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    Carrefour 2

    Evolution des missions, évolution du métier

    Par Nie Diament, Adjoint au directeur BPI

    Il faut souligner pour commencer, que ce n'est pas de métier dont on a parlé dans ce carrefour mais du rôle (ou des rôles) du bibliothécaire et de son évolution. Rôle qui - Martine Blanc-Montmayeur le soulignait dans son introduction - nous est le plus souvent attribué par des agents ou des facteurs extérieurs :

    • par nos tutelles (Denis Pallier met l'accent dans son intervention sur le rapprochement des bibliothèques de leurs tutelles dans ces dernières années) ;
    • par l'évolution du marché de l'information : sa dimension internationale, mondiale, et le déferlement de ce qu'on appelle couramment les nouvelles technologies « ;
    • par l'image de notre profession que nous renvoient nos concitoyens, qu'ils soient ou non usagers de la bibliothèque (cf Claudine Irlès qui nous a fait part des images, certes un peu inattendues, du bibliothécaire réel et du bibliothécaire idéal renvoyées par un petit groupe de lecteurs de sa bibliothèque).

    Les interventions ont tourné autour de trois axes qui correspondent à trois rôles distincts :

    • le rôle d'information: Jacques Faule, qui avait endossé pour la circonstance son ancienne casquette BPI, alors qu'il travaille depuis quelques mois à la DLL, et Monique Schindelman, de la BlUde Jussieu, nous ont parlé de mutation des moyens de stockage et d'accès à l'information, des besoins nouveaux en matière d'information pointue, notamment en sciences sociales et économiques, des « autoroutes de l'information », du nouvel espace de la communication...
    • le rôle culturel: Patrick Bazin, qui dirige la BMde Lyon, nous a parlé ensuite, non des activités culturelles de la bibliothèque, mais de la dimension culturelle de cet établissement dans la cité, de la place qui est la sienne dans un processus plus large d'élaboration et d'accès à la culture ;
    • le rôle social: Michelle Gasc (de la DRAC du Limousin), malheureusement empêchée au dernier moment, nous a fait parvenir son intervention, résumée par Martine Blanc-Montmayeur, sur le rôle social du bibliothécaire dans le monde rural, intervention complémentaire de celle de Claudine Irlès, de la BM de Marseille, qui portait sur le rôle social du bibliothécaire dans le monde urbain.

    Je me suis refusée à résumer de façon linéaire les interventions et les nombreuses questions de la salle. Cela eût été trop descriptif, et en si peu de temps, tout à fait lapidaire. J'ai donc essayé de trouver un fil conducteur qui fût transversal aux débats, et qui rendît compte également de l'aspect dynamique de cette journée, de cette impression que chacune des interventions, qu'elle vînt de la tribune ou de la salle, répondait à la précédente et annonçait la suivante. J'ai choisi comme fil conducteur de vous parler des clivages. Tout au long de cette journée en effet, on a remis en cause certains clivages, certaines oppositions traditionnelles. D'autres ont émergé au cours des débats. S'agit-il de clivages réels ? En tout cas, ils existent dans les discours et donc dans les têtes de collègues.

    La remise en cause des clivages traditionnels

    La séparation classique bibliothécaire/documentaliste, qui met en avant la différence entre celui qui s'occupe des supports et celui qui s'occupe des contenus, a été largement remise en question. Ces deux métiers, ces « soeurs siamoises selon l'expression de Jacques Faule, se rapprochent de plus en plus par le partage des compétences, des tâches, et des attitudes face aux publics.

    En voie de disparition également : la séparation entre bibliothécaire patrimonial et bibliothécaire informateur, entre « l'archiviste de Michelet et le « passeur » de Jacques Faule, entre missions de conservation et missions de diffusion. En tout cas, passeur ou archiviste, le bibliothécaire doit avant tout avoir une vision critique de ses fonds. Autre opposition fréquemment rencontrée, mais peu justifiée dans la majorité des établissements, celle qui existerait entre bibliothécaire généraliste et bibliothécaire spécialiste. Winston Roberts s'insurgeait également le lendemain à ce propos. Le fossé qui aurait séparé jusqu'ici le bibliothécaire de Bu de celui qui travaille en lecture publique est en train de se combler : le public est certes différent (cela se discute d'ailleurs... si on se réfère aux expériences de BMU), mais dans les deux types d'établissements, le rôle du bibliothécaire est le même et ses soucis parallèles, voire communs.

    Autre mise en cause plus inattendue, exprimée par Patrick Bazin, celle de la séparation traditionnelle auteur/lecteur : l'invention de postes de lecture assistée par ordinateur transforme complètement l'acte de lecture. Il existe alors une interactivité entre acte de lecture et acte d'écriture. Le savoir émerge par l'interconnexion de celui qui écrit et de celui qui lit, de l'éditeur et du bibliothécaire.

    Par ailleurs, la séparation entre texte et image n'est plus si nette ni si marquée, notamment à cause de la contagion des modes de lecture : la façon ludique d'aborder la connaissance à travers l'image (animée) s'applique au texte dans les documents de type hypermé-dia. S'estompe une séparation que les bibliothécaires font volontiers entre le papier et le « non-papier », au profit d'une « hybridation » des supports, selon l'expression de MmeVerdeille. Et elle prenait comme exemple le journal Le Monde qui existe sur papier, microfilm, CD-ROM et minitel. Le papier coexiste cependant avec le reste et continue à représenter le garant de la fiabilité d'un savoir.

    Autre opposition non pertinente : celle qui sépare la « haute technologie et le service assuré par des personnes. L'une et l'autre sont complémentaires et la technologie la plus sophistiquée est inopérante sans la présence active de bibliothécaires : "Je donne tous les systèmes informatiques du monde contre deux heures d'ouverture supplémentaire par semaine », a dit J. Faule en manière de défi.

    Le clivage entre le bibliothécaire professionnel et le bénévole s'atténue : l'intervention de Michèle Gasc démontre à l'évidence que même si leurs motivations et leurs façons de faire sont différentes, le bibliothécaire et le bénévole jouent un rôle social à parité d'efficacité. Elle pense également que dans les zones rurales le lecteur doit toujours être considéré comme un médiateur potentiel : la distinction, pourtant tout à fait claire jusqu'ici entre bibliothécaire et lecteur, entre médiateur et récepteur vole donc en éclats.

    La distance séparant information et culture raccourcit : le bibliothécaire n'est plus seulement un ingénieur de l'information, un classificateur, un indexeur, mais il gère la mémoire. Les processus d'appropriation de la culture sont des processus lents. La bibliothèque comme lieu de permanence et de durée occupe une place tout à fait privilégiée à cet égard.

    L'opposition rôle d'information / rôle social tend à disparaître ces dernières années. L'exemple de la Cité des métiers de la Cité des sciences de La Vil-lette, relaté par Marie-Hélène Koenig, l'augmentation dans les bibliothèques publiques des demandes pointues en sciences économiques et sociales (qu'elles viennent de demandeurs d'emplois ou de professionnels en formation) montrent que c'est par la qualité de son information, sa spécificité, son adéquation aux demandes actuelles qu'une bibliothèque joue pleinement son rôle social.

    En guise de conclusion provisoire il faudrait, à côté de cette remise en cause de clivages traditionnels, ajouter deux éléments consensuels qui sont apparus dans ce carrefour. Tout d'abord, quel que soit son rôle, le bibliothécaire ne doit plus, ne peut plus s'occuper exclusivement des supports mais aussi - et surtout - de leur contenu. Ensuite, si on se place sur le plan des enjeux démocratiques, il existe des liens très forts entre le rôle d'information, le rôle culturel et le rôle social.

    Et pourtant encore des clivages...

    Je voudrais maintenant me faire l'écho des clivages qui restent ou des nouveaux clivages qui ont émergé de la discussion.

    En premier lieu, l'opposition entre la bibliothèque réelle, qui existe concrètement, et la bibliothèque virtuelle : dans l'une, on trouvera des livres et des nouveaux médias (l'ensemble de l'information et ses différents supports) ; dans l'autre, il n'y aura, nous expliquait Monique Schindelman, ni stockage de l'information ni supports, mais juste une récupération possible - via les fameuses autoroutes - d'une information multimédia. Ce qui déclencha des réactions diverses » dans la salle : « Je ne vois pas mes lecteurs le soir dans leur lit avoir des lectures virtuelles ! " nous déclara une bibliothécaire de Riom.

    Un débat, assez vif, opposa les enthousiastes et les prudents, voire les suspicieux, à l'égard des nouvelles technologies. Pour les uns : c'est « un coche (sinon un vaisseau interplanétaire, nous disait Michèle Rouhet) que nous ne pouvons pas rater Les autres évoquent les dangers, expriment des doutes sur « la démocratie de l'informatique partagée A ce propos, il faut souligner que tous revendiquent leur attachement à la démocratie. Pour les enthousiastes, les nouvelles technologies sont les garantes du partage démocratique du savoir. Pour les prudents, elles créent de nouvelles exclusions et renforcent la société à deux vitesses.

    Un désaccord s'est également exprimé entre ceux qui pensent que les nouvelles technologies changent radicalement le rôle du bibliothécaire et ceux qui pensent que les nouvelles technologies changent certes les moyens, les méthodes et la dimension du travail, mais pas fondamentalement le rôle du bibliothécaire.

    Patrick Bazin nous a parlé de la cassure de l'ordre du livre ». Le livre incarnant deux concepts : celui de la stabilité de l'information et celui de la séparation des rôles entre auteur, éditeur, lecteur. Il est par définition - l'interface entre deux subjectivités ». Cette cassure est réelle et définitive : l'apparition d'autres outils d'appréhension du savoir, une information plus mouvante, plus évolutive, une information multimédia à l'élaboration de laquelle participent plusieurs personnes. En corollaire de cette cassure, deux enjeux, ou plutôt deux questions : le grand public pourra-t-il ou non accéder à cette « nouvelle manière de modéliser le monde » ? Monique Schindelman s'interrogeait sur cette question de « nouveau patrimoine » : que devons-nous conserver dans cette information labile, mouvante, et comment ? (Surtout quand on connaît les difficultés créées par l'évolution des techniques de numérisation dont les premières sont déjà obsolètes !)

    Ce n'est plus de l'explosion documentaire qu'il convient de nous soucier, mais de celle des outils, des sources, des accès : il s'agit d'une « nouvelle révolution ». Cela implique de ne plus se poser uniquement la question du contenu mais des accès à ce contenu, celle de l'appropriation de ce contenu.

    Si j'ai dit plus haut que le clivage information / culture était remis en cause, il subsiste néanmoins une inquiétude parmi les professionnels : celle que le rôle de « l'ingénieur en information » n'occulte la préoccupation fondamentale concernant le rôle culturel et éducatif de la bibliothèque, la vision de la bibliothèque comme lieu démocratique, lieu d'intégration sociale ; que ce souci ne se transcrive pas dans la formation initiale, qu'on n'y parle pas de l'enjeu culturel.

    Concernant le rôle social du bibliothécaire, il existe dans l'esprit des participants deux façons de l'incarner : d'abord, de façon souple, sur le terrain, par des actions de type militant, des actions de proximité, en collaboration avec d'autres partenaires (par exemple : dans le cadre d'un Développement social urbain - DSU - ou Développement social des quartiers - DSQ) en mettant en jeu des facultés d'adaptation, d'invention, d'anticipation... Ensuite, en opposition à des actions ponctuelles, faire confiance à l'institution qui, dotée de moyens conséquents, peut agir pour l'intégration sociale dans la durée. Quand on a 14 % de demandeurs d'emploi parmi les inscrits de la bibliothèque (ce qui représente, ramenés à la population active, près de 30 %), on joue pleinement un rôle social, nous disait P. Bazin (1) .

    En conclusion générale, je livrerai rapidement quelques impressions.

    L'ensemble du carrefour a donné une sensation de foisonnement, de profusion et je n'ai sûrement pas réussi à en rendre tout à fait compte dans un exposé restreint. Cette journée a montré à l'évidence que les interrogations des collègues sur cette évolution des rôles sont réelles et importantes. Cependant, si nous sommes sûrs d'avoir mieux exploré et peut-être mieux posé certaines problématiques, en tout état de cause, nous n'avons pas vraiment apporté de réponses.

    Enfin, il existe peu de consensus évident et en revanche beaucoup de contradictions entre professionnels. Cela serait-il dû au fait que ces différents rôles sont contradictoires entre eux ? Qu'il sera à terme impossible de les jouer tous et qu'un choix - certes difficile - deviendra alors nécessaire ? C'est en tout cas une question qu'il fallait poser.

    1. Petit commentaire personnel: l'idéal serait probablement de pratiquer les deux méthodes simultanément. retour au texte