Index des revues

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    Le dépôt légal des périodiques

    Par Monique Lambert, Chef du Service du Dépôt légal des Périodiques

    Chacun sait que l'une des missions essentielles de la Bibliothèque nationale, mission qui la distingue, de toutes les autres catégories de bibliothèques, a toujours été de recevoir et de conserver l'ensemble de la production nationale. C'est grâce à l'instauration du Dépôt légal par François Ier dès 1537 que la Bibliothèque royale, puis impériale, et enfin nationale, s'est enrichie au fil des siècles d'une des plus importantes collections mondiales de documents de toute nature.

    Inutile de rappeler que le premier périodique français connu est la célèbre Gazette lancée le 30 mai 1631 par Théophraste Renaudot ; que le Journal des savants publié dès 1665 paraît encore de nos jours; que la fin du XVIIe siècle voit la création de nombreuses feuilles; que la Révolution, en apportant la liberté d'expression, donne à la presse un essor sans précédent aussitôt freiné par l'Empire puis la Monarchie de Juillet. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour assister à la naissance des premières revues et des premiers illustrés : la Revue des Deux-Mondes en 1829, le Magasin pittoresque en 1833 et l'Illustration en 1843. C'est la fameuse loi du 29 juillet 1881 qui apporte enfin à la presse la liberté à laquelle elle aspire depuis tant d'années. A la fin du XIXe siècle, le tirage et la diffusion des journaux et revues augmentent considérablement (1) . C'est le début de l'extraordinaire essor des publications périodiques dont le nombre passe d'une centaine au début du siècle à quelques milliers à la fin du même siècle, puis grandit rapidement pour atteindre 15 000 titres vers 1950, et près de 30 000 titres « vivants » en 1978.

    Le Dépôt légal est actuellement régi par la loi du 21 juin 1943, modifiée et complétée notamment par les décrets du 21 novembre 1960 et du 16 janvier 1962. Sont soumises au Dépôt légal toutes les publications périodiques imprimées ou reproduites par un procédé graphique quelconque (impression, multigraphie, reprographie, etc...). Ce dépôt doit être effectué à chaque parution, avant mise en vente ou distribution. L'éditeur doit déposer quatre exemplaires, de chaque numéro à la Bibliothèque nationale (Département des périodiques, Régie du Dépôt légal) et un exemplaire soit au Ministère de l'intérieur (Régie du Dépôt légal) lorsqu'il s'agit d'une publication éditée à Paris soit à la préfecture du département, lorsque la publication est éditée hors Paris. De son côté l'imprimeur doit faire parvenir deux exemplaires directement à la Bibliothèque nationale, si ses ateliers sont situés à Paris ou dans les Départements voisins (2) : Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d'Oise, Yvelines, et Seine-et-Marne. Si ses ateliers sont situés en province, l'imprimeur effectue le dépôt, toujours en deux exemplaires, à l'une des 19 bibliothèques municipales habilitées: Amiens, Angers, Besançon, Bordeaux, Châlons-sur-Marne, Clermont-Ferrand, Dijon, Lille, Limoges, Lyon, Marseille, Mont-pellier, Nancy, Orléans, Poitiers, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse ; la bibliothèque municipale transmet à la Bibliothèque nationale l'un des deux exemplaires déposés. Les dépôts « croi-sés » éditeur-imprimeur sont indispensables pour permettre un meilleur contrôle de l'arrivée des fascicules. Indépendamment de ces dépôts, les éditeurs de journaux et de périodiques sont également astreints aux dépôts administratif et judiciaire (lois du 29 juillet 1881 et du 31 décem-bre 1945), et à un dépôt spécial (loi du 16 juillet 1949) pour les publications destinées à la jeunesse.

    Le Service du Dépôt légal du Département des périodiques reçoit en moyenne 1 600 000 fas-cicules par an. Chaque jour, ce sont quelque 6800 exemplaires qui doivent être reçus, triés, estampillés, pointés, réclamés, ventilés. Pour faire face à cette masse énorme de documents qui l'envahit jour après jour, le Service doit travailler « à la chaîne », s'astreignant sans cesse à observer rigueur et méthode à toutes les étapes du traitement. Les périodiques non traités la veille (par manque de personnel ou de temps) se retrouveront inéluctablement le lendemain, grossis de l'apport quotidien du dépôt légal de la journée. Tout retard prend immédiatement des proportions dont les conséquences, si l'on n'y prenait garde à tout instant, pourraient devenir quasiment insurmontables dans un délai très court.

    C'est dans la Salle de Tri qu'arrivent, chaque jour, journaux quotidiens et hebdomadaires, revues, bulletins, annuaires et publications de toute nature, y compris les plus modestes, édités et imprimés en France métropolitaine ainsi que dans les Départements et Territoires d'Outre-Mer (3) . Ce courrier quotidien est divisé en plusieurs catégories (quotidiens, hebdomadaires, revues, etc...) déterminées dès la réception, c'est-à-dire dès l'ouverture de la bande, du paquet ou de l'enveloppe. Une fois terminé le dépouillement du courrier, les fascicules de chaque catégorie sont ensuite classés dans l'ordre exact des titres, tous les exemplaires d'un même numéro restant groupés. Deux de ces exemplaires reçoivent le cachet du Dépôt légal et sont datés au jour de leur réception. Ainsi préparé et classé, le courrier est mis dans des chariots à bacs ou à classeurs, et dirigé vers la salle de pointage, dite salle de bulletinage.

    C'est le système Forindex qui est utilisé pour le bulletinage, c'est-à-dire pour l'enregistre-ment de tous les exemplaires déposés d'un même numéro. Trois sortes de fiches de bulletinage sont utilisées : mensuelle (pouvant servir également pour d'autres périodicités), hebdomadaire et quotidienne. Des fiches de renvois d'un titre à un autre service de la Bibliothèque nationale (Publications officielles, Recueils etc.) figurent aussi dans ce fichier. Chaque fiche de bulletinage comporte tous les éléments nécessaires à l'identification et à la gestion du périodique: titre, sous-titre, périodicité (si elle est connue) afin de faciliter le contrôle du dépôt légal et les réclamations ; nom et adresse complète de l'éditeur, suivis du numéro de téléphone pour ceux qui résident à Paris et dans la région parisienne (il ne faut pas oublier, à ce propos, qu'au moins 85 % des éditeurs de périodiques ne sont pas des professionnels et sont par conséquent difficiles à joindre) ; enfin, le nom de l'imprimeur et la ville d'impression (si le siège de l'imprimerie est situé à Paris et dans les départements voisins, l'adresse exacte est précisée pour permettre de gérer ces dépôts dont la Bibliothèque nationale a la responsabilité directe). La partie gauche de la fiche de bulletinage est réservée à l'inscription de la correspondance échangée avec l'éditeur ; les mentions de filiation (c'est-à-dire titre précédent, fusion, etc...) y sont également reportées. En cas de changement de titre, de cessation de parution, etc., ces indications figurent sur la fiche en son milieu. L'orientation des fascicules et la cote attribuée à la publication complétent l'équipement de la fiche. Le dépôt d'éditeur est symbolisé par quatre points rouges et celui d'imprimeur par un ou deux points bleus (selon le siège de l'imprimerie). Deux exemplaires est ampillés sont conservés : l'un destiné à la conservation, l'autre à la communication immédiate. Les autres exemplai-res sont attribués au Centre national des échanges (répartition dans d'autres bibliothèques françaises ; échange avec les bibliothèques étrangères). Les journaux de Paris et les revues les plus importantes sont reliés et conservés dans les magasins de Paris. Les journaux de province et les autres revues sont conservés en cartons ou en pochettes dans les magasins de l'Annexe de Versailles (cotes « J.O. »). Au moment de la mise en place définitive de l'exemplaire de conservation dans les magasins de Paris ou de Versailles, le double de communication est alors attribué au Centre national de Prêt qui dispose ainsi d'environ 3 000 collections (complètes depuis 1945) de publications périodiques qui peuvent être prêtées sur leur demande aux lecteurs français et étrangers.

    Le contrôle quotidien du Dépôt légal doit être permanent pour que les collections soient complètes et homogènes. Les réclamations constituent un système complexe et minutieux, étroitement lié au bulletinage ; elles doivent être faites très rapidement (le jour même pour les quotidiens et les bi-quotidiens) pour être efficaces. De ce fait, le contrôle se situe à deux niveaux : d'une part au moment du bulletinage, réclamation des numéros précédents non déposés ou éventuellement d'exemplaires complémentaires ; d'autre part, révision générale et permanente de l'ensemble du fichier pour étudier le cas des publications périodiques dont le dépôt, aussi bien d'éditeur que d'imprimeur, a cessé de parvenir à la Bibliothèque nationale. Toute la correspon-dance (cartes de réclamation, circulaires et lettres envoyées ; réponses reçues) est inscrite sur la fiche de bulletinage. Les disparitions sont notées sur ces fiches et transmises aux Echanges et au Prêt pour faciliter leur propre gestion. Depuis plusieurs années, le Service du Dépôt légal des Périodiques s'efforce d'augmenter le volume des réclamations adressées aux éditeurs de revues et journaux, notamment par la poursuite régulière de la révision du fichier de bulletinage. C'est ainsi que 5 342 réclamations ont pû être envoyées en 1973, 5 903 en 1974, 6 281 en 1975, 6 333 en 1976, 6 187 en 1977. En 1978, les statistiques s'établissent à: 6 864 réclamations envoyées; 5 165 réponses reçues, 436 cessations de parution et 1 025 suspensions. La moyenne des récla-mations est donc de l'ordre d'environ 550 chaque mois (4) . La tâche est rendue difficile par le fait, répétons-le, que près de 85 % des éditeurs de publications périodiques ne sont pas des éditeurs professionnels. Ce sont des responsables de bulletins ou journaux, parfois très modestes (une page ou deux multigraphiées), édités par des groupements et associations de toute nature, dont le siège social varie souvent (au grè du changement de responsable ou de ses déménagements successifs) et qu'il est parfois difficile, et en tous cas toujours long, de retrouver.

    C'est également au niveau du bulletinage que sont détectées les publications nouvelles ou ayant changé de titres. A la différence, en effet, des autres bibliothèques, qui, la plupart du temps, connaissent les nouvelles publications qu'elles vont recevoir pour les avoir demandées, le Service du Dépôt légal des Périodiques ne sait pour ainsi dire jamais à l'avance les nouveaux titres qui vont être déposés. Ceux-ci sont orientés vers le Centre bibliographique national (C.B.N.) qui rédige le Supplément I - Publications en série de la Bibliographie de la France et attribue le numéro international normalisé de huit chiffres ISSN qui identifie le titre de toute publication en série éditée. En 1978, 1 999 périodiques nouveaux (numéros I) ont été déposés ; 3 166 changements de titres et « recherches » ont été examinés. L'accroissement annuel du fichier de bulleti-nage peut donc être estimé à plus de 5 000 fiches nouvelles insérées. Ce fichier n'étant pas extensible à l'infini, il convient donc d'enlever périodiquement les fiches des publications ayant cessé de paraître ou ayant changé de titre ; celles-ci sont préparées et intercalées dans le fichier dit des « Morts du bulletinage », qui rend quantité de services.

    Cette masse énorme et extrêmement mouvante de périodiques reçus, conservés, et com-muniqués par le Département des périodiques de la Bibliothèque nationale constitue le fonds de périodiques le plus important de France et l'un des plus riches du monde. Il offre une source inépuisable d'études pour les nombreux chercheurs qui l'exploitent chaque jour sous ses divers aspects: presse quotidienne de Paris et des départements; hebdomadaires d'information; magazines féminins et familiaux ; presse enfantine et publications pour la jeunesse ; périodiques religieux, économiques, politiques, syndicaux, professionnels, techniques, industriels, commerciaux, sportifs et de loisirs, agricoles; publications pédagogiques et artistiques; revues de mathématiques, de physique, de sciences naturelles, de médecine, de droit, de philosophie, d'histoire et de géographie, de littérature (5) . Chaque journal, chaque modeste bulletin crée le plus souvent pour répondre aux besoins d'information de telle association ou groupement, peut être considérée comme le vivant témoignage des activités et des problèmes de chaque collecti-vité. La création d'une publication est aujourd'hui, et à toujours été par le passé (presse révolutionnaire par exemple) très étroitement liée à la vie contemporaine et aux préoccupations de tous les jours (6) .

    L'un des rôles essentiels du périodique est de suivre l'actualité présente ou passée, de la faire toucher du doigt, et parfois même de la susciter.

    1. Voir l'article du même auteur « Le Dépôt légal des publications périodiques à la Bibliothèque nationale » paru dans le n° 2, juin 1977, du Bulletin de la Bibliothèque nationale, p. 67-72. retour au texte

    2. Ceci à titre provisoire, en attendant la mise en place des nouvelles structures correspondant aux nouveaux départements de la région parisienne. retour au texte

    3. Voir article du même auteur « Presse et revues contemporaines dans les D.O.M.-T.O.M. » paru dans le n° 3, décembre 1976, du Bulletin de la Bibliothèque nationale, p. 114-122. retour au texte

    4. L'automatisation du bulletinage et des réclamations en liaison avec celle du Supplément I, permettrait d'assurer de manière plus systématique et plus rapide une meilleure gestion des publications périodiques. Mais sa mise en place pose de multiples problèmes qui n'ont pas encore été résolus de manière satisfaisante, ni en France ni à l'étranger. retour au texte

    5. L'ensemble des périodiques reçus et conservés à la Bibliothèque nationale est recensé dans deux répertoires systématiques : le Répertoire de la presse et des publications périodiques françaises (1re édition, 1958 ; 6e édition en cours de préparation) et le Répertoire national des annuaires français (1re édition, 1958-1968; supplément 1969-1971 ; 2e édition actuellement à l'étude). retour au texte

    6. Voir les articles que nous avons déjà précédemment publiés sur ce sujet : « L'Essor des bulletins officiels municipaux », dans la Revue administrative, n° III, mai-juin 1966, p. 323-327 ; « La Presse périodique bourguignonne » dans Revue de l'économie du Centre-Est, n° 41-42, juillet-décembre 1968, p. 41-53 « Du Recueil des actes administratifs à l'information des maires » dans La Revue administrative, n° 129, mai-juin 1969, p. 363-369; « Connaissance de la France contemporaine », dans Espace 90, n° 7, novembre-décembre 1969, p. 15. retour au texte