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Le rôle social du bibliothécaire en milieu rural

1994
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    Le rôle social du bibliothécaire en milieu rural

    Par Michèle Gasc, Conseiller le livre et la lecture en région Limousin

    Un thème difficile et explosif

    Le thème que vous m'avez demandé de traiter m'a semblé, à la réflexion, particulièrement difficile, et même explosif. J'ai mesuré la responsabilité que je prenais en acceptant votre proposition, et les risques nombreux que j'encourais. Mais, plus j'avançais dans mes recherches, que j'estime encore très insuffisantes, plus il me parut important de ne pas négliger un aspect du métier et de son évolution qui, bien qu'ayant donné lieu à peu de littérature, semble capital.

    Je disais difficile. Pourquoi ? Pour deux raisons : je ne me sens pas spécialiste de la lecture publique en milieu rural, je n'ai pas d'expérience de terrain en la matière ; je ne disposais pas de données qu'une enquête statistique m'aurait fournies, et à partir desquelles j'aurais pu parler, sans risques d'erreurs (ou avec moins de risques).

    Il s'agit donc d'une réflexion d'ordre général pour laquelle je me suis appuyée sur les documents figurant dans la bibliographie ci-dessous, sur les discussions que j'ai eues avec quelques bibliothécaires, notamment de bibliothèque départementale de prêt, et surtout sur mon expérience de conseiller pour le livre et la lecture en région Limousin.

    Le fait d'exercer mon activité dans une région telle que le Limousin, région rurale la plus fragile si l'on se réfère aux indicateurs définis par le règlement communautaire européen du 20 juillet 1993 (PIB par habitant le plus bas ; évolution négative de la population entre 1980 et 1990 ; densité de population la plus faible, etc.) m'amène naturellement à intégrer ces données de manière permanente dans ma réflexion. Mais il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une appréhension correcte du milieu rural, et à la définition de stratégies et de politiques culturelles adaptées à ce contexte.

    Ce thème me paraît également explosif. Dans la question posée se cristallisent, me semble-t-il, trois fractures réelles ou mythiques porteuses d'ambiguïtés.

    La première est celle du rural et de l'urbain. Correspondant de moins en moins à la réalité (interpénétration des activités et du tissu social des villes et des campagnes, évolution de la composition sociale de l'espace rural), cette opposition a cependant la vie dure, peutêtre plus encore dans une région perçue dans son ensemble comme « rurale ». Les préjugés attachés à cette notion se rencontrent fréquemment, et ne peuvent que jouer de manière négative sur le sentiment d'identité de ses habitants, et notamment des professionnels.

    La deuxième est celle du « social et du « culturel ». Cette opposition et les débats qu'elle soulève a été très présente tout au long du colloque « Territoires ruraux, culture, développement qui s'est tenu à Tulle à la fin de l'année 1992. J'ai retenu deux idées qui me paraissent traduire une sensibilité particulièrement vive en milieu rural : celle du rejet d'une culture légitime porteuse d'aliénation et la préférence pour une culture au sens anthropologique ; celle de l'illusion dénoncée qu'il n'y a pas de problème social en milieu rural.

    La troisième est celle qui sépare les professionnels des bénévoles ou volontaires. En milieu rural, comme dans tout terrain de développement de la lecture, la nécessité du recours aux volontaires est admise par tous. Mais la reconnaissance de leur rôle ne va pas sans poser problème. Derrière certains discours, il me semble voir une approche fonctionnelle (la réalisation des missions de la BDP nécessite la présence de volontaires pour qu'un dépôt fonctionne), peu sensible aux processus identitaires qui affectent titulaires et bénévoles, et qui passe sous silence la nécessité d'une concertation entre deux collectivités territoriales - département et commune ou groupement de communes - et la place que peut y prendre la question des moyens en personnels, qui n'est pas moins importante que celle des fonds documentaires ou des équipements.

    Associer ces trois termes - social, rural, bibliothécaire (sous-entendu professionnel ou bénévole) - risque de produire un effet d'accumulation de charges négatives, et de provoquer, pour les désamorcer, un discours lénifiant qui n'abordera pas les vrais problèmes. C'est à ce piège que je me suis efforcée d'échapper.

    Pour analyser le rôle social du bibliothécaire, je me placerai alternativement de deux points de vue : celui du bibliothécaire, de son sentiment et de son intention de jouer un tel rôle ; celui de la société et de la reconnaissance éventuelle de ce rôle.

    En BDP : derrière le discours républicain, les interrogations

    Tout d'abord, j'ai l'impression que la fonction sociale du bibliothécaire en milieu rural va de soi (tout comme la fonction culturelle en milieu urbain), qu'il s'agisse des bibliothécaires de bibliothèque départementale de prêt, ou de ceux des petites communes.

    La création des bibliothèques centrales de prêt a résulté d'une démarche volontariste dont le but était de répondre à l'inégalité des habitants des zones rurales dans l'accès à la lecture. Ce discours « républicain a, me semble-t-il, été bien repris par les départements, et sous-tend toujours l'action des bibliothèques départementales de prêt. Dans l'esprit de ces bibliothécaires, il n'y a pas antinomie entre rôle social et rôle culturel, comme cela peut être le cas chez certains personnels de bibliothèque municipale. Mais peut-être sont-ils moins directement confrontés aux problèmes sociaux.

    Ce discours se lézarde lorsqu'on creuse un peu le sujet : mauvaise conscience de faire moins de « social qu'en bibliothèque municipale ; constat que l'on connaît mal le public ; regret du prêt direct qui permettait plus de contact avec la population, du moins avec certains de ses membres. L'accroissement des moyens a augmenté les tâches de gestion. Il faudrait, pour ces bibliothécaires, beaucoup plus de moyens, surtout en personnel, pour développer des actions en direction des publics.

    La reconnaissance du rôle et de l'utilité sociale des bibliothécaires de bibliothèque départementale de prêt semble bien établie. Chacun a en mémoire le rapport sur l'avenir de l'espace rural présenté au Sénat en 1991. Il est vrai qu'on y parle des bibliothèques, et non des bibliothécaires. Mais on ne peut pas soupçonner ses auteurs de croire que les bibliothèques fonctionnent sans personnel qualifié, compétent, et motivé. Pourtant, il me semble que ce satisfecit général et unanime accordé aux bibliothèques départementales de prêt cache une absence d'interrogation sur ce qui se passe réellement dans le tissu social rural : de quelle manière le public reçoit, ou ne reçoit pas cette offre de lecture ? Comment est-elle médiatisée ? Ce qui permettrait de définir des stratégies d'offre plus efficaces. Je n'ignore pas que beaucoup de bibliothécaires de BDP ont ce souci, mais il me semble que peu de choses les aident à le faire.

    Les bibliothécaires bénévoles dans les communes rurales : des rôles sociaux complexes et divers

    Si l'on prend le seuil démographique fixé par l'Insee pour définir les communes rurales (2 000 hab. agglomérés), les bibliothécaires de ces communes sont en très grande majorité des bénévoles, très exceptionnellement rémunérés. On peut en dire autant, en Limousin, de ceux travaillant dans les communes de 2 000 à 5 000 habitants, et même au-delà. Les emplois, lorsqu'ils existent, ont souvent été créés récemment, à la faveur d'un nouvel équipement et sont évidemment plus nombreux à mesure qu'on approche la barre des 10 000 habitants. Ils sont surtout concentrés en périphérie de Limoges ou dans sa zone de rayonnement, comme les nouveaux équipements.

    Pour le bibliothécaire bénévole, il me semble que la conscience de jouer un rôle social existe toujours, et légitime le plus souvent cette activité, mais que ce rôle et la motivation à l'exercer peuvent être variés. Je vous renverrai à l'article de Laurence Tarin qui a étudié les dépositaires du département de la Vienne, et qui souligne les différences qui peuvent exister dans les motivations et les comportements.

    Je citerai, à titre d'exemple, quelques cas que je connais ou qui m'ont été rapportés.

    Des épouses de maires, ou des personnes de leur proche entourage familial. Le rôle social apparaît comme un complément à l'action politique et comme une preuve de la volonté municipale d'agir dans le domaine culturel en faveur des habitants. Dans ce cas de figure, la recherche d'un développement de la bibliothèque (intercommunalité, recrutement d'un professionnel) peut complètement déstabiliser les acteurs en mettant involontairement en cause leurs motivations profondes et la légitimité de leur action. Ces bibliothèques peuvent être très dynamiques et très en prise sur le tissu social.

    Des infirmières militantes d'une association rurale qui sont devenues responsables bénévoles d'une petite bibliothèque. Elles ont créé un cercle de lecture, et, fait plus original, prêtent des livres pendant leurs tournées de soins. Pour la bibliothécaire de BDPqui rapportait ce fait, la nouveauté résidait surtout dans la relation que peuvent avoir ces bénévoles avec - mot significatif - la personne.

    Des bibliothécaires, l'une bénévole, l'autre employée faisant occasionnellement de la distribution de courrier, font, de leur propre initiative, du portage à domicile. L'utilité sociale de tels services dans une région d'habitat très dispersé où la proportion des personnes de plus de 65 ans représente 22 %, et peut atteindre des taux de 60 % dans certaines zones, est évidente.

    Le rôle social est encore différent pour les secrétaires de mairie pour qui la gestion d'un dépôt représente un volet annexe d'une activité administrative de service public.

    Le tableau n'est évidemment pas exhaustif. Les cas de figure sont nombreux et variés et loin de moi l'idée de dresser une typologie des bibliothécaires bénévoles. Mon intention est seulement de souligner que, pour chacun d'eux, s'imbriquent de manière unique motivations personnelles et position dans le tissu social. Leur action sur le groupe en est de toute façon affectée de manière positive et/ou négative. L'initiative privée dans la mise en oeuvre d'un service public a son intérêt, mais elle a aussi ses risques et ses limites qu'il importe d'évaluer de manière très précise.

    Les bibliothécaires des petites villes : du rôle « social » au rôle « culturel »

    Est-ce un effet lié à la taille du groupe social, au besoin de légitimation des professionnels ou à l'enjeu politique ? Il semble que le sentiment de jouer un rôle plus culturel que social s'accentue lorsque le bénévolat fait place à un statut de personnel employé. Ceci peut être vérifié lors de la réalisation d'une nouvelle bibliothèque qui entraîne le recrutement de professionnels. Un projet d'équipement suppose un investissement de la commune et devient un enjeu politique. Ce qui est alors affiché est la volonté de mener à bien un projet « culturel pour tous les citoyens. On retrouve alors le discours républicain, mais, paradoxalement, on s'éloigne en général de préoccupations sociales. Le rapport de familiarité, de convivialité avec un membre du groupe se transforme en rapport plus anonyme. Certains lecteurs peuvent se sentir dépossédés d'un lieu et d'un lien social, et perdre de l'intérêt pour une pratique qui change alors de sens. De même, les bibliothécaires bénévoles éprouvent souvent des difficultés à se situer dans ce nouveau contexte et se détachent de la bibliothèque, alors que leur rôle, à condition d'être précisé, peut encore être très important.

    Les nouveaux bibliothécaires titulaires, qui ressemblent beaucoup à leurs collègues des villes, vivent, il me semble, dans un assez grand isolement professionnel et sont dans une position souvent inconfortable par rapport à leur autorité. Le rapport qui, dans une collectivité plus importante et dont la bibliothèque a une histoire, s'est en général stabilisé à travers une répartition des rôles entre élus et professionnels, est, ici, entièrement à construire. C'est pourquoi il est très important que ces bibliothécaires puissent retrouver leurs pairs dans des structures de concertation ou de coopération adaptées, et admises par les élus. Ces bibliothécaires sont, en général, beaucoup trop accaparés par les tâches de gestion interne et par la pression des élus pour se préoccuper du «social ».

    La frontière entre l'urbain et le rural, on peut la voir opérer, dans ce cas, de manière très concrète. On constate qu'elle est mouvante, et a tendance à se déplacer avec la progression de l'équipement et le recrutement de professionnels. Elle réside pour moi dans la différence entre les rapports qu'entretiennent les bibliothécaires bénévoles, multiformes mais toujours à connotation sociale, et ceux qu'entretiennent les bibliothécaires titulaires, beaucoup plus homogènes et codifiés, et à connotation plus culturelle.

    Comment aider les bibliothécaires du milieu rural à assumer leur rôle social ? Et, plus largement, l'ensemble des acteurs à mettre en oeuvre un service public de lecture dans les zones rurales ?

    Pour une démarche participative

    On constate que les stratégies des différents acteurs - élus, bibliothécaires titulaires, bibliothécaires bénévoles - ne sont pas identiques, ce qui est normal, mais ne sont pas toujours cohérentes. Elles n'aboutissent pas toujours à de véritables complémentarités et à la synergie qu'on pourrait souhaiter. En général, on fait avec les moyens qui existent : les livres apportés par la bibliothèque départementale de prêt, les heures des bénévoles, l'association lorsqu'elle existe, les subventions, et tout cela fait une bibliothèque. Il y a très rarement à la base un projet qui se donnerait des objectifs, donnerait lieu à des débats dans la population, et qui aboutirait à un programme de services et d'équipement, et seulement à la fin rechercherait les aides possibles. Ceci, qui n'est pas l'apanage du milieu rural, paraît assez absurde dans les petites communes. En outre, je ne vois pas comment on pourrait avancer dans l'intercommunalité dans ce domaine si l'on continue à suivre une démarche qui ignore le groupe social, ses aspirations, ses besoins. La pression sociale qui détermine les caractères du service bibliothèque peut être le fait de personnes qui s'approprient l'équipement et font qu'il fonctionne selon leur conception. La démarche présentée par Elaine Kempson dans un article intitulé : « Services d'information dans une communauté rurale », et qui concerne, il faut le préciser, les pays en voie de développement, me paraît très intéressante et pourrait inspirer une démarche de développement de la lecture dans les communes rurales. La philosophie est celle d'une démarche de participation. Selon elle, « les communautés locales elles-mêmes devraient jouer un rôle important dans l'analyse de leurs besoins, dans la mise en oeuvre du service, dans sa conduite et dans l'évaluation de ses résultats ». Pour elle, « est nécessaire que ces services soient mis en oeuvre par des personnes qui soient connues, reconnues compétentes pour ce travail, choisies, ou du moins acceptées, 1 ...] constamment présentes et prodiguant leur aide et leur attention ". Bien que ceci, d'après l'auteur, ne concerne pas les services traditionnels de bibliothèque, on peut mesurer à quel point on est loin, en général, d'une telle démarche, et à quel point est important le fossé qui nous sépare d'une conception élargie de la bibliothèque traditionnelle. Mais on voit aussi quelles méthodes pourraient permettre d'y parvenir.

    Partenariat et médiations

    Le deuxième point que je voudrais souligner concerne le partenariat et les médiations. Le partenariat ou la coopération désigne la relation qui peut se mettre en place entre la bibliothèque et d'autres institutions : l'école, la poste, la crèche ou la halte-garderie. Il existe aussi dans certaines communes des « ateliers pédagogiques personnalisés qui sont des structures de formation pour adultes, mises en place par la délégation régionale à la formation professionnelle, parfois avec le soutien de la région, c'est le cas en Limousin. A travers un programme de formation élaboré conjointement avec la DRFP et mis en oeuvre par l'Association limousine de coopération pour le livre et le Centre ressources illettrisme, qui est destiné aux bibliothécaires et aux formateurs dont certains exercent dans ces APP, nous aidons ces médiateurs de l'écrit à travailler ensemble.

    On connaît l'importance des médiations dans la maîtrise de l'écrit, et plus globalement, dans la formation culturelle de l'individu. En milieu rural, outre les médiations institutionnelles, il faut, à mon sens, en privilégier deux : les associations, très actives et qui sont de vrais foyers de vie, et les parents. Parce qu'il existe très peu de librairies spécialisées dans la littérature de jeunesse, la sensibilisation des parents est essentielle si l'on veut que l'enfant ait les mêmes chances d'accès au livre que celui habitant une grande ville.

    La notion de médiation est complexe. Pour moi, il ne s'agit pas de décerner le titre de médiateur à un seul acteur social, mais de dire que les fonctions de médiation sont nombreuses et variées, et qu'elles sont indispensables dans l'accès à la lecture. Qu'il soit titulaire ou bénévole, le bibliothécaire n'a pas le monopole de cette fonction. S'il le croit, il échouera toujours à toucher certains publics. Il me semble que le bibliothécaire devrait voir dans tout lecteur qui fréquente la bibliothèque un médiateur potentiel, et donc se demander non seulement quels sont ses besoins personnels, mais aussi ceux de ses proches. Des expériences intéressantes ont été menées dans notre région, et sans doute ailleurs : des grand-mères lisant des livres aux petits enfants, des jeunes en difficulté scolaire découvrant les livres pour les petits dans le but de les leur raconter.

    L'expérience des «médiateurs du livre dans les quartiers » a mis en évidence les freins qui empêchent d'intégrer une notion qui peut avoir pour conséquence le partage d'un rôle, voire d'un pouvoir social. Elle n'est peut-être pas transposable telle quelle en milieu rural - il faudrait se demander pourquoi ? Dans cette opération, des personnes ont été choisies pour la qualité des médiations qu'elles pourraient avoir entre la lecture et des publics qui en sont éloignés : culture commune, appartenance à un même groupe social, possibilité d'identification. Constatant cette richesse, on ne s'est pas contenté de la reconnaître, mais on y a vu le moyen de conquérir de nouveaux publics, et de permettre aux bibliothèques de mieux remplir leurs missions.

    Agir au sein d'un réseau

    Quand on parle de la lecture en milieu rural, on parle immédiatement des bibliothèques départementales de prêt et de " leurs réseaux ». Contre cette vision un peu technocratique, je voudrais en proposer une autre : sur un territoire donné, une région par exemple, existent des bibliothèques, petites, moyennes, grandes, avec des missions particulières, et des moyens divers. Pour que l'habitant de cette région, quel qu'il soit, bénéficie du service public qu'il est en droit d'attendre, il faut que toutes ces bibliothèques collaborent, s'articulent, travaillent ensemble. Pour faire de la provocation, je dirai qu'une bibliothèque importante, par exemple celle de Limoges, est aussi bien dans le réseau de la bibliothèque départementale de prêt de la Corrèze, que la bibliothèque municipale de La Souterraine dans celui de la bibliothèque de Limoges. L'idée que je voudrais faire passer en Limousin, et j'y ai été conduite en travaillant sur le concept de « bibliothèque municipale à vocation régionale », est que les bibliothécaires, quels que soient leur statut, le type d'établissement où ils travaillent, la collectivité qui les emploie, ont une responsabilité sociale collective. Il y a encore beaucoup à faire pour les convaincre, et pour persuader les élus, mais les choses avancent.

    Ce qui signifie que le bibliothécaire de commune rurale, qui est celui qui a le moins de moyens lourds, dispose de nombreuses ressources et compétences dans la région et au-delà : celles de la BDP, des autres BM, du service commun de la documentation de l'université, de l'association de coopération, de la Bibliothèque nationale de France, etc. Évidemment, pour que cela ne soit pas que bonne parole, il faut que nous soyons tous persuadés de notre responsabilité, et que nous ne nous arrêtions pas à » nos publics », de « nos réseaux ». Il faut aussi que nous travaillions à organiser les relations entre ces établissements de manière adéquate.

    Les bibliothécaires et le développement local

    Un concept qui traverse le milieu rural en ce moment est celui du développement local. Les bibliothèques me semblent un peu en marge de cette réflexion et des nouvelles procédures qui se mettent en place et auxquelles la région contribue à travers des contrats régionaux de développement local... De leur côté, certains conseils généraux souhaitent favoriser l'intercommunalité, mais, dans les faits, la situation avance très lentement. Or, les structures intercommunales telles que les chartes de pays recrutent des « animateurs de développement local » qui se préoccupent parfois de lecture. Inversement, quand se dessine un projet intercommunal de lecture, il arrive qu'on doute qu'un bibliothécaire puisse faire aussi bien qu'un animateur de développement local. Problème d'image, de culture, de formation ? Mauvaise position due à une articulation insuffisante des compétences des collectivités territoriales ? Il semble que la liaison entre développement culturel, notamment en matière de lecture, et développement économique et social qui est très présente dans le concept de développement local et dans l'esprit des acteurs qui s'en préoccupent, ne soit pas établie entre les différentes collectivités concernées.

    Comment faire pour que les bibliothécaires soient vraiment partie prenante de tous les processus qui affectent le milieu rural, et soient reconnus par les décideurs comme des professionnels compétents ? En cela, il ne s'agit pas qu'ils deviennent autre chose que des bibliothécaires, mais qu'ils remplissent leurs missions de bibliothécaire dans la société, telle qu'elle est.

    Pour conclure, je dirai que le rôle social du bibliothécaire n'est ni plus ni moins important en milieu rural qu'en milieu urbain. La société rurale a ses caractères propres, ses problèmes, ses richesses, ses potentialités, son devenir. Le rapport social peut y être plus immédiat, plus personnel, mais cela ne doit pas cacher le fait que le cadre administratif où se prennent aujourd'hui les décisions qui engagent l'avenir des zones rurales dépasse souvent le cadre strict de la petite commune. Enfin, l'évolution des technologies de l'information me paraît - d'autres l'ont déjà dit - la grande chance des zones rurales. A condition, toutefois, que les citoyens, suffisamment formés et informés, sachent s'en emparer. Dans ce processus, le bibliothécaire a, évidemment, un rôle essentiel à jouer.

    Bibliographie sélective

    Patrice Beghain. - « Les cailloux blancs du Petit Poucet : une stratégie du développement culturel en milieu rural ». - in Mutation du monde rural, mutation de la société et de la culture, colloque d'Albi, 10-11 mars 1990. - Paris : Cosmopolitiques, numéro spécial, juin 1990. - p. 144-149.

    Bertrand Calenge. - « Les bibliothèques centrales de prêt : dix années de mutation,,. - - Paris : Bulletin des bibliothèques de France, 1992, t. 37, no4. - p. 24-34.

    Simon Cane. - « Regardons-les penser à nous : à propos du rapport du président du CSB pour 1993 ». - Bourg-en-Bresse : Transversales, no40. - p. 33-37.

    Camille Cote. - « La formation des bibliothécaires et l'alphabétisation », in Bulletin des bibliothèques de France, 1994, t. 39, no3. - p. 78-79.

    « L'évolution des bibliothèques départementales et l'utilité d'une charte des bibliothécaires volontaires en France », in France. Conseil supérieur des bibliothèques, Rapport du président pour l'année 1992. - Paris : Association du Conseil supérieur des bibliothèques, 1992. - p. 69-77.

    Martine Gemmerle. - La Formation dans les réseaux départementaux des BCP. - ADBCP, 1990.

    Jacques Guigou. - « Les réseaux et leurs institutions « , in La Culture de l'écrit et les réseaux de formation, actes de l'université d'été de Lacanau (sept. 1991). - CRDPCréteil, 1992. - p. 47-48.

    Elaine Kempson. - "Rural Community Information Services: Guidelines for Re-searching Need, Setting up Services and Evaluating Performance". - IFLA journal, 1990, vol. 16, nO 4. - p. 429-439.

    R. Ladefroux, M. Petit, C.-M. Gardien, Lecteurs en campagne. - Paris : Centre Georges-Pompidou-BPI, 1993.

    Bernard Latarjet. - L'Aménagement culturel du territoire. - Paris : La Documentation française, 1992.

    Françoise Legendre, « Réseaux lecture en zones rurales », in La Culture de l'écrit et les réseaux déformation, actes de l'université d'été de Lacanau (sept. 1991). - CRDP Créteil, 1992. - p. 107-109.

    Everardo Minardi, « Quels services pour quels publics dans les bibliothèques d'Émilie-Romagne et de Basilicate ? », in La Lecture d'est en ouest. - Paris, Centre Georges-Pompidou-BPI, 1993.

    Pierre Moulinier, L'évolution des pratiques culturelles des ruraux ", in Mutation du monde rural, mutation de la société et de la culture, colloque d'Albi, 10-11 mars 1990. - Paris, Cosmopolitiques, numéro spécial, juin 1990. - p. 133-143.

    Rapport au Sénat sur l'avenir de l'espace rural français / Jean-Francois Poncet, prés. Hubert Haenel, Jean Huchon, Roland du Luart, rap. - Doc. Sénat, n°249. - p. 214-219.

    Bernadette Seibel, » Les enjeux d'une profession », in Histoire des bibliothèques. Les Bibliothèques au XXe siècle, 1914-1990. - Paris : Éd. du Cercle de la Librairie-Pro-modis, 1992. - p. 590-605.

    Laurence Tarin, « Les politiques de lecture en milieu rural : l'exemple du département de la Vienne », in Bulletin des bibliothèques de France, 1993, t. 38, n°2. - p. 34-39.

    Territoires ruraux, culture, développement, colloque de Tulle, 16-17 octobre 1992. - Paris : Ligue française de l'enseignement ; Peuple et culture, 1994.