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La révolution tranquille de l'intercommunalité

2000
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    La révolution tranquille de l'intercommunalité

    Par Gérard Logié, auteur de « L'intercommunalité au service du projet de territoire »(Paris, Syros 2000 Caisse des dépôts et consignations

    (1) En me proposant d'intervenir sur le thème de l'intercommunalité, l'ABF me fait un honneur et un plaisir que je ne masque pas : en effet, que ce soit à « Mairies-conseil », mission de la Caisse des dépôts destinée à l'information des élus ruraux que j'ai dirigée jus-qu'en 1998, ou depuis longtemps à l'ADELS (Association pour la démocratie et l'éducation locale et sociale), mon souci est d'expliquer des choses complexes à des élus et à des citoyens qui sont censés les connaître et les appliquer. Un public de bibliothécaires, présents dans des collectivités locales pour une partie d'entre eux, est concerné par cette « révolution » que constitue l'évolution à marche forcée vers l'intercommunalité, dans la mesure où elle peut avoir un impact sur la lecture et les activités d'accompagnement.

    En effet, depuis la fin des années 1980, les institutions publiques locales connaissent des mutations sans précédent en rythme et en intensité. Ces évolutions résultent pour partie des textes législatifs mis en oeuvre, mais s'inscrivent en tant que mouvement d'évolution des mentalités ressenti comme inéluctable par les élus et les habitants.

    Je traiterai rapidement d'une histoire de l'évolution de l'inter communalité jusqu'en 1992. J'aborderai les apports successifs des lois ATR, qui relancent la coopération intercommunale à fiscalité propre, ceux de la loi du 12 juillet 1999, qui vise à simplifier le paysage intercommunal et à renforcer l'intercommunalité notamment en milieu urbain.

    J'aborderai les relations entre ces lois et celles du 4 janvier 1995 et du 12 juillet 1999, celles de 1993 et 1995 relatives à l'environnement, et le projet de loi relatif à la rénovation et à la solidarité urbaine en cours d'examen.

    J'examinerai comment enfin l'activité de lecture peut être concernée par cette évolution.

    Bref historique de l'intercommunalité

    Depuis la création des 44 000 communes en 1793, sur l'emprise des paroisses (devenues 36 600 aujourd'hui), toutes les tentatives d'organisation de l'intercommunalité ont été considérées comme une menace par les élus locaux. Les ententes intercommunales en 1830, les SIVU (syndicats intercommunaux à vocation unique) en 1890, les SIVOM (syndicats intercommunaux à vocation multiple) en 1959, les syndicats mixtes, regroupant des communes, des groupements de communes, des départements, des régions ou même d'autres établissements publics comme les chambres consulaires, en 1955, puis les districts, urbains en 1959 et étendus en 1975 aux communes rurales, les communautés urbaines en 1966 et les villes nouvelles en 1970 (sous la forme de SAN, syndicats d'agglomération nouvelle), telle était la panoplie des formes possibles de coopération intercommunale. L'équipement du milieu rural et la croissance urbaine ont largement nécessité l'utilisation de ces formes de regroupement, puisqu'en 1989 il existait 16 000 syndicats intercommunaux mais peu de districts (165), 9 SAN et 9 communautés urbaines (dont 5 créées par la loi).

    Au cours de cette période, l'attachement à la commune a été renforcé par la loi de 1971 sur les fusions de communes, majoritairement rejetée par les élus locaux (2) La lente marche vers la décentralisation, acquise par la loi de 1982 et celles des années suivantes, ne modifie pas l'attitude de réserve des élus vis-à-vis de l'intercommunalité. En 1986, on voit se légaliser une pratique répandue : le syndicat intercommunal à la carte.

    La montée rapide de l'intercommunalité à fiscalité propre

    Il faut attendre la fin des années 1980 pour voir apparaître un projet de loi relatif à l'administration territoriale de l'État, voté en première lecture avec une seule voix de majorité avant d'être adopté le 6 février 1992, pour que s'amorce une relance de l'intercommunalité : la loi crée des communautés de communes et des communautés de villes. En huit années, 20 199 communes décident librement de se constituer en 1 776 communautés de communes ou districts, dotés d'une fiscalité propre (3) . Au total, au 1er janvier 2000, ce sont 36 950 000 habitants qui paient un impôt intercommunal. Mais, à la même date, seulement 34 communes se sont organisées en 5 communautés de villes. L'intercommunalité rurale est bien relancée, mais l'intercommunalité urbaine patine !

    Un bilan de l'intercommunalité établi à partir de 1995 donne lieu à la préparation d'un projet de loi (4) gouvernemental qui, après de nombreuses concertations avec les associations d'élus, sera adopté le 12 juillet 1999 (Chevènement) : il vise à « simplifier et renforcer l'intercommunalité », notamment l'intercommunalité urbaine. En effet, à compter du 1er janvier 2002, il n'y aura plus que trois structures intercommunales : les communautés de communes, les communautés d'agglomération (comptant au moins 50 000 habitants) et les communautés urbaines (comptant au moins 500 000 habitants). Les nouveaux EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) seront créés obligatoirement d'un seul tenant et sans enclave. Le représentant de l'État aura lui aussi la possibilité de prendre l'initiative de proposer un périmètre de regroupement intercommunal, privilège réservé jusqu'alors aux communes et qu'elles conservent. Les autres formes d'EPCI devront se transformer en l'une des trois formes d'ici au 1er janvier 2002, ou le seront automatiquement à partir de cette date.

    La loi précise les compétences qui doivent être exercées par ces différentes structures :

    • De manière relativement souple, les communautés de communes définissent librement les actions qu'elles conduisent en commun dans les compétences de l'aménagement de l'espace, du développement économique, et dans au moins une compétence parmi la protection et la mise en valeur de l'environnement, l'habitat, la création et l'entretien de la voirie, la création et l'entretien d'équipements intercommunaux à caractère culturel ou sportif. À noter que ni le champ du social (déjà pris en charge par les départements) ni celui de la culture ne figurent parmi les compétences obligatoires ou optionnelles.
    • Les communautés d'agglomération se voient confiées quatre compétences obligatoires : le développement économique, l'aménagement de l'espace communautaire, l'équilibre social de l'habitat (c'est-à-dire notamment une proportion relative de logements sociaux) et la politique de la ville dans la communauté. Elles doivent en outre avoir au moins trois des quatre compétences optionnelles suivantes : voirie ; assainissement, eau ; protection et mise en valeur de l'environnement et du cadre de vie ; construction, entretien et gestion d'équipements culturels et sportifs d'intérêt communautaire. La notion d'"intérêt communautaire n'est pas précisée par la loi : elle est définie à la majorité qualifiée des membres des EPCI. En 1999 ont été créées 51 communautés d'agglomération, parmi lesquelles 6 « ex nihilo et le reste par transformation d'EPCI existants.
    • Les communautés urbaines exercent de plein droit à la place des communes membres six groupes de compétences : développement et aménagement économique, social et culturel de l'espace communautaire (zones d'activité, actions de développement économique, création et gestion d'équipements culturels et sportifs d'intérêt communautaire, lycées et collèges) ; aménagement de l'espace communautaire (schémas, transports, aménagement) ; équilibre social de l'habitat ; politique de la ville ; gestion des services d'intérêt collectif (eau, cimetières, abattoirs, incendie et secours) ; protection et mise en valeur de l'environnement et politique du cadre de vie (élimination des déchets, réduction de la pollution de l'air et des nuisances sonores).
    • La loi précise également les modalités de transformation des EPCI supprimés (districts, communautés de villes) ou transformés (syndicats d'agglomération nouvelle). Elle indique que, s'ils ont les compétences requises, les nouveaux EPCI remplacent les communes membres dans les syndicats préalablement constitués, qui de ce fait deviennent automatiquement syndicats mixtes. Seuls sont supprimés les syndicats existant sur les périmètres identiques à ceux des nouveaux EPCI.

    La loi fixe les régimes fiscaux des nouveaux EPCI. La communauté de communes suit le régime de la fiscalité additionnelle (taux intercommunaux sur les quatre taxes locales : taxe d'habitation, taxes foncières bâtie et non bâtie, taxe professionnelle) ; elle peut opter pour la mise en place d'une taxe professionnelle de zone à l'intérieur d'une zone d'activité intercommunale : le produit de TP prélevé dans cette zone est une ressource communautaire.

    Elle peut aussi opter pour le régime de la TPU (taxe professionnelle unique), qui est le régime appliqué aux communautés d'agglomération et aux nouvelles communautés urbaines. Ce régime consiste à spécialiser les impôts locaux : la TP aux EPCI, les taxes ménages aux communes. Cette généralisation de la TP aux communautés régissant les ensembles urbains vise à faire de la TP une ressource commune, supprimant de fait la concurrence ancienne entre les communes vis-à-vis des implantations d'activités ; elle constitue indirectement une réforme de la taxe professionnelle (5) .

    La loi fixe également les conditions dans lesquelles les EPCI ont accès à la dotation d'intercommunalité dès leur première année d'existence. Cette dotation comprend une dotation de base et une dotation de péréquation. Les critères de population, d'intégration fiscale et de richesse fiscale déterminent les montants : la dotation de base sera d'autant plus importante que la population est élevée et que l'intégration fiscale (6) est élevée.

    En plus des deux critères précédents, la dotation de péréquation prend en compte la richesse relative de l'EPCI, évaluée à partir de la valeur de ses bases d'imposition et de son potentiel fiscal : si le potentiel fiscal d'un EPCI est inférieur au potentiel fiscal moyen des EPCI de même catégorie, la péréquation jouera en sa faveur. Le montant de la dotation d'intercommunalité est en moyenne plus élevé pour les communautés urbaines (450 F/habitant) et les communautés d'agglomération (250 F/habitant) que pour les communautés de communes (environ 120 F/habitant). Cela peut constituer une sérieuse incitation à la création d'un nouvel EPCI.

    Les territoires de projets : les pays et les agglomérations

    Face au texte décrit ci-dessus, une autre loi votée à quelques jours d'intervalle définit les conditions d'un aménagement et d'un développement durables des territoires.

    Elle définit les « pays » comme des territoires présentant une cohésion géographique culturelle, économique ou sociale. Le périmètre d'un pays est déterminé en deux temps : est d'abord arrêté un périmètre d'étude ; puis, lorsque la " charte de pays est approuvée par les communes membres et par les EPCI qui le composent, un arrêté reconnaît l'existence du pays dans son périmètre définitif.

    Elle définit les agglomérations comme des aires urbaines d'au moins 50 000 habitants dont une ou plusieurs communes comptent plus de 15 000 habitants : les communes et les EPCI qui les composent élaborent en commun et approuvent un « projet d'agglomération ».

    La loi prévoit qu'un conseil de développement, composé de représentants des milieux économiques, sociaux, culturels et associatifs, est créé par délibération concordante des communes et des EPCI. Ce conseil qui s'organise librement est consulté pour l'élaboration du projet d'agglomération ou de la charte de pays.

    Les pays et les agglomérations pourront, s'ils disposent d'une charte de pays ou d'un projet d'agglomération, conclure avec l'État et la Région un contrat particulier à l'intérieur du contrat de plan État-Région. La condition supplémentaire pour cela est qu'ils soient constitués en EPCI (syndicat mixte, communauté ou groupement d'intérêt public). On ne sait pas encore comment l'État conduira la négociation de ces contrats, ni comment l'État et la Région apprécieront les chartes de pays et projets d'agglomération adaptés par les élus.

    Plusieurs questions se posent dans la mise en oeuvre des lois Chevènement et Voynet. Relevant de logiques différentes, la première très institutionnelle, la seconde de nature plus socioculturelle, elles posent des problèmes d'articulation entre les périmètres des pays et des agglomérations d'une part, et ceux des EPCI à fiscalité propre d'autre part. Ni le projet d'agglomération ni la charte de pays ne se déclinent en exercice de compétences spécialisées. Ce sont des ensembles d'actions se confortant l'une l'autre, visant la réalisation d'objectifs à moyen et à long terme et impliquant la participation des habitants. Ils constituent le contenu et l'originalité du développement local, qui est surtout un état d'esprit conduisant à une démarche de travail « participative ».

    Le rôle du représentant de l'État et la manière dont les territoires, leurs élus et leurs habitants s'empareront de ces nouveaux textes seront déterminants pour l'avenir des territoires. C'est un enjeu de taille au moment où une autre loi, dont la logique sera celle des aménageurs, va définir les conditions « d'une rénovation et d'une solidarité urbaines », à un moment aussi où une commission réfléchit aux moyens de relancer la décentralisation en faisant des propositions qui seront reprises pour les échéances électorales : suppression des cantons et évolution des départements vers une représentation des EPCI, élection des responsables des EPCI au suffrage universel, vote des étrangers non européens aux élections locales...

    Quelles conséquences pour les bibliothèques ?

    Je ne connais pas les questions internes qui se posent aux bibliothèques. Je dirai simplement que le développement de la lecture, qui est un corollaire de leur existence, n'est possible que si, à côté des dépôts de livres, il existe des lieux spécialisés et surtout des personnes qualifiées pour assurer, visà-vis des enfants scolarisés et de leurs parents, mais aussi des autres jeunes, une animation qui déborde le prêt de livre individuel et qui rassemble les conditions d'une ouverture sur l'histoire locale, son patrimoine dans ses multiples dimensions et son devenir, ainsi que d'une ouverture plus grande sur le monde.

    À cet égard, avec la mission d'ouverture au développement local dans le cadre de projets d'établissement constitué comme activités éducatives soutenues par des contrats éducatifs locaux, les enseignants sont directement impliqués dans la modernisation des équipements et dans la revitalisation des activités culturelles en milieu rural et en milieu urbain. Des activités de lecture publique dans les quartiers défavorisés comme celles qui existent par exemple à Besançon, les réseaux de bibliothèques comme on en trouve dans le parc régional Livradois-Forez, des bibliothèques de villes-centres qui s'ouvrent sur le milieu rural comme à Saint-Omer (Pas-de-Calais) sont des services publics de proximité qui exigent des moyens élémentaires, même si ces services ne durent que grâce à un engagement des professionnels qui est du militantisme.

    L'intercommunalité, on l'a vu, prend une place de plus en plus grande dans les institutions locales. Elle peut permettre de renforcer ces moyens dès lors que les habitants d'un territoire auront pu convaincre leurs élus de l'importance d'un projet culturel qui leur convienne, et l'auront inscrit dans la charte de pays ou dans le projet d'agglomération, et dès lors que les EPCI auront défini un volet culturel dans leurs compétences.

    1. Selon l'expression de Jean-Pierre Sueur, secrétaire d'Etat chargé des Collectivités locales, au moment du vote de la loi ATR en 1992 (après MM. Joxe, Baylet et Marchand qui ont accompagné sa préparation). retour au texte

    2. Noter que c'est pendant cette période que beaucoup de nos voisins européens qui tous ensemble ont moins de communes que nous ont procédé à une réduction autoritaire du nombre de collectivités locales. retour au texte

    3. Contrairement aux syndicats tributaires des communes pour exercer leurs attributions. retour au texte

    4. Le dernier ayant précédé la dissolution de l'Assemblée. retour au texte

    5. Une part des bases de la TP, correspondant aux salaires, ayant été prise en charge par l'État, les éléments qui entrent dans la définition des bases de la TP sont le foncier bâti et les équipements. retour au texte

    6. L'intégration fiscale mesure les rapports entre le produit de la fiscalité encaissée par l'EPCI et le produit de la fiscalité encaissée par l'EPCI et par les communes membres. Si, pour 100 F d'impôts, 17 F sont encaissés par l'EPCI, on dira que l'intégration fiscale est de 0,17. Plus un EPCI exerce de compétences, plus il appelle d'impôts, plus le coefficient d'intégration fiscale est élevé : il est de 0,17 en moyenne pour les districts et les communautés de communes ; il est de 0,45 pour les communautés urbaines ; celui des communautés d'agglomération sera sans doute à l'intérieur de cette fourchette. retour au texte