Ce très gros dictionnaire, 657pages in quarto, illustré de photographies et de dessins au trait, apparaît comme un point d'étape 40années après la création d'un ministère chargé des affaires culturelles. Le Comité d'histoire du MCC, dont la collection de monographies est rigoureusement passionnante pour qui s'intéresse à l'histoire des politiques culturelles et des institutions culturelles en France, a d'ailleurs fourni aux responsables de cet ouvrage des sources et des auteurs de référence.
En préface, est clairement précisé l'objet du livre - et donc ce qu'il ne sera pas : s'intéresser aux politiques culturelles « de la France » signifie que les auteurs écriront sur les politiques de l'État, et non sur toutes les politiques en matière de culture en France. Nous savons que ce sera une vision très partielle donc, car le temps passant, et la décentralisation aidant, les politiques en matière de culture sont de plus en plus dépendantes d'autres collectivités que l'État. Le responsable de cet ouvrage le rappelle, et les articles qui traitent de la politique culturelle le reprennent largement.
On notera que les renvois d'orientation sont nombreux et permettent une lecture quasi cursive, sautant d'une page à l'autre, en suivant le fil de ses intérêts. C'est d'ailleurs la lecture que je vous proposerai ici, lecture très partielle néanmoins, tout simplement parce que je me suis restreinte dans cette note de lecture à deux sujets : la politique culturelle (en général) depuis 1969, et la politique touchant au livre et aux bibliothèques.
Nous pouvons dès les premières pages du livre comprendre le souci et le projet des auteurs : présenter sous forme d'entrées thématiques assez larges les problématiques, les organisations, les institutions, et les acteurs fonctionnels de la politique culturelle de l'État. La liste des contributeurs est très éclectique, inspecteur des affaires culturelles, chercheurs en sciences politiques à Science Po, conservateurs du patrimoine ou des bibliothèques (peu nombreux), etc.
Cet éclectisme est le gage, et certains ne s'en privent pas, d'une ouverture et d'un évitement de la « langue de bois car s'attaquer à des problématiques en cours, à des ministres encore en activité (articles Lang ou Tasca), porte en germe le risque de l'hagiographie ou du vide. Les auteurs ont eu le mérite (ils portent la responsabilité entière de leurs articles) de laisser aller leur plume, avec parfois des critiques acérées et des conclusions peu indulgentes.
Les articles concernant le ministère - MCC structure et évolution ; politique culturelle ; déconcentration - reprennent évidemment les dates clés, et les personnages clés de la création, et des différents passages de ministre, en même temps qu'est bien montrée l'évolution des missions du ministère, selon le décret qui l'organise (changement important en 1981).
Les structures, très verticalisées, par domaines - livre, archives, arts plastiques, musées.... - sont peu propices à des politiques transversales, comme l'imposeraient les projets et plans d'aménagement culturel du territoire, de lutte contre les exclusions culturelles..., les différents auteurs le mentionnent tous, avec des «espoirs mis en la déconcentration.
La pratique des DRAC, plus homogène selon certains auteurs, serait la voie à suivre pour mieux prendre en compte les nécessaires évolutions vers la transversalité, les conventions de développement culturel... Un auteur comme Bodiguel - article DRAC, et auteur de l'ouvrage sur ce sujet dans la collection du Comité d'histoire du MCC - est très insistant sur les freins mis par l'administration centrale envers une véritable déconcentration des décisions...
Avec d'autres outils, Christian Pattyn, dans son article sur le ministère, montre aussi les interactions qui font la spécificité de ce ministère : proximité/interdépendance des administrateurs du ministère et des socioprofessionnels, de sorte que le ministère apparaît/est le porte-parole/le défenseur des catégories socioprofessionnelles qu'il est censé aider ou parfois dont il est censé réguler les activités (charte du théâtre pubtic/SYNDEAC ; mise en oeuvre du droit de copie/ Syndicats d'éditeurs...) ; c'est comme le ministère du Logement, dit C. Pattyn, suivant en cela les conclusions de l'ouvrage Le Pouvoir périphérique : il aurait pu aussi citer l'ouvrage de Pierre Bourdieu Les Structures sociales de l' économie (Seuil, 2000) sur le même sujet.
Dans cet article, et les articles connexes, sont montrées aussi les difficultés structurelles d'une organisation où les 55établissements publics « sous tutelle » ( 41EPCA, 13EPIC, 1EPCC)sont plus riches, plus forts, et finalement beaucoup plus influents que le ministère lui-même : CNC, CNAP, CNMHS, plus près de nous la BnF !
Et les conclusions tirées des réussites et des échecs sont assez mitigées : retards ou échecs patents sur l'aménagement culturel du territoire, l'exclusion culturelle de catégories de populations (voir l'article d'Olivier Donnat sur Les Pratiques culturelles également), sur l'enseignement artistique, influence réelle très réduite (car les EPA et EPIC rendent le pilotage du MCC très lent, pour ne pas dire impossible).
Quelques succès (?) : les FRAC, les BDP... (mais je dois dire que ces succès sont largement partagés avec les collectivités territoriales qui les ont portées depuis 1986 !) On pourra également apprécier un article qui s'intitule Projets/échecs par Emmanuel Wallon ; qui y montre néanmoins que de difficultés, de conflits ouverts, le MCC a su très souvent à force de temps rebondir : les colonnes de Buren, la BnF et son informatisation.
On trouvera une liste impressionnante (et unique certainement) de tous les « organismes consultatifs » (hors les 70 CTP) qui sont créés auprès de telle ou telle direction ou auprès du ministre : 2seulement pour le livre (Conseil supérieur des bibliothèques, Conseil supérieur du patrimoine des bibliothèques publiques : tiens, les deux ont bien du mal à exister vraiment et continûment !).
Les articles Énarques et ministère mais aussi Normaliens et ministère donnent une idée de la façon parfois subversive de traiter les articles. L'évolution du MCC, son renforcement correspond à une entrée de plus en plus marquée des énarques dans ses services : le MCC maintenant est choisi dans les bonnes places ! pour les normaliens, il n'y pas de statistiques, mais visiblement cela doit être remarqué.
En revanche, entre DRAC et administration centrale, subsiste une forte disparité de « considération » : Bodiguel rappelle les difficultés pour les DRAC de s'imposer, P. Moulinier assure que le « développement de la déconcentration fera des vagues » !
Le plus drôle, clin d'oeil voulu par les auteurs, est pour moi les deux articles signés Anthony Rowley - Oublis et lacunes; Débats et controverses - où cet auteur montre les incohérences de la politique culturelle sur quelques exemples : la place de Paris dans les budgets et la politique ministérielle, lorsque tout le monde ne parle que de décentralisation/aménagement du territoire. L'ouverture élargie des missions du ministère (d'après le décret de 1982 : permettre à tous de tout faire en matière de culture) alors que les moyens ne peuvent suivre, et même se réduisent ! L'humour et l'érudition de ces deux textes ne se résument pas !
Au milieu des illustrations photographiques, ont été intercalées avec bonheur des caricatures, des dessins d'humour et d'humeur (dont certains savoureux de Subito, le talentueux caricaturiste de l'ADDNB).
ET LE LIVRE DANS TOUT CELA ?
La politique de soutien aux « industries du livre est traitée par François Rouet, spécialiste bien connu du Département Études et Prospective. Il y montre les aides diverses, en particulier par le CNL dans ses différentes étapes de fonctionnement, aux acteurs de la chaîne du livre. On devra lire aussi les articles sur l'exportation du livre, et la politique de développement culturel à l'étranger (dont l'auteur dit qu'elle est d'abord menée par le ministère des Affaires étrangères et son bras armé, l'AFAA). Les bibliothèques sont abordées sous trois formes, mais finalement c'est bien court sur l'ensemble de l'ouvrage !
Bien sûr la BnF, article de Bruno Blasselle : il s'y restreint à la gestation de la BnF actuelle, et donc passe très vite sur l'histoire de la BN. Clair et synthétique, sans prendre parti, encore qu'il note la non fonctionnalité fondamentale des bâtiments de Tolbiac. On aurait aimé que, outre la fonction strictement conservation - dépôt légal -, fût montré ce qui devait être le grand projet, ce qui devait distinguer la BN transfigurée de l'ancienne BN : la constitution d'un réseau de bibliothèques, d'une carte documentaire sur le territoire national. Le moins que l'on puisse dire, est que cette mention est d'une rare discrétion ! Je vous laisse conclure !
Anne-Marie Bertrand signe les deux articles sur bibliothèques et lecture, politique de la qu'il faut d'ailleurs lire en complémentarité, comme ils ont visiblement été écrits. On y retrouve ses thèses sur les orientations données dans les années 1970pour développer les bibliothèques de collectivités locales en France : moderniser, c'est d'abord construire, mettre les documents (tous supports) en accès libre, ouvrir les espaces vers l'extérieur, travailler avec du personnel qualifié. Elle donne quelques chiffres sur les lectures, les surfaces. Dans son article sur la politique de la lecture, elle reprend les grands moments d'intervention de l'État, elle y montre la place prépondérante des bibliothèques de collectivités territoriales, et termine sur les partenariats dans les politiques de la ville, mais j'ai trouvé cette partie très courte (manque de place, ou absence de données suffisamment précises et lisibles pour en faire une synthèse objective ?).
L'article sur les médiateurs et la médiation culturelle aurait pu se lire comme une suite : en fait, Christian Ruby y traite plutôt de la médiation des arts et du patrimoine, et bien peu des médiateurs du livre dans une perspective de révision des objectifs du MCC (médiatiser l'accès à l'art, et ne pas compter seulement sur le contact « magique » intuitif, spontané, entre l'oeuvre et le public).
Et bien sûr beaucoup d'autres choses que je ne peux reprendre ici, au risque de lasser : en annexe, sont également donnés des tableaux budgétaires, sur les personnels du ministère, sur les données budgétaires des collectivités locales..., toutes informations utiles à évaluer et préciser les analyses des auteurs. Ainsi que des articles de journaux, ou extraits de discours au Parlement dans une annexe intitulée La politique en débat, bien évidemment complétée d'une bibliographie solide.
Ce dictionnaire est donc riche, bien organisé, se lit par articles, ou comme une suite cursive, en s'appuyant sur les orientations, les connexions proposées. Il a toute sa place dans la bibliothèque pour le public et pour le bibliothécaire, pour repérer des données, des moments clés, les modes culturels connexes. Je le conseillerais bien aussi à tous ceux et celles qui préparent des concours, pour lesquels les épreuves portent sur la politique culturelle, le monde culturel.... C'est un véritable « usuel de référence ».