(1) Cet exposé cherche à démontrer comment les bibliothèques universitaires britanniques coopèrent et entre elles et avec la British Library. Il examine la nature de cette collaboration et les voies par lesquelles les modèles coopératifs pourraient évoluer à l'avenir. En conclusion, il présente un résumé des aspects clefs de la collaboration réussie. Je parle du point de vue du bibliothécaire universitaire, bien que bon nombre de mes remarques puissent s'appliquer à d'autres types de bibliothèque. Je me réfère au programme Les bibliothèques électroniques dans l'enseignement supérieur au Royaume-Uni, que nous appelons couramment e-Lib, et en particulier au Rapport Follett qui a précédé ce programme. (Joint Funding Councils Libraries Review Group, président Sir Brian Follett : Rapport. Londres, 1993.)
Pourquoi les bibliothèques coopèrent-elles entre elles ? Plusieurs raisons existent:
Beaucoup de bibliothèques collaborent entre elles, et le Royaume-Uni a une longue tradition de coopération nationale et internationale. Il existe plusieurs modèles:
Il existe peut-être d'autres façons de décrire les types de coopération mais les trois cités sont les plus fréquents en Grande-Bretagne. Donnons quelques exemples des types de regroupement coopératif que j'ai cités.
Premièrement le CURL (Consortium of University Research Libraries, soit le Consortium des bibliothèques universitaires de recherche). Il s'agit d'une association des plus grandes bibliothèques universitaires en Grande-Bretagne, y compris celles d'Oxford et de Cambridge. Toutes ont des fonds majeurs et ensemble elles représentent une riche ressource pour la recherche et l'érudition en Grande-Bretagne. Ce consortium a récemment lancé son catalogue collectif (COPAC) sur l'Internet.
Deuxièmement le consortium BLCMP pour le catalogage - à l'origine une petite association coopérative entre trois bibliothèques à Birmingham, qui a pris de l'importance. Il regroupe maintenant soixante membres. Les bibliothèques qui y participent sont de tailles différentes ; certaines appartiennent aussi au CURL, d'autres sont de petites bibliothèques académiques, municipales ou spécialisées. Mais chaque bibliothèque a intérêt à rester dans cette association car elles ont toutes le même objectif : la création et la maintenance au meilleur coût de notices informatisées. La coopération entre partenaires du BLCMP permet d'atteindre cet objectif. Ce n'est pas la seule coopérative au Royaume-Uni pour le catalogage mais c'est la plus importante.
Troisièmement, le partenariat entre la British Library et les bibliothèques britanniques de toutes tailles et de tous types. Je pense que vous avez déjà une idée de l'histoire de l'évolution et du rôle de notre Bibliothèque nationale, du moins en ce qui concerne les dernières années. Il n'y a pas de doute pour moi que la British Library a été et continuera à être une force majeure dans la communauté britannique de l'enseignement supérieur et en particulier en ce qui concerne ses services de bibliothèque, ainsi que dans le monde plus large de la bibliothéconomie aussi bien britannique qu'internationale.
Le CURL, le BLCMP et la British Library sont trois exemples de la coopération entre bibliothèques au niveau national. Il existe d'autres exemples de coopération à l'échelle régionale.
La coopération régionale peut s'instituer entre bibliothèques du même type, par exemple les bibliothèques universitaires, ou entre bibliothèques de type différent.
L'Université d'East Anglia est de loin la plus grande bibliothèque d'enseignement supérieur dans le Norfolk et le Suffolk, et beaucoup d'autres bibliothèques de la région comptent sur nous pour détenir le matériel qu'elles ne pourraient pas légitimement acquérir, et de la même manière nous comptons sur les bibliothèques nationales (et surtout la Bibliothèque universitaire de Cambridge, vu sa proximité géographique) pour nous fournir ce que nous ne pouvons pas légitimement acquérir nous-mêmes ainsi que sur les fournisseurs de documents tels le British Library Document Supply Centre.
Pendant les deux dernières années, nous avons développé une fédération de bibliothèques de l'enseignement supérieur à travers la région à l'initiative de la bibliothèque de l'Université d'East Anglia. Au coeur de cette fédération se trouve un système informatique commun fourni par DYNIX. Nous avons décidé de faire ensemble l'achat de ce système pour les raisons suivantes :
La fédération des bibliothèques d'East Anglia a rencontré un grand succès et une large gamme de projets en commun ont pu être réalisés ou mis à l'étude. La fédération a rencontré ce succès parce que tous les partenaires, quoique de tailles et de missions très différentes, visent le même objectif et comprennent tous les besoins de chacun. La fédération travaille actuellement sur une série de contrats de services.
Les contrats de services sont devenus très populaires au Royaume-Uni au cours des dernières années et représentent un aspect important de la coopération entre bibliothèques à tous les niveaux. Ils peuvent être utilisés à l'intérieur d'un même organisme pour définir le partenariat entre deux services (par exemple la bibliothèque et la direction informatique d'une université) ou entre un service et ses utilisateurs ou entre des bibliothèques différentes.
Le principe de base régissant les contrats de services est la définition des services que le demandeur peut attendre du fournisseur. Le service fourni peut l'être contre une somme d'argent définie et selon des normes précises de fourniture. Il ne s'agit pas habituellement de contrat régi par la loi, mais un contrat de service impose des contraintes à ceux qui fournissent le service et à ceux qui l'utilisent.
Un contrat de ce type est surtout utile lorsque l'un des partenaires est plus grand que les autres dans un projet coopératif ou lorsque les services sont payants plutôt que gratuits. Une collaboration où l'un des partenaires fournit toujours des services sans en recevoir en retour a peu de chances d'être fructueuse et peut engendrer des rancunes. Un contrat de service aide à éviter des attentes exagérées ou peu réalistes.
Les bibliothécaires dans toutes les bibliothèques sauf les plus grandes ont besoin d'avoir accès aux ressources de leurs collègues pour fournir toute la documentation dont les usagers ont besoin. Ceci est particulièrement vrai dans les bibliothèques universitaires. La grande expansion de l'enseignement supérieur en Grande-Bretagne à partir de 1945 a engendré des bibliothèques qui ne pouvaient pas se suffire à elles-mêmes. Elles ont dû s'entraider et faire appel aux ressources nationales pour subvenir à tous les besoins des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Il est possible que pendant la période riche des années soixante des bibliothécaires aient pu croire brièvement à l'indépendance et que certaines universités couvrant peu de domaines spécialisés aient pu l'atteindre. Mais au début des années soixante-dix, des restrictions budgétaires ont donné encore plus d'importance au principe des ressources partagées.
Pouvoir donner accès aux ressources est sans doute la raison la plus importante dans le désir de coopération des bibliothèques. En Grande-Bretagne, les bibliothèques de toutes tailles et de toutes sortes ont pu faire confiance à la British Library pour fournir de son propre fonds ou de celui de ses bibliothèques de réserve la documentation qui ne peut pas être mis à disposition de façon économique sur le plan local, ou pour y donner accès en consultation si le prêt n'est pas possible.
Cette dépendance a été basée sur les fonds importants détenus pour la plupart à Londres et sur le service de livraison de documents rapide, efficace et économique fourni en règle générale par Boston Spa dans le Yorkshire. La disponibilité - à relativement peu de frais - de cette ressource majeure a eu comme conséquence que les bibliothèques telles que la mienne à l'Université d'East Anglia ont pu réduire (ou du moins ne pas augmenter) leur fonds propre, sachant que la British Library et ses services pourraient fournir avec un minimum de délais la plupart du matériel demandé. Même si les utilisateurs doivent se rendre sur les lieux de consultation, l'accès aux fonds de la British Library est relativement facile pour la plupart des utilisateurs éventuels en raison des temps de déplacement assez réduits au Royaume-Uni.
Le principe de permettre l'accès aux documents plutôt que de les avoir sur le site - juste à temps et non juste au cas où - est devenu réalité à travers le monde de la bibliothèque universitaire en général. Les rapports et les sujets de discussions récents - surtout le Rapport Follett - concernant les bibliothèques dans l'enseignement supérieur en Grande-Bretagne ont parlé de la bibliothèque virtuelle. Ceci présuppose une situation où l'utilisateur peut identifier depuis un terminal de travail sur son bureau le document dont il a besoin, peut le commander et en attendre la livraison sur le bureau », de préférence dans les 24 heures.
L'expansion de l'Internet semble devoir révolutionner les méthodes d'accès, de sauvegarde, de gestion et de stockage de l'information et des connaissances. Les bibliothèques universitaires ont été les dépositaires traditionnels de toute cette information, ou bien le moyen d'accès à d'autres bibliothèques et d'autres dépositaires. La révolution Internet implique que nous devons redéfinir le rôle et les responsabilités des bibliothécaires.
Le World-Wide-Web s'est déjà montré d'une importance capitale pour les études, la pédagogie et la recherche dans l'enseignement secondaire et supérieur. Même une revue rapide de la littérature récente démontre l'étendue de l'influence des technologies et des services du Web dans le monde de l'enseignement supérieur en Grande-Bretagne. The Times Higher Education Supplement publie régulièrement un supplément multimédia qui décrit toute une gamme d'applications sur le Web ; l'apprentissage individualisé ; les projets de numérisation allant des cartes géographiques jusqu'aux manuscrits ; des journaux électroniques et des publications similaires telles les annuaires ; des modèles de moteurs de recherche ; etc.
Ayant constaté que les services actuels des bibliothèques universitaires devaient changer, le HEFC (Higher Education Funding Council, soit le Conseil des finances de l'Enseignement supérieur du Royaume-Uni) a commandé une étude de grande envergure sur les bibliothèques universitaires. Sous la présidence de Sir Brian Follett, vice-président de l'Université de Warwick, le groupe de travail a rendu son rapport en décembre 1993 et celui-ci a déjà eu une influence d'une portée considérable sur les bibliothèques universitaires britanniques.
La conséquence la plus importante du Rapport Follett est sans doute d'avoir amené les bibliothèques d'enseignement supérieur à coopérer entre elles de façon encore plus étroite que par le passé. La SCONUL (Standing Conférence of National and University Librairies, soit la commission permanente des bibliothèques nationales et universitaires), l'organisme qui représente toutes les bibliothèques universitaires britanniques, a été en partie responsable de la commande initiale du Rapport Follett.
Les bibliothèques académiques - quelle que soit leur taille - rencontrent toutes les mêmes problèmes ; des ressources en baisse, des prix plus élevés, une demande plus importante et des conflits entre les anciens et les nouveaux moyens de fourniture. Cette situation encourage aussi la collaboration - nous avons besoin les uns des autres. Le Rapport Follett a souligné - à juste titre à mon avis - l'importance du catalogage et de la conservation des fonds spéciaux à travers le Royaume-Uni. Si le réseau de bibliothèques britanniques doit servir de ressource partagée, alors le premier pas est d'assurer que le document unique soit catalogué et conservé de façon rigoureuse et que les notices du catalogue soient disponibles sur le réseau national.
Le programme Follett a soutenu de nombreux fonds spéciaux d'une importance considérable. La British Library elle-même cherche des partenaires pour l'aider à conserver et à élargir ses fonds, car les ressources diminuent et de plus en plus de documents sont publiés. À l'avenir les documents non publiés seront régis par le Copyright Act. Des partenariats pourront bien être conclus avec des organismes tels que les archives où je travaille - le East Anglian Film Archive - qui est un fonds régional majeur de films depuis 1896. Sans ces partenariats, les systèmes nationaux de bibliothèque auraient des difficultés à assurer que la collection de documents ou de supports soit entière.
Le Rapport Follett a encouragé les bibliothèques universitaires au Royaume-Uni à chercher de nouvelles méthodes pour répondre aux défis posés par les études, la pédagogie et la recherche au XXIe siècle. La British Library a aussi favorisé la collaboration entre les bibliothèques par les efforts portés sur la recherche et le développement dans sa Division R&D.
Alors que des projets de recherche peu importants peuvent être entrepris par une seule bibliothèque, les projets à plus grande échelle demandent un partenariat. Pour citer un exemple, le Rapport Follett a donné lieu au développement du programme des bibliothèques électroniques (e-Lib en abrégé) qui a pour objectif de développer et de tester toute une gamme de nouvelles applications technologiques pour les bibliothèques. Les projets ont été développés et gérés par des consortiums de bibliothèques et d'organismes consacrés à la coopération.
La bibliothèque de l'université d'East Anglia, par exemple, est le site directeur dans un projet majeur d'une valeur de 639 000 livres (soit cinq millions de francs) qui doit développer sur Internet un système électronique intégré de recherche, de commande, de rappel et de gestion de documents. Deux autres bibliothèques universitaires, un serveur national de base de données, un grand éditeur d'ouvrages académiques, la British Library et une bibliothèque universitaire allemande participent également à ce projet et plusieurs autres bibliothèques sont volontaires pour tester le logiciel à sa sortie. Il aurait été peu probable de trouver un tel niveau de coopération sans le Rapport Follett qui a entraîné des changements d'attitude envers les technologies nouvelles et a aussi généré des ressources supplémentaires.
Si les services électroniques de bibliothèques remplacent les services traditionnels, l'ancienne hiérarchie des bibliothèques - grande/petite, nationale/régionale - va changer. Les bibliothèques en tête de la ligue seront celles qui fourniront l'accès, et non le fonds, le plus large et le plus complet. Des modifications hiérarchiques de ce genre ont déjà eu lieu dans d'autres domaines où les dernières technologies de l'information ont été introduites. Il n'y a aucune raison pour que ce soit différent en bibliothéconomie. Le programme Follett génère déjà de nouveaux champs de compétence qui ne se retrouvent pas nécessairement dans les grands organismes.
Une infrastructure efficace doit être à la base de tout projet de coopération. Les services de fourniture de documents de la British Library ont dû leur efficacité en partie à l'infrastructure existante des postes et des télécommunications qui a permis un système rapide de commande et de livraison. Il est évident qu'une bibliothèque seule - même une bibliothèque nationale - ne peut plus être complètement indépendante. Beaucoup d'efforts sont déployés pour développer les catalogues collectifs virtuels qui utilisent des normes telles que Z39.50 pour permettre des recherches simultanées dans plusieurs bases de données.
Ceci pourrait bien aboutir au développement d'une ressource bibliothéconomique virtuelle, nationale sinon internationale, ce qui deviendra essentiel car même la British Library ne peut plus tout acquérir et les partenariats pour la composition des collections vont évoluer de plus en plus. Avec le développement de la bibliothèque électronique la fourniture de réseaux efficaces est aussi d'une grande importance. L'un des problèmes actuels de l'Internet est la vitesse ; la sécurité en est un autre.
Même si les ressources sont excellentes et même s'il existe un système efficace pour y accéder, les accords sont nécessaires pour fournir l'accès à la ressource partagée, ainsi que la livraison. Il peut s'agir de contrats de service ; il peut s'agir d'accords sur les droits d'auteur ou sur les frais que les utilisateurs ou les bibliothèques auront à payer pour accéder aux documents. Les progrès seront freinés sans de tels accords.
Avant tout, il faut assurer que les forces de l'un des partenaires compensent les faiblesses d'un autre. Si certains partenaires dominent, il faut définir clairement quelles sont leurs responsabilités et leurs obligations envers les autres partenaires. Ceci est valable autant sur le plan national que sur le plan régional. En ce qui concerne les partenariats de l'Université d'East Anglia, nous comptons effectuer, du moins implicitement, les analyses SWOT (forces, faiblesses, opportunités, menaces) dont nous parlons dans d'autres contextes.
L'Université d'East Anglia collabore maintenant avec la bibliothèque Britten-Pears à Aldeburgh - ressource internationale majeure en musicologie basée sur les documents de Benjamin Britten. L'Université fournit l'expertise en réseaux en base de données pour établir le catalogue de la collection. Ce rapprochement a été possible parce que nous avons su identifier nos compétences en réseaux et en développement des OPAC, tandis que la force de la bibliothèque d'Aldeburgh réside dans l'étendue de ses collections. Les mêmes progrès se retrouvent de nombreuses façons, qu'il s'agisse de fourniture de documents et de développement des techniques de commande ou de conservation et d'exploitation de collections spéciales.
L'un des facteurs clefs dans l'amélioration des conventions de coopération concerne le niveau d'altruisme dans tout partenariat. L'altruisme se paie - des ressources déployées ou d'autres tâches qui ne s'accomplissent pas - et nous devons chercher à estimer ce coût pour que notre dépendance de ces organismes soit clairement et justement articulée (et ici je me réfère surtout aux collections et aux bibliothèques d'importance nationale sur lesquelles les organismes tels que le mien comptent de façon inévitable et de plusieurs manières). Ceci m'amène à poser la question sur l'utilisation des crédits Follett au bénéfice de ces collections. Parce que ma bibliothèque dépend des autres et vice versa, je crois qu'il est urgent de développer un modèle qui montre clairement comment le fait d'attribuer des budgets spéciaux aux collections spéciales peut servir de soutien au bien être culturel et académique en général.
J'appelle donc à des stratégies équilibrées et bénéfiques qui nous permettent de conserver ce que nous avons déjà, de développer notre patrimoine à l'avenir ainsi que de soutenir et de stimuler l'ensemble de la communauté académique de manière raisonnable, réaliste et rentable.