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    Les films sur support vidéo à la médiathèque d'Arles

    Objectifs, moyens, résultats

    Par Jean-Loup Lerebours
    Par Anne Verrier
    Par collab.Dominique Millard, collab.Médiathèque d' Arles

    M Les objectifs

    Il n'est peut-être pas inutile de rappeler très brièvement les objectifs sans doute plus ou moins partagés par tous ceux qui ont décidé la constitution de fonds de films sur support vidéo dans les bibliothèques publiques, en tout cas qui sont les nôtres à Arles.

    Il nous paraît important pour le présent et pour l'avenir que ces derniers services dépendant, soit de collectivités locales soit de l'Etat, soit d'entreprises privées, veillent à rester modernes, attentifs aux évolutions des moyens de communication et des pratiques sociales et culturelles qu'elles engendrent. Pour ne prendre qu'un ou deux exemples, comment imaginer un travail historique sur la période contemporaine qui ferait fi de tous les témoignages photographiques, cinématographiques, sonores, existants ? Ou encore, quelle serait la capacité d'adaptation à son siècle, de compréhension de ses problèmes, d'un individu par hypothèse complètement coupé de la télévision, de la radio, de l'informatique ?

    Ceci dit, de même que nous sommes obligés de faire un tri qui privilégie les livres qui nous paraissent les plus enrichissants au détriment de ceux qui nous semblent les plus indifférents, nous opérons une sélection dans la constitution de nos collections cinématographiques.

    Le but de l'institution est bien de permettre à chacun de se cultiver dans tous les domaines, d'être en mesure de mettre à jour ses connaissances, d'exercer son esprit critique. L'intérêt majeur de la vidéothèque dans une médiathèque, c'est de permettre "l'arrêt sur image", c'est-à-dire d'échapper au flot continu de la télévision, de choisir au moment voulu, avec l'aide si on le souhaite, de personnes "éclairées", le document pertinent, souvent rare.

    Il y a toujours loin de la coupe aux lèvres et cela a été particulièrement vrai pour tous ceux qui souhaitaient la présence de l'image animée à côté de l'écrit. Pendant longtemps cela a été concrètement impossible à cause du coût et des problèmes de maniabilité, de conservation et de diffusion du support argentique. C'est devenu plus abordable et cela a commencé avec le transfert sur support vidéo et la création de la BPI ; mais en se limitant à la consultation sur place et au documentaire, toujours pour des raisons budgétaires mais aussi - il ne faut pas se voiler la face - de mentalité de la profession et de déficit éditorial. Enfin, on arrive aujourd'hui à une période où l'objectif d'un plein développement est possible sans avoir à se limiter à un genre (le documentaire) ou à un usage (la consultation sur place), tout en n'oubliant pas qu'il s'agit d'un substitut ; que l'oeuvre cinématographique, c'est a priori en salle et sur son support d'origine qu'il vaut mieux la voir chaque fois qu'on en a l'occasion. Les collections d'écrits développent le goût de la lecture, les vidéothèques, celui du cinéma.

    M Les moyens

    Il faut qu'ils soient cohérents avec les objectifs, avec la taille de l'équipement, celles des autres collections et la population à desservir. Il ne viendrait à l'idée de personne d'espérer un succès avec une bibliothèque publique qui n'aurait à proposer que quelques centaines de livres gérés avec du personnel non compétent... Le même raisonnement doit être tenu pour la vidéothèque. Or, compte tenu de la puissance de la demande, ou on a les moyens de faire une vraie offre, ou il paraît plus raisonnable de renoncer, de faire l'impasse sous peine de générer chez le public, déception et frustration. De ce point de vue la démarche initiale avait une vraie cohérence, elle présentait le documentaire qu'on ne pouvait pas voir ailleurs.

    Aujourd'hui les choses ont beaucoup évolué. On n'a malheureusement pas assisté au retour du documentaire en salle, mais les chaînes en tout cas en diffusent beaucoup plus et l'édition s'est beaucoup diversifiée. Rappelons pour mémoire que la Médiathèque d'Arles propose sept postes de visionneuse individuels, deux salles de consultation collective et une collection de 3 500 films pour une population de 52 000 habitants. Le gros problème finalement, mais aujourd'hui bien moins qu'hier, est celui des sources d'approvisionnement.

    Les sources : où et comment acheter les films ?

    Envisageons tout d'abord le cas des films destinés au visionnement sur place, à titre gratuit, en format 3/4 de pouce.

    De 1979 à début 1993, la DLL est la source unique d'achat et de diffusion du réseau national. Depuis 1993, une commission éditoriale s'est créée. Elle est constituée par des représentants du service audiovisuel de la BPI, de l'association "Images en bibliothèques", de l'Edu-cation Nationale, de la Bibliothèque de France, d'Arcanal, d'Intervidéo et de vidéothécaires. Des rencontres trimestrielles permettent aux membres de cette commission de se prononcer sur des films pré-visionnés et proposés à l'achat aussi bien par les membres de la commission que par d'autres vidéothécaires (films diffusés à la TV, lors de festivals tels que Lussas, le Cinéma du réel, Sunny side etc.)

    La DLL négocie auprès des distributeurs, des producteurs ou des réalisateurs des films choisis, les droits non commerciaux de diffusion sur support vidéo pour une consultation sur place dans les bibliothèques publiques et fait établir pour chaque titre un master vidéo. Les contrats sont signés pour 10 ans ce qui a conduit la DLL à renégocier chaque année et depuis 1989 les droits arrivés à échéance. Les titres ainsi négociés sont proposés aux bibliothèques du réseau (130 BM et BDP) par l'intermédiaire de fiches critiques diffusées par la DLL jusqu'en 1990, par la revue Images en bibliothèques. Depuis, chaque établissement fait parvenir sa commande aux laboratoires Telcipro qui dupliquent les titres. N'est payé que le support (cassette vierge et duplication), les droits étant propriété de l'Etat.

    Depuis 1993, trois sources d'achat pour le réseau :

    • la DLL : sa collection est constituée principalement de documentaires et de quelques films pour la jeunesse. Par décision du précédent Directeur du livre et de la lecture, Madame Evelyne Pisier, elle tendait dans la dernière période à se spécialiser sur la littérature, les écrivains, l'écriture. A l'heure actuelle nous ne savons pas si cette décision sera maintenue ou si la DLL comme nous le souhaitons reviendra à sa vocation antérieure.
    • ARCANAL : distribue des films dont les droits ont été acquis par l'Etat pour la diffusion non commerciale ; coproduit une dizaine d'oeuvres cinématographiques ou vidéographiques par an, susceptibles de renouveler les rapports entre l'image enregistrée et le spectacle vivant. Actuellement deux catalogues existent : danse/musique et arts plastiques. Un troisième : sciences humaines/faits de société est à paraître en 1994. Ces programmes sont disponibles sur support 3/4 ou VHS auprès d'Arcanal et seulement sur support VHS auprès de la FNAC et de l'ADAV.
    • Images en bibliothèques cette association, subventionnée par le Ministère de la Culture, a été créée à l'occasion de la journée bilan des dix ans d'audiovisuel dans les bibliothèques. Elle oeuvre à l'information et à la formation des vidéothécaires par le biais de publications, d'organisation de stages... Elle coordonne toutes les actions d'intérêt commun pour les vidéothèques. En 1992, elle a édité cinq titres en VHS faisant partie d'une sélection du Cinéma du réel pour le prêt. En 1993, elle a sélectionné vingt-cinq titres (3/4 et VHS pour le prêt et la consultation) soumis à l'achat. Un minimum de dix établissements doivent se prononcer positivement pour obtenir des prix préférentiels auprès des ayants droit. Elle publie la revue Images en Bibliothèques (14 numéros parus), une feuille de liaison "la lucarne" et "le catalogue des 1 500" qui recense 15 ans d'acquisition.

    Une dernière source vient de la prospection locale. Son but est d'une part d'offrir aux utilisateurs des films qui les concernent directement. Par exemple, à Arles, il s'agit surtout de la tauromachie, la Camargue, le provençal, des archives d'actualités régionales sur la ville... D'autre part, cette dernière source fait connaître des réalisateurs locaux. Par exemple, Monsieur Gros, cinéaste amateur passionné par la tauromachie et la Camargue, a tourné en super 8 des films que la Médiathèque a fait transférer sur cassettes 3/4 de pouce. Enfin, elle permet d'inventorier toutes les productions locales.

    Cependant, ces cassettes directement achetées aux producteurs sont le plus souvent d'un coût très élevé, trop élevé. Pour y remédier, la nécessité de constituer un réseau d'achat régional est vite apparue. Faute d'une agence régionale de coopération en Provence-Alpes-Côte d'Azur, ce réseau est constitué des vidéothécaires du "sud" (Languedoc-Roussillon, Provence - Alpes - Côte d'Azur) soutenu par l'agence de coopération du Languedoc - Roussillon : CLLR. Chaque réunion est en même temps un moment de réflexion et de rencontres avec l'invitation d'autres professionnels : réalisateurs, producteurs... Si parmi les films sélectionnés, certains présentent un intérêt plus général, des fiches sont soumises à la commission éditoriale et à l'ADAV.

    Les fonds pour le prêt en VHS 1/2 pouce

    Ici, l'évolution est galopante. L'équipement du grand public en magnétoscopes étant de plus en plus complet, l'édition s'enrichit et se diversifie d'une façon étonnante et très positive.

    Par ailleurs, plusieurs sources de diffusion ont considéré que les médiathèques représentaient un marché non négligeable. Nous citerons les trois principales : l'ADAV, Vidéothèque de prêt, VHS. Elles mettent périodiquement à la disposition des vidéothèques, des catalogues actualisés. Nous utilisons ces sources, mais il nous paraît également important, quand c'est possible, de favoriser la diffusion privée locale.

    Notre première tentative s'est soldée par un échec. Il s'agissait d'un vidéo-club chargé d'assurer la liaison entre les fournisseurs et la vidéothèque. La collaboration s'avère plus fructueuse avec un disquaire diffusant également des vidéocassettes. Comme un bon libraire il accepte non seulement de répondre aux commandes courantes mais également à des demandes beaucoup plus spécifiques car il s'avère qu'il peut facilement entretenir des rapports avec des petits éditeurs non distribués par les circuits classiques. Par exemple, récemment, à l'occasion de la Féria, il est allé prospecter en Espagne des collections d'archives sur la tauromachie, des cours de sévillane, sujets fort prisés par les Arlésiens.

    M L'évolution

    Nous avons distingué parce que cela correspond à l'histoire toute jeune des vidéothèques et à leur fonctionnement d'aujourd'hui, les collections de documentaires en 3/4 de pouce à consulter exclusivement sur place et celles de fiction en VHS 1/2 pouce réservées au cercle de famille. Heureusement, la distinction entre ces deux fonds devient de plus en plus floue. Je dis heureusement parce qu'il n'était pas normal que les amateurs d'écrits ou de documents sonores aient la possibilité de conjuguer la consultation sur place et celle à l'extérieur, alors que cela était interdit aux amateurs de films sur support vidéo.

    Pour ne prendre qu'un exemple, c'est plus de 1 000 titres pour la double utilisation que propose l'ADAV dans son dernier catalogue. Autrement dit, ce n'est plus seulement le documentaire qui sera consulté sur place mais aussi la fiction ; ce qui va, bien sûr, profondément bouleverser le mode de fonctionnement de ce type de consultation. Simultanément, toute une série d'oeuvres rares, qui n'étaient à la portée que de ceux disposant d'assez de loisirs pour accéder à la consultation sur place, deviennent disponibles pour le visionnement à toute heure sur son magnétoscope de salon.

    M Les résultats

    L'évolution de la politique d'acquisition et du positionnement de la vidéothèque

    Pour des raisons économiques et déontologiques classiques, il n'a jamais été question, bien sûr, de se poser ou de se présenter comme un vidéo club de plus. C'était même à l'inverse un service plutôt pointu et assez confidentiel qui était proposé avec uniquement des documentaires réservés à la consultation sur place.

    C'est la deuxième phase avec l'introduction des films de fiction en consultation exclusivement à domicile qui restera sans doute dans la mémoire des vidéothécaires pionniers comme la phase la plus douloureuse, la plus pénible, car cette introduction a provoqué un afflux massif de public exprimant sans cesse sa frustration, son incompréhension de ne pas trouver là, gratuitement, l'ensemble des nanars et des séries B que lui loue, rentabilité oblige, son vidéo club habituel. On entre heureusement dans une phase où la diversification de l'édition, de la distribution, des pratiques permet aux responsables de ces fonds d'avoir une politique d'acquisition beaucoup mieux comprise du public parce que comparable à celle des responsables des fonds de livres ou de disques.

    Le public et ses comportements

    On peut de façon un peu caricaturale les regrouper en plusieurs catégories. Il y a d'abord celle des personnes qui sont les plus soumises à la pression médiatique, publicitaire, conformiste. Evidemment cette catégorie est toujours frustrée dans une médiathèque et le restera si elle ne comprend pas que notre vocation est d'aller contre cette uniformité et cette pauvreté là. Nous n'aurons jamais le dernier best-seller en cinquante exemplaires pour tenter de répondre à la demande très provisoire provoquée par la vague publicitaire qui accompagne sa sortie. Nous n'arrivons pas à garder ce public là s'il n'admet pas le bien fondé de ce message. Il retourne à sa TV et à son vidéo club habituel, à sa consommation boulimique et hypnotique d'images comme d'autres qui ne savent pas sortir de "Nous deux" ou d'"Harlequin".

    La deuxième catégorie, c'est évidemment celle de ceux qui acceptent de partir à l'aventure de la curiosité et de toutes les bonnes surprises qu'elle réserve. C'est là que les vidéothécaires se trouvent à leur affaire car leur culture, leurs conseils sont appréciés, les animations qu'ils organisent interpellent. Un vrai échange s'établit. Enfin, il y a la troisième catégorie, celle des cinéphiles. Elle est appréciable et appréciée certes mais pas autant que la précédente car son autonomie parfaite est un peu frustrante et son érudition parfois déstabilisante.

    N'insistons pas plus, on aura vérifié pour le cas où on en aurait douté qu'on trouve les mêmes types de publics et de réactions à la vidéothèque que dans les autres secteurs de la médiathèque.

    Les manques persistants et les perspectives

    Le manque sans doute le plus apparent et le plus problématique dans la pratique quotidienne du métier de vidéothécaire, c'est l'équivalent d'un Livres-Hebdo pour l'édition vidéo. On doit se contenter pour le moment d'Images en bibliothèques à une extrémité du spectre et de Vidéo 7 à l'autre. On peut espérer que ce problème trouvera une solution un prochain jour, l'ensemble de la profession continuant de se développer et de s'organiser. On peut aussi supposer que le succès des pionniers aidant, le mouvement de transformation des bibliothèques en médiathèques va s'accélérer pour le plus grand bien de la culture cinématographique de nos concitoyens, à condition bien entendu, que les crédits d'acquisition de documents de nos établissements continuent de le permettre.

    Enfin, on doit s'attendre et se préparer à de nouvelles évolutions liées à celle de la technologie, je pense en particulier à un changement de support. Cependant, n'anticipons pas sur le marché, veillons à ne pas créer des "moutons à cinq pattes" qui retombent sur la figure de l'ensemble de la profession.