Index des revues

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    Simple comme bonjour

    Par Susie Morgenstern, Écrivain pour enfants

    Le hasard de mon immigration en France a fait que je connaisse deux ensembles d'êtres humains : des mathématiciens et des bibliothécaires. Si les premiers se sont confirmés comme des gens tout à fait bizarres, les bibliothécaires, par contre, ont renversé toutes mes conceptions préconçues des stéréotypes de vieilles filles à petites lunettes rondes. J'en ai rencontré des joyeuses, des remuantes et des très, très sexy. Je n'en ai pratiquement pas rencontré de sexe masculin. Tous, considérations financières mises de côté, sont contents de faire ce métier. Et je suis très reconnaissante aux bibliothécaires, car sans eux, sans elles, les écrivains de jeunesse qui ne bénéficient que rarement de quelques mots des médias, n'existeraient pas.

    Mes statistiques sont un peu faussées peut-être par le fait que les bibliothécaires qui m'invitent sont déjà une sélection. Ce sont celles qui ont envie de faire vivre leur bibliothèque, faire éclater des étincelles et alors cela devient un véritable feu d'artifice, d'échange, de chaleur, d'émotion. Chaque rencontre est une occasion d'une réelle création dans l'art de l'animation ; et comme mes livres parlent souvent de la nourriture, les bibliothèques sont fréquemment transformées en restaurant littéraire. Ainsi à Mulhouse, j'ai participé au « casse-croûte » littéraire : un club de lecture où les lecteurs viennent en apportant un plat à partager en même temps que leurs goûts de lecture. Près de Lyon, autour de mon livre : Une vieille histoire, une bibliothécaire a organisé un thé dansant pour toutes les mamies du quartier, avec la participation des élèves en couture du lycée technique qui ont fabriqué une ligne de mode pour les vieilles dans un défilé de mode pas comme les autres. En Guadeloupe, un bibliothécaire a fait une dégustation de chocolat comme appât pour faire venir des lecteurs. À Vénissieux, une soirée mère-fille a eu lieu pour parler des conflits autour de mon livre : Terminale, tout le monde descend. Je vous épargnerai la longue liste d'animations autour de livres tels que Tonton Couscous, Toqués de cuisine, La Grosse patate, Cucul la praline et bien d'autres. Je suis d'ailleurs en train d'écrire un roman qui va raconter mes aventures dans les bibliothèques et dans les collèges de France qui s'appelle Le vampire du CDL, et qui raconte l'histoire d'un documentaliste et son combat pour attirer et garder des lecteurs par des moyens peu orthodoxes. Les bibliothécaires de jeunesse et les documentalistes des collèges sont de véritables militants pour la lecture et pour fidéliser la clientèle. Ils n'ont pas peur de sortir de leurs bibliothèques pour ensuite ramener des lecteurs. C'est sûr que dans les bibliothèques universitaires, on n'a pas besoin d'attirer le client mais je pense quand même que les bibliothécaires des sections jeunesse dans les bibliothèques municipales, sont des exemples à suivre. Vous pouvez aussi suivre l'exemple de Louis Klee qui a mis des livres pour enfants dans la bibliothèque universitaire de Nice ; ce qui est une très bonne idée. On a du mal à imaginer la pauvreté de l'état des relations des étudiants avec le livre et la lecture.

    Henry Heaney a évoqué la critique selon laquelle les bibliothèques sont en train de devenir trop impersonnelles mais il dit qu'il préfère un hypermarché bien organisé plutôt qu'une boutique où il faut demander chaque article. Personne n'est contre une bonne organisation, mais est-ce si mal de passer par le contact humain ? Et donc, ma vision d'une bibliothèque est un lieu extrêmement accessible et accueillant. J'étais un bon petit rat de bibliothèque, dans ma petite ville de Belleville (New Jersey), où les bibliothécaires étaient les complices, dans mon projet de lire tous les livres de la bibliothèque. Si je ne trouvais pas les Français toujours très chaleureux, celles qu'on appelait les dames de la bibliothèque de la Villa Thiole à Nice étaient devenues le long des années de la famille pour mes enfants. On y allait d'ailleurs en famille, en une messe laïque tous les samedis après-midi. Ma fille a participé au club de théâtre. Madame Barjaki, bibliothécaire, demandait des nouvelles des livres qu'on avait lus, et je pense même que ces visites à la section jeunesse ainsi que mes lectures avec mes enfants ont orienté mon choix d'écrire pour les enfants.

    L'autonomie était nulle. Tout passait par les bonnes dames qui nous accompagnaient dans les rayons, nous conseillaient, discutaient jusqu'au moment de nous reconduire à la porte. Et cette réalité d'antan est ma vision de la bibliothèque idéale, où l'on peut rencontrer des livres à travers des êtres humains, au lieu de passer par des claviers et des écrans.

    Je suis une femme de cinquante ans. Sur le chapitre : Les machines et la femme de cinquante ans ", je peux vous décrire des déboires dignes des Modern Times de Chariot. Bref, on n'est pas à l'aise : complexes, embrouilles, dysfonctionnement total ; faites-moi programmer le magnétoscope et vous aurez une collection insolite de chefs-d'oeuvre du cinéma, chacun d'entre eux coupé avant la fin. Demander une adresse au Minitel, prend une heure. Chercher un livre dans l'index de l'ordinateur à la médiathèque et "j'arrache les cheveux de ma tête

    J'aimais tant ces petits tiroirs où tous mes copains écrivains défilaient sur le bristol blanc. Je pourrais être péniblement lyrique sur la bibliothèque d'antan, sur la lecture, sur les livres. On lit les livres dans la solitude de nos chambres, mais on choisit les livres dans la convivialité de notre petite civilisation. C'était pour moi un des premiers apprentissages de citoyen où je me suis rendu compte des bienfaits de la société.

    Dans les banlieues dites dures », la bibliothèque est souvent le seul endroit communautaire que les jeunes fréquentent. OK : les jeunes n'ont pas les mêmes phobies pour les machines et les ordinateurs ; quoique ma fille me dit qu'elle se sent « paumée à la bibliothèque. Elle aimerait qu'il y ait des panneaux qui annoncent la promotion du jour, comme le plat du jour, annonçant le hit parade de la semaine, les nouvelles acquisitions, les recommandations amicales. J'enseigne l'anglais dans une école d'ingénieurs : ESSI (École supérieure de sciences informatiques) de l'université de Nice à Sofia Antipolis. Il n'y a pas de bibliothèque dans l'école bien qu'il y ait une salle désignée à cet effet dans le magnifique bâtiment récemment construit. Cela ne fait rien ! Mes étudiants sont branchés coeur et âme à l'Internet, courrier électronique et tous les serveurs imaginables. Ils m'appellent : "Venez voir ! tout le monde est missionnaire, veut absolument m'initier à Internet. Oui, c'est impressionnant, fabuleux, incroyable mais mes étudiants passent leur vie devant l'écran, comme ils ont passé leur vie devant la télévision. On n'entend pas de bruit : il n'y a pas de vie d'étudiants. On dirait la planète des autistes. Est-ce que l'autonomie veut dire autisme ? C'est de la drogue dure. Ils me disent: « C'est la communication ! » Tu parles ! Une histoire d'amour avec un écran. J'ai regardé cinq minutes la Marche du siècle sur les nouveaux réseaux de communication où un collègue et ami de l'université de Nice, Pierre Coulet, fit la démonstration d'une méthode d'apprentissage de langues sur CD-ROM et compagnie. N'a-t-on jamais vu un seul apprenti linguiste sur terre apprendre une langue par quelque machine que ce soit ?

    J'ai honte d'être une vieille conservatrice, réactionnaire. Je n'ai jamais voulu de télévision chez moi. Je n'ai aucune téléculture. Est-ce que cela me manque ? Et puis, les livres c'est ma vie et cela me fait gagner ma vie. On m'a déjà demandé d'écrire un CD-ROM - mais on ne peut pas aller sous la couette, bien au chaud avec un CD-ROM.

    Je sais qu'il faut s'initier, il faut s'équiper, s'informer et fournir ces services aux usagers. Je sais que l'accès à ces réseaux est nécessaire et époustouflant. Je pense que mes étudiants savent autre chose que moi et ont d'autres jouissances sous leur couette, mais j'ai toujours terriblement envie de leur faire partager mes plaisirs et mes espoirs pour l'humanité. Je suis une mère et le mot « materner » me vient souvent à l'esprit. Un étudiant de vingt-deux ans m'a appelé maman l'année dernière. La ville, la faculté, le monde sont tellement aliénants qu'il faut conserver un endroit public qui crie : « Welcome

    Dans la formation des bibliothécaires, on devrait vous apprendre à dire : bonjour (1) ,.

    La formation des usagers devrait inclure la notion: « rendre le bonjour, répondre à un sourire ». La vie est assez dure comme cela. Le remède est simple comme le bonjour.

    Ce séminaire a été réalisé avec le concours de la Direction de l'Information scientifique et technique et des bibliothèques et du Bureau national de l'ABF.

    Traduction française des communications anglaises par Fionnuala Bhreathnach, UFR Etudes du monde anglophone, Université de Toulouse le Mirai!.

    1. NDLR - Le titre de l'article de Susie Morgenstern est de la rédaction. retour au texte