D'apparence anodine, officiel ou livre d'art, précieux et désuet, le carnet d'artiste est à la fois mine de trésors, fourre-tout, expérience avant l'oeuvre définitive.
Ébauche d'archives, ce recueil doit sa naissance à la confiance des artistes, tous lauréats des prix du Salon du livre de Bologne, et à l'acceptation de ces derniers à s'exposer au regard des autres.
Pour l'auteur, Jean Perrot, ces carnets d'artistes ont une valeur patrimoniale. « Or, précise-t-il en introduction, beaucoup d'éditeurs jettent leurs archives par manque de place, les auteurs ont remplacé le papier par l'ordinateur et certains illustrateurs se débarrassent de leurs esquisses. »
En première partie, Jean Perrot propose, à partir d'exemples de dix artistes, un itinéraire à travers les différents formats de carnets suivant leur expression de la vision du monde. Accompagnateur de l'artiste, le carnet parcourt l'intimité de celui-ci. Mais avant de dévoiler son contenu, il est d'abord un objet clos, quelle que soit sa liaison empêchant l'éparpillement des feuillets.
Michelle Daufresne utilise des albums à dessin où elle rassemble des portraits et des croquis. Son travail pictural plutôt que narratif donne l'impression d'un lien entre la qualité du papier choisi pour ses carnets et l'esthétisme de ses croquis. Jean Claverie choisit le format et le papier selon les croquis pour lesquels il est destiné (portraits, paysages...) et sur lesquels il aura une influence: « Comment leur faire comprendre la jouissance qu'un bel outil procure, beau papier ou mine acérée... ». Henri Galeron, comparé à un orfèvre par Jean Perrot, couvre ses carnets de dessins au crayon ayant la taille d'un timbre-poste ; ceci pour mieux maîtriser l'image selon l'illustrateur. Claude Delafosse se révèle, à travers ses carnets soigneusement alignés et de deux formats, un goût pour l'ordre et la série. Les notes qui y sont renfermées tiennent plus du journal dans lequel sont recueillies des idées mais également des bricolages qui serviront à l'édition de documentaires pour les enfants. L'originalité de ses carnets tient dans la complicité avec ses enfants à qui il laisse le droit d'écrire ou dessiner dedans. Katie Couprie, quant à elle, préfère le minuscule et les conversations. Ses carnets, de petit format, renferment des phrases récoltées dans le métro, « des miettes du quotidien », dit l'illustratrice.
En deuxième partie de son étude, Jean Perrot expose le carnet d'artiste comme un témoignage sur la création contemporaine. Ainsi, à travers les témoignages personnels qui sont une intrusion voulue dans la vie privée des artistes, ce sont également des témoignages sur le monde qui nous entoure que nous livrent les artistes.
Chacun fait part de ses signes plastiques tout en dévoilant ses maîtres : Jean Fouquet, Malevitch, Kandinsky, Magritte, Matisse...
Claude Delafosse joue avec les formes et introduit l'humour dans ses recherches graphiques. Quant à Georges Lemoine, ses carnets sont de vérirables oeuvres d'art sur la recherche des formes et de la gamme des couleurs. Letizia Galli et Frédéric Clément ont recours au trait suggérant plus un mouvement que l'exactitude du dessin. Les hachures en diagonale dominent chez la première, tandis que le deuxième utilise le trait arrondi. Henri Galeron s'attache beaucoup à la couleur avec une préférence pour l'encre de chine et l'acrylique et récemment les crayons de couleurs. Jean Claverie évolue dans un univers essentiellement musical travaillant l'aquarelle, l'acrylique et le crayon de couleur. Katie Couprie est une alchimiste utilisant toutes les techniques, détrempant, collant, déchirant le papier afin de procurer des impressions tactiles.
Jean Perrot poursuit son propos par l'étude du travail sur le motif, passant en revue le nu et ses limites en littérature de jeunesse, les mains, les visages de Tomi Ungerer, les portraits de Claude Delafosse, le carnet de voyage de Christian Heinrich et les "story-board" de chacun.
Enfin l'auteur termine sur cinq tableaux d'illustrateurs et recentre son étude sur l'intimité de chacun d'eux. Puis il conclut en opposant la fascination de l'image industrielle et le plaisir tactile des carnets d'artistes. Un cédérom, dont on peut regretter la pauvreté de l'interactivité, accompagne le livre, permettant de découvrir une interview des dix artistes dans leur atelier ou sur les lieux où ils utilisent leur carnet. Chacun aborde son attache avec cet objet si intime.
Jean Perrot a su être, comme à son habitude, formateur, exigeant dans ses propos, et éveille notre oeil pour notre plus grand plaisir.