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    Les petits documents topographiques

    Par Lucie Lagarde, Conservateur au Département des cartes et plans

    L'an dernier, Madame Colmaire a exposé le fonctionnement du Service des Recueils ; elle a attiré l'attention sur les publications mineures que traite ce Service du Département des entrées de la Bibliothèque nationale, et qui sont ensuite conservées et communiquées par le Départe-ment des imprimés. On sera donc surpris d'apprendre que d'autres documents qui leur ressemblent comme des frères sont réunis et conservés au Département des cartes et plans. C'est que ceux-ci sont des documents qui comprennent un élément topographique sous des aspects d'ailleurs variés : plans ou cartes, parfois très fantaisistes, encartés ou non dans des courtes brochures, bandes dépliantes formant itinéraire etc. Tous ces documents sont évidemment des documents d'importance secondaire. Aussi faut-il bien convenir qu'ils ont été souvent « traités en parents pauvres». On tend actuellement à réparer cette négligence.

    Nos collègues ayant déjà développé les problèmes propres à ces publications dans leurs services, il ne sera question ici que de celles qui sont conservées au Département des cartes et plans.

    Ces publications posent aux bibliothécaires des problèmes à tous les points de vue. D'abord pour les définir physiquement. Comment se distinguent-elles dans leur présentation ? Ce sont en général des borchures où le texte est intimement lié à la carte ou au plan qu'elles contiennent, des prospectus ou des dépliants qui consistent en un plan ou une carte au verso duquel sont imprimés un texte ou des illustrations publicitaires. Publicitaires : voilà justement leur caractéristique principale, et par conséquent ces documents sont presque toujours diffusés gratuitement. Ils sont publiés pour la plupart par des collectivités : municipalités, services de tourisme, SNCF, RATP, syndicats d'initiative ; paroisses, associations de commerçants, Touring-Club, agences de voyage, compagnies d'aviation, compagnies pétrolières, banques etc...

    Autre problème difficile que ces documents posent: il s'agit de cerner ce qualificatif de « petits » ou « secondaires » qui les relègue dans une catégorie où ils subissent un « traitement» particulier et sommaire. C'est que leur contenu cartographique est borné à l'essentiel : suivant les cas, leur échelle approximative peut être très grande pour des plans ou très petite pour des cartes, ce qui paraît à première vue paradoxal. Ils manquent toujours de rigueur scientifique : les proportions sont faussées et parfois même cette distortion est voulue pour attirer l'attention sur un point particulier. En dépit de ces défauts, il peut arriver qu'ils soient les seuls documents que l'on puisse se procurer pour une certaine époque, ou pour certaines régions. Dans ce cas limite, on les intègre au fonds général, et ils font l'objet d'un catalogage complet : par exemple mieux vaut une carte de publicité touristique d'Albanie que pas de carte d'Albanie. Il existe aussi des séries publicitaires sur un support cartographique scientifique : ainsi les très intéressantes cartes des Editions géographiques professionnelles, les cartes de départements offertes par les banques, les compagnies pétrolières ou certains services officiels de tourisme. Signalons également le cas des cartes américaines : la plupart des plans de villes, des cartes routières et touristiques des Etats-Unis servent de supports aux renseignements publicitaires qui sont fournis au verso ; ils sont offerts gracieusement par les services d'autoroutes, les chambres de commerce, les villes, les Etats, les compagnies pétrolières etc. Il y a donc un critère de choix à exercer et ce critère est fluctuant suivant les circonstances et suivant l'analyse interne des documents eux-mêmes.

    Troisième problème posé par ces documents : ils se multiplient et en même temps ils sont difficiles à repérer et à obtenir. Plusieurs facteurs sont responsables de leur prolifération : le développement de la publicité, la floraison des associations et des sociétés, l'importance croissante des migrations de population temporaires (tourisme) ou définitives (mobilité de la population, urbanisation, immigration). Peut-être est-ce cet afflux même qui a fini par faire question au bibliothécaire. On sait que tous les documents imprimés sont soumis au Dépôt légal. La Bibliothèque nationale en reçoit un grand nombre, mais un nombre bien inférieur cependant à la quantité de ce qui s'imprime dans ce domaine. Du fait de leur diffusion gratuite, il est difficile de les repérer. Les imprimeurs sont multiples et dispersés ; certains ignorent l'existence du Dépôt légal. Cette tâche de repérage sur le plan national paraît disproportionnée par rapport aux moyens effectifs et aux résultats escomptés.

    Quatrième problème : une fois arrivés, non sans peine, jusqu'à la bibliothèque, comment les orienter ? On constate qu'à la Bibliothèque nationale, ils sont éparpillés. On en trouve aux Imprimés (Histoire de France, Recueils), aux Périodiques, aux Estampes, aux Cartes et Plans. En province, ils sont sans doute mieux dépistés et regroupés dans des fonds d'histoire locale.

    Ces documents posent un cinquième problème - bibliothéconomique cette fois - de conservation, de catalogage et de communication. Comme l'a dit Mme Colmaire, les principes et les applications ont varié dans le temps. Actuellement, au Département des cartes et plans, on les conserve dans des boîtes de recueils factices dans lesquels ils sont classés alphabétiquement par pays et par ordre d'entrée sous une cote générale. Le catalogage est très allégé : une seule fiche géographique par pays renvoyant à la cote générale. On communique au lecteur une boîte entière dans laquelle il doit chercher son bien.

    Dernière difficulté : pourquoi rechercher ces documents? A quoi servent-ils ? Il faut rappeler que la Bibliothèque nationale a un rôle particulier à jouer : elle doit d'une part conserver la trace de tout ce qui se publie en France. Elle doit être aussi attentive à la protection du droit d'auteur, qui pourrait être violé par les éditeurs publicitaires : le Département des cartes et plans a été témoin d'un cas de contrefaçon de plan sans autorisation. La multiplication actuelle de ces documents prouve sans doute qu'ils répondent à un besoin réel ou provoqué. Mais leur utilisa-tion rapide et éphémère ne se fait pas en bibliothèque. Au contraire, l'intérêt qu'ils présentent en bibliothèque est à long terme et consiste dans une étude comparée de longues séries. On a perçu depuis peu l'intérêt que présentent les cartes postales. De même à notre époque où l'on se penche sur l'histoire économique ou sur l'histoire des mentalités, ces documents topographiques dédaignés peuvent apporter des indices précieux sur toute l'histoire d'une population. La localisation de ces indices sur le plan ou la carte est significative. Par exemple, sur un plan on peut remarquer la continuité familiale de certains commerces, le glissement des commerces d'un quartier à un autre, le desserrement ou le resserrement religieux ; sur des cartes publicitaires se reflètent l'activité et le dynamisme économique d'une région ou l'importance de la population grâce à l'implantation des banques ou aux lignes de transport. L'utilisation de ces documents nécessite évidemment la comparaison avec le document topographique scientifique pour opérer les vérifications nécessaires et les insérer dans un contexte plus large.

    Ainsi il semble que les bibliothécaires soient appelés à la vigilance vis-à-vis de ces petits documents topographiques. Ils exercent la patience du bibliothécaire, mais ils exigeraient encore de lui une vocation de coursier pour aller piller à la source les organismes éditeurs et les imprimeurs... course au trésor bien caché dans ces documents. Aussi est-ce surtout sur le plan local - à Paris pour la Bibliothèque nationale et pour la Bibliothèque historique de la Ville de Paris - que l'on peut agir en ce sens. Il y a là une oeuvre collective à réaliser avec les collègues des bibliothèques de province habilitées au Dépôt légal ; ils incluent sans doute ces documents dans leurs collections locales et peuvent transmettre un second exemplaire à la Bibliothèque nationale. Quant à celle-ci, elle pourrait envisager un regroupement ou une redistribution plus harmonieuse de ces documents dans ses divers services.