Cet article tente de faire une courte synthèse sur la lecture des jeunes japonais, c et les lieux où ils trouvent des livres ou revues. Se posera très vite le problème de l'offre de livres en bibliothèque, selon les types d'ouvrages que cherchent les enfants.
Trois documents ont servi pour établir cette synthèse :
Pour situer ce qui suit, il faut savoir qu'il existe au Japon un bon réseau de bibliothèques municipales dans toutes les grandes villes, les zones rurales étant plus défavorisées, et que les écoles et lycées ont, par la loi de 1953, des bibliothèques d'école le plus souvent gérées par un(e) bibliothécaire.
Parallèlement, existe un réseau de type associatif qui anime les Bunko, sorte de petites bibliothèques privées ouvertes aux enfants d'un quartier et qui organisent régulièrement des clubs de lecture, où un adulte propose à des enfants une lecture d'ouvrage choisi par lui. Ce mouvement des Bunko, très vivant dans les années 1970-1980, semble également s'interroger sur son avenir, en constatant une désaffection des enfants après 9-10 ans, pour cette activité.
Le tableau ci-après représente les conclusions de l'enquête réalisée en 1992 présentant pour 6 grands domaines, les lieux où les enfants -écoliers, collégiens, lycéens-, trouvent le plus facilement les livres souhaités.
Parmi chacun des 6 domaines (compte rendu, librairie, achats, bibliothèque scolaire, municipale, amis), il est clair que la bibliothèque municipale et la bibliothèque scolaire représentent une très faible part de réponses positives.
C'est pour les ouvrages de type "classiques, et ouvrages célèbres de la littérature" que la bibliothèque est le plus appréciée : écoliers, lycéens, collégiens les trouvent en bibliothèque à plus de 30 %.
Chiffre un peu plus faible pour les "dictionnaires et ouvrages de référence" qu'ils trouvent très peu en bibliothèque municipale (4 à 7 %), un peu plus à la bibliothèque d'enseignement (6 à 18 %), majoritairement par acquisition personnelle ou familiale.
Pour les ouvrages de distraction -romans pour jeunes et adolescents, jeux et sports, science-fiction et aventure- la place des ouvrages empruntés en bibliothèque reste faible : la bibliothèque municipale n'est présente que dans 3 à 7 % des réponses, la majorité est clairement représentée par les prêts des amis et les ouvrages trouvés à la maison.
Le phénomène s'accroît encore pour les bandes dessinées : pour - 2 % pour les petits- ou pas du tout - 0 % pour les lycéens- en bibliothèque municipale, pas plus à la bibliothèque de l'école, les achats spécifiques et les emprunts aux amis représentent 80 % de ce type de lecture.
Il faut préciser que le réseau de points de vente du livre courant est beaucoup plus dense au Japon qu'en France. Les librairies restent ouvertes le soir, tard, et souvent le dimanche. On peut y lire tranquillement revues et bandes dessinées.
La baisse de fréquentation des Bunko, la tendance des garçons de plus de 12 ans (en particulier) à déserter les bibliothèques, le désintérêt pour la lecture, ont été débattus dans une table ronde regroupant des bibliothécaires, des animatrices de cercles de lecture, qui tous se posent la question : quels livres choisir, quels livres peuvent plaire aujourd'hui ?
En voici quelques points forts :
La discussion est vive autour de la demande des enfants, surchargés d'occupations, et qui cherchent dans le livre "une détente". Ils ne recherchent pas la qualité littéraire ou le message concernant la vie, mais "l'intérêt" pur.
Les enfant recherchent dans le livre une détente. M. Tanaka, bibliothécaire à Yokohama précise : "j'ai peur qu'aux yeux des enfants, nous ne ressemblions à ce qu'ils veulent fuir. Beaucoup de romans japonais regardent les enfants "de haut", adoptent le point de vue du maître. Nous, bibliothécaires, avons trop tendance à recommander des ouvrages instructifs, utiles à l'apprentissage de la langue".
A propos de la collection X très lue par les adolescents, il ajoute : "son style ne fait pas l'unanimité parmi les bibliothécaires". Il ne s'agit pas de dire bien sûr que, parce que c'est une littérature de divertissement elle produit un délassement, et que parce que c'est de la littérature pure, elle ne peut pas procurer de délassement... mais "les enfants sont sévères. On est sévère quand on paie de sa poche. Les livres ennuyeux ne se vendent pas."
Puis sur sa politique d'acquisition : "Je conseille les livres que j'ai envie qu'ils lisent et ceux qui sont populaires. Lorsque nous choisissons les livres à la bibliothèque, nous aussi souhaitons qu'on nous épargne les livres mi chair, mi poisson".
Sur ces quelques échanges, on aura pu voir rapidement l'opposition chez les prescripteurs - bibliothécaires et animateurs de Bunko- entre deux conceptions des acquisitions en bibliothèque :
La question est donc de ne pas nécessai-rement s'arrêter à la valeur d'un livre,mais peut-être d'adopter comme critèrele plaisir que l'enfant retire de sa lecture.Le rôle du bibliothécaire n'est-il pas deprovoquer le goût de lire par des livressusceptibles de passionner ceux à qui ilss'adressent ? Etre inventif pour amenerl'enfant qui ne lit pas à la lecture, trouverle livre qui lui conviendra en discutantavec lui, sans s'arrêter à la gêne de cer-tains bibliothécaires devant le succès delivres comparables à des programmes detélévision comiques, les distractions d'unmoment.
Uhara, bibliothécaire de collège, cite sonexpérience : "j'ai acheté des séries com-plètes que m'avaient conseillées lesenfants. Il faut trouver des personnagesavec lesquels on peut sympathiser, desintrigues riches en rebondissement, del'humour. J'ai commencé à rassembler des bandes dessinées depuis un an, et des enfants qui ne venaient jamais ont commencé à venir tous les jours et pour certains... à parler. Ce sont eux qui m'ont indiqué des livres formidables, comme Fortune quest.
De même, une fille m'a indiqué les livres de Ori Hara Mito qui ont eu un succès stupéfiant : 20 réservations d'un coup pour ces livres "roses" (couleur de la couverture) . Par contre 2 ou 3 filles ont vivement réagi contre ces achats, m'enjoignant de les arrêter...
Enquête réalisée auprès des jeunes d'écoles, collèges et lycées en 1989-19901992.(voir graphique ci-dessous)
De 1982 à 1992, le pourcentage de non-lecteurs de livres s'est accru dans toutes les classes d'âge :
Les filles sont un peu plus lectrices que les garçons. La stabilité que fait apparaître le tableau est un effet de moyenne : l'écart s'accroît entre ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas.
Les revues sont plus consultées, autour de 6 fascicules par mois avec une tendance légèrement à la baisse. Les revues de BD ne sont pas comptabilisées à part. les principaux titres de revues de BD se vendent à plus de 10 millions d'exemplaires par mois ! Le plus populaire : shukan Shônen jump est lu par 80 % d'écoliers, 78 % de collégiens, 61 % de lycéens (chiffres 1989). Il n'y a pas de chiffres disponibles sur les hebdomadaires destinés aux jeunes filles.
61,4 % des écoliers fréquentent souvent - ou assez souvent- la bibliothèque de l'école, et plus de la moitié (33,8 %) la bibliothèque municipale du quartier. Ce taux chute brutalement à l'entrée au collège -respectivement 26,7 % et 19,6 %- puis au lycée : 23,5 % et 16, 5 %.
En revanche, 80 % des collégiens, 86 % des lycéens vont plus ou moins régulièrement chez le libraire où ils dépensent entre 2000 et 3000 yens par mois, somme importante (1) en revues, bandes-dessinées, et moins en livres. Les graphiques ci-joints montrent pour plusieurs types de livres, les parts prises par les achats, les emprunts en bibliothèque municipale, les emprunts aux amis.
A l'école primaire, filles et garçons se retrouvent sur les magazines de BD, les revues éducatives et magazines sur les ordinateurs familiaux.
A partir du collège, les goûts se différencient nettement, selon que l'on interroge filles ou garçons :
Dès 10 ans, 90 % des enfants lisent au moins 1 quotidien très régulièrement, les garçons un peu plus souvent que les filles. Ils y cherchent surtout :
Parmi les livres (hors manuels, parascolaire, BD et revues), si les biographies (écoliers, écolières), les policiers (A. Lupin, Sherlock Holmes : écoliers et collégiens), les romans anglo-saxons (Burnett, Montgomery : écolières, collégiennes, lycéennes), sur la guerre du Pacifique (écoliers, écolières, collégiennes, lycéennes) ainsi que les adaptations de grandes oeuvres chinoises (Voyage vers l'ouest, Trois royaumes : collégiens, lycéens) restent très appréciés, la "pure littérature" tant classique que contemporaine est de moins en moins lue, à l'exception notable de Natsumi Soseki. D'autre part, il semble que beaucoup de titres cités sont en fait des adaptations en BD. C'est le cas en particulier des "histoires du Japon", n° 1 à l'école primaire.
Cette évolution est particulièrement frappante au niveau des collèges et des lycées. Depuis la fin des années 80 s'est constituée une littérature spécifique pour les adolescents : format de poche, maquette aérée, abondante illustration, faible utilisation des caractères chinois (Kanji), style proche du langage parlé des jeunes.
Les collections pour filles contiennent des histoires d'amour, mais pas uniquement. Pour les garçons : science-fiction, heroic-fantasy, policier, aventure. La majorité des titres cités par les adolescents relèvent de ces catégories. Ils font l'objet des discussions brièvement retranscrites en première partie.
Les réponses à un questionnaire de 1992 montrent que les enfants continuent d'identifier le livre à l'acquisition de connaissance, à la réflexion. Cependant, il est de plus en plus lié à la détente par rapport aux études (70 % des lycéens). Les titres cités montrent que la motivation principale de la lecture est bien la recherche d'un dérivatif et d'émotion. Au contraire, la BD est lue parce qu'elle fournit un bon passe-temps, qu'on peut en parler entre amis, qu'elle fait rire, l'humour en est l'élément le plus apprécié.
Son support principal est le magazine. Elle couvre des genres très variés qui recoupent ceux des collections citées plus haut. En règle générale, les plus jeunes plébiscitent le fantastisque et le comique, les plus agés -surtout les lycéennes- se tournent vers le réalisme et l'intimisme. Les titres de BD les plus populaires sont les BD en cours de parution. Les grands succès combinent humour, violence, et aventure comme le montre le succès ncl : "Dragon Bail", version parodique du voyage vers l'ouest.
Cette synthèse, évidemment très courte par rapport à la complexité des enquêtes sur la lecture qui en ont donné la matière, peut néanmoins nous faire réfléchir.
Les "problèmes" de la lecture des jeunes Japonais nous semblent étrangement proches : forte fréquentation du livre à l'école, chute rapide au collège et au lycée. Pourtant la problématique de la pédagogie et de l'apprentissage de la lecture est très différente au Japon et en France. C'est ainsi qu'au Japon, l'échec scolaire n'est pas un problème grave : on considère que la quasi-totalité des Japonais sortent du système scolaire en sachant lire.
Même pour les enfants qui lisent, la fréquentation des bibliothèques - scolaires ou municipales- est très faible en ce qui concerne la lecture de loisir : une réflexion des bibliothécaires japonais est en cours sur leurs acquisitions et la constitution des collections. Il est certain que les activités hors temps scolaire accaparent les enfants, que la demande de passe-temps ludique est mieux satisfaite par les jeux vidéo, la BD et les revues humoristiques, et que l'offre de lecture proposée par les bibliothécaires ne pourra qu'en tenir compte.