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    L'intérêt des catalogues de vente de livres *

    Par Michel Marion
    Par Colette Raux

    Les catalogues de ventes publiques de livres ne sont pas de nouveaux venus dans la « Galaxie Gutenberg » : en effet c'est Louis Elzevier qui, à la fin du seizième siècle, améliora la coutume espagnole des ventes aux enchères en distribuant aux acheteurs les catalogues imprimés des livres à vendre. L'habitude était prise et ne s'est pas perdue, bien au contraire. Actuellement la Bibliothèque Nationale reçoit 60 à 80 catalogues sur les quelque 250 à 300 qui paraissent chaque année dans le monde.

    Contrairement aux catalogues de libraires, les catalogues de ventes publiques de livres, à part quelques cas donnant des estimations, n'indiquent pas de prix, ce qui est normal puisqu'on ne sait pas à l'avance combien le livre sera vendu. Contrairement encore aux catalogues de libraires, et bien que certains soient de simples dépliants, leur présentation matérielle est meilleure, plus luxueuse, souvent plus détaillée. C'est que ce catalogue est destiné à guider l'acheteur qui ne peut se déplacer, à lui donner une idée aussi précise que possible du livre-objet à vendre. La description des imperfections est souvent d'une précision remarquable, à la différence des catalogues de libraires.

    Il est un point qu'il faut préciser : toutes les ventes publiques de livres n'ont pas de catalogues, car tous les livres vendus en vente publique ne le sont pas forcément au cours des ventes publiques de livres ; il arrive que dans une vente par effet de Justice, que dans une vente d'hôtel particulier ou autre, on vende des livres sans les séparer du reste. Cela revient à dire que les catalogues de ventes publiques de livres ne peuvent prétendre recouvrir, non seulement la totalité du marché d'occasion du livre - les libraires en brassent une grande partie pour une clientèle souvent différente des habitués des hôtels des ventes - ni même la totalité des livres vendus aux enchères. Les catalogues de ventes de livres sont encore une approche de beaux livres réservés à un public de bibliophiles.

    Dans cette étude, nous nous sommes limités à Paris, le grand centre de ventes aux enchères de France, et, dans Paris, aux ventes effectuées à l'Hôtel Drouot (de préférence au Palais Galliera) pendant les années 1967, 1968 et 1969.

    Le mécanisme des ventes publiques de livres est simple. Un particulier, désireux de vendre une bibliothèque, charge un libraire-expert d'établir un catalogue des livres qu'il juge les plus précieux, les plus rares ou se vendant bien. En effet on ne met qu'un choix de livres dans le catalogue : la bibliothèque de M. Garçon, vendue en avril 1967, ne comporte que 216 numéros. Le complément de la bibliothèque est éventuellement vendu sous forme de lots. On distribue les catalogues environ un mois avant la date prévue, et on fait savoir que les livres sont visibles chez le libraire jusqu'au jour précédant la vente. La veille, les livres sont exposés à l'Hôtel Drouot.

    Le moment venu, n'importe qui peut acheter au comptant. Il importe que le dernier enchérisseur n'oublie pas qu'il doit payer en sus des enchères 16 % pour tout achat inférieur à 6.000 F, 11,5% de 6.000 à 20.000 F et 10% au-dessus de 20.000 F. On peut également charger l'expert de se rendre acquéreur pour soi. L'adjudication conclue, on emporte le livre avec soi ou on revient le chercher le lendemain. Lorsqu'il s'agit de ventes de moindre importance, et qu'un simple carton donne un échantillonnage réduit de ce qui est offert au public, il n'y a pas d'exposition chez le libraire. On se contente d'aller le matin de la vente à l'Hôtel Drouot pour se rendre compte.

    Qui vend ? Il est assez difficile de préciser l'origine sociale ni même la nationalité des vendeurs, l'anonymat étant pratiquement la règle, à laquelle seuls quelques grands noms de bibliophiles contemporains échappent. Parmi les quelques éléments qu'il nous a été permis de trouver, nous avons noté des bibliothèques (car ce ne sont pas toujours les intéressés qui vendent) de membres de professions libérales : médecins, avocats, professeurs d'universités ; d'hommes politiques, et, bien sûr, de châteaux. C'est donc une fraction des classes sociales les plus favorisées qui fournit l'Hôtel Drouot.

    Quant aux raisons de la vente, elles sont variées. Un vivant se sépare de sa bibliothèque parce qu'il a besoin d'argent, parce qu'il sait qu'elle n'intéresse pas ses héritiers, parce qu'il veut savoir ce qui va advenir de sa collection amoureusement et patiemment rassemblée (cas de M. Garçon), ou parce qu'il veut, comme tel bibliophile, posséder un catalogue de sa bibliothèque... Le cas des morts est plus simple. Les héritiers se séparent des livres flairant la bonne aubaine, ou bien pour payer les frais de succession. Mais les raisons sont parfois plus indéfinissables. Sous la rubrique « bibliothèque d'un amateur », on peut mettre un mort ou un vivant. Quant à la requête administrative, elle recouvre aussi bien les vivants que les morts : elle peut avoir lieu soit pour rembourser le fisc, soit à la demande des héritiers qui ne veulent pas rester dans l'indivision. Ces dernières catégories de vente sont quelquefois relativement rares.

    Il est plus difficile encore de savoir qui achète avec précision. Nous n'avons pas eu la chance d'avoir un De Bure contemporain pour nous indiquer en marge les noms des acheteurs, ni même les prix. Néanmoins on peut classer les acquéreurs en trois grandes catégories : les particuliers, les libraires et les bibliothèques. Les particuliers sont probablement de loin les acheteurs les plus nombreux, même s'ils achètent par personne interposée, expert ou libraires dans la salle, ce qui expliquerait finalement pourquoi on ne trouve pas, le plus souvent, les mêmes livres dans les ventes publiques et dans les librairies. On achète soit par bibliophilie, soit pour faire un placement.

    Les étrangers achètent aussi. Si la sortie de France des livres anciens (de plus de cent ans pour le Ministère des Finances) est interdite, souvent la consigne est tournée par le privilège de la valise diplomatique. Le mythe de l'Américain s'intéressant aux vieilles choses d'Europe est encore une réalité dans le domaine bibliophilique. Les libraires fréquentent assiduement l'Hôtel Drouot. C'est pour eux l'occasion de trouver à meilleur compte que l'achat direct à un particulier. C'est aussi une source d'approvisionnement, pas seulement lors des grandes ventes, mais aussi dans ces ventes de paniers qui s'enlèvent encore à bon marché. Enfin les bibliothèques françaises achètent peu, à cause de leurs faibles crédits. Elles bénéficient, rappelons-le, du droit de préemption ; mais le risque de voir les enchères monter parce qu'un libraire jaloux a repéré le fonctionnaire chargé de cette tâche est limité.

    Les ventes de livres ont lieu en majorité à Paris : 75 à 80 % des ventes sont parisiennes. Les ventes provinciales (y compris Versailles) ne dépassent pas le tiers (28,89% en 1968) ni même le quart (1967 et 1969) des ventes de la capitale.

    Peut-être est-ce parce que les bibliophiles provinciaux préfèrent venir à Paris, que les éventuels vendeurs s'adressent plus facilement au libraire de la ville voisine, ou qu'ils préfèrent laisser mettre leurs livres en adjudication à Paris, dans l'espoir d'en tirer un meilleur prix.

    Un livre - ou un lot - vendu dans une vente publique est estimé à 75 % de son prix « sur le marché du beau livre » et sa mise à prix se fait au tiers du chiffre de l'estimation pour les années étudiées. A partir de ce chiffre de base les enchères montent progressivement. Il semble rare qu'elles dépassent le chiffre de l'estimation : souvent même elles ne l'atteignent pas. En effet les particuliers qui viennent là ne tiennent pas à payer plus cher - sauf cas exceptionnels dans ventes exceptionnelles - que ce qu'ils pourraient éventuellement trouver chez un libraire, et les libraires n'ont aucun intérêt à voir les prix monter trop haut. Dans l'ensemble, d'ailleurs, le prix d'adjudication d'un livre n'est pas très élevé, il varie - selon les indications trouvées dans la Gazette de l'Hôtel Drouot - de 110 F à 13 600 F en 1967. Mais les prix de vente les plus fréquents tournent autour de 400 F; en 1969 le prix moyen d'un livre s'échelonne de 81 à 2.300 F, avec une plus grande fréquence autour de 250 F.

    Chaque vente ne s'accompagne pas d'un catalogue, loin de là, et l'on peut se demander pourquoi il y a moins de catalogues que de ventes. D'abord, ils ne sont pas obligatoires. Ils sont là un peu - pas uniquement - pour faire bien, pour rehausser la vente. Cette attitude les fait considérer, à tort, comme un luxe, et nombre de ventes, pas toujours sans intérêt, les ignorent. Ensuite, ils sont établis par le libraire chargé de l'expertise. Celui-ci décide de leur forme. Parfois ils sont gratuits comme les simples encarts ; le plus souvent ils sont vendus aux enchérisseurs, pas très cher d'ailleurs : un bon catalogue coûte deux francs, un catalogue luxueux avec photos dépasse rarement dix francs, à moins que, fait rarissime, il ne soit en couleurs. Il arrive aussi que l'expert distribue quelques exemplaires gratuitement à des bibliophiles patentés.

    Si les gros catalogues (plus de trois cents notices) sont peu nombreux : huit pour chaque année concernée, ils présentent parfois de gros chiffres : sept cent cinquante notices pour la première vente du château de X... Les petits catalogues (moins de deux cents notices) n'ont pas non plus la majorité. Leur nombre varie entre 6 et 40 % des catalogues étudiés. La moyenne semble être atteinte par les catalogues comportant entre deux cents et trois cents notices, ce qui est sans doute le chiffre optimum pour tirer à un bon prix les catalogues. C'est peut-être aussi pour attirer le plus de foule possible : les gens hésitent, à moins d'être fortement motivés, à se déplacer pour une petite vente, se fatiguent vite lors d'une grande vente, tandis que deux cent cinquante ouvrages sont parfaitement vendus en trois heures.

    La présentation matérielle des catalogues est assez simple. Peu d'entre eux ont une couverture illustrée, soit par une phtographie, soit par une gravure : le quart, au mieux le tiers, sont décorés extérieurement. Il faut voir là, à n'en point douter, une raison d'économie. Quelques-uns ont une couverture en papier de couleur, mais le plus souvent est blanche. Le tiers des catalogues en 1968, près de la moitié en 1967 et 1969, se présente sous forme de fascicules brochés, par une simple agrafe généralement. Là encore, l'économie triomphe. On compte entre un cinquième et un tiers de couvertures cartonnées, c'est-à-dire qu'on a essayé de présenter les catalogues sous forme de livres à « reliures » d'éditeur, bien qu'aucun catalogue de vente ne soit vendu relié. C'est cette dernière présentation cartonnée qui porte le plus souvent une couverture illustrée. Enfin, une partie non négligeable - du tiers au quart du nombre de catalogues - adopte une tenue simple : dépliant plus ou moins alléchant ou simple carton qui rappelle la carte « T » des P.T.T. Le Catalogue de Vente ne se présente pas sous forme d'un livre - du moins si l'on s'en tient aux normes qui appellent « brochure » tout imprimé de moins de cinquante pages. Rares sont les catalogues qui atteignent trente-cinq à quarante pages. Cependant il arrive que quelques monstres dépassent cinquante pages. D'autre part, les catalogues de vente, tout comme ceux des libraires, sont rarement paginés: moins de 10% le sont. Cela vient du fait que la pagination est inutile puisque les ouvrages vendus sont numérotés et que l'on suit l'ordre de la vacation, ce qui permet de s'y retrouver facilement.

    Les catalogues de vente ne recherchent donc guère les luxes inutiles. Cependant, pour les besoins de la vente, il arrive qu'ils soient agrémentés de quelques reproductions, fac-similés, planches. C'est encore un phénomène peu courant. Les catalogues qui ont des planches sont aussi les mieux pourvus en figures et fac-similés. Ce sont eux aussi qui comportent des couvertures illustrées : on ne prête qu'aux riches... Mais ces recherches esthétiques ne sont là que pour l'intérêt de la vente : toutes les reproductions sont directement liées au contenu des notices, qu'elle complètent. Elles servent aussi à attirer l'éventuel acheteur. En effet on ne présente que les plus belles pièces, et le reste de la vente peut être d'un fort médiocre intérêt. Quoi qu'il en soit, un effort est à faire - et se fait petit à petit - pour illustrer un peu plus abondamment les catalogues. En outre le prix de revient d'un catalogue illustré n'est pas forcément excessif : certains coûtent deux francs.

    L'intérêt des catalogues est donc de renseigner sur ce qui est mis aux enchères. Or il se trouve que quelques catalogues, surtout des dépliants, à plus forte raison des encarts, ne donnent pas le nombre exact des ouvrages à vendre. D'autres ne signalent que les numéros les plus importants et se bornent à rappeler qu' « à la fin de la vacation seront vendus d'importants lots de livres anciens et modernes ». Environ la moitié des catalogues, mais ce sont les meilleurs pour les plus belles ventes, donnent le chiffre précis de ce qui doit être vendu. L'imprécision vient du fait que l'on ne choisit pour le catalogue d'une bibliothèque à vendre que les plus beaux ouvrages qui servent d'appât publicitaire, et qu'on se permet alors de vendre n'importe quoi. Dans l'autre cas on préfère ne vendre que les plus belles pièces afin de conserver à la bibliothèque son prestige.

    Les catalogues de ventes de livres sont, nous l'avons vu, de présentation très diverses. Néanmoins, puisqu'ils sont faits par les libraires-experts, et que ceux-ci ne sont pas très nombreux même à Paris, on peut les regrouper en un certain nombre de familles : en effet un libraire-expert travaille en général avec une même imprimerie, et aussi avec les mêmes commissaires-priseurs. Citons, par exemple, quatre imprimeries bien qu'elles n'assurent pas, de loin, l'exclusivité du marché : l'imprimerie Mazarine, expert Cl. Guérin ; l'imprimerie Maison Rapide, expert L. Jacquenet ; l'imprimerie de l'Est, expert Loewy et l'imprimerie Etaix, expert Mme Vidal-Megret qui fait les plus beaux catalogues, pour ce qui est de la typographie et des illustrations.

    Lorsqu'on a sous les yeux deux catalogues d'épaisseur comparable, car l'imprimerie Maison Rapide fait des catalogues très minces et sommaires que l'on reconnaît aisément - on ne les distingue guère que par la couverture, par une typographie plus ou moins claire ou serrée ou par les illustrations à l'intérieur. Mais le plus important pour l'acheteur éventuel qui cherche une description des ouvrages, reste les notices. Celles-ci sont présentées selon l'ordre alphabétique dans les catalogues, le plus souvent. Dans les encarts, en revanche, le désordre est préféré. En dehors de ce cas, les catalogues ont des notices généralement bien faites, établies par les soins du libraire-expert ou recopiées par lui sur un autre catalogue. Certes les notices ne correspondent pas toujours aux normes de catalogage. L'ordre alphabétique révèle des surprises : un ouvrage intéressant par sa reliure est souvent classé à RELIURE, non à l'auteur ; un ouvrage de Balzac illustré par Gustave Doré est classé à DORÉ (G.), non à Balzac. La vedette-auteur est alors annihilée, la pratique du renvoi inexistante. La notice est presque toujours complétée de notes qui précisent l'état de l'exemplaire. Le vocabulaire en est varié : on passe de « bel exemplaire » à « bon état » sans oublier « jaunissures », « roussures », « petits trous de vers » et même « brûlure ». On précise aussi l'état de la reliure, surtout pour les ouvrages anciens. Elle peut être « défraîchie », avoir les « plats éraflés », « manquer de coiffe ». On précise si elle est d'époque, le nom du relieur s'il est identifié. On indique si l'édition est originale, un premier tirage... On mentionne si l'exemplaire est rare, rarissime ou peu fréquent.

    Les catalogues les plus luxueux sont aussi ceux qui ont une typographie plus variée. Ainsi l'imprimerie Maison Rapide n'utilise que deux sortes de caractères, le caractère romain et l'italique, celle-ci uniquement pour l'éditeur et la ville d'édition. Les autres types de notices comprennent trois ou même quatre caractères différents : le titre est parfois en petites majuscules, l'adresse, sauf la date, est en italiques dans la plupart des cas, ainsi que le nom du relieur qui figure en fin de notice entre parenthèses. Les notes sont en caractères romains plus petits. Pour toute mention jugée importante, des caractères différents sont utilisés. Il est bien évident que ces différents caractères aident un lecteur qui parcourt rapidement le catalogue : il verra tout de suite ce qui est le plus important, ce que l'expert a jugé susceptible de l'intéresser. Il faut encore remarquer d'une part qu'il y a assez peu d'abréviations, et qu'elles sont facilement compréhensibles par un non-spécialiste, contrairement à celles utilisées dans les catalogues de librairies (« Edition originale », par exemple, est très souvent écrit en entier). Le format n'est pas en centimètres ; par contre, pour des raisons commerciales, le tirage est mentionné quand il a un intérêt, et les notes sont souvent abondantes.

    Les autres différences entre les notices se situent au niveau de la description de l'exemplaire particulier qui est à vendre. Tout d'abord le format. Il varie très souvent d'un catalogue à l'autre pour une même édition. La raison peut en être un tirage sur format plus grand, ce qu'on appelle des exemplaires « réimposés », sans qu'il s'agisse d'une autre édition. Les experts établissent les catalogues des livres à vendre, mais ils les établissent vite, et puis, ils n'ont plus pour les ouvrages modernes les signatures qui leur permettent de conformer leur description à l'ancien schéma. On peut s'étonner que les libraires n'aient pas encore accepté d'exprimer les formats en centimètres, alors que leur clientèle - au moins lorsqu'il ne s'agit pas de ventes aux enchères - n'est pas plus spécialisée que celle des bibliothèques...

    D'une manière générale, les notices, construites sur un même modèle, présentent des différences au niveau surtout de la précision, du choix par l'expert de ce qui est primordial pour l'acheteur : illustrations, reliures, éditions, état du volume, pièces ajoutées. Il développera cet aspect et sera influencé par son choix dans la plupart de ses descriptions. Mais malgré ces différences, et le caractère parfois un peu superficiel des notices, il demeure que les catalogues de ventes sont beaucoup mieux présentés et plus agréables à lire ou à feuilleter que les catalogus de libraires, de par leur format (en moyenne 24 cm), leurs illustrations, leur papier, et aussi le fait qu'ils sont tous en pleine page. N'oublions pas qu'ils sont proportionnellement beaucoup plus consultés : lors d'une vente à Drouot, il est rare que les amateurs de livres ne suivent pas la vente sur leur catalogue.

    Etudions maintenant quelles sont les catégories de livres les plus souvent mises aux enchères et essayons d'analyser pour quelles raisons.

    Les livres imprimés (et quelques manuscrits antérieurs ou non au quinzième siècle) édités avant 1800 et vendus à l'Hôtel Drouot sont en minorité : répartis sur quatre siècles de production imprimée, ils ne représentent pas le tiers des livres signalés postérieurs à cette date. Néanmoins ces livres ont un intérêt immense, car il satisfont à la passion du bibliophile qui a en horreur les reliures souvent laides des dix-neuvième et vingtième siècles. Ce sont, pour la plupart, des livres français écrits en français, ou imprimé en français à l'étranger ; on trouve des livres imprimés à Amsterdam, Avignon, des oeuvres de Voltaire. Les oeuvres des auteurs étrangers, sauf les auteurs latins bien entendu, imprimés hors de France se rencontrent très rarement dans les ventes publiques de livres, la seule exception étant les impressions vénitiennes pour les auteurs de l'Antiquité. Tout le reste est français. Sur un catalogue de cent-trente-sept livres anciens, il y a seulement quinze titres d'auteurs étrangers ou d'impressions françaises à l'étranger : un peu plus de 10 %. Certes il faudrait poursuivre l'enquête pour savoir si cette hypothèse peut être maintenue.

    Quelle est la fréquence de réapparition des livres anciens sur le marché des ventes publiques de livres ? Elle est évidemment très variable. Mais, à part quelques livres que l'on retrouve souvent, on peut dire que beaucoup d'oeuvres ne sont vendues qu'une fois par siècle ou demi-siècle à l'Hôtel Drouot, et qu'on a peu de chances de les voir réapparaître à la vente suivante. Les titres qui reviennent le plus souvent sont les almanachs, généralement bien cotés, les Fêtes, les entrées royales, quelques grands auteurs classiques, tels Bossuet, La Fontaine, Montaigne, Racine, Voltaire. Et pourtant c'est de la fréquence de réapparition du livre ou de sa « non-rareté » que dépend aussi le prix de ce livre. Mais la valeur d'un livre ancien obéit aussi à des critères différents. En général l'intérêt n'est pas le même pour les manuscrits, les incunables, les livres du seizième siècle ou la production du temps de la Monarchie absolue.

    Les manuscrits sont assez peu fréquents et sont achetés assez cher, surtout s'ils datent du Moyen Age et sont enluminés. Les manuscrits à peinture atteignent souvent de fortes sommes. Les incunables sont vendus à des prix intéressants, mais pas forcément élevés, malgré leur rareté (cent-quatre-vingt-dix sur l'ensemble des livres jusqu'à mille huit cents). Par contre on s'intéresse beaucoup plus aux livres du seizième siècle, surtout s'ils ont une belle reliure. Les cours sont très variables pour leurs acquéreurs, les gravures, l'édition, etc. entrant en considération.

    L'édition, bien sûr, compte beaucoup dans la course aux enchères. Une édition originale est intéressante, mais n'est pas forcément achetée plus cher qu'une seconde édition publié du vivant de l'auteur, qui l'a augmentée, corrigée, annotée : c'est le cas des deux premières éditions des Fables publiées du vivant de La Fontaine, la deuxième ayant la préférence des collectionneurs. Néanmoins, on s'intéresse aux premières éditions en elles-mêmes. Sur cent cinquante-sept numéros d'une bibliothèque, quinze étaient des éditions originales, et cinq des premiers tirages. En d'autres cas, c'est l'illustrateur qui l'emporte : on préfère les Fables illustrées par Fessard à celles illustrées par Oudry. Bien entendu, la rareté de l'ouvrage entre en ligne de compte. Mais un incunable peut être acheté moins cher qu'un livre du dix-huitième siècle : le Stultifera Navis de Sébastien Brand, coté 1.100 F, est dépassé par le Candide de Voltaire de 1759, coté 4.100 F.

    La reliure, pour sa part, entre pour beaucoup dans la fixation et la montée des prix. La reliure d'époque est naturellement plus prisée. Une reliure postérieure peut abaisser considérablement le prix d'un livre. De même la nature du cuir. Le maroquin rouge coût moins cher que le vert, le vert que le citron. Le veau est moins apprécié des amateurs : les Fables de La Fontaine illustrées par Fessard ont varié du simple au triple selon la nature de la reliure: 1.050 F en veau, 3.000 F en maroquin rouge La décoration de Ia reliure entre aussi en jeu : les Fables illustrées par Oudry, avec des fers de Louis Douceur (relieur de Louis XV) ont atteint la somme de 37.300 F (l'estimation normale de cette édition reliée en plein maroquin est de 12.000 F). Les plats armoriés qui tentent beaucoup les amateurs, donnent également une valeur supplémentaire au livre. Ce n'est cependant pas toujours considérable : dans la vente du château de X... tous les livres avaient été armoriés, mais au dix-neuvième siècle, et il semble qu'on en ait tenu compte... Quoi qu'il en soit, une reliure avec des armes célèbres peut valoir une petite fortune : les Fables illustrées par Oudry, frappées aux armes de la Du Barry, reliées en maroquin vert, ont atteint 91.000 F ! Parfois même une reliure de veau armoriée peut approcher le prix du maroquin.

    La provenance est également une source d'enchérissement. Un livre ayant appartenu à un souverain atteint de belles enchères ; de même, les ex-libris font monter les prix, l'appartenance à une bibliothèque célèbre, que l'auteur du catalogue n'omet pas de signaler: «de la bibliothèque de Kermaingant, II, 1240»; ou la bibliothèque de Charles Nodier, première vente. On se transmet ainsi l'héritage bibliophilique.

    Tout cela fait que les prix pratiqués dans les ventes publiques sont variables et qu'on ne peut pas toujours dire qu'il y a tendance à la hausse. La loi de l'offre et de la demande joue son rôle dans les ventes aux enchères. A titre comparatif, il restait à savoir si acheter à l'Hôtel Drouot est plus intéressant que chez le libraire. Après maintes recherches, car le stock des libraires, même s'ils se fournissent parfois dans les ventes publiques, ne recouvre pas les mêmes ouvrages que l'Hôtel Drouot, on a trouvé un ouvrage de Diderot, intitulé Père de Famille, publié en 1758. Cet ouvrage a été adjugé 60 F en décembre 1966 (350 F en juin 1967, mais relié en maroquin). On le retrouve, et c'est selon toute vraisemblance le même, 300 F chez un libraire parisien.

    En ce qui concerne les ouvrages d'auteurs des XIXe et XXe siècles, plusieurs problèmes se posent. Le recensement que nous avons pu faire, par dépouillement de quelques catalogues représentatifs des années 1968-69, s'étend à deux siècles et se limite à seulement quelque trois cent vingt-cinq noms, pour la plupart français,. Qui sont ces auteurs ? Peut-on découvrir entre eux d'autres liens que leur présence côte à côte dans les catalogues de vente ? Pourquoi leurs oeuvres sont-elles susceptibles d'être vendues à l'Hôtel Drouot plutôt que celles d'autres auteurs ? Nous avons vu que les acheteurs en vente publique étaient avant tout des collectionneurs et des libraires.A quoi s'intéressent-ils avant tout ? Ou encore, qu'est-ce qui fait le prix d'un ouvrage ?

    Si l'on considère les noms cités plus de quinze fois dans les catalogues examinés, une première remarque peut être faite : il s'agit d'auteurs ayant beaucoup produit, ayant eu de leur vivant une grande vogue, et ayant été de ce fait édités dès les éditions originales en éditions de luxe : papier, reliure, illustrations, etc. Nous reviendrons sur l'importance de cet aspect qui explique le prix des ouvrages et leur présence à Drouot. Mais il faut noter parmi ces auteurs s'adressant dans leur contenu essentiellement à un public particulier que d'aucuns diraient « d'élite », la présence d'auteurs à succès populaire : Hugo et Balzac. Ils ont eut parallèlement les deux publics, et les deux formes d'édition : l'édition populaire, et en particulier le feuilleton, et l'édition pour bibliophiles, le plus souvent illustrée dans le cas de Balzac. Les statistiques de l'UNESCO concernent les auteurs les plus traduits en 1957-1964 dans le monde, placent d'ailleurs nos auteurs « populaires » à une très bonne position (33e pour Hugo et 14* pour Balzac). On ne traduit beaucoup, en effet, que des oeuvres accessibles au grand public, l'édition en langue originale étant préférée par les bibliophiles - exception faite de traductions comme celles de Goethe par Nerval ou Stapfer, qui sont à elles seules des chefs-d'oeuvre pour bibliophiles. Par exemple, l'oeuvre d'O. Wilde, Two Taies en langue originale, a été vendue 1.400 F, prix bien supérieur à celui de ses oeuvres traduites, et bien que ces traductions soient pour la plupart en édition originale.

    D'autre part, ce sont non seulement des auteurs ayant eu du succès, et donc édités en éditions de luxe, mais des auteurs ayant en quelque sorte « fait leurs preuves ». L'intérêt bibliophile s'attache assez peu au texte mais exige que l'auteur ait connu un succès suffisamment long, serait-ce dans un passé plus ou moins lointain. Peu importe que Gide soit aujourd'hui entré dans le « Purgatoire » : il a fait ses preuves en son temps ; il est vendu aujourd'hui dans les ventes publiques. On ne trouve donc pas dans notre liste d'auteurs véritablement contemporains ; et pourtant Maurois, Malraux ou Mauriac sont beaucoup édités, et souvent en éditions de luxe. Cela vient bien sûr aussi du fait que les ventes sont la plupart du temps alimentées par la bibliothèque du bibliophile de la génération précédente - d'où un décalage entre les succès de librairie de luxe et les ouvrages vendus aux enchères. On peut donc s'attendre à trouver, d'ici une vingtaine d'années, des ouvrages d'auteurs actuels qui ne sont pas encore sur le marché du livre d'occasion.

    On constate de plus que, dans les catalogues examinés, seuls figurent trois étrangers : de Goethe, on trouve des traductions de Nerval et Stapfer, avec des illustrations françaises de Delacroix, Daragnès et T. Johannot, les seules oeuvres étant Faust (quatre fois) et Werther (une fois). Les contes et histoires d'E. Poe trouvent leur prix à Drouot dans la traduction de Baudelaire et surtout les illustrations originales (Lobel-Riche, L Legrand, etc.). Quant à O. Wilde, les illustrations de Laboureur, F.L. Schmied et Daragnès justifient à elles seules la vente de ses oeuvres, dont les traducteurs ne sont même pas mentionnés dans les catalogues. On notera aussi la présence en bonne place de ces auteurs dans la statistique de l'UNESCO.

    On constate donc que les bibliophiles français, dont les bibliothèques sont vendues actuellement, n'avaient guère d'intérêt pour les oeuvres d'auteurs ou d'illustrateurs étrangers. Il pourrait être intéressant à cet égard d'entreprendre une recherche dans les catalogues de ventes étrangers. Ce qui est certain, c'est qu'à l'heure actuelle ces ouvrages français sont très recherchés à l'étranger, et en particulier aux Etats-Unis.

    Un autre point important est le nombre assez considérable de poètes ; Valéry est de loin l'auteur le mieux représenté, avec quarante-deux notices de catalogues et trente-cinq oeuvres différentes. Le caractère primordial de l'esthétique du livre dans les ventes aux enchères explique ce phénomène : les poésies se prêtent à l'illustration, à une mise en page particulière, à un papier et une typographie choisis, et souvent à des reliures artistiques.

    Grands auteurs français, éditions de luxe, recueils de poésies, grand noms d'illustrateurs ou de relieurs français : autant d'éléments justifiant la présence de certaines oeuvres dans les salles de ventes. Mais ces éléments justifient-ils aussi le prix des différents ouvrages, et si oui, sont-ils les seuls facteurs déterminant l'intérêt des acheteurs et la montée des enchères ? Sur les quatre cent quarante-neuf notices qui ont été dépouillées, soixante-quatorze ouvrages ont été vendu 1.000 F ou plus; un seul auteur ne figure pas : Céline. Ses deux oeuvres ont été vendues en 1969 au cours d'une seule vente, et Céline ne figure dans aucun des autres catalogues dépouillés. Nous voyons donc déjà que, globalement, les auteurs les plus vendus sont aussi les plus demandés, ceux qui se vendent le plus cher, ce qui semble indiquer une certaine stabilité de la cote de ces auteurs, dont nous avons remarqué qu'ils ont « fait leurs preuves ».

    Mais ceci n'est valable que globalement, car si nous regardons les sept auteurs qui ont été vendus au moins une fois 5.000 F ou plus, A. France et V. Hugo se trouvent en fin de liste, après E. Rostand, lui-même dépassé par Stendhal, Verlaine et Baudelaire, tandis que le Faust de Goethe traduit par Stapfer et illustré par Delacroix a atteint en 1969 6.200 F, et en 1968, année plus favorable, 15.800 F - le prix le plus élevé rencontré pour les ouvrages modernes pendant ces années.

    En tête de cette liste, Goethe, Baudelaire et Verlaine ; des poètes qui ont été illustrés. C'est là sans doute le premier élément qui fait monter les prix, à condition que les illustrations soient originales. Parmi les procédés d'illustrations, les plus cotés semblent être les lithographies, suivies par les aquarelles, plus rares. D'une manière générale eaux-fortes, gravures sur bois et lithographies ne donnent du prix à un ouvrage qui si elles sont exécutées par un artiste connu : Beauté, mon souci, de V. Larbaud, édition de 1920, est illustré de trente-sept gravures originales de Laboureur et s'est vendu 600 F en 1969, et 900 F en 1968. Par contre, le Chemin de la Croix de Claudel, édition de 1948, comprend des gravures sur bois et sur cuivre de Collot, avec une composition originale, et ne s'est vendu que 55 F. Les simples noms de Delacroix, Cocteau, Dunoyer de Segonzac, Daragnès, Buffet, G. Doré, etc. - même si leurs illustrations ne sont pas en édition originale - font monter les prix, qui dépassent presque toujours 500 F et souvent 1.000 F. Curieusement, les illustrations de Picasso ne semblent pas toujours éveiller le même intérêt.

    Si l'édition originale des illustrations est très recherchée, il en est de même pour les éditions originales des textes. Il est intéressant de constater que sur les quatre cent quarante-neuf notices dépouillées, cent quatre-vingt-treize décrivent des ouvrages en édition originale, soit près de la moitié. Et, sur les huit oeuvres vendues plus de 5.000 F, on compte cinq éditions originales et une seconde édition originale, « augmentée de soixante-quinze poèmes nouveaux » (Baudelaire). Mais l'élément « édition originale » ne devient primordial qu'en fonction d'autres facteurs qui s'y rattachent : le papier et le tirage.

    Il existe un très grand nombre de papiers, et si, pratiquement, tous les exemplaires vendus à Drouot sont sur « grand papier », la liste en demeure considérable. Les plus courants sont le vélin du Marais, le vergé de Rives et le vélin d'Arches. Ceux-ci, de même que par exemple le vélin pur fil Lafuma, le vélin de Montval ou le vélin de Lana, ne sont pas un facteur déterminant pour la valeur d'un ouvrage. Les papiers les plus précieux sont ceux de Chine, du Japon, de Hollande, et le papier Whatman. C'est ainsi que deux exemplaires de L'Affaire Crainquebille d'A. France en édition originale (1901), illustrée par Steinlen, se sont vendus la même année 1968 alternativement 1.000 F (exemplaire sur vélin du Marais) et 5.100 F (exemplaire sur Japon ancien).

    L'importance des papiers se combine avec celle des tirages : les exemplaires sur chine, japon ou papiers exceptionnels sont les exemplaires de tête des différents tirages. Ceci surtout pour les éditions originales, car ces papiers sont rarement utilisés pour les autres éditions. Mais il demeure que dans la plupart des cas les premiers exemplaires d'une édition de luxe sont tirés sur un papier plus précieux. Ce sont aussi les exemplaires numérotés et parfois nominatifs. On trouvera souvent dans les notices des mentions du genre de : « Tirage limité à 200 exemplaires. Celui-ci sur vélin de Hollande », mention qui est plus recherchée que simplement « Tirage limité à 200 exemplaires sur vélin du Marais » et surtout que « Exemplaire sur vélin du Marais ». D'où l'importance du nombre d'exemplaires tirés, déterminant pour la rareté de l'édition, et donc le prix du volume.

    Il faut noter aussi deux mentions plus rares, et très importantes : celle de « premier tirage » d'une édition, comme par exemple les illustrations de Delacroix dans le Faust traduit par Stapfer, et celle de types d'éditions particuliers : les éditions hors-commerce, comme les éditions privées tirées à très peu d'exemplaires [Les Romanesques d'E. Rostand, 1904, 10 exemplaires, 5.500 F en 1969), et les tirages à part en volumes d'oeuvres parues par exemple dans des périodiques (trois éditions originales de Hugo tirées à 10 exemplaires, vendues en 1969).

    Editions originales, grands papiers, nombre d'exemplaires tirés, exemplaires numérotés, premiers tirages, éditions hors-commerce, ne sont des éléments mentionnés dans les notices parce qu'ils indiquent à l'acheteur éventuel la rareté d'un ouvrage. Mais bien d'autres facteurs peuvent aussi entrer en jeu : les mentions ou illustrations autographes, les reliures, et aussi, bien que ce soit moins important dans la période contemporaine que pour les livres anciens, la provenance. On trouve parfois « exemplaire ayant appartenu à... », que ce soit signalé sur le volume par un ex-libris ou par une simple mention autographe. Les mentions autographes se divisent d'ailleurs en deux catégories : les notes ou corrections par l'auteur, qui sont extrêmement recherchées mais - et cela se conçoit aisément - très rare, et les envois autographes, assez fréquents, surtout pour les ouvrages du début du vingtième siècle. On trouve aussi, mais cela ne semble pas influencer considérablement les enchérisseurs, de nombreux manuscrits joints, lettres, notes autographes indépendantes par leur contenu du texte de l'oeuvre, et même des « menus » signés par l'auteur, et que l'on ne s'attend nullement à découvrir dans des ouvrages de Bardey d'Aurevilly, Bergson, Rimbaud ou Valéry... Bien que beaucoup moins importants, il faut noter la présence fréquente de fac-similés ou photocopies de pages de notes ou corrections manuscrites de l'auteur.

    Si l'on ajoute souvent aux ouvrages des éléments manuscrits, on trouve aussi des illustrations originales, reliées ou non avec les volumes : les exemplaires de tête d'un tirage peuvent comporter une illustration originale, et d'autre part on joint souvent des illustrations signées, ou des états et des suites de gravures. Une comparaison des prix montre que la présence de ces illustrations originales et de leurs états est plus déterminante qu'un envoi autographe, car ceux-ci sont très fréquents dans la période contemporaine : on se souvient que les illustrations jouent souvent un rôle plus important que le texte même de l'oeuvre (contrairement au cas par exemple des reprints).

    Venons-en maintenant au dernier élément qui entraîne une montée importante des prix. Il est lié d'une part à de grands noms : Rose Adler, Marius-Michel Devauchelle, etc. et d'autre part aux matériaux utilisés : il s'agit de la reliure. Comme dans les reliures anciennes, le maroquin et le chagrin sont les cuirs les plus précieux, et sont appréciés aux dix-neuvième et vingtième siècles, même en reliure janséniste ou en demi-reliure : c'est que la plupart des éditeurs publient des ouvrages brochés ou cartonnés, souvent même les éditions originales. Citons par exemple la Poétique de Gide, édition originale petit in-12 broché de 1947, ou l'édition de 1948-1950 des oeuvres complètes de Colette, quinze volumes grand in-8 brochés, vendue 1.350 F en 1969. Le maroquin est aussi le cuir le plus utilisé par les grands relieurs, qui se servent souvent de ses différents coloris pour faire de la « marquetterie », comme Charles Meunier dans Les Fleurs du Mal, 1900 ; Rose Adler a relié La Voix humaine de Cocteau à l'aide de plusieurs cuirs : veau blanc, veau noir, maroquin vert, daim blanc et vert amande. Les Chansons de Bilitis de P. Louys ont été reliées par Creuzevault pour l'édition de 1927 en plein maroquin saumon où s'encastre une plaque d'argent sculptée par Ary Bitter. Ces trois oeuvres se sont vendues respectivement 2.500 F, 2.000 F et 2.600 F en 1968. Il faut encore noter certains types de reliure particuliers, assez fréquents dans les recherches modernes : matériaux divers - bois, verre, étoffe, etc. - ou formes insolites.

    On voit que les prix des exemplaires vendus aux enchères sont soumis à des influences extrêmement complexes, et il est bien difficile de déterminer quelles sont les plus importantes.

    De l'étude des prix, nous pouvons conclure que les bibliophiles exigent des ouvrages qui soient RARES (tirages, papiers...) et BEAUX (illustrations, reliures). L'importance du texte et sa valeur littéraire n'entrent qu'ensuite en ligne de compte, derrière un autre élément qu'on ne peut négliger : le prestige des auteurs. D'ailleurs, les titres des catalogues sont suggestifs quant à cette suprématie du rare et du beau : « Beaux livres illustrés ». « Livres et reliures de toute beauté », « Précieux autographes et éditions originales »... Les catalogues de ventes publiques de livres, quoique de nature très différentes, permettent une approche sur la composition de la bibliothèque d'un bibliophile contemporain, mais ils permettent aussi de déceler ce qui se vend sur le « marché du beau livre ». A travers eux il est également possible de déterminer le cours des livres. Rétrospectivement, ils peuvent servir à l'historien aussi bien qu'à l'économiste qu'à celui qui étudie les idées ou la nature de la production. Rétrospectivement encore, ils indiquent aux libraires et aux experts ce qui s'est vendu autrefois. C'est ainsi, qu'entre autres moyens, ceux-ci peuvent déterminer la rareté d'un ouvrage.

    *. Cette étude est limitée aux ventes aux enchères effectuées à l'Hôtel Drouot pendant les années 1967, 1968 et 1969. retour au texte