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Images des bibliothèques à travers la littérature et le cinéma

1988
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    Images des bibliothèques à travers la littérature et le cinéma

    Par Anne-Marie CHAINTREAU, Conservateur Ville de Paris
    Par Renée LEMAITRE

    La douce manie de collectionner les portraits de bibliothécaires et les descriptions de bibliothèques dans les romans et dans les films nous a prises il y a plus de dix ans. C'était à l'occasion d'une campagne lancée par l'Association des Diplômés de l'Ecole de Bibliothécaires-documentalistes pour rénover l'image de marque de notre profession.

    Pour aborder cet ambitieux projet, nous avions choisi d'employer les armes de l'humour, laissant aux sociologues et aux historiens le soin d ' analyser les causes de 1 ' image défavorable que nous déplorions. En rassemblant les images caricaturales de bibliothécaires et de bibliothèques dans les oeuvres de fiction, nous voulions dénoncer plaisamment leur outrance, par contre les images favorables serviraient notre cause.

    Notre «récolte» s'est faite peu à peu au fil des ans, au hasard de nos lectures et des films auxquels nous assistions. Des collègues, des amis se sont associés à nos recherches : lâchasse aux bibliothécaires est devenue pour nous une sorte de jeu. En nous limitant aux oeuvres de langue française ou traduites en français, nous sommes arrivées à rassembler un corpus qui se compose, à ce jour, de 145 livres de fiction et de 62 films dans lesquels sont dépeints 217 bibliothécaires : 87 hommes et 107 femmes (parmi lesquels 84 ont un rôle important dans l'oeuvre).

    Tous les genres de bibliothèques sont représentées : Bibliothèques nationales, municipales (les plus nombreuses) et leur section jeunesse, universitaires, spécialisées, centres de documentation. Mais les bibliothèques fantaisistes, qui ne répondent à aucun genre connu, ne manquent pas ! L'imagination des auteurs se déchaîne dans ce domaine.

    Naturellement, les ouvrages français prédominent (53), puis viennent les ouvrages traduits de l'américain (33), et de l'anglais (17) (1) .Dans le cinéma, les américains dominent nettement (33 films), viennent ensuite les films français (12) et les anglais (7). (2)

    Si l'on examine la date de publication des oeuvres que nous avons découvertes, on constate que leur nombre ne fait que croître à chacune des périodes chronologiques que nous avons établies. Sans doute parce que nous sommes plus attentives à la production actuelle mais aussi parce que les auteurs mettent de plus en souvent en scène des bibliothèques et des bibliothécaires.

    • XIXe siècle : 9 romans.

    • - De 1900 à 1945 : 18 livres de fiction et 7 films.
    • De 1946 à 1975 : 48 livres de fiction et 25 films.
    • A partir de 1976 : 70 livres de fiction et 25 films.

    Ajoutons qu'au cours du temps le genre des oeuvres se diversifie de plus en plus: au roman, à la poésie et au théâtre, s'ajoutent les bandes dessinées, les albums pour enfants, les policiers, la science-fiction et enfin les films.

    Les références complètes de toutes ces oeuvres seront publiées dans l'ouvrage que nous préparons sur le sujet. Nous en donnons ici les principaux aspects en avant-première.

    Quel message nous transmet le romancier ?

    D'abord, il nous transmet son expérience de lecteur. Mais un lecteur d'un genre un peu particulier, un lecteur hypersensible et un peu écorché.

    Les romanciers se sentent souvent mal à l'aise dans une bibliothèque, au milieu de cet amas de livres qui sont pour eux, il faut bien le dire une terrible concurrence: qu'apporter qui n'ait déjà été dit ? Rares sont ceux qui sont assez sûrs d'eux-mêmes pour s ' écrier comme Walt WHIT-MAN : «Ne fermez pas vos portes, fières bibliothèques, car ce qui manquait sur tous vos rayons bien garnis, et qui pourtant était le plus nécessaire, je l'apporte...!».

    Alors, ils font des bibliothèques des descriptions sarcastiques comme Hubert MONTEILHET : «Monstrueux cette Nationale ! Toute la littérature française, entre autres, roupille dans cette morgue, toussote dans cette poussière. Tout est centralisé là...»

    ou bien ils font des descriptions fantastiques et effrayantes comme BORGES, ou bien ils expriment parfois d'étranges fantasmes comme PUYSEGUR qui fait apporter au lecteur le livre désiré par l'incarnation de l'héroïne (celle-ci l'entraîne dans une chambre où elle reste à sa complète disposition jusqu'à la fin de la lecture).

    Et puis les créateurs ne savent pas toujours ce qu'ils cherchent comme le remarquait déjà Gérard de NERVAL : «L'écrivain fantaisiste, exposé à perpétrer un roman-feuilleton, fait tout déranger et dérange tout le monde pour une idée biscornue qui lui passe par la tête.» S'ils ne trouvent pas, ils critiquent l'organisation de la bibliothèque, d'où de nombreux réglements de compte.

    En tant que producteurs de livres, ils désireraient recevoir un traitement de faveur et ils ne l'obtiennent pas toujours, d'où jugement sévère sur le bibliothécaire. Peut-être éprouvent-ils la nostalgie de l'époque où les bibliothécaires étaient des écrivains qui recevaient leurs collègues dans leur cabinet ? Nostalgie encore plus obscure peut-être de la Bibliothèque d'Alexandrie où les savants étaient nourris et logés ? L'accueil anonyme les rebute. Il faut dire aussi que nos écrivains sont plus fréquemment en rapport avec des employés qu'avec des bibliothécaires et leur verve s'exerce à en faire des descriptions caricaturales.

    Cependant les auteurs aiment les lecteurs. Ils voudraient tous être lus avec l'application et la ferveur qu'ils observent autour d'eux. Pensons au célèbre passage de RILKE : «ah ! qu'il fait bon être parmi des hommes qui lisent ! pourquoi ne sont-ils pas toujours ainsi ?». Donc le romancier exprime avec art son expérience de lecteur et n'est pas toujours très objectif dans ses descriptions du personnel et des lieux. Quoi qu'il en soit, s'il donne sa propre vision de la réalité, il est aussi le miroir de l'opinion publique de par son talent de sympathie et de compréhension.

    Enfin, il faut remarquer que si la littérature reflète les opinions d'une communauté, elle peut influencer et changer ces attitudes. Au début de notre démarche, nous souhaitions que des auteurs, des collègues peut-être, montrent une meilleure image de marque de la profession. La chose s'est produite depuis, et au-delà de notre espérance : ces dernières années, des bibliothécaires se sont mis à écrire des romans et nous avons des oeuvres charmantes comme «L'Enlèvement de la bibliothécaire» de Margaret MAHY ou «Le Passager du Beaubourg» d'Isabelle MAZEAUD, par exemple.

    Images de bibliothèques

    Au mot bibliothèque s'attache toujours un ensemble de thèmes utilisés par les auteurs comme des matériaux de base. Pour «construire» une bibliothèque, ils ont, en effet, besoin de «briques»; en voilà l'inventaire : Silence, sanctuaire, cimetière, labyrinthe. Quant aux adjectifs utilisés, la liste en est longue, parmi eux soulignons la fréquence de : universel, intemporel, éternel, solennel, impressionnant, monstrueux, utile, inutile, immense, innombrable, monumental. Faisant la somme de ces mots sans cesse employés, on a déjà devant les yeux une «image» et peut-être même une image de marque.

    Certains stéréotypes et certains mythes sont inévitablement soudés au concept de bibliothèque dans l'esprit des écrivains, soit pour poser le décor d'une intrigue, soit pour permettre de grandes envolées lyriques et métaphysiques si le scénario l'exige. Une analyse des thèmes à répétition permet de signaler ceux qui tendent à disparaître et ceux qui persistent.

    LES RATS

    Ainsi les rats, hôtes privilégiés des bibliothèques du 19e et du début du 20e siècle ont maintenant complètement disparu.

    Les derniers beaux rats datent de 1904. Le conservateur avait réclamé dans un magnifique rapport administratif une paire de beaux matous pour éliminer les rongeurs indésirables.

    Les rats ont quand même laissé un souvenir. Ne parle-t-on pas souvent de «rats de bibliothèque», expression appliquée soit aux lecteurs, soit aux bibliothécaires ? Pour H. MONTEILHET, les lecteurs de la Nationale sont devenus des rats sortis de tous les égouts de la culture. Le dessinateur COPI assimile tout simplement un bibliothécaire à un rat.

    Depuis 1975, on ne rencontre plus de rats ni dans la littérature, ni dans le cinéma, si ce n'est dans quelques albums pour enfants, genre qui affectionne le zoomorphisme.

    LES ECHELLES

    Le thème des échelles est lui aussi de moins en moins fréquent dans les romans récents, elles restent toutefois un outil symbolique et éminemment photogénique.

    Nous les trouverons donc encore souvent dans les bandes dessinées et les albums pour enfants pour mettre en valeur le mauvais gag de la chute. Nous les trouverons aussi dans les films pour la simple raison qu'elles mettent parfaitement en valeur les superbes jambes des actrices (par exemple : celles de Carole Lombard); d'autant plus que ces jambes sont souvent cachées par d'énormes bureaux qui font des bibliothécaires des femmes-troncs. Alors quelle joie et quelle surprise de découvrir les contours de beaux mollets grimpant les degrés d'une échelle ou s'étirant pour attraper quelques volumes haut perchés.

    LA POUSSIERE

    Par contre la poussière est partout présente. Rares sont les descriptions qui oublient ce symbole d'un lieu immobile. Des lecteurs soufflent vigoureusement sur la couche de poussière de la tranche avant de feuilleter les pages. Des bibliothécaires traçent en grosses lettres sur les tables non époussetées des remerciements aux généreux donateurs.

    Jean d'ORMESSON, accumulant les stéréotypes, affirme qu'il déprime dans ces salles immenses et sombres où la pensée des hommes s'empile sous la poussière.

    Robert MUSIL attribue à la poussière une vertu jusqu'alors inconnue : celle d'adoucir la voix tandis que RAMUZ trouve la poussière piquante.

    Le héros de Gérard HERZHAFT dépérit à la Nationale. «Il a les traits tirés, le teint pâle, le cheveu terne, il devient poussière». Heureusement, il rentre chez lui à pied pour secouer par une longue aération les particules de Bibliothèque nationale.

    LE SILENCE

    Ce qui frappe le visiteur qui entre dans une bibliothèque, c'est évidemment le silence.

    Le silence ou le «chut» un doigt posé sur les lèvres sont des éléments systématiquement utilisés dans les descriptions. En tant que stéréotypes, le silence n'est intéressant que quand il est troublé, soit par les hurlements d'un lecteur qui reçoit la pancarte «silence» sur la tête (SEMPE), soit par «les chuchotements, les éternuements discrets ou les accès subits d'une toux dévastatrice et sans pudeur» (Virgi-nia WOOLF).

    Le silence, phénomène impressionant va déclencher un retour sur soi du visiteur qui se demande ce qu'il vient chercher là, s'il est vraiment à sa place et même s'il est digne d'entrer.

    Seuls trois espaces ont le privilège d'un silence permanent : les sanctuaires, les cimetières et les bibliothèques. D'où un amalgame trop fréquent entre ces lieux. Le silence, indispensable pour assurer la concentration nécessaire à l'acte de lecture est en fait observé par respect : respect des livres ou respect des lecteurs? SAROYAN se pose la question : «Quand les deux enfants entrèrent dans ce modeste mais impressionnant bâtiment, ils pénétrèrent dans une zone de silence profond et quasi effrayant. Les murs semblaient même être devenus aussi muets que le plancher et les tables, comme si le bâtiment entier fût tombé dans un gouffre de silence... Tous les lecteurs se taisaient, car ils recherchaient le savoir... Lionel chuchotait, car il croyait que cela se faisait par respect pour les livres plutôt que pour les lecteurs.»

    SANCTUAIRE

    Dans un sanctuaire, l'intemporel est roi. Le lecteur de «La Grande Bibliothèque», par exemple, constate que «le temps n'existe plus... remplacé par une durée insaisissable, qui diffère peu d'un éternel présent, le temps se meurt au seuil de la Grande Bibliothèque.»

    Au seuil, en effet, quelque chose change, la personne qui entre dans une bibliothèque quitte son univers habituel et pénètre dans un lieu étrange, hors du temps. La transition est brutale.

    Pour certains, ce devient un «refuge», les dangers du monde extérieur sont alors écartés. Pour le héros de MONTHERLANT «les livres étaient pour lui comme la paroi opposée au vide dans un chemin en corniche, s'il pouvait ne voir qu'eux, il avançait, s'il en détournait les yeux, il était précipité.»

    Refuges comme l'étaient les églises au Moyen-Age où seul Dieu est juge !

    La bibliothèque dans la littérature est en effet très fréquemment comparée à une église. Cette image est ancrée dans l'inconscient du public, les écrivains comme les hommes politiques l'utilisent facilement : «Il faut venir à la médiathèque comme on irait dans une cathédrale», reprend Charles HERNU à propos de la Maison du Livre de Villeurbanne.

    Oui, la bibliothèque respectée comme un lieu sacré, souvent monumentale et solennelle abrite le savoir universel.

    Et derrière cette notion de sanctuaire, suivent toutes les images, tous les termes utilisés dans le monde religieux : enfer, anges, prêtres, etc.

    A propos d'enfer, tout le monde connaît l'enfer des bibliothèques, mais peu connaissent la bibliothèque de l'enfer : heureusement deux écrivains ont déjà été la visiter !

    Le premier nous apprend que le diable a récupéré la bibliothèque d'Alexandrie et convoite celle du Vatican, l'autre nous apprend qu'un bibliothécaire garde ces trésors, qu'il se dénomme lui-même le «berger des livres» ou le « chevrier des bouquins».

    Attention ! il est conseillé à ceux qui aiment les livres d'aller en enfer plutôt qu'en paradis car... au paradis, il n'y a pas de bibliothèque... !

    Dans notre collection littéraire, nous avons trouvé relativement beaucoup d'anges. Bien sûr, à cause des échelles, les bibliothécaires fréquentent les sphères célestes. Les anges de Wim WENDERS aiment la salle de lecture, devenue leur repère, d'où ils observent les humains et se font les témoins bienveillants de leurs pensées et de leurs états d'âme.

    Enfin dans les sanctuaires officient des prêtres ou des évêques. Un auteur est-allemand pense que « le prêt est au directeur de bibliothèque ce que la récitation quotidienne de la messe est à l'évêque». Pour lui encore, « la cordialité est au bon bibliothécaire ce qu'est l'encens à la grand messe...»

    CIMETIERE

    Naviguant dans le silence, l'intemporel, le sacré ; rencontrant des anges, l'usager d'une bibliothèque se croit parfois dans un cimetière. Pourquoi cette image de cimetière lui vient-elle à l'esprit ?

    • 1 - Parce qu'il voit d'innombrables volumes dont les auteurs sont morts. Il réalise comme le pompier de «Fahrenheit» que derrière chaque livre, il y a un homme.
    • 2 - Parce que la pensée enfouie dans la profondeur des pages ne revit que par l'acte de lecture. Si personne ne s'intéresse aux volumes empilés sur les rayonnages, ils appartiennent au néant et à la mort. Ils ne reprendront vie que si quel-qu'un les feuillette.

    • 3 - Le lecteur prend conscience, devant le nombre de volumes, de sa petitesse, de ses limites et du peu de temps dont il dispose avant sa mort pour lire tous ces livres. En fait il aurait besoin de l'éternité. Ce constat a été fait par les plus grands écrivains comme BORGES, MUSIL, SARTRE par exemple.

    BORGES nous laisse le poème suivant : « La Bibliothèque...« On dit que les volumes qu'elle renferme

    « Laissent loin derrière eux le chiffre des astres

    « Ou des sables du désert. L'homme qui

    « Souhaiterait l'épuiser y perdrait sa raison et

    « Ses yeux non moins téméraires.»

    Pourtant nous avons trouvé plusieurs lecteurs qui se sont attelés à cette tâche sans fin et qui plus est, s'y appliquent en lisant dans l'ordre alphabétique comme l'autodidacte de «la Nausée».

    Pourtant ces cimetières sont souvent animés d'une vie mystérieuse. Ces volumes, le dos définitivement tourné à la vie, parlent, s'agitent, se livrent combat ou bien ils vous regardent et font paisiblement la veillée, causant entre eux tout bas. Une bibliothécaire a perçu leurs murmures, un autre leur vacarme et ils nous préviennent : celui qui les a entendu en sort complètement fou... à cause, sans doute, de la confusion qu ' entraînent dans l'esprit humain les livres trop contradictoires : «Les livres galopent tous dans tous les sens, obscurcissant les étoiles, éteignant le soleil, on en sort complètement perdu» (BRADBURY).

    Complètement fou, complètement perdu, la question, par deux fois se pose : Dans quel état sort-on d'une bibliothèque ?

    Mais en fait, est-on bien sûr de pouvoir en sortir ? Michel SERRES en doute, il trouve les portes de sortie trop étroites : il nous l'a rappelé dans l'émission «Océaniques» du mois de mars dernier. Et puis, nous avons trouvé beaucoup de labyrinthes dans les bibliothèques de fiction.

    LABYRINTHE

    Le labyrinthe intéresse d'autant plus les écrivains ou les metteurs en scène que les rayonnages labyrinthiques sont propices aux situations de suspense ou d'érotisme. Nombreuses sont les parties de cache-cache dans les films pour mettre en valeur les regards amoureux, les baisers des lecteurs ou des bibliothécaires.

    Nombreuses aussi les peurs et les angoisses, surtout dans les réserves : dans un film, une bibliothécaire aperçoit soudain la tête d'un inconnu à travers les rayonnages alors qu'elle range les livres après la fermeture de l'établissement.

    Le labyrinthe prend parfois une dimension métaphysique. Les bibliothécaires de BORGES vivent en permanence dans un labyrinthe qui a pris les dimensions de l'univers. Les héros de ECO, par contre, arrivent à en sortir et même à y retourner grâce à leurs investigations quasi scientifiques. Ils constatent que «la bibliothèque est un grand labyrinthe, signe du labyrinthe du monde.»

    Sortir d ' une bibliothèque peut être difficile, comme il est difficile de s'arracher d'un livre passionnant et d'en interrompre subitement la lecture.

    Vers une image modernisée N

    'y aurait-il pas dans ces oeuvres de fiction, quelques bibliothèques plus sympathiques, plus modernes ou plus chaleureuses ?

    Il faut bien le dire, si l'on trouve déjeunes et aimables bibliothécaires depuis une dizaine d'années, les bibliothèques elles, n'ont pas encore beaucoup changé. Les écrivains s'attardent d'ailleurs moins sur les descriptions des lieux que par le passé. Ils semblent ne pas avoir vu les transformations récentes et l'introduction des nouvelles technologies.

    Mise à part la BPI superbement décrite dans «Le Passager du Beaubourg», nous avons trouvé très peu de médiathèques. La plupart des bibliothèques informatisées appartiennent à la Science-fiction et les scénarios futuristes rivalisent de pessimisme : ils ont souvent condamné les bibliothèques et la lecture : les gens ne savent plus lire, les bibliothèques inutiles sont à l'abandon ou elles sont remplacées par un ordinateur sur la mémoire duquel tous les textes existants ont été saisis. Heureux encore quand il ne manque pas un siècle ou deux dont l'histoire et la culture sont perdues à jamais ! Les bibliothèques qui gagnent le prix de l'accueil et de la modernité sont les sec-tions-jeunesse. Très réalistes, bien observées, elles offrent aux jeunes enfants un cadre coloré et vivant ; de vrais animaux familiers, chats, poissons rouges y cohabitent avec des ours en peluche assurant le rôle de presse-livres. L'heure du conte y ajoute dans la plupart une note de gaieté, de poésie et de chaleur humaine.

    «La bibliothèque (décrite par CASSABOIS), île ouverte à tous les navigateurs et plus particulièrement aux naufragés, est devenue une maison où tous les habitants du quartier se sentent chez eux. On y parle énormément et on y rit beaucoup. C'est un lieu où les lecteurs, en rapportant les livres, se racontent leurs découvertes et se prêtent leurs rêves.»

    Parmi les bibliothèques municipales décrites, citons quelques établissements américains charmants style petit cottage comme dans les films «Indiscrétion» ou «L'Ombre d'un doute».

    Dans les bibliothèques décrites de façon très traditionnelle, notons que les murs se sont plutôt égayés. Au lieu d'être «couverts de livres reliés en noir, marqués d'un numéro à la peinture blanche, propres à dégouter de la lecture dix générations à la file» (KLOTZ), «ils sont colorés par les livres , protégés d'une feuille de matière plastique transparente».

    Dans les centres de documentation, 1 ' ambiance est en général sympathique. Les lecteurs y sont parfois conviés à de petits goûters. Quant au centre de documentation de Gaston Lagaffe, on lui décernera le prix de l'ingéniosité des rangements. La bibliothèque la plus poétique et la plus originale est sans doute une bibliothèque sans murs ni livres, c'est la bibliothèque des cigales d'Alphonse DAUDET.

    «C'est une bibliothèque merveilleuse, admirablement montée, ouverte aux poètes jour et nuit et desservie par de petits bibliothécaires à cymbales qui vous font de la musique tout le temps... Après une semaine de recherches - sur le dos - j'ai fini par découvrir ce que je voulais, c'est-à-dire l'histoire de ma mule et de ce fameux coup de pied gardé pendant sept ans... je l'ai lu(e) hier matin dans un manuscrit couleur du temps, qui sentait bon la lavande sèche et avait de grands fils de la vierge pour signets».

    Comment sont perçues les tâches du bibliothécaire ?

    Evoquons maintenant certaines impressions ressenties par les visiteurs devant les pratiques courantes comme les inscriptions, les prêts, les classements, les rangements : aspects visibles du fonctionnement d'une bibliothèque pour 1 ' au-teur-lecteur.

    Il découvre d'abord les fichiers, bien en évidence, instruments qui l'inquiètent ou l'intriguent.

    Un petit adolescent, avec son parler naïf nous apprend que « la grande boite avec des cartes dedans, ça s'appelle un fichier et ça «se consulte.»

    Le fait de «consulter» ces fichiers donne au bibliothécaire un pouvoir dont il abuse parfois.

    A l'arrivée d'un visiteur, derrière la banque de prêt (appelée beaucoup plus communément «comptoir» ou «guichet»), l'employé(e) interrompt son tri de fiches. Timidité, scrupule à interrompre quelqu'un qui travaille, le lecteur se sent souvent gêné.

    C'est alors que tombe la question fatidique : «Etes-vous inscrits ? Avez-vous une carte de membres ?» Réponse courante : -«j'en sais rien, tout c'quej'veux, c'est qu'vous m'prêtiez un livre.»

    Alors là commence un long échange mi-courtois, mi-agacé entre l'employé et le lecteur autour du fait de donner son nom, de remplir le formulaire et des délais nécessaires avant de pouvoir emprunter le livre désiré. Trop impatient pour attendre, le petit garçon de «Kes» file à la librairie voler le livre. Le policier de MAHY sans sa carte de lecteur, rate l'arrestation du brigand réfugié dans les romans.

    Le professeur Brindesong, lui, risque des amendes pour un livre qu'il a perdu. Alors il emprunte le même livre à une autre bibliothèque pour le rendre à la première. Ainsi plusieurs jours de suite : il perd tous les livres les uns après les autres de sorte qu'au bout de 14 jours, il a perdu 14 exemplaires du même livre appartenant aux 14 bibliothèques du réseau.

    Anecdotes sans doute ! mais assez révélatrices. En voici une dernière concernant la communication des livres :

    Un lecteur éprouve soudain une horrible déception, après avoir eu la joie de trouver dans le catalogue les 10 titres recherchés avidement depuis des mois : A propos du premier titre, on lui signale qu'il doit y avoir une erreur de numérotation dans le catalogue, car on ne trouve pas le livre. Le deuxième titre est en lecture, le troisième est à la reliure, le quatrième est conservé dans une aile de la bibliothèque présentement fermée pour travaux. Il continue à remplir les fiches mais pour une raison ou pour une autre aucun des 10 livres ne peut être mis à sa disposition.

    La dégradation des ouvrages est un thème abordé plusieurs fois : Dans un film anglais récent (Prick up your ears), les bibliothécaires font condamner à six mois de prison deux lecteurs qui dégradaient des livres en y collant de petits textes pornographiques.

    Enfin la dernière difficulté à laquelle se heurte le lecteur, c'est le rangement des livres sur les rayons. Sans aller jusqu'à énumérer les innombrables classifications fantaisistes et oulipiennes inventées par nos bibliothécaires de fiction, restons avec Isabelle MAZEAUD dans la C.D.U. Son héros analphabète au début de l'histoire s'interroge longuement sur la signification des chiffres indiqués sur les petites étiquettes blanches ; il croit que ce sont les prix des livres et qu'ils servent à les classer. Il demande alors pourquoi à la B.P.I. il y a tant de pagaye dans les livres entre les trois étages ! Avec un bibliothécaire «sympa», il apprendra finalement le français : grammaire et culture mêlées en récitant par coeur la liste des cotes et la liste autorité-matières. Celles-ci lui permettent de jongler avec les notions abstraites et concrètes et avec les synonymes.

    Toutefois, malgré les difficultés rencontrées lors de la recherche d'un livre en bibliothèque, le lecteur-auteur remarquera de plus en plus souvent, (surtout ces dix dernières années) que l'accueil qui lui est réservé est bien meilleur.

    Portraits de bibliothécaires

    En effet, nous avons constaté la diminution si ce n'est la disparition de certaines caricatures bien connues, celle de l'érudit maniaque au crâne chauve qui vit catalogalement et celle de la vieille fille acariâtre, à chignon et à lunettes.

    Nous vous cacherons donc la longue galerie des horreurs qui se retrouvent, hélas, dans tous les pays : «le rustre incompétent, placé sur le seuil pour effrayer par son aspect et son aboiement les candidats à l'entrée», la bibliothécaire qui ressemble à une vieille guenon squelettique et myope et celle située sur une planète éloignée, qui est «comme un pois ridé dans une gousse distendue».

    Bien que ces personnages apparaissent encore quelquefois dans des romans récents, ils ont été remplacés par des portraits nuancés et diversifiés.

    Les statistiques effectuées sur cette population fictive révèlent une bien meilleure image sociale. Les écrivains ont donc observé l'évolution de la fonction depuis la dernière guerre.

    Comme dans la réalité, le portrait-type est celui d'une femme, jeune, cultivée, détenant un diplôme professionnel, dynamique, satisfaite de son métier, jolie et épanouie, à qui il arrive d'avoir des aventures affectives, sexuelles ou autres. Sa vie est rarement monotone, même si elle est le plus souvent célibataire et sans enfants.

    Les hommes

    Les hommes-bibliothécaires sont dans la fiction proportionnellement plus nombreux que dans la réalité, souvent jeunes, ils sont moins beaux et moins séduisants que leurs collègues féminins, donc s'ils sont eux aussi célibataires, ils risquent de le rester ! Ils supportent beaucoup moins bien leur vie solitaire et exercent leur métier bien souvent sans enthousiasme particulier.

    Ces nouveaux bibliothécaires ont d'excellentes relations avec les lecteurs. Les écrivains ont jugé bon de le spécifier. Le bibliothécaire n'a plus la possession magique du savoir que lui accordait BORGES dans «la Bibliothèque de Babel», qui contient la phrase célèbre : «Il doit exister un livre qui est la clef et le résumé parfait de tous les autres, il y a un bibliothécaire qui a pris connaissance de ce livre et qui est semblable à un Dieu». Mais du moins ce jugement d'un lecteur décrit par MUSIL peut encore lui être appliqué : «J'ai été forcé de constater que les seuls êtres qui disposent d'un ordre intellectuel réellement digne de confiance sont les bibliothécaires.»

    Mais en sera-t-il de même dans l'avenir? Un directeur de médiathèque n'hésite pas à reconstituer la section histoire qui a disparu de la mémoire de l'ordinateur, d'après ses souvenirs personnels, ce qui l'amène à faire monter Louis XVII sur le trône après la Révolution ! Il se définissait pourtant comme «un homme du présent, chargé de conserver la mémoire du passé pour préparer l'avenir».

    Oublions la menace horrible et gardons de cette excellente définition que le bibliothécaire est un homme du présent. C'est même un homme d'action, parfois marié et père de famille comme le directeur de le bibliothèque de Berlin-Est dépeint par DE BRUYN. Celui-ci se fait une haute idée de sa mission d'éducateur et se demande entre autres avec sa jeune amie, une jolie stagiaire si le rôle d'un bibliothécaire n'est pas de se consacrer à la technique plutôt qu'à la culture.

    Le plus beau portrait récent est sans aucun doute celui d'un bibliothécaire chargé d'organiser la bibliothèque municipale d'une petite ville allemande sous le nazisme qui y applique les meilleurs principes bibliothéconomiques, tous dirigés par cette considération que «le lecteur est un Dieu dont le bibliothécaire agence la demeure». (T. HAUMONT)

    Remarquez que cette fois-ci, ce n'est plus le bibliothécaire qui un Dieu, c'est le lecteur ! (ces deux derniers romans sont écrits par des bibliothécaires qui savent parler de leur métier.)

    Les femmes

    Les femmes excitent davantage l'imagination et la fantaisie des auteurs et les rôles qu'ils leurs attribuent dans les romans et dans les films sont beaucoup plus variés que ceux des hommes.

    Il faut dire que l'apparition des femmes dans la profession après la première guerre mondiale, avait été saluée par des films où Hollywood leur réservait ses plus grandes vedettes. Carole LOMBARD y était enlevée de sa bibliothèque par Clark GABLE par exemple, Bette DAVIS prêtait son immense talent à incarner une héroïne qui préférerait perdre son poste plutôt que de supprimer un ouvrage politique pour obéir à la municipalité.

    L'invasion des vieilles filles revêches avait fait oublier ces jolies bibliothécaires mais voilà qu'elles reviennent en force et se transforment en femmes libérées, un type devenu très courant pour les romanciers qui les engagent dans des aventures sentimentales avec des lecteurs, scénario qui se répète dans les oeuvres que nous avons analysées. Les femmes peuvent même, lassées de leurs trop nombreuses aventures, décider de remplacer les hommes par les livres ! Après les femmes libérées, les femmes détectives. Les auteurs de romans policiers ont remarqué que la curiosité féminine alliée à leur acharnement dans le recherche, en faisaient d'excellents détectives. Le meilleur exemple en est la pittoresque petite bibliothécaire de «l'Homme qui aimait les zoos» qui arrive à mettre en échec le puissant F.B.I. au terme de son enquête. Dommage que J.P. MOCKY qui vient de tirer de ce roman le film «Agent trouble», ait transformé l'héroïne, incarnée par Catherine DENEUVE, en conservateur de musée. Nous avons perdu là une excellente occasion de rehausser notre image de marque. Les détectives utilisent souvent aussi les services d'une bibliothécaire pour les aider dans leurs recherches et les séduisent alors pour les abandonner une fois l'enquête terminée. Il y a aussi des bibliothécaires aventureuses : l'une d'elles part en bateau avec son petit lecteur à la recherche du trésor des pirates qu'ils ont localisé ensemble grâce aux documents de la bibliothèque. Une autre s'embarque avec de jeunes lecteurs sur un vaisseau spatial avec des extra-terrestres qui les ont enlevés pour leur faire accomplir une mission dangereuse.

    Les bibliothécaires fantaisistes et rêveuses peuvent s'enfuir avec le héros d'un roman qui apparaît comme un lecteur dans leur bibliothèque ou bien elles peuvent imaginer des aventures extraordinaires qu'elles jouent dans la réalité, comme dans le film «Céline et Julie sont en bateau».

    Enfin, il y a les bibliothécaires sages et douces qui acceptent leur solitude avec une résignation souriante. Celles-là trouvent à s'épanouir dans les mille tâches d'une bibliothèque qu'elles accomplissent avec minutie. Certaines reçoivent les lecteurs comme une maîtresse de maison reçoit ses hôtes, d'autres ont un contact avec les livres comme celui d'une infirmière avec les malades.

    La sereine documentaliste de M.L. HAUMONT tire de ses lectures professionnelles «autant de joie qu'à plonger sa main dans l'eau fraîche, un jour d'été». Les femmes ne se sentent pas isolées au milieu de leurs livres : «Les livres, c'est ma famille», déclare l'une d'elle.

    Ce sentiment est encore magnifié dans le très récent roman de CASSABOIS : Mlle Léonie se dévouait tellement pour sa bibliothèque qu'elle en avait oublié de se marier et lorsqu'on lui demandait ce qu'elle attendait pour fonder une famille, elle répondait en souriant qu'elle aimait trop de personnes à la fois pour n'en choisir qu'une seule.

    Comme vous le voyez, la variété des rôles donnés par les romanciers aux bibliothécaires prouve abondamment que nous en avons fini avec notre fâcheuse image de marque. Toutefois les bibliothèques sont trop souvent décrites selon le modèle de la bibliothèque monumentale de conservation. Les auteurs n'ont pas encore suffisamment fréquentés les médiathèques modernes. C'est ce que nous leur souhaitons.

    1. * Les pays suivants sont représentés par quelques unités de 1 à 5 : Allemagne, Amérique du Sud, Australie, Belgique, Canada, Israël, Italie, Japon, Suède, U.R.S.S. retour au texte

    2. **Chacun des pays suivant est représenté par un seul film : Chine, Irlande, Italie, R.F.A., Suisse, U.R.S.S. retour au texte