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    Où en est la Joie par les livres


    L'Association des bibliothécaires français : L'Heure Joyeuse va fêter prochainement ses 70 ans. Mais de son côté la Joie par les livres n'a-t-elle pas bientôt trente ans ?

    Geneviève Patte : Oui, en octobre 1995, nous fêterons le 30eanniversaire de l'ouverture de la bibliothèque de Clamart et du premier numéro du Bulletin d'analyses de livres pour enfants (devenu ensuite La revue des livres pour enfants). Dans la foulée, la Joie par les livres a créé ce qu'on appelle aujourd'hui le Centre national du livre pour enfants. Elle a également développé des actions de formation spécialisée. Je souhaite qu'à la rentrée 1995, la Joie par les livres ait une autre configuration.

    ABF : Pourquoi ?

    GP : A mon sens, le temps est venu de s'adapter à l'évolution des bibliothèques françaises. Est-ce qu'il ne serait pas normal que, d'une manière ou d'une autre, le Centre national du livre pour enfants soit étroitement relié à la Bibliothèque nationale de France ? Nous l'avons toujours affirmé, le travail qui s'effectue rue Saint-Bon et rue Auguste-Vacquerie ressemble fort à celui du Centre du livre pour enfants qui s'est mis en place il y a plus de trente ans au sein de la bibliothèque du Congrès à Washington. Et ceci n'est qu'un exemple.

    Quant à la bibliothèque des enfants de Clamart, elle devrait continuer à développer tant son travail au service de la cité de la Plaine que sa mission de réflexion et de formation. Nous étudions aujourd'hui comment une modification des statuts pourrait prendre en compte ce souci d'un travail fortement ancré dans la réalité territoriale et toujours ouvert sur le plan international.

    ABF : Avant de nous projeter dans le futur, peut-être pourrions-nous revenir brièvement sur le passé. On le sait, la Joie par les livres a été fondée grâce à la générosité d'un mécène. A quelle époque est-elle donc devenue un service public ?

    GP : En 1972. Elle a alors été rattachée administrativement à l'École nationale supérieure des bibliothèques.

    ABF: Comme bibliothèque d'application, au même titre que la bibliothèque publique de Massy ?

    GP : Non, il ne s'agit pas d'une bibliothèque d'application. Ce terme n'a jamais figuré dans les textes officiels et nous nous en réjouissons. Pour nous, la théorie vient de la pratique et non l'inverse. Massy en a peut-être aussi fait la démonstration. C'est la meilleure manière de coller à la réalité des enfants et des jeunes d'aujourd'hui, or nous savons à quel point le mode de vie des enfants a changé, ainsi que leur culture, leurs besoins et les moyens d'information en général.

    ABF : La mode change...

    GP : C'est vrai. La mode change, mais est-ce vraiment une question de mode ? Il est certain que beaucoup des productions de ces dernières années n'ont plus grand-chose à voir avec ce que nous avons connu en 1965. Sans doute doit-on constater que les bibliothécaires ont bien perçu le rôle de soutien qu'ils peuvent jouer auprès d'éditeurs novateurs. Mais cette mission devrait toujours s'appuyer sur une observation rigoureuse des enfants face à ces nouveautés. Est-ce vraiment le cas ? La peur de ne pas être dans le vent ne fait-elle pas passer parfois au second plan des oeuvres plus anciennes, plus classiques, plus simples, plus enfantines aussi ? Il est frappant de voir que aussi bien les États-Unis et les pays anglo-saxons que la Russie, et plus généralement les pays de l'Est, ont réédité régulièrement certains chefs-d'oeuvre du passé - sachant que pour les enfants ces livres sont toujours nouveaux et qu'ils ont valeur de patrimoine culturel et familial. Je suis heureuse de voir que maintenant quelques bibliothèques de jeunesse sont conscientes de l'importance de ces fonds anciens. Espérons que les éditeurs suivront et n'hésiteront pas à publier à nouveau ces classiques toujours actuels.

    ABF : Ainsi vous jouez la carte du Prix des Belles Oubliées ?

    GP : Savez-vous que quand Marguerite Gruny, au début des années 1960, a suggéré à Hachette de rééditer Babar, elle a reçu un refus cinglant : Hachette soutenait : « Babar n'a plus de succès, ce sont des illustrations démodées. » Position qui a été revue depuis et l'on sait comment !

    ABF : Et si nous revenions au statut de la Joie par les livres ? Comme beaucoup d'autres spécialistes de la littérature de jeunesse, l'ABF s'est inquiétée de son intégration à l'Institut national de recherche pédagogique. Elle a rappelé l'attachement des bibliothèques à une institution que son rayonnement national et international situait bien au-delà d'un simple instrument de la recherche pédagogique (1) .

    GP : Le changement de statut de l'ENSB - devenue ENSSIB et désormais plus intimement lié à l'Université - appelait à une révision du statut de la Joie par les livres. Ce serait pour cette raison qu'en 1993 nous avons été intégrés à l'INRP. Le rattachement actuel n'est pas dans la logique de nos missions. Je n'ai jamais caché le voeu de la Joie par les livres de retrouver le monde des bibliothèques publiques pour lequel nous avons été créés. La Joie par les livres a toujours travaillé à faire reconnaître auprès des pouvoirs publics comme auprès du grand public la dimension culturelle de la lecture des enfants. Par ailleurs, la littérature pour enfants est une littérature à part entière. Pourquoi n'aurait-elle pas sa place - au même titre que la littérature générale - à la Bibliothèque nationale de France (2) ? Et cela en permettant au Centre de documentation de développer son travail dans un environnement décent. Nos collègues français et étrangers qui fréquentent nos deux centres parisiens sont toujours surpris par la vétusté et la pauvreté de nos locaux.

    ABF : Mais dans tout cela que devient Clamart ?

    GP : La bibliothèque de Clamart demeure un lieu idéal de recherche, de réflexion et de formation qui toutes s'appuient sur une pratique exigeante au service d'un public très représentatif de la population des grands ensembles. Elle a toujours été ouverte sur le monde grâce à ses liens noués depuis 1965 avec l'IFLA et l'International Board of Books for Young People. Elle bénéficie de la présence de stagiaires étrangers. Dans un premier temps, la plupart des boursiers venaient de pays industrialisés. Maintenant, il s'agit surtout de stagiaires des pays du Sud, en particulier d'Afrique et d'Amérique latine. Aujourd'hui, par exemple, nous avons des stagiaires venant du Burundi, de Tunisie et d'Égypte. Nous avons reçu tout récemment, une délégation iranienne curieuse de connaître cette bibliothèque de Clamart puisque, nous ont dit nos visiteurs, il en existe à Téhéran une réplique exacte. La semaine dernière, nous recevions, à sa demande, l'impératrice du Japon.

    ABF : Et pourquoi cette visite exceptionnelle annoncée à la radio et qui a suscité une grande curiosité ? On dit que c'est la seule visite demandée expressément par l'impératrice Michiko.

    GP : Dès 1964, nous avons noué des liens avec le Japon. Nous avions remarqué l'exceptionnelle production éditoriale de ce pays, que les Éditions du Cerf avaient déjà contribué à faire connaître. J'ai été à plusieurs reprises invitée au Japon. Les bibliothèques françaises pour enfants sont de plus en plus connues au niveau international et sans doute celle de Clamart plus particulièrement. Il peut paraître surprenant que l'impératrice Michiko ait eu connaissance de notre petite bibliothèque et ait manifesté un tel désir de la visiter. Il faut dire qu'elle est auteur de livres pour enfants, qu'elle en a traduit quelques-uns admirablement, et qu'elle avait pris soin de se renseigner auprès de la section japonaise de l'IB-BY.

    ABF : L'architecture de la bibliothèque n'a-t-elle pas également contribué à son rayonnement ?

    GP : Bien sûr, c'est un élément très important. Aussi bien l'architecture que l'aménagement intérieur. Ce qui fait la richesse d'un cadre comme celui de Clamart, c'est sa dimension humaine, son intimité, son atmosphère familiale et les relations qui ainsi peuvent s'y développer tout naturellement entre adultes et enfants. Le père Joseph Wresinski, fondateur d'ATD Quart-Monde, avait d'ailleurs été très impressionné par sa visite à la bibliothèque de Clamart en 1966. Car, disait-il, les enfants, même et surtout lorsqu'ils appartiennent à un milieu déshérité, sont sensibles à un beau bâtiment, au confort des installations. Pour eux, on doit refuser le médiocre, le banal, le bon marché. Beau ne veut pas dire grandiose, solennel, intimidant.

    Comme ATD-Quart-Monde, l'équipe de la Joie par les livres a développé une sorte de bibliothèque de rue : depuis plus de dix ans, chaque semaine, sans exception, nous allons dans un quartier voisin, au-devant des enfants, avec nos paniers, nos livres et nos histoires. Lors-qu'il fait beau, nous nous installons dehors, sinon nous adoptons le porte à porte. Ce qui nous paraît important dans cette bibliothèque si légère et si adaptable, c'est qu'elle renvoie à une structure permanente, ouverte, la bibliothèque construite. Cette bibliothèque de rue remplit bien sa mission d'appel.

    ABF : Il ne me semble pas que les bibliothécaires de jeunesse soient au-jourd'hui très conscients de l'importance du bâti et des aménagements intérieurs... A feuilleter leur presse professionnelle, à écouter les propos tenus lors de réunions de travail, on a l'impression qu'ils sont infiniment plus - voire exclusivement - préoccupés par les ouvrages, leur aspect et leur contenu... domaine dans lequel, il est vrai, ils ont acquis une compétence aujourd'hui très reconnue.

    GP : Tout cela est très bien. Il y avait là vraiment une bataille à mener. Rappelez-vous les années 1960. Beaucoup de bibliothécaires manquaient de formation, achetaient aveuglément, ne lisaient pratiquement pas. Aujourd'hui la situation a bien changé ! Mais elle ne doit pas en rester là. Les modes de vie, d'acquisition du savoir, ne sont plus les mêmes. Les mentalités aussi ont beaucoup changé. Il est indispensable de repenser radicalement un certain nombre de questions essentielles ainsi celles de la signalétique pour n'en citer qu'une qui peut paraître anodine mais qui a son importance. Il nous faut regarder en dehors de la profession, du côté de la muséologie par exemple. C'est la raison pour laquelle la bibliothèque de Clamart travaille depuis peu avec un muséologue spécialiste des nouvelles technologies.

    ABF : Vous avez dit tout à l'heure que la bibliothèque de Clamart ne renoncerait pas à son rayonnement international. S'agit-il du développement d'un pôle européen ?

    GP: Pour l'instant, nous n'en sommes pas là, même si nous avons des relations régulières avec un certain nombre de pays européens : l'Espagne, la Fin-lande pour n'en citer que quelques-uns. En revanche, le secteur interculturel Afrique Monde-Noir de l'Association des amis de la Joie par les livres a développé d'importantes relations avec les pays du Sud. Ce travail enrichit beaucoup notre pratique clamartoise et nos collègues africains semblent apprécier la possibilité de réfléchir avec nous sur le choix des livres, les progammes d'animation et autres questions. Les difficultés qu'ils rencontrent dans leur métier de bibliothécaire rejoignent d'une certaine manière notre souci de prendre toujours mieux en compte l'environnement des enfants et la manière de proposer les livres et la lecture. Ils semblent apprécier le fait que leur stage se déroule dans une petite structure où il est possible de constamment renouveler la réflexion sur le travail quotidien.

    ABF : Merci. Nous attendons beaucoup de votre travail parmi les enfants, ceux d'ici comme ceux d'ailleurs...

    Vignette de l'image.Illustration
    La revue des livres pour enfants

    1. Cf. la lettre de la présidente de l'ABF in Bulletin d'informations n° 158 du 1er trimestre 1993. retour au texte

    2. Il y a toujours eu un Dépôt légal de la production pour enfants, bien évidemment, mais les ouvrages se retrouvent ensuite perdus dans le fonds général. Zig el Puce ou Bécassine dorment à 1T2, avec l'ensemble de la littérature de fiction. Seul le CXLE rassemble et traite un exemplaire de ce Dépôt légal. retour au texte