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    Quel avenir pour les réseaux urbains ?

    Par Hugues Van Bésien, Conservateur médiathèque de Beauvais
    Par Marie-Christine Irigoyen, Bibliothèques municipales de Creil

    Les villes de Beauvais (55 000 habitants) et de Creil (33 000 habitants), deux villes moyennes de l'Oise marquées par une forte dichotomie entre un centre ancien situé en fond de vallée et des quartiers d'habitat collectif installés sur les plateaux, ont fait récemment l'expérience d'ouvrir de nouvelles médiathèques centrales ».

    Dans les deux cas, le succès des nouveaux équipements a remis en question l'existence d'un réseau urbain articulant centrale et annexes, en considération des résultats des différents équipements et des moyens disponibles.

    Les deux communes, néanmoins, s'acheminent vers des choix différents. A Beauvais, on tente l'unification accrue du service en faisant jouer l'effet d'entraînement créé par le nouvel équipement tandis qu'à Creil on s'acheminerait plutôt vers la mise en place, en amont de l'offre de services de lecture publique, de médiations nouvelles autour de la formation et de l'encadrement de publics spécifiques.

    Une hypothèse d'école...

    La ville de Beauvais a développé, dans la décennie 1980, un réseau de lecture publique décentralisé complétant une bibliothèque municipale centrale reconstruite en 1956, en même temps que Chartres et Douai (1) , à une époque où la population était deux fois moindre.

    Rétrospectivement, la définition du service à rendre et le programme politique de cette phase de développement apparaissent à la fois clairs et objet d'un consensus entre tous les acteurs : démocratiser la lecture en rapprochant le livre des citoyens. Les annexes rendent toutes un service complet (adulte et jeunesse, prêt et consultation, animation et accueil de collectivités). Elles sont installées dans des locaux bâtis à leur usage, mais intégrés dans d'autres réalisations municipales contemporaines, associant des écoles, des crèches, des cantines, des centres sociaux. Leur répartition permet de couvrir de grandes zones d'habitat collectif bien marquées, rassemblant chacune une dizaine de milliers d'habitants. Elles remplacent un réseau antérieur de type misérable" : des caves de moins de 80 m2transformées en bibliothèques dans les années soixante.

    Ces réalisations participent à une première tentative d'amélioration de ces quartiers, exemples d'un non-urbanisme. Elles sont voulues par des élus qui procèdent de ces quartiers (pour des raisons diverses) et expriment volontiers une conception émancipatrice » du livre. La bibliothèque, comme l'école, est une de leurs institutions valeurs. Enfin, les enseignants de ces quartiers jeunes sont parmi les acteurs de cette vague d'équipement. Ils constituent même une partie des personnels jusqu'à leur remplacement par des bibliothécaires territoriaux.

    Le réseau d'annexes, à l'aube des années quatre-vingt-dix, se compose d'un équipement de 600 m2(quatre agents - 1986), d'un équipement de 300 m2(quatre agents - 1988), d'un équipement provisoire de 200 m2(quatre agents - 1982), plus une micro-annexe de 80 m2créée lors du retrait du bibliobus urbain. Il faut en souligner la qualité, notamment celle des deux plus grandes annexes : locaux agréables, personnel qualifié (50 % de catégorie B), collections correctes, horaires d'ouverture d'environ vingt-cinq heures. Les conditions idéales énumérées par les « normes d'alors sont atteintes, presque aucun point de la ville ne se trouve à plus d'un kilomètre d'un équipement...

    Un bilan mitigé

    La fréquentation individuelle culmine en 1990. A partir de l'ouverture, en 1991, d'une médiathèque de 3200m2 qui, début 1993, étend ses services au prêt de CD, le déclin s'amorce (cf. tableau). Les mouvements antérieurs étaient complexes, mais les changements de comptage rendent leur appréciation difficile.

    On peut remarquer qu'avant 1991, le succès des annexes est déjà relativement limité et en tout cas bien inférieur à celui qu'auraient obtenu ces équipements comme bibliothèque municipale d'une petite commune, en leur appliquant le rapport habituel entre surface et population. Les adultes sont nettement sous-représentés.

    Un sondage de 1993 indique que 68 % du public adulte de Saint-Lucien fréquente aussi la médiathèque.

    Cependant, la bibliothèque de quartier, malgré les limites de la fréquentation individuelle, est devenue, pour tous, un équipement nécessaire, et le signe tangible de l'action municipale. Les habitants d'un quartier ancien peu peuplé, comparable à celui desservi par l'annexe de 80 m2(il s'agit d'anciennes communes rattachées dans les années quarante, non de quartiers d'habitat collectif), réclament l'attribution d'une annexe. Ils interviennent dans ce sens dans les débats publics...

    De plus, pendant ces années, la mission sociale de la bibliothèque de quartier s'est imposée de la bibliothèque dans la mesure où elle fixe des groupes d'enfants (garderie...) ou d'adolescents (foyer...) qui ne sont pas forcément consommateurs de services, mais simplement usagers du lieu quand les structures socioculturelles fonctionnent par éclipses.

    Une logique d'urbanisme ?

    L'exemple beauvaisien malmène l'hypothèse selon laquelle l'effet de proximité permettrait de créer du public, et l'idée d'un réseau hiérarchisé dans lequel l'usager satisfait au plus près ses besoins courants et au plus loin, en recours, des besoins moins fréquents. L'équipement monumental du centre ville a créé des publics, ce que n'avaient pas vraiment fait les bibliothèques de quartier, et il a capté le public de ces bibliothèques en instaurant une concurrence irrésistible, en particulier quand il a commencé à diffuser des supports musicaux.

    Les limites de la fréquentation avant l'ouverture de la médiathèque (de 1 000 à 1 200 lecteurs avec plus de 70 % d'enfants pour trois quartiers qui comptaient chacun 10 000 habitants à cette époque) s'expliquent peut-être par un effet d'urbanisme, à deux échelles. A l'échelle de la ville, les quartiers d'habitat collectif tendent à rester mono-fonctionnels, les activités sociales (commerce et loisirs) se partageant de manière conflictuelle entre le centre ville et les zones commerciales périphériques, d'où les services publics sont absents. Mais nous ne saurons jamais ce qu'aurait donné une implantation à proximité des grandes surfaces de la périphérie.

    A l'échelle du quartier, il est évident que l'intégration architecturale dans des ensembles non ouverts au grand public (crèches, cantines, etc.) dissimule les bibliothèques et qu'en deux cas au moins, le site choisi s'est avéré défavorable. La bibliothèque Argentine est excentrée (de quelques centaines de mètres, mais cela suffit) par rapport à l'embryon de centre de son quartier. La bibliothèque Saint-Jean s'est trouvée enclavée dans un sous-quartier composé de quelques barres d'immeubles abritant une population de familles nombreuses majoritairement d'origine étrangère, ce qui a été établi au cours d'études du DSQ (Développement social des quartiers) et a motivé la construction en 1994 d'un bâtiment de 680 m2 àun emplacement peu éloigné, mais situé à la charnière de différentes zones d'habitat, avec un effet apparemment favorable après quelques semaines d'activité.

    La médiathèque centrale

    Après le mandat qui a vu la réalisation de nombreux équipements de quartier, l'action municipale tend à aborder des dossiers lourds qui positionnent la ville sur des enjeux régionaux et nationaux (infrastructures de transport, université, grandes institutions culturelles). A ce nouveau contexte correspond une nouvelle définition de la bibliothèque. L'administration s'est étoffée et compte désormais une direction des affaires culturelles. A la faveur de la rénovation d'un ensemble historique du centre ville, le déménagement de l'école des Beaux-Arts, de l'école de Musique et de la bibliothèque est entrepris. Le nouvel équipement est baptisé « médiathèque dès sa programmation.

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    Statistiques

    Dans le contexte local, on attend du projet une modernisation de la bibliothèque pour accroître l'offre : dans un sens, c'est une continuation. Mais aussi, plus ou moins explicitement, une rupture avec la bibliothèque progressivement dévalorisée. S'il s'agit de faire plus, il s'agit aussi de faire autre chose : multiplier les supports (imprimé, musique, image, oeuvre d'art), oeuvrer dans un sens « culturel ce qui se définissait dans ces années par la production d'événements à caractère culturel et la participation à la vie locale de créateurs...

    L'équipement (3 200 m2, dont une galerie d'exposition) ouvre en 1991. Quatre ans après, les services de base ont fait leurs preuves mais l'irruption du public (250 000 prêts tous supports confondus et 320 000 entrées en 1994) a absorbé tous les moyens humains : la section musique n'ouvre qu'en 1993, l'artothè-que est abandonnée, la galerie d'exposition est gérée par la direction des affaires culturelles. De plus, comme le remarquait Jean-Claude Le Dro dans une récente journée d'étude, nous ne sommes pas capables de créer l'événement : le public adulte qui plébiscite les services quotidiens fuit les animations...

    La démarche du public et le déséquilibre apparu entre la médiathèque et les bibliothèques de quartier conduisent à repenser l'évolution des services.

    Quelle stratégie pour les quartiers ?

    Nous aurions - difficilement - pu prendre acte de la désaffection du public pour les équipements de proximité et considérer positivement la rapide appropriation de l'équipement du centre ville par les habitants des quartiers, en particulier par les adolescents (avec les problèmes habituels). En conséquence, il eût été possible de réviser à la baisse les moyens des annexes, notamment leurs moyens humains (13,4 emplois sur 36,9) pour accompagner la croissance des activités de la médiathèque et poursuivre la diversification des services offerts. Réduction des services des annexes, reconversion plus ou moins poussée en direction des collectivités restent une option envisageable en cas d'échec de l'autre voie.

    Cependant c'est une autre stratégie qui a été adoptée, avec une échéance de deux ou trois ans, sous le poids de l'existant et dans le souci des enjeux que représente la présence des services publics dans les quartiers : maintenir et améliorer un service de base multimédia pour le grand public, en changeant les termes de la concurrence entre les équipements. Il s'agit de remettre en circulation dans l'ensemble du réseau les publics créés par la médiathèque...

    Les moyens de la relance

    Nous avons tenté de faire jouer pleinement l'effet d'appel des documents musicaux et audiovisuels en les multipliant dans les trois grandes annexes et en instaurant le service unique pour un tarif unique. A défaut de la gratuité, il n'existe plus depuis avril 1994 aucune différenciation de tarif en fonction des supports, et c'est l'ancien tarif bas appliqué aux imprimés qui a prévalu pour les Beauvaisiens.

    Le développement du secteur image a commencé le plus rapidement possible dans les bibliothèques de quartier sous forme de vidéocassettes pour le prêt. L'implantation de l'image à la médiathèque est différée, d'autant que, courant 1994, il était déjà bien tard pour constituer à la centrale d'importantes collections dans un support condamné, sans que le support de remplacement soit clairement établi et vulgarisé. A la faveur de l'achèvement de l'informatisation des collections en libre accès, les horaires d'ouverture des annexes ont été étendus sur cinq jours au lieu de quatre.

    La signalisation urbaine a été améliorée, le matériel de communication (cartes de lecteurs, cartons d'échéance du prêt, affichage interne, sacs en plastique, bibliographies) a été systématiquement modifié - pour signifier l'existence des bibliothèques de quartier et le principe d'un service unique accessible en tous points (prêt, consultation du catalogue commun, service de réservation).

    Les spectacles familiaux, gratuits et hors des temps scolaires (conteurs, spectacles légers) ont été multipliés dans les bibliothèques ou dans des locaux immédiatement adjacents (salles de cantine).

    Les budgets d'acquisition ont été augmentés - ils devraient s'établir aux environs de 110 000 F par an (livres et périodiques) pour les grandes annexes - en prêtant une attention particulière aux périodiques et à la reconstitution des fonds de documentaires pour adultes à l'issue des tris pendant la période d'informatisation. Enfin, le transfert de la bibliothèque du quartier Saint-Jean dans un nouveau bâtiment à l'architecture forte, déjà évoqué, a abouti en décembre 1994.

    L'effet de ces mesures devrait pouvoir être évalué fin 1996 : il pourrait être variable d'un site à l'autre et décidera de réorientations ultérieures...

    Incidemment, pour le service que nous voulons rendre, la bonne jauge d'une bibliothèque de quartier, presque indépendamment de la population théoriquement desservie, se situe autour de 400 m2, avec 300 m2de services publics de plain-pied, d'un seul volume et d'un seul tenant, complétés par un minimum de bureaux et un espace d'animation de 60 m2environ : il n'y a pas d'avantage décisif quand on passe de 300 à 600 m2. En revanche, les coûts d'investissement et de fonctionnement augmentent considérablement (nécessité de passer à deux niveaux, d'avoir un ascenseur, forte diminution du rapport surface bâtie/surface utile...), la flexibilité des espaces diminue. La micro-annexe de moins de 100 m2ne peut offrir un service comparable à ceux rendus dans le reste du réseau. Elle tend à fonctionner comme un dépôt de BCP pas très dynamique et sous-dimensionné, au public très familier, très stable et très typé : public de voisinage et non public de quartier.

    En cela, l'ancien seuil minimum à la subvention des équipements me paraissait tout à fait justifié, ainsi que la condition de disposer d'un équipement central aux normes avant de développer les annexes.

    A Creil, une autre piste

    Il a suffi que la bibliothèque s'agrandisse, se transforme et s'intègre dans le nouvel espace culturel de Creil, la Faïencerie, pour qu'au terme des premières statistiques annuelles, on voit se confirmer que le rayonnement de la médiathèque a bouleversé le paysage de la lecture.

    Le réseau constitué entre 1965 et 1992 comptait deux annexes de quartiers pour les enfants, une bibliothèque en centre ville et enfin une troisième annexe dans le dernier quartier construit. Cela formait un ensemble cohérent, où les annexes, dépendantes vis-à-vis de la centrale, jouaient bien leur rôle de relais, au plus près du public, surtout enfantin.

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    Lucelinda

    En 1994, après un an d'ouverture de la médiathèque, on note que le public 'd'avant est à peine retrouvé, mais que, par contre, il s'est élargi de façon considérable. L'analyse par lieu de résidence fait ressortir que les " quartiers viennent nombreux dans le nouvel équipement : usagers des annexes et, davantage encore, personnes inconnues de nos fichiers « d'en haut ». L'appropriation souhaitée de ce nouvel espace est en bonne voie et l'objectif d'en faire un lieu pour tous les Creillois est en grande partie atteint. Cet équipement central sera bien vite saturé et s'il n'est évidemment pas question de refixer les publics de quartier dans » leurs annexes », il convient cependant de réfléchir sur l'équilibre et le rôle du réseau.

    Déjà, une première analyse faite en même temps que l'ouverture de la centrale, nous avait amenés à redéfinir l'activité de la plus petite des annexes, très proche de la plus grande. Toute l'activité du public a été transférée et de nouveaux objectifs ont été donnés : ateliers d'écriture, mise à disposition du fonds pour une centrale de prêt à l'attention des BCD, accueil des classes des écoles du quartier, mise en place du soutien scolaire (avec personnel spécifique), un groupe de bébés lecteurs » une fois par semaine.

    L'annexe subsiste, mais ne reçoit plus le public que dans le cadre d'activités encadrées. Conjointement de nouveaux locaux ont été attribués à la plus ancienne des annexes, bien située au coeur d'un quartier défavorisé. Nous poursuivons la réflexion et sommes conduits à une possible conversion des annexes en « pépinières de lecteurs » qui auraient leur place entre une médiathèque centrale attractive et les autres équipements du quartier. Le fonctionnement ne serait plus celui d'une bibliothèque en libre accès avec toutes les dérives possibles, mais il serait basé sur des activités de lecture bien définies quant à l'encadrement, au contenu et aux horaires.

    La recherche d'une complémentarité d'actions autour du livre et de la lecture et d'une spécificité propre à ce nouvel équipement nous conduit donc à l'idée d'un relais-lecture » où la médiation organisée entre le livre et l'enfant est la principale activité. Le public visé est celui des enfants dès le plus jeune âge jusqu'à 15 ans (collégiens) et celui des adultes accompagnant les enfants.

    Les objectifs seraient :

    • éduquer pour un comportement d'usager à la bibliothèque ;
    • améliorer le rapport des jeunes aux livres par la mise en place de pratiques d'accompagnement de la lecture. L'aide au travail scolaire est comprise dans ce volet ;
    • permettre aux adultes de trouver leur place entre le livre et l'enfant.

    Un partenariat très actif serait mis en oeuvre avec le service jeunesse, sport et loisirs qui mettrait une animatrice à disposition six heures par semaine, le service du soutien scolaire, le collège du quartier et le centre socio-éducatif du quartier. L'accès aux activités se ferait uniquement par inscription pour mieux réguler et mettre en place un suivi. Le prêt de livres aux enfants inscrits resterait possible dans le cadre de chaque activité et lors d'une activité uniquement basée sur le prêt et sur la lecture individuelle sur place.

    Le fonctionnement proposé permettrait ainsi de mettre en place une véritable complémentarité entre la médiathèque et l'annexe, car l'une et l'autre n'offriraient pas les mêmes services. Nous espérons ainsi favoriser les échanges entre bibliothèques, chacune n'étant plus « réservée à à un quartier. L'activité du prêt serait renforcée à la médiathèque centrale par des achats plus importants tandis qu'à l'annexe du Plateau Rouher les animations seront plus développées pour tous les enfants de Creil.

    Une clarification des objectifs nous permet de mieux orienter notre action, de la rendre plus efficace, de rester au service de la lecture et des enfants avec des partenaires extérieurs et tous les équipements du réseau.

    1. Ces bâtiments avaient été détruits pendant la Seconde Guerre mondiale. retour au texte