Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Choisir des livres scientifiques pour enfants

    Par Catherine Petit, Cité des sciences et de l'industrie Médiathèque des enfants / Biologie Nature
    Choisir des livres scientifiques pour enfants dans une bibliothèque, c'est accepter de prendre en compte deux types de phénomènes sociaux: ceux qui entourent la lecture de l'enfant (ses difficultés ou aptitudes à la pratiquer) et ceux qui entourent la science et sa vulgarisation auprès du citoyen (même s'il s'agit alors d'un futur citoyen). Comment la science est-elle présentée dans la société, dans les médias, auprès de l'enfant ? Est-elle une vérité établie ou une démarche A ces deux types de questions s'ajoutent celles relatives à la production éditoriale elle-même avec ses tendances, ses objectifs de vente, ses modes. C'est à partir de ces interférences que l'on peut établir des principes de sélection -ou des axes de choix, souvent thématiques, qui prennent en compte une véritable attention au public à qui ces livres sont destinés (l'enfant), aux objectifs que l'on souhaite atteindre (développer son intérêt pour les sciences et la démarche scientifique) et à l'évaluation globale du document (souvent relatif à un environnement).

    M Choisir dans la production existante

    L'évolution de l'édition de livres scientifiques peut se résumer rapidement : en 1987, elle représentait environ 10 % de la production ; au début des années 1990, on a assisté à une multiplication des titres et des collections (due sans doute à un intérêt accru pour la vulgarisation), à la création de centres d'animation et de musées pour enfants, à une évolution -même timide- des médias dans ce domaine.

    Qu'en est-il aujourd'hui lorsqu'on se trouve confronté à une intention de sélection ? On observe que les formes de présentation ont beaucoup évolué. L'image a pris une place de plus en plus importante et a fait éclater la mise en page qui s'est enrichie de nouvelles techniques (caches et filtres colorés). Un soin nouveau est apporté à la qualité esthétique et fait apparaître comme "vieillots" les livres des années 1970. Des livres animés sont apparus avec présentation sur double page dans le documentaire. Nous verrons, en abordant les critères de sélection, que cette séduction de l'image ne va pas sans poser quelques problèmes.

    Par ailleurs, on constate un développement inégal des sujets traités : des modes de l'édition font que certains sujets sont pléthoriques (ah ! les dinosaures, les animaux en général !) par rapport à d'autres qui paradoxalement sont peu représentés (peu de livres de vulgarisation des mathématiques, et bizarrement de l'informatique, destinés aux enfants) ou traités sur des modèles standards très marqués socialement. A ce propos, il est significatif, par exemple, d'étudier l'évolution de la notion d'environnement dans les livres destinés à la jeunesse ces dernières années.

    Ce qui nous amène à moduler les critères de sélection entre des sujets beaucoup traités et d'autres quasiment non "couverts" par l'édition et à multiplier dans certains cas les approches, et dans d'autres à effectuer une hyper sélection : le tout en maintenant bien sûr les exigences de contenu et d'accessibilité sur lesquelles nous reviendrons.

    M Choisir par rapport à l'enfant

    L'enfant a des caractéristiques communes à tous les publics qui abordent la science et d'autres qui sont particulières à son étape de vie. Comme vis-à-vis de tout public, il faut prendre en compte :

    • ses connaissances préalables (même petit, un enfant a déjà expérimenté ou compris à partir de l'expérience)
    • son mode de raisonnement : comment arrive-t-il à se forger des représentations, que pourra-t-il comprendre ?
    • son histoire, personnelle (âge), sociale (familiale et scolaire)
    • l'époque où nous vivons : pour citer une expression déjà employée, nous sommes à une époque de "consumérisme de l'écrit guidé par la télé". Notre public de jeunes regardant la télévision, fréquentant des médiathèques, est environné de films, d'images, et d'informations. Cela induit -très objectivement, sans aucun jugement de valeur sur le phénomène- un comportement différent par rapport au média "livre". L'édition en tient compte, nous l'avons vu, par l'importance de l'image.

    Pour les jeunes lecteurs, c'est à la fois l'attirance pour une information facile - aspect négatif- mais c'est aussi une certaine exigence et une certaine pratique de l'information qui sont acquises. Un exemple, la notion de "zapping" venue de la télé aide aussi à appréhender le livre documentaire d'une façon non linéaire et à partir d'une recherche (forme de lecture que les bibliothécaires s'employaient à faire comprendre depuis longtemps, et qui bien sûr ne s'applique pas à tous les documentaires). Les enfants reçoivent aussi une grande quantité d'informations et d'images sur la science, erronées ou non, à travers les média, les images de la publicité, les jouets et les jeux. Là aussi, loin de nier le phénomène, il faut s'appuyer sur l'aspect positif qu'il peut présenter (la motivation pour la technologie, l'informatique, les dinosaures...) pour contrebalancer les clichés et la désinformation "alors vraiment, on va pouvoir recréer les dinosaures à partir de l'ambre ?"

    Pour la sélection il est nécessaire d'avoir en tête la médiation dont pourra disposer l'enfant par rapport à un document : médiation des parents, des médiathécaires, qui permettront ou non une reformulation d'aspects trop difficiles ou un développement d'exemples et d'expériences tirés d'une proximité affective.

    M Quels outils d'analyse pour choisir des livres scientifiques pour enfants ?

    "l'important n'est pas de tout dire mais de ne rien dire de faux" (F. Balibar) et, pourrait-on ajouter, de faire de cette lecture documentaire un véritable plaisir en cultivant l'appétit et la curiosité de l'enfant, lui-même dans sa manière de grandir, et en développant l'idée d'expérimentation, de remise en question, et non une vérité absolue.

    Il ne s'agit donc pas d'établir une grille d'analyse figée qui s'appliquerait à n'importe quel thème et pour tous les livres, mais de poser des questions, tirées de la pratique qui permettent de moduler des critères d'acquisition. Nous avons vu que certaines questions préalables sont des questions d'environnement (éditoriales, thématiques). Quelques autres concernent le document lui-même.

    L'image : attention séduction !

    Elle joue souvent un rôle d'appel par rapport au livre. Mais est-elle vraiment un élément d'information ? De quelle image s'agit-il, photographie ou dessin ? La photographie possède souvent une apparence de réalité supérieure au dessin, mais elle n'est pas pour autant déjà lisible directement. Attention à une photographie d'organes que l'enfant ne saurait pas situer ou à la mode des photographies "détourées" qui reconstruisent un mouton détouré dans des touffes d'herbes également tirées de leur contexte.

    Les échelles sont-elle respectées d'une illustration à l'autre ? Mises en référence avec un ordre de grandeur compréhensible par l'enfant ? (critère très important pour les livres destinés aux tous petits). Comment l'image est-elle située par rapport au texte : est-elle prioritaire -et dans ce cas de quelle qualité documentaire; ou accompagne-t-elle le texte et dans ce cas est-elle correctement située par rapport au texte de référence ? ou légendée ?

    Le texte et les textes

    Un certain nombre de questions doivent rester présentes à l'examen d'un texte de vulgarisation ou de sensibilisation pour enfants. Les premières concernent ce qu'il induit, selon l'âge de l'enfant : restitue-t-il la science dans un contexte historique ou d'évolution, induit-il une idéologie sociale ou sur la science ? laquelle ? (des sujets comme le Sida, l'environnement, le corps humain sont particulièrement "sensibles" à ces aspects), renvoie-t-il à des expériences vécues, ou à venir ?

    Les deuxièmes concernent son accessibilité. L'information principale est-elle directement accessible (dans le texte ou sous forme d'encadré) ou est-elle noyée dans les détails superflus ? Le vocabulaire est-il compréhensible et l'ensemble texte-image est-il cohérent par rapport à un âge donné ? Que d'exemples de livres qui se présentent comme des albums, au texte très difficile ! S'appréhende-t-il en continu ou en zappant et est-ce la forme adaptée au sujet traité ? Les troisièmes concernent l'information : est-elle exacte ? Dans la mesure du possible, faire lire les livres par des scientifiques en double lecture permet de s'assurer que la vulgarisation n'entraîne pas une représentation faussée du sujet. Enfin de quels outils internes le livre estil équipé : a-t-il un index, un glossaire ? Attention à l'exactitude et à l'accessibilité des définitions.

    Pour conclure, la perfection étant rarement atteinte par un document seul, il est très important de favoriser la multiplicité des approches sur un sujet - dès que possible- et d'apprendre à l'enfant à choisir son information, à la compléter d'un document à l'autre.

    Dans ce sens, la présentation des différentes approches d'un livre, lors de visites de classes par exemple, permet à l'enfant de développer son propre esprit critique par rapport aux livres et à sa recherche.