Index des revues

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    Droit d'auteur

    Par Yves Alix

    L'ATELIER SUR LE DROIT D'AUTEUR ANIMÉ PAR MICHÈLE Battisti, chargée de mission à l'ADBS, était très directement orienté vers les questions spécifiques posées par la documentation électronique dans ses rapports avec la propriété intellectuelle. Disons-le d'emblée, les trois interventions qui se sont succédées s'adressaient à un public déjà au fait des règles classiques du droit d'auteur et des droits voisins, dans leur dimension française mais aussi communautaire. Or, il semble évident qu'une bonne partie des nombreux participants à cet atelier auraient d'abord souhaité une clarification de la règle de base, en prélude à une discussion sur le fond. D'où une frustration sensible, aiguisée par le fait que, dans le temps imparti d'une heure et demie, la succession de trois exposés très denses et très copieux ne pouvait permettre une interactivité réelle. Si la formule des ateliers parallèles aux séances plénières doit être reconduite au prochain congrès, il est souhaitable que la règle du jeu en soit mieux définie et surtout que le temps en soit moins compté qu'il ne l'a été.

    Ces réserves essentiellement formelles étant faites, venons-en aux exposés eux-mêmes, tous trois riches d'information et de nature à approfondir la réflexion sur des questions que chacun reconnaît d'une très grande complexité.

    La Directive sur le droit d'auteur dans la société de l'information, la loi sur la société de l'information et leurs implications

    Intervenant la première, Michèle Battisti a fait une présentation remarquablement synthétique de ce texte adopté après de longues discussions le 9 avril dernier, et nous a aidés à mieux en appréhender les implications possibles sur le fonctionnement des bibliothèques et centres de documentation. La directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information -, pour reprendre son intitulé exact, s'inscrit dans un objectif économique d'harmonisation de la protection des titulaires de droit, condition préalable à la libre circulation des oeuvres et des marchandises ; elle répond aussi à la nécessité politique de ratification des deux traités adoptés en 1996 par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Un des premiers textes communautaires à parler globalement du droit d'auteur, cette directive vient couronner un acquis antérieur (protection des logiciels, droit de prêt et de location, durée des droits, bases de données...) tout en assurant une cohérence avec d'autres ensembles consacrés par le législateur européen à Internet (données personnelles, signature électronique, commerce électronique). C'est donc un texte fondamental, mais qui n'a rien de révolutionnaire ; il vient en fait consolider, en l'adaptant aux ressources numériques, l'édifice du droit exclusif accordé aux créateurs.

    Réaffirmant en effet le droit de reproduction et de communication au public des oeuvres et des interprétations, quel qu'en soit le support, la directive entend protéger les auteurs, les interprètes et les producteurs phonographiques et vidéographiques, chacun pour sa part, contre toute utilisation non autorisée de leurs créations. Au passage, on notera que la notion de communication au public, qui a vocation à englober notre traditionnel droit de représentation et à se substituer à lui, ne fait pas clairement la part entre sphère publique et sphère privée : la simple consultation individuelle à distance, sur un écran d'ordinateur, répond ainsi parfaitement à la définition ambiguë de l'article 3 de la directive.

    Cependant, le droit exclusif est tempéré par un certain nombre d'exceptions : une exemption générale pour les copies techniques intermédiaires d'une part, et une liste fermée de vingt et une exceptions facultatives d'autre part, chaque État membre choisissant librement celles qu'il entend accorder, dans le cadre de sa transposition nationale. Les actions de lobbying ont porté (inégalement) leurs fruits et l'harmonisation est en fait battue en brèche. Pour autant, les utilisateurs, en France par exemple, ne devraient pas avoir lieu de s'en plaindre, dans la mesure où cette liste est notablement plus étendue que celle que nous connaissons à travers l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Il en est ainsi de l'exception de citation aux fins d'enseignement et de recherche, qui peut être étendue aux bibliothèques. Mais, et c'est un point sur lequel l'attention des professionnels ne devra pas se relâcher dans les dix-huit mois à venir, tout dépend des choix faits par l'État dans le cadre de la transposition.

    Par ailleurs, la directive prévoit l'instauration de compensations pour la reprographie et la copie privée des phonogrammes et vidéogrammes (ces compensations sont déjà mises en place en France), et autorise les États membres à en instituer également pour d'autres exceptions. C'est, on l'a déjà dit et écrit un peu partout, la fin de la copie privée et la généralisation possible de l'information payante. S'agissant des bibliothèques, musées, archives et autres établissements ouverts au public, ils bénéficient certes d'un certain nombre des exceptions de la liste, pour la conservation, l'archivage, les utilisations déjà prévues telles que la reprographie, et pour la communication au public, du moins pour les oeuvres achetées régulièrement et dans le cadre d'une consultation sur des terminaux in situ ; mais ces exceptions doivent encore être reconnues explicitement dans le cadre de la transposition. En France, c'est le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, nouvellement installé, qui est chargé de cette transposition ; or, ni les archives, ni les services de documentation, ni les bibliothèques, ni les musées ne sont représentés dans cette instance...

    Pour être tout à fait complet, il faut ajouter que la directive interdit de contourner ou de violer les protections techniques mises en place par les éditeurs et producteurs sur les produits qu'ils mettent en circulation, au risque de favoriser des abus de monopole (que se passe-t-il si la protection technique subsiste alors que le monopole est normalement échu ?).

    En conclusion, Michèle Battisti avance que le texte européen consacre une marchandisation croissante des oeuvres : comme dans le droit spécifique du logiciel, la protection des investissements est jugée supérieure à la protection des oeuvres.

    Dans une deuxième partie de son intervention, Michèle Battisti a présenté l'avant-projet de loi sur la société de l'information (LSI), tel qu'il se présente en l'état : un monstre législatif - c'est ici le rapporteur qui s'exprime - susceptible de donner lieu à pas moins de vingt décrets d'application, et traitant à la fois de la responsabilité des acteurs de l'Internet, du droit de réponse, du dépôt légal, des données publiques, du commerce électronique, de l'accès au réseau, de la cybercriminalité et de la cryptographie. Une forme de responsabilité des hébergeurs de données dans le cas de contenus illicites serait réintroduite. Pour le droit de réponse, l'adaptation de la loi de 1881 devra s'employer à déterminer de quelle façon doit être faite la datation d'une publication sur Internet. S'agissant du dépôt légal, il faut répondre à deux questions essentielles : que dépose t-on ? qui fait le dépôt ? Enfin, en matière de commerce électronique, les spams » aux internautes inscrits sur une liste d'opposition seraient prohibés. Voilà, en vrac, quelques pépites sorties du grand sac de la LSI !

    Communication scientifique : à qui profite le copyright ?

    Jean-Philippe Schmitt, conservateur de bibliothèque attaché au Scientific Information Service du CERN, s'est penché dans son intervention sur le cas des articles de revues scientifiques, aujourd'hui tous publiés en ligne. Ces publications scientifiques présentent des caractères particuliers : leur destination est la communication des résultats de recherches ; il n'y a pas de création artistique et l'auteur n'attend pas de rémunération de la publication, assurée par l'éditeur dans le cadre d'une cession de droits à titre non onéreux. Dans l'édition traditionnelle, cette cession concrétise un mariage de raison entre un auteur qui cherche un moyen de diffusion efficace et un éditeur qui supporte les contraintes et les risques matériels induits par le coût d'édition. Entre les deux intervient l'étape de la « peer review », validation obligatoire de la recherche avant publication. Mais l'édition électronique introduit une nouvelle donne. Les coûts d'édition sont très réduits (pas d'impression, pas de frais d'expédition), le texte peut être soumis directement en ligne, y compris pour l'étape de validation. Si les moyens de diffusion en sont grandement améliorés, l'inconvénient dans ce nouveau paysage est que l'éditeur, en position de force, apparaît comme un frein plutôt que comme un partenaire et refuse de « libérer la circulation de l'information, en relâchant son contrôle. Le conflit d'intérêt est dès lors patent entre les deux parties : pour l'auteur, seule importe la circulation, la notion de vol au sens patrimonial n'existant pas dans la communication scientifique ; pour l'éditeur en revanche, le copyright protège sa rémunération, parfois contre les intérêts du chercheur.

    Ainsi les premières oppositions au modèle établi par la pratique du copyright sont-elles apparues avec les « preprints « gratuits, disponibles sur site, avant que se dessine plus fermement une stratégie de réappropriation de leurs droits légitimes par les chercheurs, à travers le modèle Harned Oppenheim » : auto-archivage des articles avant soumission (preprinf) sur un site personnel ou un serveur de preprint ; soumission pour validation (peer review) ; négociation du droit de diffusion de la version révisée (refeered) ; si accord, diffusion libre de l'article validé ; sinon, diffusion libre de sa version non validée. Jean-Philippe Schmitt citera en exemple le cas de l'American Physical Society, parmi d'autres, avant d'évoquer la pétition de la Public Library of Science pour une libre circulation des communications scientifiques indispensables à l'avancée de toute la recherche. (http://www.publiclibraryofscience.org)

    Les contrats pour l'accès à l'offre d'information en ligne

    Laurence Longet, de juriconnexion, intervenant aussi au titre de l'Association des utilisateurs de produits électroniques d'information juridique, introduisit pour conclure ce tour d'horizon la question de l'environnement contractuel, dont la prégnance se fait chaque jour plus manifeste dans la gestion des droits de propriété intellectuelle. La pratique contractuelle s'est généralisée sous la forme de la licence, qui confère au licencié un droit d'usage, indépendamment de l'existence d'un support physique de stockage des données ou d'édition, tandis que dans l'environnement traditionnel (édition sur papier), le document devenait propriété de l'organisme acheteur qui décidait à peu près librement, dans le respect des règles élémentaires du droit d'auteur, des usages du contenu qu'il ferait ou autoriserait. Le contrat de licence qui, comme tout contrat, est censé former la loi entre les parties, peut prendre plusieurs formes : papier, contrat vraiment électronique (par double clic), contrat par défaut (ouverture de l'emballage valant acceptation des conditions de mise à disposition). Les usages sont cependant différents selon le type d'information acheté. Il importe donc de bien rédiger, de bien lire et de bien comprendre le contrat qu'on signe, et en particulier de s'arrêter sur les clauses essentielles.

    L'objet du contrat, qui définit ce qui est fourni ou acquis en échange du prix payé, est bien sûr fondamental. Viennent ensuite les obligations principales du fournisseur et les engagements de l'acheteur. Un code d'accès, par exemple, étant sous la responsabilité du client, il faut prévoir une clause de contestation de la facturation, pour se prémunir contre le vol. D'autres éléments importants doivent par ailleurs figurer au contrat : les conditions d'accessibilité (une possibilité de dédommagement ou de résiliation, par exemple, pour une base qui ne serait pas accessible à certaines heures ou certains jours) ; les phases de test ; la vérification de la qualité du service offert, en particulier en termes de mises à jour, l'exemple des bases juridiques étant ici particulièrement parlant. Il est constant que le fournisseur, dans un acte de prudence commerciale compréhensible, cherche à dégager sa responsabilité. Cela peut aller jusqu'à l'installation, pour laquelle le fournisseur pourra refuser sans contrepartie de donner des conseils : l'établissement a donc tout intérêt à associer son service informatique dès la phase de négociation des conditions d'utilisation, pour éviter les désagréments (ou conflits) ultérieurs. Voir à titre d'exemple le cas d'installation de cédéroms en réseau.

    Mais si le fournisseur doit s'engager, l'utilisateur a lui aussi des obligations à respecter. Il achète un droit d'usage mais il n'est pas autorisé à tout faire. Ainsi l'usage collectif est-il en principe interdit et les éventuelles réutilisations à travers un intranet ou les archivages devront faire l'objet de négociations spécifiques. La reproduction ou l'extraction répétées et substantielles sont prohibées, comme la revente ou la fourniture à des tiers. Enfin, bien sûr, l'acheteur s'engage à payer. Laurence Longet invite les utilisateurs, sans méconnaître cet impératif, à prévoir des clauses protectrices contre les modifications unilatérales de tarifs et à détecter les prix cachés. Une durée de contrat limitée à un an, avec clause de reconduction, entre dans l'éventail des protections les plus courantes.

    Pour les bibliothèques qui doivent aujourd'hui lire de longs contrats de licence en anglais et qui sont effrayés par le prétendu (et irréel) « vide juridique » en matière de documents et ressources numériques, des initiatives comme celle de l'ADDNB, citée par Laurence Longet, qui propose sur son site un modèle de convention de mise à disposition de supports numériques, incluant prêt, consultation sur place, représentation publique à des fins non commerciales, est d'un secours appréciable (http://www.addnb.org). Le contrat n'est-il pas en effet en passe de supplanter le droit de la propriété intellectuelle ? Si l'on n'y prend garde, sa généralisation aux seules conditions imposées par les producteurs risque de priver l'utilisateur des exceptions au droit exclusif des auteurs auquel il a légitimement droit, dans l'intérêt du public. C'était semble-t-il la conclusion à tirer des communications de cet atelier trop dense, mais passionnant : pour les utilisateurs, la connaissance complète de leurs droits est la condition première de leur réussite dans la reconnaissance de ceux-ci par leurs partenaires fournisseurs de l'information, et la reconnaissance des devoirs réciproques la nécessaire contrepartie.