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    Public défavorisé

    Acquisitions défavorisées ?

    Par Franck Caputo, Bibliothèque municipale d'Aubervilliers
    Ce qui compte, c'est la capacité de résister à la vulgarité dominante, mais pas pour trouver ou vouloir une nouvelle morale. La chercher, oui, mais la trouver jamais. On doit s'opposer à la morale dominante, au consensus (Nanni Moretti).

    Deja, sur le thème des acquisitions, un lundi du mois de mars 1986, mes muscles faciaux avaient été endoloris par l'effort visant à réprimer des bâillements démesurés. Depuis, une foule de collègues entrent avec la plus grande vigueur dans le vif du sujet. D'où vient, alors, ce sentiment d'ennui accablant, de lassitude profonde ?

    La bibliothèque demeure, pour le moment, le lieu de vérification des connaissances. A ce titre elle peut prétendre à un certain rôle social. Mon ennui vient de là : vouloir faire tenir à la seule culture le rôle que l'économie ne tient plus, l'illusion de la solidarité.

    Si je dis préférer de l'eau de source à une boisson gazeuse et colorée ou des produits frais aux conserves, je peux passer pour un homme de goût. Si j'affirme qu'il existe une littérature pauvre, qui n'a pas sa place dans une bibliothèque, il me faut soudain argumenter et je deviens suspect de terrorisme intellectuel. Il est intéressant de noter comment nous sommes déroutés par "les mots qui expriment les choses à présent sorties de l'usage commun" (Léopardi). Même les consommateurs ont boudé les produits allégés, pourquoi encombrer nos rayons avec des livres allégés eux-aussi ! Surtout qu'il existe pour ce type de produits un circuit parallèle : ces livres arrivent à la bibliothèque, les lecteurs s'en débarrassent volontiers.

    Vivre mal, c'est penser mal. Quand il manque le nécessaire, lire devient superflu. Quand dire sa propre langue est un problème, que faire quand "les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère" (Proust). Sinon distinguer les niveaux de lecture.

    A propos, qu'en est-il de la collection "littérature en basket" (qui a dit : celle qui sent les pieds) ? Quel avenir pour les livres à dix francs ? Tant mieux si ça fait lire des textes qui sont par ailleurs déjà en bibliothèque. L'illusion c'est confondre acquisitions et publicité, conseils de lecture et marketing. Un travail de terrain ti réaliser dans le temps face au management : faire vite pour faire moderne de crainte de paraître passéiste. Je comprends mieux la superbe prétention d'André Breton lorsqu'il affirmait : "vous qui ne voyez pas, ayez pitié de ceux qui voient".