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Comment associer les utilisateurs à la modernisation d'un centre de documentation

1996

    Comment associer les utilisateurs à la modernisation d'un centre de documentation

    Par François d'Arcy, Directeur de l' Institut d'Études politiques de Grenoble (IEP)
    Par Andrée Verdiel, Directeur de la bibliothèque de l'IEP de Grenoble

    Le processus de modernisation dont nous allons rendre compte concerne le centre de documentation de l'Institut d'Études politiques de Grenoble, établissement d'enseignement supérieur accueillant un millier d'étudiants et comptant une soixantaine d'enseignants et chercheurs. Cette présentation est avant tout un témoignage des responsables de l'action décrite, avec tout ce que cela peut impliquer de rationalisations a posteriori ou de gommage inconscient de certaines difficultés rencontrées.

    Établissement public administratif rattaché à l'université Pierre Mendès-France (université des sciences sociales de Grenoble-II), l'IEP jouit au sein de celle-ci d'une complète autonomie budgétaire et pédagogique. La convention de rattachement établit une étroite coopération en matière de recherches (l'IEP abrite deux centres de recherches associés au CNRS), de troisième cycle (l'IEP met en oeuvre un DEA d'études politiques et deux DESS), de personnel administratif.

    Présentation du centre de documentation

    Pratiquement depuis sa création, en 1948, l'IEP a constamment tenu à fournir à ses étudiants, ses enseignants et ses chercheurs, un centre de documentation, installé dans ses propres locaux. Ce centre a pris toute sa dimension dans les années soixante-dix. Il est également accessible aux autres enseignants et chercheurs du campus grenoblois et, moyennant le paiement d'un droit d'inscription, aux autres étudiants. L'encadré ci-contre donne ses principales caractéristiques.

    Le centre de documentation a été principalement financé sur ressources propres, tout en bénéficiant d'une aide financière et de personnel de la Fondation nationale des sciences politiques. À propos du financement sur ressources propres, il convient de signaler ici que les IEP disposent d'une plus grande liberté que les universités dans la fixation de leurs droits d'inscription. Un effort supplémentaire a donc pu être demandé aux étudiants lors du vote du budget par le conseil d'administration (composé pour un tiers de représentants étudiants) afin de financer la documentation, et ceci depuis le début des années quatre-vingt.

    Sans subvention du ministère de l'Éducation nationale, le centre de documentation de l'IEP s'est développé totalement en dehors de la bibliothèque universitaire. Cependant, dès les années soixante-dix, une coopération s'est engagée, sanctionnée par une convention. Lorsque le SICD (Service interuniversitaire de coopération documentaire, commun aux universités de Grenoble-II et Grenoble-III) s'est mis en place, une convention d'association a été signée.

    Le choix de la modernisation

    La deuxième moitié des années quatrevingt a été une période de réflexion et d'interrogations sur la manière d'informatiser le centre.

    Des mesures transitoires avaient été adoptées : une participation au CCN (Catalogue collectif national des publications en série) a permis d'acquérir la pratique d'un travail en réseau pour informatiser le répertoire des périodiques. Nous avons, par ailleurs, utilisé un équipement local à des fins bureautiques, notamment pour la production des fiches du catalogue des ouvrages. Nous avons également implanté un centre d'interrogation des grandes bases de données documentaires.

    Il restait à passer à une véritable informatisation. Plusieurs solutions se présentaient et il n'est pas inutile de dire un mot des solutions qui n'ont pas été retenues. La première, qui a permis à l'IEP de Bordeaux de s'informatiser très tôt, consistait à choisir un système fermé, propre à l'établissement. Au contraire, nous envisagions de privilégier plutôt une informatisation en réseau.

    De son côté, l'IEP de Lyon s'est engagé dans une informatisation de pointe dans le domaine de la documentation régionale à partir de la presse. À l'IEP de Grenoble, la recherche avancée sur les technologies documentaires est poursuivie à la banque de données socio-politiques, rattachée à l'un de nos centres de recherches, le CIDSP. Pour notre centre de documentation, nous avons fait le choix de moderniser l'ensemble de nos activités pour l'ensemble de nos utilisateurs, en ayant recours à des technologies déjà éprouvées.

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    Institut d'Etudes politiques de Grenoble année 1994-1995

    S'agissant du réseau de rattachement, le problème se posait de notre relation au processus, par ailleurs lent et fort complexe, d'informatisation de la bibliothèque de la Fondation nationale des sciences politiques. Il semblait cependant plus utile pour nos utilisateurs d'assurer une relation forte avec les centres documentaires grenoblois. D'où l'intérêt que nous avons manifesté dès le début pour un projet qui finalement sera abandonné, d'un catalogue local des ouvrages. En revanche, lorsque les bibliothèques universitaires de Grenoble entrèrent dans le réseau SIBIL, nous avons décidé immédiatement de nous joindre à elles.

    Pendant toute cette phase préalable de réflexion, la discussion a lieu principalement entre le directeur du centre de documentation qui suit les évolutions technologiques en cours, et le directeur de l'IEP. Les discussions avec les utilisateurs, dans le cadre du conseil d'administration ou des commissions pédagogiques, portent sur le maintien de l'effort en matière d'achats documentaires et sur le fonctionnement quotidien du centre.

    Dès lors qu'un changement de grande ampleur était mis à l'ordre du jour, il devenait indispensable d'élargir le cadre de la discussion, et ce dans trois directions : vers le personnel du centre, vers le conseil d'administration et vers l'ensemble des utilisateurs. Il nous est vite apparu que ces trois démarches devraient être menées simultanément. Pour la commodité de l'exposé, nous les présenterons séparément.

    L'association des personnels de documentation

    Le passage au système SIBIL devait entraîner toute une série de changements matériels et « organisationnels ». Tout d'abord, dans la mesure où l'accès au catalogue allait s'en trouver perturbé pendant une phase intermédiaire, il importait de passer simultanément au libre accès, qui n'était jusque-là pratiqué que pour une très petite partie du fonds. Le libre accès devenait donc une des composantes principales du projet, à côté de l'informatisation proprement dite. Il supposait inévitablement une restructuration des salles de lecture et d'une partie des magasins, ainsi qu'une modification de l'organisation interne du centre.

    Plus fondamentalement, il apparaissait qu'un tel projet ne pouvait être mené à bien sans que l'ensemble du personnel documentaire se l'approprie et participe à l'élaboration des solutions concrètes. Ceci était d'autant plus nécessaire qu'un important programme de formation devait également être envisagé.

    Dans un centre de documentation qui n'avait pas connu de changement significatif depuis une quinzaine d'années, les relations de travail s'étaient quelque peu figées, et il était difficile qu'elles évoluent d'elles-mêmes. Le consensus s'est fait sur la nécessité de recourir à un intervenant extérieur. Sur proposition du directeur du centre, Jean Michel a été appelé afin d'aider à la conception et à l'évaluation du projet, ainsi qu'à la définition de nouveaux modes d'organisation et de management (1) . Son intervention fut menée selon les techniques de l'analyse de la valeur, adaptée à une demande complexe. Non seulement il fallait analyser la rationalité d'un projet à l'égard des financeurs mais encore préfigurer un mode de direction plus collégial et un management plus participatif.

    De ce double point de vue, la méthode de l'analyse de la valeur s'est révélée pleinement efficace. Elle a permis de mûrir le projet, de modifier certaines des solutions initialement prévues. Elle a surtout permis qu'un projet initialement envisagé au niveau de la direction devienne celui de l'ensemble du centre. Elle a permis ensuite de faire admettre que le centre soit restructuré autour de l'utilisateur.

    L'organigramme donc a été revu. Il fait apparaître désormais deux départements fonctionnels : celui des ouvrages et celui des périodiques et de la documentation contemporaine, auxquels s'ajoutent un service transversal, le « service lecteurs », ainsi qu'une cellule de liaison avec la recherche. Le comité de direction (composé du directeur et des chefs de département ou de service) se réunit chaque semaine. En outre, cinq groupes de pilotage ont été mis en place pour prévoir et suivre le déroulement des actions spécifiques (informatisation, formation des utilisateurs, acquisitions, réseaux, renseignements). C'est dans ce cadre qu'ont été discutées les modalités de mise en place de la modernisation, puis la participation de l'IEP au projet plus vaste d'informatisation du SICD.

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    Formation des utilisateurs

    La prise en compte de la modernisation par les instances de l'IEP

    Le passage au système SIBIL, avec tous les changements induits, coïncidait avec la mise en place par le ministère de l'Éducation nationale d'une nouvelle procédure de discussion budgétaire : la contractualisation. Désormais, les crédits affectés aux établissements d'enseignement supérieur sont partagés en deux parts : la plus importante est attribuée selon des critères automatiques prenant en compte le nombre d'étudiants, la surface des locaux, etc. L'autre, attribuée sur la base d'un contrat quadriennal, permet de financer les actions nouvelles nécessaires au développement de l'établissement.

    Le contrat est établi sur la base d'un projet d'établissement transmis au ministère après avoir été approuvé par le conseil d'administration. Le projet est l'occasion d'une discussion d'ensemble sur l'évolution de l'établissement, et à cet égard introduit un mode de fonctionnement nouveau, permettant la fixation d'objectifs à moyen terme et l'évaluation de leur réalisation. Ce type de contractualisation tend à se généraliser dans les administrations publiques, et permet de sortir du carcan de l'annualité budgétaire.

    Le directeur de l'IEP a proposé que la modernisation du centre de documentation soit classée numéro un dans le projet d'établissement. Cela présentait deux avantages. Tout d'abord, lui donner la visibilité la plus large, et voir comment il était accueilli au cours des différentes réunions qui ont eu lieu sur le projet d'établissement, avec les enseignants, les représentants étudiants et au sein du conseil d'administration. Ceci était d'autant plus important qu'il fallait envisager qu'une partie du financement soit prise sur ressources propres. Le deuxième avantage était de permettre de demander au ministère une aide financière alors que jusqu'ici les subventions ministérielles n'avaient jamais pris en compte le centre de documentation de l'IEP. Après de longues discussions, et des demandes de précisions sur les relations du centre avec le SICD et avec la Fondation nationale des sciences politiques, le ministère a accepté de prendre en charge une partie de l'opération.

    La familiarisation des utilisateurs avec les nouveaux outils documentaires

    L'informatisation dans le système SIBIL n'est qu'un des éléments d'un processus désormais continu de transformation lié aux nouvelles technologies documentaires. Deux types d'actions étaient à envisager pour faciliter leur acceptation et leur appropriation par les utilisateurs.

    Tout d'abord, il fallait tenir compte, à côté de ses avantages, des sujétions nouvelles entraînées par la modernisation. Il fallait donc prévenir les réactions négatives qui auraient compromis la bonne marche du processus. Parmi ces sujétions ou inconvénients, il y avait durant toute une phase intermédiaire, une plus grande difficulté d'accès au catalogue : en raison du coût de la liaison avec SIBIL, un seul terminal pour consultation en ligne a été mis à la disposition des lecteurs. Ce mode d'accès privilégié est complété par la mise à disposition de microfiches et surtout par le libre accès aux ouvrages, mais celui-ci ne s'est étendu que très progressivement. Par ailleurs, le libre accès entraîne une plus grande fréquentation des salles de lecture, avec les problèmes de discipline (lutte contre le bruit) et de contrôle à l'entrée des salles qui en découlent.

    La création d'un « service lecteurs a permis une meilleurs écoute des récriminations. L'expression des besoins et des plaintes a été par ailleurs rendue possible au sein d'un comité des usagers, qui se réunit une ou deux fois par an et comprend des représentants des étudiants et des enseignants. C'est notamment dans ce comité qu'on a pu constater la difficulté de certains enseignants à abandonner les fichiers papier. Enfin, un « point-doc " installé dans la salle des ouvrages permet à chaque utilisateur de rencontrer plusieurs fois par semaine un bibliothécaire à même de répondre à ses problèmes.

    L'autre volet de l'action en direction des utilisateurs est la formation. Dans le passé, chaque génération nouvelle d'étudiants était accueillie par petits groupes au centre de documentation pour une présentation de son fonctionnement, les étudiants de 3e cycle bénéficiaient d'une formation à la recherche documentaire. Cette présentation, accompagnée d'un guide du lecteur et d'un film vidéo ne suffit plus. Il faut désormais y ajouter des formations plus ciblées par type de documents et par catégorie d'utilisateurs.

    Des formations particulières sont organisées pour les étudiants de troisième année (en vue de leur mémoire de recherche), les étudiants de DEA et les doctorants (cf. tableau ci-dessus). Pour ces derniers, l'IEP vient d'obtenir une aide dans le cadre de l'appel d'offre du ministère, sur l'enseignement de l'information scientifique et technique dans les universités. En ce qui concerne les enseignants et les chercheurs, les présentations ont lieu chaque fois qu'apparaît un nouveau produit (informatisation du fichier des articles de périodiques de la FNSP, CD-ROM...). En outre, des explications individuelles sur les transformations de l'offre documentaire sont données à chaque enseignant qui en fait la demande : ces formations individuelles sont en effet les seules vraiment adaptées tant sont divers les besoins ou les capacités d'accès aux nouvelles techniques.

    Nous n'avons pas encore mis en place de tests fiables pour mesurer le taux de satisfaction des utilisateurs. Divers indices permettent cependant de penser qu'au terme de cette phase de quatre années de transformation rapide, il a sensiblement progressé. Cela nous a permis de passer à une nouvelle phase plus ambitieuse d'informatisation. En effet, les universités de Grenoble II et de Grenoble III ont inscrit à leur nouveau projet d'établissement (1995-1998) un vaste plan d'informatisation de la bibliothèque universitaire et de l'ensemble des centres documentaires des deux universités. L'IEP s'est, dès le départ, associé à ce projet qui vise à informatiser notamment les catalogues et leur accès public (OPAC), les commandes, le prêt, et qui permettra des coopérations jusqu'ici hors de portée.

    Pour conclure nous voudrions revenir sur l'élément déclencheur du processus de modernisation, à savoir l'élargissement sans précédent de l'offre documentaire. Les mises en réseau, dont la forme la plus emblématique est actuellement Internet, obligent à forger une culture de l'information qui permette à l'utilisateur d'acquérir la maîtrise des nouvelles technologies sans perdre sa capacité critique. La formation, pour laquelle une forte demande s'est exprimée lors des réunions du comité des usagers, doit déboucher, non sur des recettes miracles, mais sur l'acquisition d'une véritable autonomie, prenant appui sur la participation à la vie même du centre de documentation. Notre conduite a été dictée par la conviction que cela n'est possible que si la même démarche s'applique conjointement aux utilisateurs et au personnel du centre.

    1. Cette intervention est décrite dans l'ouvrage Pratique du management de l'information : Analyse de la valeur et résolution de problèmes / Jean Michel, en collaboration avec Éric Sutter - ADBS Éditions, 1992, pp. 97-105. retour au texte