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Le futur centre de coopération des bibliothèques publiques de Massy

1985
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    Le futur centre de coopération des bibliothèques publiques de Massy

    Par Jean Goasguen, directeur du centre national de coopération des bibliothèques publiques.

    La création d'une structure nationale de services et de coopération était une des mesures d'accompagnement recommandées par le rapport Décentralisation et bibliothèques (1) . Sous une appellation quelconque (agence, centre, etc.), et dans une configuration administrative à définir (association subventionnée, établissement public, etc.), cette structure était envisagée de toute façon comme complémentaire d'autres organismes existants ou à créer : d'une part, les structures régionales de coopération, d'autre part, le conseil national des bibliothèques.

    Dans l'esprit des rédacteurs du rapport, ces différents organismes constituaient autant d'instruments ayant chacun sa propre partition, mais devant jouer ensemble la grande symphonie de la décentralisation.

    Décentralisation et coopération.

    Certains ont pu ou pourront apercevoir ici quelque projet platonicien de république des bibliothèques dont l'idéalisme et l'idéologisme leur apparaîtront impardonnables ; ils seront évidemment en droit, selon leur caractère et complexion, d'en sourire poliment ou d'en rire impoliment. Il reste que les projets de services régionaux de bibliothèques et de conseil national des bibliothèques ne sont, en aucune façon, des constructions abstraites. Le rapport Yyert n'a fait, ici, que reprendre des propositions souvent fort anciennes, élaborées par la profession elle-même, par la «base» - et, en particulier, par l'A.B.F. (2) .Ces organismes sont bel et bien ressentis comme indispensables depuis fort longtemps, et plus que jamais maintenant.

    Si le conseil national des bibliothèques reste toujours à l'état de voeu, il n'en est pas de même des centres régionaux de coopération. Depuis environ deux ans, pour employer une expression à la mode, ils commencent à «émerger» (3) . Ce ne sont encore que projets, il faut bien le dire, portés et poussés par les bibliothécaires et les chargés de mission pour le livre, et auxquels certains élus commencent à s'intéresser (pour la plupart assez distraitement).

    Le partenaire le plus engagé dans cette affaire c'est, de toute évidence, la direction du livre, qui a fait de la coopération une de ses priorités. Elle a donc, fort logiquement, consacré des crédits importants à cette action. En 1984, 1035000 francs ont été distribués à six projets régionaux; en 1985, ce budget devrait être sensiblement augmenté, ainsi que le nombre de bénéficiaires.

    Nombreux sont les bibliothécaires qui pensent, comme la direction du livre, que les organismes régionaux auront un rôle essentiel à jouer dans le développement futur des bibliothèques. Ceux-là estiment que les régions (4) auront à prendre très largement le relais de l'État, en tant qu'organismes d'incitation, de lancement, de promotion, de coordination, d'évaluation (ce qui peut impliquer aussi la mise en place et la gestion d'établissements pilotes, comme l'État l'avait fait à Massy, à Clamart, à la B.P.I...). Sans cela - sans les mécanismes d'incitation, surtout -, l'avenir n'est guère assuré, le pari de la décentralisation semble un peu perdu d'avance.

    Ceux qui croient ainsi au rôle déterminant des régions dans la définition et la mise en oeuvre des futures politiques de lecture publique et de documentation, ceux-là ne sont pas persuadés pour autant que les assemblées régionales vont s'enthousiasmer pour la coopération entre bibliothèques et en faire une de leurs priorités d'action culturelle. Il est vrai que sept ou huit régions subventionnent actuellement de tels projets. Mais il est non moins vrai que la plupart des projets sont le résultat de l'action volontariste de l'État (lequel a utilisé et conjugué deux armes efficaces : l'incitation financière et le dynamisme des chargés de mission pour le ivre) (5)

    L'État et la coopération.

    Cette incertitude plaide pour que l'État, après janvier 1986, conserve des responsabilités en matière de coopération, soutenues par des moyens spécifiques. Mais, même dans une vision très optimiste des choses (toutes les régions se dotant de services de coopération très musclés), le partage des compétences dans ce domaine est imposé par l'immensité du champ de la coopération où presque tout est encore à faire (alors que les moyens de chaque collectivité seront de plus en plus mesurés).

    Bien avant le rapport Yvert (dont tout un chapitre est, en quelque sorte, l'équivalent d'un «code de la coopération »), la direction du livre avait mis en route des actions nombreuses, importantes et variées, toutes très profitables aux bibliothèques publiques: catalogues collectifs (manuscrits, incunables...) ; informatisation (aide technique et financière, élaboration d'un logiciel); formation ; patrimoine (subventions d'entretien, de restauration; dotations en matériel; campagnes de microfilmage ; acquisitions d'ouvrages rares...) ; audio-visuel (aide technique et financière, vidéothèque de prêt); etc. Toutes ces actions peuvent être déjà créditées de résultats tangibles, mesurables. Il est néanmoins évident pour tout le monde que tout cela est encore en phase de démarrage et comporte encore une large part d'expérimentation. Imaginons (ce qui serait dans la logique décentralisatrice la plus pure) que les moyens affectés à ces entreprises soient brusquements supprimés. La régression serait considérable.

    Il ne s'agit pas seulement de moyens financiers, mais tout autant de la mise au point des outils collectifs, des langages communs. On peut penser que le rapport Yvert exprime bien le bon sens du bibliothécaire moyen (cela existe) lorsqu'il estime que ces missions ont à être assumées de manière complémentaire par des instances régionales et par des instances nationales (ces dernières ayant au moins pour rôle indiscutable de conduire les relations internationales, dont la communauté des bibliothèques ne saurait se passer).

    Implantation du centre de coopération à Massy.

    Le centre de coopération des bibliothèques publiques est donc (ou plutôt: sera) un de ces moyens que la direction du livre a souhaité mettre en place pour rendre la décentralisation la plus efficace possible et lui donner les meilleures chances de réussite (6) .

    Faisant siennes, sur ce point précis (et, en fait, sur celui-la seulement) les propositions du rapport Yvert - lequel avait été remis au directeur du livre en juin 1984 - le ministère de la Culture a créé ce centre immédiatement après, c'est-à-dire au cours de l'été 1984. Un aspect important de cette décision, c'est d'avoir donné à ce nouvel organisme la forme d'un service de l'État, relevant de la direction du livre qui le gère directement. Simultanément, le ministère décidait d'installer le centre de coopération à Massy en opérant, à cette occasion, la reconversion de la bibliothèque publique (7) . Dès ce moment-là, la direction du livre engageait des négociations avec la ville de Massy pour lui transférer les services de lecture publique, de façon à récupérer progressivement les emplois (au nombre de trente) et les locaux (quatre mille mètres carrés) de l'établissement. Afin de faciliter l'opération, l'État proposait à la ville de lui fournir une aide exceptionnelle pour l'aménagement de nouveaux locaux et la création des emplois nécessaires. En décembre 1984 avait lieu la nomination du directeur du centre qui prenait ses fonctions en mars 1985 et qui commençait alors à se consacrer à la préparation et à la mise en route du nouveau service, dont il convient maintenant de préciser les objectifs.

    Objectifs.

    Il faut, ici encore, faire référence au rapport Yvert qui définissait ainsi ces objectifs.

    • 1. Expérimentation des normes et techniques bibliothéconomiques nouvelles, recommandées ou promues par l'administration centrale.
    • 2. Formation à ces techniques nouvelles du personnel (et, en particulier, celui des services régionaux).
    • 3. Fournir des prestations plus adéquates à réaliser sur le plan national (techniquement et économiquement). Par exemple: l'achat en nombre de notices bibliographiques d'ouvrages étrangers au profit des services régionaux; l'achat en nombre d'ouvrages en Braille édités par transcription automatique (ou de machines de transcription en Braille), etc.
    • 4. Assurer la fonction d'organisme technique chargé de fournir à l'État un certain nombre de services, particulièrement dans le domaine du patrimoine (localisation, interventions urgentes, mise en valeur...). D'autre- part, dans la période qui a suivi la création administrative du centre, le ministère a fait connaître le rôle qu'il entendait voir jouer à ce service (8) :
      • assurer le suivi de l'évolution des méthodes de travail dans les bibliothèques;
      • mener des travaux de recherche sur l'activité et l'impact des bibliothèques ;
      • collaborer avec les autres organismes du secteur de la documentation, qu'ils soient nationaux (Afnor, associations professionnelles), internationaux (Ifla) ou, bien entendu, régionaux.

    Moyens et programmation.

    Il est certain que ces objectifs ne pourront être poursuivis, encore moins atteints, tous à la fois et dès maintenant. Ils ne pourront l'être qu'au fur et à mesure de la montée en puissance du service.

    Celle-ci dépend étroitement de la reconversion de la bibliothèque de Massy, qui devrait en principe demander trois à quatre ans, et être donc achevée en 1987-88. Au terme de ce délai, les services publics devraient avoir été transférés dans un bâtiment municipal. Le centre occupera à ce moment-là tout ou partie des 4150 m2de l'actuelle bibliothèque publique. (Il y a lieu de préciser ici que lesdits services publics n'occupent actuellement que 1155 m2. Le reste des surfaces est ainsi réparti : 590 m2de bureaux et ateliers, 210 m ì de magasins, 900 m2 pour le centre de formation dont un grand amphithéâtre de 340 m2, 350 m2de garage et près de 1000 m2de circulations, dégagements, sanitaires, etc.) Dans cet espace, le centre pourra déployer alors les services suivants :

    • Service bibliographique, responsable notamment de l'administration de la base des bibliothèques publiques : 7 ou 8 agents ;
    • Service patrimonial : 6 ou 7 agents ;
    • Service formation : 5 agents;
    • Service production d'outils d'action culturelle, d'animation, de publicité, etc. : 2 ou 3 agents;
    • Service Intervention en direction des publics spécifiques : 1 ou 2 agents;
    • Services communs: 7 ou 8 agents.

    Soit au total 30 ou 31 agents, ce qui est l'effectif actuel des emplois budgétaires de Massy.

    Nous n'en sommes pas encore là, et il faut d'abord passer par une phase de préparation, qui se déroule de mars à septembre 1985. Cette période aura été très largement occupée par: des réunions de travail avec la ville de Massy (négociations sur le transfert, préparation du programme de la future bibliothèque municipale); l'étude de la programmation du centre, de la définition des'emplois et des tâches, de la mise en place des moyens ; les problèmes de recrutement, de changements d'affectation du personnel actuel... ; la formation du personnel aux nouvelles tâches.

    La phase de mise en route est prévue pour le quatrième trimestre de 1985. Elle doit comprendre les opérations suivantes:

    • Transfert de la base LIBRA de la direction du livre au centre de coopération ;
    • Mise en service d'une unité mobile de désinfection;
    • Extension des actions de formation déjà entreprises à Massy ;
    • Préfiguration des autres services.

    Pour ce démarrage, le centre de coopération bénéficie fort heureusement de toute l'infrastructure existant à Massy, et qui est très appréciable:

    • Service administratif (secrétariat, comptabilité);
    • Atelier offset, photocopieurs, etc. ;
    • Garage;
    • Personnel de gardiennage et d'entretien.

    Il trouve également dans sa corbeille de baptême un important centre de formation, lequel emploie quatre permanents et demi (2 conservateurs et demi, un bibliothécaire-adjoint, un administratif) et dispose d'une panoplie très satisfaisante de moyens : 900 m2de locaux, salles de cours, salle de conférences, bureaux, bibliothèque, matériel pédagogique...

    Riche de 4 500 volumes, de 45 périodiques et de nombreux dossiers thématiques, la bibliothèque pédagogique représente, par ailleurs, un potentiel spécialement intéressant : elle pourrait constituer le noyau d'un centre de documentation bibliothéconomique. Outre la nécessité d'un tel service pour les besoins internes du centre de coopération, son développement, en vue d'une large ouverture aux professionnels, serait certainement du plus grand intérêt, mais à condition que soit organisé l'accès à distance des documents conservés et dépouillés.

    Le centre trouvera des limites à ses ambitions si les effectifs ne dépassent pas les 30 personnes prévues. Le rapport Yvert avait arrêté à 56 personnes les effectifs nécessaires : on ne pourrait donc réaliser qu'à un peu plus de 50% le programme défini par ce rapport (il serait exclu, en particulier, de mettre sur pied les trois ateliers de restauration, désacidification et photographie, qui nécessiteraient 16 agents). En revanche, comme la surface des locaux est très supérieure au minimum défini par le rapport Yvert (lequel était de 1650 m2), on entrevoit la possibilité de certaines installations fort utiles, dans la mesure où il s'agirait seulement d'équipements et non de services consommateurs en personnel :

    • locaux de présentation et de démonstration de mobiliers et matériels ;
    • magasins pour hébergement temporaire et redistribution des collections;
    • studio de télé-conférence (notamment pour les réunions de travail entre centres régionaux).

    Précisons bien toutefois qu'il ne s'agit encore là que de suggestions jetées «en l'air», et qui n'ont encore fait l'objet d'aucune étude, d'aucune programmation. D'autres suggestions encore meilleures peuvent être trouvées.

    Ayant son cap bien défini par la direction du livre, le centre de coopération sait où il va mais il ne peut savoir encore comment les différents vents orienteront sa navigation, tant qu'il ne s'est pas mesuré à eux. Comprenons par là qu'il ne s'agira pas seulement de coopérer avec les bibliothèques, d'être à leur service : encore faudra-t-il aussi que les différents organismes de coopération coopèrent entre eux... (9) Cette exigence passe par une autre : la répartition des responsabilités et des fonctions entre les administrations centrales et les structures de coopération. Le rapport Yvert a fait des propositions précises à ce sujet et c'est ce schéma qui est suivi actuellement. Mais sera-t-il toujours suivi en 1986? Plus généralement encore, y aura-t-il une politique coordonnée des bibliothèques, comme le laisse fortement espérer l'existence d'un rapport interministériel élaboré par les deux directeurs de tutelle et l'administration de la Bibliothèque nationale? (10) Dans l'affirmative, la coopération serait poussée par des vents favorables et l'avenir serait plutôt encourageant. Les problèmes ne manqueront pas pour autant. Par exemple : quels seront les coûts, et par conséquent les tarifs des différentes prestations? Certaines d'entre-elles seront-elles gratuites ? Comment sera organisée la coopération entre les centres régionaux ? Si les serveurs régionaux tardent à se mettre en place, des bibliothèques nombreuses pourront-elles accéder rapidement, néanmoins (et dans quelles conditions) aux bases bibliographiques nationales? Autant d'interrogations, parmi beaucoup d'autres, qui circulent actuellement parmi les bibliothécaires, et qui devront recevoir sans tarder des réponses satisfaisantes. Mais chacun est très conscient que ces questions sont très difficiles et personne n'a de solution miracle à proposer.

    1. Dit « Rapport Yvert». retour au texte

    2. Voir notamment: Rapport Vandevoorde, 6"p., p. 406-407 (propositions de l'A.B.F.) et p. 442 (propositions du S.N.B./F.E.N.); Rapport Pingaud-Barreau, p. 69, 1 79 ; et mainte motion syndicale tout au long de la dernière décennie (et même avant...). retour au texte

    3. Jean Goasguen, Vers des structures régionales de ooopération. In : A.B.F. Bulletin d'informations, n° 123i 2:trimestre 1984, p. 15-18. retour au texte

    4. Ou des.groupements de régions ; ou des groupements de départements, peu importe. retour au texte

    5. L'action exemplaire de Cécil Guitard en Rhône-Alpes (soutenue par un noyau d'élus dont le député-maire de Valence est la locomotive) doit être spécialement rappelée et soulignée ici. retour au texte

    6. Rapport Yvert, introduction. retour au texte

    7. On sait que, depuis 1970, cette bibliothèque, entièrement gérée et financée par l'État, assurait la desserte locale du quartier « du grand ensemble » de Massy (vingt-cinq mille habitants), mais aussi d'une dizaine de communes voisines. retour au texte

    8. Notamment dans une réponse à un parlementaire (J.O. Sénat du 17-1 -1985) et dans le document « La politique culturelle de 1981-1984», chapitre «Livre et lecture p. 17. retour au texte

    9. Faut-il rappeler ici que la D.B.M.I.S.T., la Bibliothèque nationale, la B.P.I., la Phonothèque nationale, la discothèque de France, les grands établissements, etc., mènent des actions de coopération de plus ou moins grande ampleur, parfois depuis fort longtemps. retour au texte

    10. Cf. Livre-Hebdo, n° 5, du 28 janv. 1985, p. 68-69. retour au texte