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La bibliothèque nationale et ses centres de province

1985
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    La bibliothèque nationale et ses centres de province

    Par Jean-Marie Arnoult, conservateur Bibliothèque nationale, centre de Sablé.

    Apparemment percluse dans son quadrilatère parisien, la Bibliothèque nationale a souvent cherché des locaux extérieurs destinés à étendre ses capacités de magasinage. Mais, hormis le cas de Versailles, c'est seulement au cours des dernières années que de véritables implantations provinciales furent réussies et qu'un certain nombre de difficultés méconnues se révélèrent. Au cours des années trente, il suffisait de créer des mètres de rayonnages sans se soucier de l'environnement; aujourd'hui, les conditions ont changé et des exigences nouvelles influent sur la notion même d'implantation provinciale de la Bibliothèque nationale.

    Trois centres et leur vocation

    Créées à des dates différentes, les trois antennes provinciales de la B.N. présentées ici ont néanmoins des vocations similaires. Sur l'histoire de chacune d'elle, on se reportera aux articles et études parus dans la littérature professionnelle, notamment dans ce Bulletin. Annexe, dépôt: l'annexe de Versailles-Montbauron a été ouverte en 1934 la date explique, historiquement, cette dénomination. L'annexe, ou le dépôt, ne constitue pas une entité, seulement un prolongement dont les activités dépendent entièrement de la rue Richelieu. Le directeur n'est d'ailleurs qu'un intermédiaire dont l'autorité s'étend sur des services qui sont des émanations des divers départements parisiens : photographie (jusqu'en 1893), imprimés, restauration, séricollage, désinfection et, surtout, traitement des périodiques qui fut à l'origine de la création de Versailles-Montbauron. Il fallut attendre cinquante ans pour que le rôle du directeur soit établi. La proximité de Paris (vingt-cinq kilomètres) ne permet sans doute pas à cette antenne de trouver sa véritable identité, le personnel étant lui-même très attentif à ce qui se passe à Paris.

    Les deux autres centres, Sablé et Provins, ont été créés pour mettre en application une partie du plan de sauvegarde après 1979.

    Le premier, celui de Sablé, fut ouvert officiellement en 1980. Sa mission est la conservation des documents imprimés et manuscrits : photographie, traitement chimique, restauration. La distance de Paris (deux cent cinquante kilomètres), les conditions de son installation dans une ville de douze mille habitants ont fait qu'il a disposé dès son origine d'une certaine indépendance. La distance a également des influences sur l'attitude du personnel qui, connaissant mal l'histoire de la B.N., ses traditions, n'a pas ressenti immédiatement la force des liens institutionnels.

    Créé en 1981, le centre de Provins est dans une situation similaire en dépit de sa proximité de Paris (quatre-vingts kilomètres}. Sa vocation de conservation de la presse (reproduction, traitement et stockage), la présence d'un atelier de i'A.C.R.P.P. en font un établissement particulier qui lui confère une certaine indépendance. Comme à Sablé, le personnel n'est pas préoccupé, dans ses activités quotidiennes, de ce qui se passe à Paris.

    L'évocation rapide de ces trois centres n'ayant pas pour but de présenter leurs activités réciproques, nous nous attacherons à décrire les problèmes inhérents à ces appendices.

    Les problèmes de la province

    L'installation progressive de ces centres et leur évolution dans le temps ont engendré trois types de problèmes.

    Le statut

    Sur le plan administratif, une constatation, tout d'abord : l'absence de statut particulier. Dans la conception d'une simple annexe ou d'un dépôt, cette absence peut sembler normale. Versailles, Provins, Sablé n'ont pas d'identité propre. Au service de l'institution centrale, faisant corps déjeté avec elle, ils appliquent les règles et les consignes qu'on leur transmet selon les principes de l'administration française. Mais l'absence de statut se révèle une lacune à l'usage de la vie quotidienne. Chaque centre, dès lors qu'il a atteint des effectifs normaux (le seuil est entre quinze et vingt personnes), est à lui seul une petite B.N., avec ses difficultés de tous les jours, ses problèmes dont les solutions nécessitent, pour la plupart, des réponses rapides. L'entretien des locaux, la gestion d'ateliers, de matériels, la gestion financière souffrent parfois difficilement du recours à l'administration parisienne ; les retards logiques dus aux transmissions sont mal compris par le personnel, qui ne ressent pas cette nécessité, et mal perçus par les fournisseurs, on s'en doute.

    Les personnels

    Pour la plupart, les personnels sont des provinciaux recrutés localement : à Versailles, ils représentent vingt-deux personnes sur trente-quatre, à Provins vingt-huit sur trente-cinq, à Sablé quarante-trois sur quarante-neuf. Mis à part le cas de Versailles, les Provinois et les Sabo-liens connaissent mal Paris et la rue Richelieu leur semble au diable vauvert. Malgré des visites réciproques pour établir des liens, l'attitude réservée des provinciaux témoigne d'une perception difficile de la maison mère considérée comme un monstre. Deux raisons permettent de comprendre cette attitude: l'ignorance des traditions par le fait de recrutements assez récents, une timidité logique pour des personnes découvrant de nouveaux métiers. En effet, la majorité des personnels a dû subir une reconversion pour entrer à la B.N., et l'apprentissage d'un métier entraîne inévitablement une certaine modestie vis-à-vis des professionnels plus anciens, que ce soit en photogaphie ou en reliure. Cette attitude réservée, si elle a tendance à s'atténuer avec le temps, n'en est pas moins un paramètre important pour la perception des centres provinciaux. Les personnels ont peu à peu construit leurs propres traditions liées à des milieux sociaux, des contextes urbains particuliers, des contraintes différentes dans la vie professionnelle et dans la vie personnelle, des traditions qui, peu à peu, confèrent à chacun de ces centres une personnalité propre. Transférer Paris en province n'est pas chose aisée, et d'ailleurs est-ce souhaitable? N'est-il pas plus important de créer que d'exporter?

    L'insertion dans les villes d'implantation

    Il s'avère que l'exportation de la B.N. est effectivement difficile. L'insertion de ces centres dans de petites villes qui connaissent mal la B.N. mais qui en attendent beaucoup est un problème délicat. Pour le Français moyen, la B.N. est le temple du savoir. Sans lyrisme exagéré, chacun voit en elle un symbole de la science et de la culture. L'arrivée d'une antenne de la B.N. est donc synonyme, dans une certaine mesure, du toucher des écrouelles, et rien n'est plus difficile à supporter que la déception lorsque les espérances ne se trouvent pas satisfaites. Si Versailles a pu être considéré comme un « kyste c'est que la ville compte 95000 habitants. Dans des villes comme Provins ou Sablé, l'implantation de la B.N. ne peut passer inaperçue, et la sclérose serait la conséquence de toute velléité d'autarcie. Le contexte économique a lui-même contribué à rendre cette implantation plus délicate encore : la longue file des demandeurs d'emploi attendant avec impatience les hypothétiques créations de postes a constitué l'une des plus redoutables épreuves des premiers temps de Provins et de Sablé; la rareté des postes vacants n'est pas ressentie de la même manière à Paris et en province : pour les uns, c'est peut-être une fatalité administrative; pour les autres, c'est en quelque sorte une trahison.

    Faire vivre des provinciaux, faire vivre également la vie locale, que ce soit dans le domaine culturel ou dans le domaine économique, c'est le devoir des centres provinciaux. Faut-il le reconnaître? Les moyens financiers et en personnels ont toujours manqué jusqu'à ce jour pour assumer cette fonction. Les centres de province ont aussi, on s'en doute, pour vocation de mener à bien les tâches qui leur ont été confiées dans le cadre des activités de la B.N. Ajouter des activités culturelles tient souvent de la gageure et du sacerdoce. Elles se limitent donc à une ouverture au public lors de visites organisées, de journées « portes ouvertes», à la participation à des manifestations diverses et à des contacts professionnels avec le réseau des bibliothèques. Ce dernier point est essentiel : la B.N. a un rôle d'information et de conseil àjouer, un rôle que l'histoire lui a dévolu malgré des accrocs comme celui de 1974. Être disponible et à l'écoute des besoins, être prêt à se déplacer pour participer à une réunion, collaborer à la formation professionnelle, faire connaître ou partager les ressources dans des domaines variés, telles sont les obligations naturelles d'un centre provincial ; il ne peut s'y soustraire à moins de se retirer dans une tour d'ivoire qui serait, finalement, à l'opposé de l'esprit de décentralisation.

    Quelle décentralisation pour la B.N. ?

    Si le rapport «Décentralisation et bibliothèques publiques» n'aabordé que par allusions le rôle de la B.N. dans le nouveau contexte, c'est qu'il revient à l'institution nationale de définir elle-même ses propres relations avec la province et son insertion dans un réseau profondément modifié.

    La création progressive des agences régionales de coopération entre bibliothèques, premiers pas vers une fédération nationale, doit inciter la B.N. à une attention soutenue. C'est en effet sur le terrain de la province que se joueront à plus ou moins longue échéance la vitalité et la crédibilité de la B.N. qui ne pourra rester étrangère à l'évolution qui se prépare. Quelle attitude les antennes provinciales devront-elles adopter? Quelles missions auront-elles à développer, et dans quel contexte?

    Le statut de ces centres est donc essentiel pour réussir ou poursuivre les tâches entreprises. Trois hypothèses sont possibles.

    Le statu quo actuel, c'est-à-dire une dépendance étroite de l'institution parisienne sur le plan administratif et sur celui de la gestion : ce serait inévitablement courir vers une autarcie et un isolement du réseau des bibliothèques, entraînant par ailleurs une frustration de ces dernières dans un certain nombre de domaines, notamment celui de la conservation qui est une des principales activités de ces centres.

    L'avantage serait que le potentiel des centres serait entièrement consacré aux collections de la B.N. au détriment d'un autre patrimoine.

    L'indépendance totale est l'hypothèse extrême qui, pour de multiples raisons, administratives et financières, n'est viable pour aucun des centres.

    Entre ces deux cas de figure, peut-être existe-t-il une voie médiane dont les principes ne peuvent être définis sans connaître encore les diverses facettes de la décentralisation, mais qui pourrait probablement se dessiner comme une indépendance-association selon la formule désormais bien connue. L'évolution des centres provinciaux dans le cadre de la décentralisation, et par conséquent l'évolution de la B.N. elle-même, est fonction du statut dont ils bénéficieraient pour tendre à l'efficacité ; mais ce statut serait lui aussi tributaire d'une politique-programme à l'échelon national de la préservation et de la conservation. De déconcentrations qu'ils sont actuellement, les centres provinciaux doivent donc devenir des décentralisations réelles avec une autonomie dont les modalités sont à définir le plus rapidement possible. L'ambiguïté présente, qui aurait pu se poursuivre, ne résistera pas aux conditions nouvelles, et on voit mal comment la B.N. resterait à l'écart d'une mutation profonde des bibliothèques.

    Plusieurs services de la B.N. seront à l'écoute du mouvement de décentralisation. Sans conteste, les centres provinciaux seront les premiers concernés parce qu'ils sont inscrits au coeur d'une évolution inexorable et qu'ils ne pourront demeurer déchirés entre deux attitudes contradictoires: être au service d'un patrimoine national et négliger un patrimoine régional qui ne sont qu'un seul et même patrimoine.