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    Les factums à la Bibliothèque nationale

    Par Nicole Coisel, Conservateur au Département des imprimés

    Tout le monde connaît - peu ou prou - les factums de Furetière contre l'Académie, qui sont en fait des épigrammes, des pamphlets.

    Dans ce court exposé, nous parlerons des factums conservés à la Bibliothèque nationale, c'est-à-dire des factums judiciaires.

    La définition la plus simple est « exposé des faits rédigé à l'occasion d'une instance judiciaire ». Il ne s'agit pas d'une pièce de procédure mais d'un « mémoire » destiné à être diffusé dans le public. Si le factum ressemble à une pièce de procédure, c'est que la plupart du temps le mémoire vise à défendre le bon droit d'une personne qui a été attaquée, qui, donc, rappelle les faits (d'où le nom de « factum ») et présente les arguments de son bon droit.

    L'intérêt des factums provient de cet exposé des faits avec un rappel de la procédure et, surtout, une présentation des pièces justificatives : titres de propriété, origine des biens, généalogie pour les successions ; la propriété des titres de noblesse, description des procédés de fabrication (en cas de contrefaçon), etc...

    Quel est l'état des collections à la Bibliothèque nationale et quels sont les moyens d'y accéder ?

    On trouve des factums, et au Département des manuscrits, et au Département des imprimés. Pour plus de détails, nous renvoyons à notre article paru dans le Bulletin des bibliothèques de France de septembre-octobre 1974 ; mais nous pouvons dire que s'il y a des factums dans certaines collections des Manuscrits (Clairambault, Delamare, Joly de Fleury, etc...), la majorité des factums se trouve au Département des imprimés. A la Réserve des imprimés se trouvent les 60 000 factums du fonds Morel de Thoisy (antérieurs à 1725) ; mais l'essentiel des factums du XIX e siècle se trouve aux Imprimés dans la série F. Cette série représente près de 70 000 pièces, dont, au moins, 50 000 sont postérieures à 1790.

    Pour les factums antérieurs à 1790, nous avons le «Catalogue des factums et d'autres documents judiciaires antérieurs à 1790 », rédigé par Corda, continué par Trudon des Ormes, de 1890 à 1936. Ce catalogue comprend 7 volumes de notices et 3 volumes de tables des parties en présence; mais il n'y a ni table des matières, ni table d'auteurs.

    Pour les factums postérieurs à 1790, nous n'avons pratiquement rien pour y accéder. Quelques vieilles fiches d'anonymes (type XIXe siècle : fiches verticales, rédigées à la plume) faites au premier mot du titre ont été « reconverties » pendant la dernière guerre au nom de la « partie » pour laquelle était rédigé le factum. Outre le fait qu'il n'y a que 20 % environ de fiches « reconverties », celles-ci sont peu utilisables : pas de prénom, pas de date, jamais le nombre de pages (pas plus que dans Corda).

    Pour éviter ces inconvénients majeurs, il convient de procéder autrement pour le catalogage de tous ces factums postérieurs à 1790, pour lesquels - en 1890 - Léopold Delisle espérait trouver quelqu'un.

    Pour de grandes précisions sur ce catalogage, nous renvoyons à notre article du Bulletin des bibliothèques de France cité plus haut ; il convient seulement de dire qu'il faut avant tout faire toutes les opérations en une seule fois pour éviter un travail inutilisable ou inachevé et, pour ceci, faire apparaître tous les éléments d'intérêt pour les chercheurs : parties en présence, auteurs et mot-matière. Il faut aussi regrouper toutes les pièces d'une même affaire sous une seule vedette, qui est, en règle générale, le requérant en 1 re instance ; et ceci, bien que, le plus souvent, les factums n'apparaissent qu'au 2e degré de la procédure, c'est-à-dire en appel. Pour les personnes, il faut absolument trouver les prénoms ; sinon il faut apporter des précisions de lieux d'habita-tion, de professions.

    Dans la table des parties (seulement, hélas !) faite par Trudon des Ormes parue entre 1921 et 1936, il y a 85 000 noms. Dans la future table des factums après 1790, il y en aura bien davantage.

    Il faut dater le plus possible les factums ; il y a des affaires pour lesquelles il y a plus de vingt, trente mémoires ; il y en a plus de vingt-cinq pour le baromètre anéroïde. En datant, on permet d'avoir une chronologie de la procédure ; il est presque toujours possible de trouver une date.

    Autre inconvénient à ne pas reproduire : il convient d'indiquer la pagination. Le terme de pièce - qui a sans doute permis de qualifier ces publications de mineures - évitait de mettre la pagination. Or, il n'est pas rare de trouver dans les factums du XIXe siècle des pièces de 80- 100-120 pages et même davantage. La pagination est un aspect de leur importance.

    Car, avant de terminer sur l'intérêt des factums pour l'histoire du XIXe siècle et du début du XXe siècle, nous voulons dire combien les factums du XIXe siècle sont différents de ceux des XVIIe et XVIIIe siècles.

    Dans ces deux derniers siècles, les factums sont très beaux, matériellement; certains bandeaux sont magnifiques. Mais le contenu est déprimant; il ne s'agit que de contentieux de préséance, de banc d'église pour la noblesse, de bénéfices, de dîmes pour les religieux. Après la Révolution, avec l'apparition du Code civil (1804), puis des Codes qui ont suivi : Procédure pénale de commerce, etc..., avec le progrès technique (machinisme, exploitation du sous-sol, brevets), avec l'accès de tous aux tribunaux, l'évolution de la notion de responsabilité (art. 1382 et 1384 C. civil), le genre des factums change complètement. Ils sont d'abord, souvent, plus « copieux » ; mais aussi très révélateurs de la société.

    On plaide pour tout, de la naissance à la mort. Le contentieux foncier - si bien réglementé dans le Code civil - fait apparaître tous les problèmes soulevés par la vente des biens nationaux, le retour des émigrés. La verrerie a été vendue sans les bois dont la coupe assurait le chauffage ; la ferme a été vendue au fermier, le fils de l'émigré, de retour en France, fait un procès à propos d'un fossé mitoyen. Tous les titres de propriété sont exposés dans les factums; ces pièces justificatives sont des titres authentiques, l'adversaire pouvant les contredire dans une pièce opposée.

    Tous les factums suscités par des expropriations nous apportent des précisions utiles sur les maisons détruites (parfois les plans), le chiffre d'affaires des commerces. Nous savons ainsi combien un coqueleur vendait de poulets, combien il les payait et les revendait, où il se les procurait. Il n'y avait pas de taxe sur le chiffre d'affaires au XIXe siècle, et, en ce qui concerne Paris, les archives de la ville ont brûlé pendant la Commune. Un pâtissier exproprié nous donne le plan de son four, le nom des petits gâteaux, la quantité fabriquée.

    L'aménagement des villes : ponts, routes, voies de chemin de fer, canaux, nous apporte des précisions très intéressantes sur le prix de location d'un cheval, le prix d'un m 3 de gravier, les plans des monuments. Nous exportions nos cerveaux et nous avons installé le gaz à Athènes, où un Te Deum fut chanté vantant le génie français :

    • «L'industrie, ainsi qu'une reine, Vient de pénétrer dans Athènes Pour tracer un sillon profond. »

    Les brevets d'invention ont donné lieu à des multiples procès et nous donnent de précieuses indications sur les tissages, les hauts-fourneaux, les mines. La notion de responsabilité va se développer au cours du XIXe siècle. On trouve parmi les factums le premier accident de voiture, le premier accident de chemin de fer. Outre les renseignements techniques qu'ils donnent, ies factums révèlent une société très pertubée par les changements de régime politique, le développement du machinisme. Les mémoires de femmes osant demander une séparation nous révèlent la vie des couples (Flora Tristan), la consistance des biens (George Sand).

    Les « nouveaux philosophes », les « nouveaux historiens » s'intéressent beaucoup à l'aspect « social » des factums. Le « Moi, Pierre Rivière,... » édité par Michel Foucault est un factum ; bien des dramatiques de la télévision sont inspirées par des factums criminels. Il nous faut dire un dernier mot de ces factums qui sont très proches des canards ; ils ont été mis parmi les factums conservés au Département des imprimés car, comptes rendus d'assises, ils commencent par « un exposé des faits » et se terminent par une complainte encourageant les jeunes gens à ne pas commettre de tels méfaits.

    Arrive-t-il encore des factums en cette fin du XXe siècle ? Très peu ; depuis 1942, il n'en est arrivé que 89. Le dernier concernait le barrage de Malpasset.

    L'intérêt des factums ne peut apparaître que par un catalogage bien fait; celui-ci reste à faire. Lorsqu'il sera terminé - et pour cela il faudra mettre plusieurs bibliothécaires sur ce travail - on pourra dire, comme Léopold Delisle le disait pour les factums antérieurs à 1790, que la société du XIXe siècle défilera sous nos yeux.