La Bibliothèque de l'INRP est l'héritière du Musée pédagogique, créé par un décret signé de Jules Ferry le 13 mai 1879. Une de ses composantes est la Bibliothèque centrale de l'enseignement primaire. Ses missions, définies par Ferdinand Buisson, visent plus particulièrement l'acquisition systématique de documents sur la législation, l'administration et les statistiques scolaires, sur les méthodes d'enseignement (dont les manuels scolaires), sur les traités d'éducation et la psychologie de l'enfant.
L'accent est mis dès l'origine sur la dimension internationale des acquisitions, ainsi que sur leur dimension historique. En effet les premières collections proviennent des manuels scolaires et traités d'éducation présentés à Paris en 1878 pour l'Exposition universelle, après accord avec les pays étrangers. L'Exposition universelle de 1889 sera également un jalon important; la notion de comparaison entre systèmes scolaires est présente dès l'origine. La dimension temporelle marque aussi les acquisitions initiales. Un apport essentiel est celui de la bibliothèque Rapet. achetée par l'Etat après expertise en 1880 : cet inspecteur général de l'enseignement primaire avait consacré sa vie à la réunion de collections précieuses de documents de toutes époques et de toutes provenances relatifs à la pédagogie et à l'éducation.
D'autre part Ferdinand Buisson fait acheter en Italie une collection d'ouvrages pédagogiques du XVIe siècle, qui sera le noyau du fonds ancien. Un ensemble très riche de revues pédagogiques françaises et étrangères est également constitué.
D'après le rapport d'un des directeurs illustres du Musée, Lucien Herr, en 1925, la bibliothèque représente "la plus belle collection de périodiques pédagogiques et d'ouvrages historiques, théoriques ou pratiques concernant la pédagogie et l'enseignement qui existe en France" (1) . Le public admis à la bibliothèque est un public d'universitaires, d'enseignants, de candidats aux divers examens et concours, et de lecteurs justifiant d'une recherche liée à l'éducation.
Il faut noter également l'activité de publication qui naît dès les premières années. En 1882, la Revue pédagogique devient l'organe officiel du Musée. D'autre part la publication de Mémoires et documents scolaires est entreprise à partir de 1885. "L'ensemble de ces documents constitue une collection précieuse pour l'histoire scolaire de la troisième République, elle correspond à deux fonctions étroitement liées : documentation et information, c'est-à-dire réunion et conservation des textes d'une part et d'autre part diffusion de ces textes auprès des usagers, enseignants et administrateurs".
L'intérêt des fonds actuellement conservés à la bibliothèque repose largement sur ces choix initiaux. Mais ils se sont bien évidemment développés (état actuel des collections : 650 000 imprimés, 1 800 titres de périodiques). Sans entrer dans les détails ni dans une histoire institutionnelle complexe, on peut noter l'élargissement du champ de l'enseignement primaire à l'ensemble des niveaux d'enseignement ; le très large dépassement de la notion de pédagogie au sens strict vers l'éducation dans toutes ses composantes scolaires et non scolaires ; la constitution de fonds particuliers : la deuxième réserve regroupe une collection très riche, particulièrement pour le XIXe siècle, de livres pour enfants et de livres de prix ; les oeuvres de pédagogues (Fénelon, Rousseau, Mme de Genlis...), les classiques édités par Didot au XVIIIe siècle "par ordre du roi pour l'éducation de Mgr le Dauphin", les beaux livres illustrés par Grandville, Doré, Rabier... figurent parmi les trésors de ce fonds. Sophie Malavieille cite dans son ouvrage : Reliures et cartonnages d'éditeurs en France au XIXe siècle la bibliothèque de l'INRP comme "le fonds public le plus riche en cartonnages et reliures : tous les genres y sont représentés". Les fers et les palmarès des livres de prix en font une source précieuse pour l'histoire des établissements scolaires.
Les manuels scolaires conservés à la bibliothèque constituent la collection la plus importante en France après celle de la Bibliothèque nationale et ils font l'objet de recherches de plus en plus nombreuses, souvent par des chercheurs étrangers, sur l'évolution d'un thème donné. L'ampleur de la collection (100 000 documents environ) favorise les comparaisons sur des durées longues puisqu'elle remonte, dans certaines disciplines du moins, à la Révolution. Depuis 1926 la bibliothèque est attributaire d'un exemplaire du dépôt légal d'imprimeur pour les manuels du primaire; à la suite d'une entente plus récente avec la Bibliothèque Sainte-Geneviève, elle reçoit aussi les manuels du secondaire. En outre, la réputation de cette collection favorise les dons.
On peut citer également le fonds Paul Lapie, sur l'éducation et la philosophie, le fonds Baguer, qui concerne l'enfance "anormale", le fonds scoutisme ou encore un fonds constitué récemment sur l'enseignement assisté par ordinateur.
L'évolution de la bibliothèque après la seconde guerre mondiale a été marquée par une triple logique, que je me contente d'évoquer ici sans porter de jugement, puisqu'elle est certainement fonction du contexte de l'époque : une logique d'accumulation, liée à une relative abondance de crédits, une logique encyclopédique, induite par un public étudiant et enseignant désireux de trouver sur place tout l'éventail des disciplines, une logique documentaire, avec l'établissement de fiches très complètes pour tous ces documents
Une fois brossé rapidement ce tableau historique, on peut évoquer l'histoire récente de la bibliothèque, marquée par une réorientation de la politique documentaire.
En 1990 est créé à l'Institut le département Mémoire de l'éducation, qui regroupe trois services : le Musée national de l'éducation créé en 1980 à Rouen, le Service d'histoire de l'éducation, né en 1970 et unité associée depuis 1989 au CNRS, et la bibliothèque. Cette réorganisation permet une coopération plus étroite entre documentation et recherche.
Le directeur du département, Pierre Caspard, définit en 1991 cinq grandes priorités : "la conservation systématique de livres et d'objets de façon à constituer des fonds de référence, la capitalisation des informations relatives à ce champ, la valorisation de ces fonds, la recherche historique proprement dite, la mise à disposition de ces ressources par tous les moyens" (2) ,
Les constats dressés fin 1990 par mon prédécesseur J.-L. Gautier-Gentès, à l'occasion de sa nomination, allient des réflexions sur le recentrage des missions de la bibliothèque à des préoccupations beaucoup plus terre à terre : saturation des magasins et faiblesse des crédits d'acquisition. Il met en oeuvre, en lien étroit avec la direction de l'Institut, divers moyens pour faire de l'établissement une bibliothèque de référence dans le domaine de la recherche en éducation.
Une logique de sélection succède à une logique d'accumulation : le rapport d'activités de 1990 relate le "début d'une vaste opération de tri, visant à délester la bibliothèque, pour en faire bénéficier d'autres établissements, de très nombreux documents sans rapport avec la recherche en éducation". Cette politique de dons et d'éliminations ne se fait pas sans heurts, ce qui peut se comprendre.
Elle comporte heureusement un volet plus enthousiasmant : la redéfinition du champ d'acquisitions, car la bibliothèque retrouve une mission documentaire spécialisée. Une réflexion, toujours en cours d'approfondissement à l'heure actuelle, est lancée sur la "charte documentaire" de la bibliothèque. Elle mène en 1991 à l'obtention par la bibliothèque, associée au Centre de documentation recherche de l'Institut, du titre de CADIST en Sciences de l'éducation.
Le vocabulaire est ici extrêmement délicat à manier ; comme le souligne Gaston Mialaret dans l'introduction au Que sais-je? sur les Sciences de l'éducation : "Un grand désordre règne dans la terminologie et les interférences et confusions entre enseignement, éducation, pédagogie... sont nombreuses et complexes".
Ferdinand Buisson, collaborateur de Jules Ferry déjà cité et auteur du fameux Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire devient en 1896 titulaire d'une chaire de Science de l'éducation à la Sor-bonne, mais la discipline au pluriel ne fait son entrée officielle dans l'université française qu'en 1967. Le champ de recherche des "sciences de l'éducation est plus étendu que celui de l'éducation scolaire, sans se confondre avec le domaine général de la socialisation couvert par une part importante de la sociologie et par l'ethnologie" (3) .
A la complexité de la discipline elle-même s'ajoute "l'extraordinaire diversité - idéologique, confessionnelle, institutionnelle, professionnelle -des interventions dans le champ de l'éducation (4) . Sans entrer dans des débats qui dépassent largement le cadre de cet article, on peut souligner que la bibliothèque n'a pas une conception restrictive mais une conception ouverte des Sciences de l'éducation et que nous parlerons par la suite plus largement de "recherche en éducation".
Mon prédécesseur a défini le champ à couvrir "par les six domaines d'investigation du rapport remis en 1983 au Ministre de l'industrie et de la recherche par R. Carraz : didactiques et contenus d'enseignement, technologies nouvelles et éducation, fonctionnement du système éducatif, système éducatif et système productif, connaissance des enfants dans les institutions éducatives, systèmes de formation et d'éducation hors de l'école".
La complexité du champ est accrue par la diversité des sources de publications (éditeurs commerciaux bien sûr, mais aussi de nombreux organismes officiels, des associations, des syndicats, des colloques, des rapports de recherche...) et par celle des publics visés (jeunes, parents, enseignants, chercheurs...). Quant aux supports, la bibliothèque conserve essentiellement des livres et des périodiques, les "objets" de toute sorte (matériel pédagogique, travaux d'élèves, jeux...) étant rassemblés au Musée national de l'éducation à Rouen. L'introduction de l'audiovisuel est une perspective à travailler.
Le domaine des périodiques a été l'objet d'un travail très soutenu, dirigé, sous l'autorité de mon prédécesseur, par une nouvelle responsable du service, et il peut illustrer cette réorientation : la saturation des magasins avait généré un entassement des collections et le premier travail a consisté en un récolement des périodiques, assorti d'un tri entre ce qui relevait du champ documentaire et ce qui en sortait. Le signalement des collections a constitué une autre étape fondamentale : il s'agissait de "raccorder" la bibliothèque à des réseaux documentaires existants et dans le cas des périodiques, au catalogue collectif national (CCN.PS). Ceci a été rendu possible par l'informatisation du service des périodiques. Enfin la politique d'abonnements a été revue et les crédits au titre du CADIST ont permis de développer sensiblement les acquisitions étrangères.
Le lecteur aura sans doute compris que cet article ne présente pas le bilan d'une oeuvre achevée mais un chantier qui aurait franchi le cap du gros oeuvre. Les perspectives sont encourageantes, bien qu'elles supposent encore un travail très important et un changement d'échelle au niveau des budgets. Le développement des acquisitions et de la diffusion au titre du CADIST est un objectif essentiel, que l'arrivée début 1993 d'une nouvelle bibliothécaire aide à remplir. Le succès récent de la candidature de la bibliothèque comme pôle associé de la Bibliothèque de France encourage aussi très nettement l'approfondissement de la charte documentaire. Il consistera à préciser :
Ceci vaut pour les documents courants, mais la reprise des achats rétrospectifs est également une hypothèse à travailler. On acquiert aussi, bien évidemment en fonction de publics. La redéfinition de la politique documentaire a entraîné une modification des publics de la bibliothèque, qui est actuellement à l'étude (très grossièrement il y a disparition progressive du public "généraliste" et développement de publics spécialisés). Le public visé par les acquisitions au titre du CADIST est clairement un public de chercheurs, et cela coïncide avec le décret récent (5 mars 1993) qui place l'INRP sous la tutelle du ministre chargé de l'Enseignement supérieur. La mission qui lui est confiée par ce décret est celle de la "recherche en éducation concernant tous les niveaux des enseignements scolaires et supérieurs en formation initiale et continue". Le lien le plus immédiat s'exerce avec les autres centres documentaires de l'Institut (Centre de documentation recherche et Musée de Rouen en particulier) et avec ses chercheurs, dont certains travaux contribuent à une valorisation scientifique des fonds de la bibliothèque. Citons par exemple la banque de données Emmanuelle sur les manuels scolaires, ou un projet mené actuellement, de catalogue raisonné du fonds de littérature pour la jeunesse, à la bibliothèque et au Musée de Rouen. Ces deux dernières opérations, qui combinent recherche et documentation sont menées au sein même du Département Mémoire de l'éducation, et manifestent ainsi la cohérence de son concept, relativement original. Les chercheurs font également de nombreuses suggestions d'acquisitions.
La coopération en matière de politique documentaire s'élargit à d'autres bibliothèques et organismes : Bibliothèque de France, CNDP et CRDP, Bibliothèque Sainte-Geneviève (qui est attributaire du dépôt légal pour les manuels de l'enseignement supérieur), divers centres de documentation du ministère de l'Education Nationale...
L'aspect intellectuel de cette nouvelle politique n'est pas suffisant : il s'agit de passer au crible, en fonction des axes définis, les divers modes d'acquisitions pratiqués à la bibliothèque : achats, services de presse, dons, échanges, abonnements, souscriptions, dépôt légal... Cette mise à plat en cours est indispensable pour préparer l'informatisation de la bibliothèque.
La finalité de tous ces travaux et projets est sans surprise : c'est l'accès à l'information et à la documentation, qui passe d'abord par une connaissance accrue des moyens documentaires de la bibliothèque et plus généralement de l'Institut. L'INRP a développé un serveur minitel (36 16 INRP) qui permet de mieux connaître ses ressources. La bibliothèque veut intensifier son effort d'insertion dans les réseaux nationaux : prêt entre bibliothèques, informatisation et rétroconversion permettant d'alimenter les catalogues collectifs par exemple, signalement dans divers répertoires...
Cette démarche de réorientation n'a de sens que dans un contexte d'ouverture, d'intégration dans l'ensemble plus vaste des bibliothèques de recherche. Les institutions comparables à l'étranger sont aussi des partenaires privilégiés.
La mémoire de l'éducation est une mémoire vive. J-L. Gautier-Gentès soulignait la difficulté mais aussi "la nécessité de remplir simultanément une fonction patrimoniale et une fonction de documentation immédiate". La bibliothèque s'attache à relever ce défi.
N.B. : outre les personnes déjà nommées, cet article s'est nourri de débats et de documents signés : Claudine Elaïdi. Nelly Kuntzmann, Marie-Joëlle Tarin.