothèque municipale du Plessis-Robinson ;
    • la visite au Salon du Livre, et l'accueil de Christian Bruel qui traite les enfants comme des interlocuteurs à part entière ;
    • le tri des livres : « un bon livre, c'est un livre en bon état », voilà une définition sans appel et qui évidemment peut être comprise immédiatement ;
    • la préparation de l'ouverture et le règlement établi par les enfants (la règle d'or : le silence), les conditions de prêt ;
    • l'ouverture enfin, en avril 1992, avec la participation de Michel Melot, la remise d'un livre, L'Enlèvement de la bibliothécaire, et d'un diplôme de - bibliothécaire-en-herbe », par Françoise Hecquard.

    Le succès de la BCD auprès des parents, des élèves de l'école maternelle encourage son prolongement en 1993, avec une équipe de volontaires et un budget d'acquisitions. Cette expérience atypique va jusqu'au bout du bénévolat : la prise en charge de la bibliothèque par les lecteurs.

    C'est une réussite tout à fait remarquable, parce que la bibliothécaire, Marie-Charlotte Delmas, s'est investie dans un travail d'encadrement et que la formation des enfants aux techniques de gestion s'est poursuivie tout au long de l'année (à raison de deux après-midi par semaine).

    La charte des volontaires et l'expérience de la BPI en matière de bénévolat

    Écrite à la demande des directeurs de BDP, la charte a été soumise au Conseil supérieur des bibliothèques qui l'a retenue. Sa justification est d'éviter le refus de principe du bénévolat et d'éviter le bénévolat sauvage.

    Michel Melot rappelle les trois principes qui la fondent : la formation ; la responsabilité ; le contrat qui scelle l'engagement du volontaire vis-à-vis de la collectivité (le contrat moral est préféré au contrat écrit par les bénévoles) et celui de la collectivité qui s'engage à assurer les moyens matériels pour faire vivre la bibliothèque : crédits d'acquisition, frais de déplacement pour les formations.

    Dans le cas des BDP, le bénévolat est une tactique provisoire, non une politique. La perspective est le professionnalisme. Les bénévoles sont considérés comme un frein au développement de la lecture publique et en même temps comme un élément moteur dans l'immédiat.

    En dehors des BDP, il existe d'autres formes de bénévolat : celui des associations caritatives, ATD, Amnesty International. Ainsi les bénévoles de la BPI, militants au service des aveugles. Michel Melot cite l'exemple d'un bénévole qui dit : - On a eu l'Agrég ! ", ce qui montre bien les liens entre le bénévole et la personne handicapée.

    Il faut donc établir un distinguo entre bénévole/BDP et militant venant travailler en bibliothèque. Une révision de la charte est en cours.

    Dans le domaine des publics spécifiques (prisons, hôpitaux), Gérard Bru-gière, chargé de mission au ministère de la Justice, constate le flou des missions des BDP depuis la départementalisation et affirme que le développement des bibliothèques en milieu pénitentiaire ou hospitalier doit passer par des liens avec les structures de lecture publique sinon, conclut-il, il n'y aura « qu'une sous-culture diffusée par des sous-formés pour un sous-public ».

    Les représentants des bibliothèques d'hôpitaux s'insurgent de cette définition lapidaire qui ne rend pas compte de la spécificité des bénévoles pour cette tâche : ils répondraient mieux que les salariés aux besoins des malades grâce à leur disponibilité, à l'absence de rigidité. Les salariées de l'Assistance publique réagissent à leur tour, montrant, preuves à l'appui, qu'elles sont aussi bien que les bénévoles au service des malades.

    Les non-professionnels rémunérés dans les Bu

    Pour Geneviève Boulbet (BIU de Toulouse), dans les BUles non-formés et non-responsables appartiennent à deux catégories : les moniteurs-étudiants et les CES.

    Les moniteurs-étudiants: recrutés comme vacataires la 2eannée du 1er cycle, ils sont payés à l'heure pour accueillir les autres étudiants, faire le prêt, préparer des fonds. Ils ne reçoivent qu'un minimum de formation sur le temps de travail et ne restent que peu de temps en Bu, environ quatre mois, en raison des allocations pour perte d'emploi que les Bu seraient obligées de payer au-delà des 122 jours accomplis. Un projet de statut d'allocataire-étudiant réglerait le problème des allocations pour perte d'emploi et l'intégration de la formation sous forme d'UV incluse dans le cursus universitaire réglerait le problème de leur formation. En raison des rigueurs budgétaires, il y a peu de chance de voir ce projet se réaliser en 1995.

    Les CES: de plus en plus, les Bu utilisent les CES comme personnels supplémentaires. Deux types de problèmes sont liés à leur présence en Bu : le recrutement et la concurrence. Il y a un grand nombre de candidats aux profils différents (de la maîtrise au quasi-illettrisme). Quels critères de recrutement retenir ? Les diplômes ? La motivation ? C'est ce dernier critère qu'il s'agit de faire apparaître.

    La concurrence: les CES sont recrutés pour des tâches d'aide-magasinier, de secrétariat, ou pour la confection et l'envoi des colis pour le prêt entre bibliothèques. Or, les titulaires des postes de magasiniers qui n'ont guère de perspectives d'évolution de carrière (ils débutent avec un salaire de 5 700 F et terminent à 7 000 F nets) les voient d'un mauvais oeil.

    La présence de ces deux types de nonprofessionnels salariés conduit à une double réflexion. On ne peut se passer d'eux car une part du service public repose sur eux et, en même temps, on doit être vigilant car ils ne doivent pas remplacer les titulaires, mais être un appoint.

    Cette position est difficile à tenir, surtout quand on sait que le taux d'encadrement est, en moyene, d'un agent titulaire pour 350 étudiants, à Toulouse un pour 560, à comparer aux normes du nord de l'Europe : un agent pour 80/90 étudiants.

    Une intervenante de la Bu de Grenoble complète l'exposé de Geneviève Boulbet en affirmant fortement la nécessité de professionnaliser les personnels des bibliothèques des composantes (laboratoires, centre de documentation, etc.). A Grenoble, il existe 45 bibliothèques de composantes (de 3 000 à 30 000 volumes).

    La politique de recrutement de la BNF

    Pour Alain Massuard, la problématique posée à la BNF est la suivante: où commencent les besoins de professionnalisme lorsqu'il y a dans une même profession des métiers très différents ?

    Quel type de réponses apporter à cette problématique ? Recruter des généralistes qui ont l'ensemble des compétences propres au métier de bibliothécaire, ou recruter des spécialistes de disciplines et leur donner une formation professionnelle ?

    Or, quels étaient les besoins en 1990 ? Pour l'établissement public de la Bibliothèque de France, il fallait acquérir les collections pour les mettre à la disposition du public par grandes disciplines (trois tâches recensées : acquisitions, catalogage, indexation). Pour la BN, il s'agissait de préparer le déménagement à Tolbiac du département des imprimés et des périodiques et de procéder au récolement des documents.

    Les besoins en personnel étaient évalués pour les deux établissements à 2 425 agents selon l'hypothèse moyenne de M. Silicani. Peut-on recruter pour les trois tâches définies, acquisitions, catalogage, indexation, une même personne capable de les réaliser ? Les spécialistes des disciplines ne connaissent pas le catalogage ou l'indexation. Peut-on recruter les personnels dans un cadre statutaire ? Les raisons budgétaires, le temps de formation nécessaire, les capacités d'accueil de l'ENSSIB ou de l'INFB ont imposé une réponse négative.

    Car les besoins étaient immédiats. Pour l'EPBF, on a imaginé un double dispositif pour la constitution des collections :

    • pour les acquisitions, on a recruté des contractuels sur profil qui sont le vivier du recrutement, 390 agents au 31 décembre 1993 ;
    • * pour le catalogage et l'indexation, on utilisé l'assistance technique d'une société de service.

    Pour la BN, les besoins de récolement et de rétroconversion des catalogues ont été couverts par le recrutement de 450 contractuels.

    En conclusion, on a opté pour une gestion non statutaire des personnels. Quelle leçon en tirer? Dans cette logique non statutaire, il s'est créé un esprit maison BNF. Pour intégrer les contractuels, il faut qu'ils passent des concours avec le risque qu'ils ne travaillent plus dans la discipline pour laquelle ils ont été recrutés. Actuellement il y a une incapacité totale à gérer le vivier des contractuels.

    La situation est paradoxale : d'une part une démarche d'emplois spécifiques, d'autre part des contractuels qui sont les doubles ou les clones des professionnels dans le cadre du récolement.

    Conclusion

    La profession a besoin de bénévoles dans au moins deux cas de figure situés aux deux étapes extrêmes du développement. En milieu rural, si la perspective, l'objectif affiché, est le recrutement de professionnels, nécessaires pour l'encadrement des bénévoles, il est certain que les communes n'ont pas les moyens de se passer de bénévoles. A l'autre bout, lorsque l'institution a fait le plein, qu'elle a maillé son territoire d'équipements de quartiers, pour se développer elle a besoin à nouveau de relais. Les bénévoles sont à nouveau nécessaires pour joindre le public dans leurs lieux de vie.

    A cet égard, il aurait été tout à fait passionnant de faire un premier bilan de l'expérience des médiateurs du livre mise en place par la DLL par convention avec ATD Quart Monde et les bibliothèques municipales chargées de former les médiateurs qui opèrent dans les bibliothèques de rue.

    En tout cas le point commun de tous les exposés de la journée, c'est évidemment la place essentielle de la formation au coeur de tous les dispositifs mis en place, sauf dans le cas des CES dont le passage dans les bibliothèques est trop bref (six mois ou un an).

    Finalement, même le constat doux-amer d'Alain Massuart de la BNF rejoint tout à fait la problématique de la journée : » La formation, dit-il, peut-elle suivre l'évolution et la diversification des fonctions ? La réponse sera peut-être donnée dans le Carrefour 3.

    En tout cas, si la politique de recrutement s'est faite hors statut, la logique voudrait que la BNF se lance maintenant dans une politique généreuse d'intégration des contractuels, où la formation aurait toute sa place et où le professionnalisme, perdu de vue lors du recrutement, pourrait la retrouver.