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    Ah ! Mais c'est différent chez vous...

    Par Margaret M. COUTTS, Head of Reader Services Aberdeen University Library, Ecosse.

    A h ! mais c'est différent chez fi. vous...»,c'estl'observationque j'ai souvent entendue en parlant à Marseille avec des congressistes de l'ABF. J'ai eu l'honneur d'être la représentante invitée de la «University, Col-lege and Research Section» de la Library Association.

    J'ai écouté avec grand intérêt les discussions des bibliothécaires français, et surtout leurs idées sur 1 ' image de marque courante de leur profession. On m'a demandé de vous présenter quelques remarques personnelles sur l'image de marque des bibliothécaires britanniques, en réponse à cet avis qu'au delà de la Manche se trouve un monde meilleur.

    C'est une image traditionnelle qui se perpétue encore chez nous. La bibliothécaire (toujours une femme) est d'un certain âge, ni jeune, ni vieille. Ses cheveux sont tirés dans un chignon sévère et peu flatteur qui exagère une mine sans charme, cachée derrière des lunettes démodées. Elle porte une jupe en tweed, et des chaussures solides et pratiques. Elle n'a aucune élégance, aucune chaleur. Elle est stricte, redoutable, mais aussi renfermée, peureuse et, évidemment, non mariée. Elle travaille dans une bibliothèque sombre et morne, tapissée de livres (uniquement des livres) qu'elle protège comme des enfants. C'est son sanctuaire à l'abri d'un monde hostile, et elle y passe sa journée à prêter des bouquins aux lecteurs et faire chut aux bavards. Entre-temps sa seule occupation consiste à lire.

    Bien sûr cette image est extrême, et dans cette époque où le vingtième siècle nous emporte tous dans sa course quotidienne, ce n'est pas tout le monde quicroirait à une telle race de gens. Pourtant, l'appréhension générale des bibliothécaires et des bibliothèques est toujours fort influencée par ces idées traditionnelles. Beaucoup de monde croit effectivement que nous n'avons qu'à lire toute la journée, entre quelques interruptions causées par un public qui ne pose aucun problème à part son besoin d'emprunter un bouquin. On attend que les bibliothécaires soient un peu timides, sans une vraie compréhension de toutes les pressions et les tensions de la vie moderne.

    Malheureusement, la littérature et les médias entretiennent ces idées. Les romans continuent à décrire ces personnalités ternes. Si une bibliothèque figure dans une bande dessinée, il s'y trouve presque toujours un panneau marqué «silence». Depuis quelques années passe à la BBC un feuilleton comique qui présente les fredaines et le train-train quotidien d'un petit bonhomme d ' une quarantaine d'années. Il est aimable, mais inepte, et dominé par sa mère qui lui vole toute son indépendance et lui défend de bien profiter de la vie. Même le titre donne l'impression d'un incapable - «sorry!» Cet homme est, bien sûr, bibliothécaire. Sur le plan plus académique et sérieux, le Sunday Time a publié une étude sur le stress par rapports aux différentes professions. On a jugé que labibliothécono-mie créait très peu de tensions ou de problèmes nerveux (1) . Le message était évident. Si vous avez envie d'une vie tranquille et sans ennuis, soyez bibliothécaire !

    Dans les cercles sociaux, la lutte contre cette image est continuelle. Dire à une soirée qu'on est bibliothécaire, c'est la mort immédiate de la conversation. Beaucoup des nôtres se sont creusé l'imagination pour trouver différents moyens d'éviter ce mot «bibliothécaire». Dans une très simple formule on peut dire qu'on «travaille dans une bibliothèque... » en espérant créer une occasion de mieux expliquer la réalité du travail. Une étudiante de bibliothéconomie a rebaptisé sa discipline «études de communications» pour mieux impressionner ses copains, ou encore un individu insiste pour parler des «services d'information, qui comprennent bien sûr beaucoup de bibliothéconomie».

    Il est dommage que, malgré leurs capacités, nos collègues se trouvent obligés de se justifier à un tel point, mais heureusement, tout le monde ne dédaigne pas notre profession. A part nos familles et nos amis qui supportent des heures de services irrégulières et les récits des difficultés et des frustrations professionnelles, il y a maintenant un bon nombre d'utilisateurs qui montrent un respect et même une véritable admiration devant nos compétences. Ce sont les lecteurs qui ont reçu de bons renseignements, bien communiqués, au bon moment. Dans beaucoup de cas, ils sont devenus des clients réguliers, qui dépendent de nous pour avancer leur travail et qui croient que la plupart des bibliothécaires sont intelligents, cultivés, sympathiques, pratiques, bref : humains. Il est encourageant que parmi ces convertis se trouvent des représentants d'autres professions libérales qui sont prêts à expliciter leurs opinions positives des bibliothécaires. Par exemple, un médecin, en préparant un article sur les bibliothèques médicales avec moi et une autre bibliothécaire, a écrit «le meilleur conseil qu'un tel article puisse donner est d'établir le contact avec les bibliothécaires». (2) C'est la preuve que notre image de marque n'est pas inaltérable, et qu'une amélioration est possible. La bonne impression créée par beaucoup de bibliothèques modernes, et par la prolifération de la nouvelle technologie dans toutes ses formes, renforce cette amélioration. En effet, nous avons les moyens de changer l'opinion publique.

    L'une des conférencières à Marseille a suggéré qu'il faut changer l'opinion des auteurs pour faire entrer dans leurs écrits des meilleurs portraits des bibliothécaires. A mon avis, il faut aller plus loin, au moins dans notre pays. Il faut changer l'opinion de tous nos lecteurs en leur offrant le meilleur service, qui utilise au mieux toutes nos compétences et toutes nos ressources dans toutes les formes. En plus, une attitude et une assurance professionnelles sont essentielles pour renforcer nos talents et notre niveau d'éducation. Il ne suffit pas de savoir que notre entraînement nous permet d'aborder tout une variété de services et de responsabilités. Il faut le prouver.

    Le changement a commencé en Grande-Bretagne. Il est probable qu'il puisse continuer, si les bibliothécaires y appliquent l'énergie nécessaire. Heureusement, cette énergie est évidente chez beaucoup de recrues dans la profession, qui sont toutes obligées d'être licenciées de l'enseignement supérieur. Nous avons la base pour améliorer notre image de marque. Pourtant, cela ne sera pas la révolution, mais l'évolution.

    Il me semble que la «différence» d'image de marque alléguée entre les bibliothécaires de France et de Grande-Bretagne est moins prononcée que ne pensent les Français, mais je laisse mes lecteurs en décider eux-mêmes.

    Pour conclure, je raconterai le seul moment de ma vie où je fus contente d'effectuer un travail peu avantageux aux yeux des autres. Je m'étais jetée dans mon siège d'avion après une journée de discussions et de séances de comité. J'en étais sortie chargée de travail à faire, mais je m'étais déjà promis que cela attendrait mon retour à la bibliothèque. L'avion serait mon repos, mon occasion de sommeiller. Ce n'était pas l'intention de mon voisin, qui avait envie de me raconter l'histoire de sa vie entière. J'ai essayé de ne pas révéler mon ennui, néanmoins je cherchais à terminer cette conversation. Tout d'un coup il a demandé quel était mon métier. Aussi grave que possible j ' ai répondu que j'étais BIBLIO-THECAIRE. - Vraiment, a-t-il répondu de joie, pouvez-vous me renseigner ? J'ai écrit un roman et j'aimerais bien le faire publier...

    Comme on dirait en anglais, you cannot win.

    1. Rayment, Tim - «Working can be health ha-zard» - Sunday Time, 1985, 24fév., p. 7 (a). retour au texte

    2. Timbury, Morag C., Cannel, Sheila E. and Coutts, Margaret M. «Use a library» in How to do it, 2 éd. , London, British Médical Association, 1 985 . p. 183. retour au texte