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    J'y voudrais plus d'enfance

    Par Marc Givry, Architecte
    Ce texte de Marc Givry est celui d'une communication prononcée dans le cadre du colloque Vingt ans de développement des bibliothèques pour la jeunesse », organisé à Grenoble en décembre dernier, par MÉDIAT Rhône-Alpes, centre régional de formation aux métiers du livre (université Pierre-Mendès-France), la bibliothèque municipale de Grenoble et le Conseil supérieur des bibliothèques. Deux jours de débat ont permis de faire le point sur l'évolution des bibliothèques pour la jeunesse, sur des pratiques bibliothéconomiques en constante évolution, sur les interactions entre les publics et ces pratiques, sur les questions essentielles de construction et d'aménagement de l'espace. Les actes de ce colloque sont disponibles auprès de MÉDIAT Rhône-Alpes, université Pierre-Mendès-France, BP 47, 38040 Grenoble cedex. Téléphone : 76 82 56 28, télécopie : 76 82 60 95

    Le point de vue d'un Persan

    Vous m'avez demandé d'intervenir dans votre colloque sur " Vingt ans de développement des bibliothèques pour la jeunesse Vous avez présenté mon intervention comme « le point de vue de l'architecte » et je suis le premier à parler. Le premier à parler, en un mot l'architecte de service, comme il existe le pompier dans la salle ou le médecin de garde. Je trouve cela plutôt flatteur. A une époque, l'architecte était vu comme un mal nécessaire, un peu comme le dentiste. Ses services sont indispensables mais on préfère ne pas trop le fréquenter. C'est sans doute normal. L'architecture, étymologiquement arkostecton, le chef des maçons, c'est le pouvoir magnifique et terrible de pétrifier une situation, de photographier dans la pierre l'état d'une société. Les bibliothécaires sont sans doute assez fiers d'eux pour accepter que l'architecte fasse la photo de famille. Mais je ne donnerai pas le point de vue de « l'architecte », ni même celui d'un architecte ». Je vous donnerai juste le point de vue d'un Persan, de quelqu'un qui regarde les choses un petit peu de côté.

    Je dois donc parler de l'architecture des bibliothèques pour enfants. Je préfère le terme d'enfance à celui de jeunesse qui est plus galvaudé. Le troisième âge vous expliquera que la jeunesse du coeur n'a pas d'âge. Mais l'enfance du coeur ?

    Donc, l'architecture, des bibliothèques, pour enfants. Le premier terme ne me pose pas de problèmes : l'architecture, je connais, ça existe, je pourrais en parler. Le deuxième non plus : les bibliothèques, j'en ai vu, elles existent, je peux l'attester. La somme de ces deux termes, architecture + bibliothèque, je peux maintenant en parler. Il y a dix ans, j'étais peut-être plus sceptique, je me demandais si ces deux termes avaient encore quelque parenté et si, pour les bibliothèques, les chefs-d'oeuvre en péril n'étaient pas ceux qu'on ne construisait pas. A l'heure actuelle, après Mario Botta à Villeurbanne ou Norman Foster à Nîmes, et tant d'autres, le doute n'est plus permis. A la fin du XXesiècle, l'architecture et les bibliothèques entretiennent quelques connivences. De nombreux livres l'attestent. Mais rajoutons un terme à notre équation : architecture + bibliothèques + enfants. Personnellement, je ne connais qu'un exemple qui réponde à ces trois termes : « La Joie par les livres » à Clamart. Si j'ai bien compris votre profession, il s'agirait d'une bibliothèque « culte », la maison mère de la lecture pour enfants.

    En cherchant le mot bibliothèque dans Le guide d'architecture contemporaine en France, paru en 1974, j'ai trouvé trois bibliothèques : la bibliothèque universitaire de Nanterre, la bibliothèque Elsa-Triolet à Pantin et " La Joie par les livres » à Clamart. Qu'une bibliothèque pour enfants, renommée pour son fonds, soit citée pour la qualité de sa forme dans un guide d'architecture, voilà qui est rassurant sur la qualité du sujet. Mais une seule occurrence pour un phénomène, cela ne permet guère de tirer des leçons générales. Ne trouvant que peu de bibliothèques exclusivement pour enfants, j'ai cherché les lieux qui, dans notre société, seraient des lieux spécifiques de l'enfance. On trouve comme catégorie la crèche, l'école, bien sûr. Mais aussi parfois, la maison de l'enfance ou même la maison de la petite enfance, avec la PMI (Protection maternelle et infantile). On trouve la MJC (maison des jeunes et de la culture) catégorie qui commence à échapper à l'enfance. On trouve enfin l'hôpital pour enfants, la pédiatrie étant devenue à notre époque une spécialité médicale. Mais si on analyse les bâtiments correspondants en prenant le regard d'un archéologue dans 2 000 ans, on a du mal à retrouver l'enfance dans ces lieux. Or 2 000 ans, c'est l'écart qui nous sépare des Romains. Au bout de 2 000 ans, la signalétique, le mobilier ont disparu. Restent les fondations, quelques éléments de structure, en un mot le plan du bâtiment. Et les plans de nos bâtiments spécifiquement pour l'enfance ne disent rien de particulier : les fondations ne sont pas plus légères parce que les enfants seraient moins lourds, les portées et les hauteurs ne sont pas moindres. Les seuls éléments particuliers, qui resteront peut-être, sont les sanitaires. En effet, la porcelaine se conserve fort bien. Mais nos archéologues futurs seront sans doute dubitatifs : pourquoi ici ces petits sanitaires, alors que, dans le logement courant des hommes où on peut supposer qu'existaient des enfants, les objets sanitaires étaient plus grands ? Quel élevage pratiquait-on ici ? Donc les bâtiments pour l'enfance ne nous font guère avancer. Pourtant, la littérature pour enfants existe, je l'ai rencontrée. Elle est superbe et elle m'apporte beaucoup. A titre d'illustration : je donne parfois des cours dans un IUT de génie civil, et les meilleurs livres que j'utilise sont ceux d'un illustrateur pour enfants, David Macaulay, aux éditions des Deux coqs d'or ". Nous chercherons donc l'enfance dans les livres. Le discours de l'enfance est un discours assez post-soixante-huitard qui émerge principalement dans les années soixante-dix. Par exemple, octobre 1977, numéro spécial de la revue Autrement. Titre : « Dans la ville, des enfants Dans cet ouvrage, en introduction on trouve ceci : On les avait oubliés, alors on rêve pour eux... " Autre exemple, La ville et l'enfant, catalogue d'une exposition à Beaubourg, CCI 1977. Dans ce catalogue, on trouve un historique sur l'enfant dans la ville du XVIeau XIXesiècle. A ces époques, la place de l'enfance n'était pas des meilleures. C'est d'abord l'exclusion des nouveau-nés, la mise en nourrice. C'est aussi l'abandon d'enfants, pratique très répandue. C'est le travail des enfants, la mine, Germinal. C'est enfin le renfermement par l'école : « là au moins, ils ne traînent pas ". Mais à la fin du XIXesiècle, l'enfant moderne apparaît, il est, bien sûr, patriote. Dans Écoles et Mairies. Recueil des principaux types de bâtiments scolaires, Paris, A. Levy, 1878, j'ai trouvé le texte suivant : « Le rang d'un peuple dans le monde dépend du degré de culture intellectuelle auquel il a atteint. Éblouie par sa prospérité matérielle, la France l'avait oublié ; de cruels événements se sont chargés de le lui rappeler. Ses ennemis, dans leur triomphe, lui ont crié : c'est l'instituteur allemand qui a vaincu la France, et dans sa vive compréhension elle répondit immédiatement : c'est l'instituteur français qui me délivrera ; je décrète sur l'heure l'instruction obligatoire. »

    Pour revenir au catalogue de Beaubourg, on trouve à la fin une bibliographie sur les espaces de l'enfant. Les espaces de l'enfant, c'est l'habitat : Logements familiaux adaptés aux besoins des enfants; Les conditions d'habitat favorables au développement harmonieux de l'enfant. C'est aussi la pédagogie : Architecture et innovation pédagogique; L'aménagement de l'espace scolaire; La construction scolaire et l'innovation dans l'enseignement. Mais c'est surtout le jeu : Planning for play ; Aires de jeux pour enfants; Équipements résidentiels des grands ensembles : terrains de jeux, espaces verts; Espaces de jeux : de la boîte à sable au terrain d'aventure. Et le plus beau : L'enfant, l'architecte et l'espace: de l'architecture du mépris à l'architecture du bonheur (Mesmin G., Paris, Caster-man, 1971). L'enfant, du mépris au bonheur, tout un programme.

    Continuons notre périple livresque, les années 1980. J'ai consulté une collection complète, de 1980 à nos jours, de la revue Techniques et architecture. Cela donne un panorama assez exhaustif des thèmes d'architecture d'une époque. Le numéro 344 de 1982 s'appelait L'espace éducatif et l'enfant. Dans l'éditorial, on trouve des réflexions pertinentes sur les lieux et les fonctions : " on a souvent tenu l'architecture ou l'organisation spatiale pour responsables de l'immobilisme des méthodes d'enseignement et de la pesanteur des relations enseignants / enseignés. Pourtant si l'on cherche à faire coller les espaces scolaires à la pédagogie, on bute sur des difficultés. Il semble donc souhaitable de briser les liens trop contraignants entre lieux et fonctions et de concevoir un espace qui rendrait possible l'alternance des activités. Et d'ailleurs, qui n'a pas constaté que certaines situations spatiales inadaptées ont parfois constitué le creuset d'expériences pédagogiques très novatrices, grâce à un détournement subtil des lieux ? Quelques années plus tard, en 1986, le numéro 363 s'appelle tout simplement Écoles. L'introduction devient : " Les établissements scolaires à l'épreuve de la décentralisation ». L'épreuve ? Dans un article, on apprend : « La France est littéralement couverte d'établissements scolaires. Pas moins de 70 000 écoles maternelles, primaires, collèges, lycées. Un patrimoine gigantesque qui correspond à environ 75 millions de mètres carrés, la bagatelle de 7 500 ha dévolus à l'enseignement. » En quatre ans, le discours sérieux des gestionnaires, qui donne d'ailleurs le vertige, a remplacé la poésie du détournement subtil des lieux. Le discours de l'enfance abandonne donc l'école. Mais nous allons le retrouver ailleurs. 1989, numéro spécial 384, Bibliothèques - médiathèques. A l'exception d'une bibliothèque pour la jeunesse de Franck Hammoutène à Paris, ce numéro parle peu d'enfants. Mais dans la plupart des articles, on rencontre des réflexions pertinentes pour notre sujet.

    Dans un entretien avec Jean Gattegno, sous le titre Le désir de lire, j'ai noté ceci : « Le rôle principal de l'architecture n'est pas d'abord d'être fonctionnelle. Je heurterai beaucoup de personnes, je le crains, avec une telle affirmation. Il faut avoir le désir d'entrer dans une bibliothèque, puis d'y rester. » Quant à l'épreuve de la décentralisation, l'école devient un problème de millions de mètres carrés, la bibliothèque, à l'épreuve de la même décentralisation, prend le relais et rejoint le champ du désir. Cela me rappelle les Machines désirantes de Deleuze et Guattari.

    Vignette de l'image.Illustration
    Le parc de Versailles (dessin)

    Dans le même numéro, un article subtil d'un certain Michel Melot, que vous connaissez peut-être. Son titre : L'archilecture. Cet article était illustré d'une collection de photos prises à la BPI de Beaubourg où l'on voyait les images suivantes : une personne lisant coincée sous un rayonnage, un enfant devant un écran, une mère lisant en donnant le sein à son bébé, des enfants lisant couchés par terre dans une allée, des femmes d'âge indéterminé, lisant sans leurs chaussures, assises sur une table basse, un enfant lisant Moto-revue, vautré on ne sait où, et quand même un papy avec son béret lisant debout. Dans le corps du texte, on trouvait aussi ceci : « On se dit que l'aéroport de Rois-sy ferait une merveilleuse bibliothèque. »

    Le désir de lire, les habitants du livre, l'archilecture

    En contemplant cet éloge du désir, du plaisir et de la transgression, une hypothèse me vient à l'esprit. Dans les textes, la bibliothèque pour enfants n existe pas, mais dans les faits elle a contaminé toute la bibliothèque. Et finalement, les valeurs des » sales mômes » sont maintenant partout. Pas encore à la Bibliothèque de France, sans doute. L'introduction du vulgum pecus dans le paradis des chercheurs trouble assez le jeu, alors les enfants, vous n'y pensez pas !

    Mais revenons aux textes, et même aux textes quasi officiels. En 1984, paraît aux éditions du Moniteur, sous l'en-tête ministère de la Culture, direction du Livre et de la Lecture, et sous la signature de Marie-Françoise Bisbrouck, le livre La bibliothèque dans la ville : Concevoir, Construire, Équiper. Pour une décennie, ce livre deviendra la bible des programmateurs de bibliothèques.

    Dans la rubrique « Étude des différentes aires d'activité et organisation des services », après la section des adultes et des adolescents, mais avant la section discothèque, vous trouvez une section des enfants décrite en ces termes :

    « PRINCIPES GÉNÉRAUX - Si la population des enfants (4 ans à 13-14 ans) ne constitue qu'environ 13 % de la population française, l'expérience montre qu'ils représentent couramment 40 % des usagers de la bibliothèque, cette proportion étant largement dépassée (jusqu'à 50 %) dans les zones d'habitat collectif. Initialement limitée à un coin dans la bibliothèque des adultes, la section des enfants s'est progressivement affirmée comme un service à part entière dans la bibliothèque publique.

    Les bibliothèques pilotes de l'Heure Joyeuse et de la Joie par les livres ont largement contribué à cette évolution, mais il s'agit là de réalisations autonomes, destinées uniquement aux enfants et coupées des autres services de la bibliothèque publique. Cependant, une telle option ne doit en général pas être retenue. Au contraire, il faut recommander l'association matérielle entre les sections pour enfants et pour adultes.

    « DESCRIPTION - Les impératifs architecturaux sont les mêmes que ceux définis pour le traitement de la section des adultes : flexibilité, absorption phonique, agrément. Cette dernière notion a commandé l'agencement de certaines réalisations où l'ensemble de la section des enfants est traité avec la plus grande fantaisie : mezzanines, gradins, rosses, plates-formes, etc. Aussi séduisante que soit la mise en oeuvre de telles solutions, il convient de les subordonner aux exigences fonctionnelles de l'ensemble de la section (capacité en livres et en places de travail notamment) et de les limiter au traitement d'aires bien définies : zones de lecture-détente, heure du conte, l'objectif général étant de créer un volume diversifié (recoins, décrochements de plafonds, etc.) contrôlable à partir d'un ou deux points au maximum. »

    Quand Jean Gattegno parle du désir de lire, quand Michel Melot se soucie de l'archilecture, les textes officiels parlent d'impératifs architecturaux et rappellent que la fantaisie doit se soumettre aux exigences fonctionnelles de l'ensemble de la section et se limiter au traitement d'aires bien définies. Je donne peut-être l'impression, d'une manière ironique, d'opposer deux approches. Mais sur le fond, ce n'est pas le cas. Pour qu'il y ait transgression, il faut bien qu'il y ait un ordre quelque part. Et si la fantaisie doit se limiter à des aires définies et contrôlables, de toute façon, les enfants iront partout.

    A la même époque, 1984, paraissait au Cercle de la librairie, sous la plume de Jacqueline Gascuel, Un espace pour le livre. Dans ce livre, sous la rubrique « Quelles formes ? pour quelle lecture ? », en suivant les âges de la vie, les enfants étaient avant les adultes et la problématique était la suivante : « Lire couché, lire caché, lire perché ». En 1993, ce livre dispose d'une nouvelle édition entièrement refondue, mais les enfants sont toujours avant les adultes et « Lire couché, lire caché, lire perché » sont toujours fidèles au poste. Le livre du Moniteur doit lui aussi être republié et nous pourrons bientôt suivre un nouvel épisode de notre feuilleton favori : « Mais où sont donc les enfants ? »

    Pour terminer notre promenade à la recherche des enfants, je soumets à votre réflexion le texte suivant paru en 1917 dans un livre d'Henri Baudin sur Les nouvelles constructions scolaires en Suisse: « On doit reconnaître que la question de l'emploi du cinématographe, image muette, fidèle et émouvante de la vie, du mouvement, du travail et de l'effort, se pose d'une manière d'autant plus catégorique et pressante que son utilisation, à mon avis, est appelée à réformer et à révolutionner l'enseignement, dès l'école enfantine, en réveillant dans l'enfant des énergies latentes, en l'orientant vers l'effort créateur, en lui montrant la sainteté du travail. » En 1917, on pensait en Suisse que la cinématographie allait révolutionner l'enseignement. En 1993, plus de soixante-dix ans après la parution de ce texte, il semble difficile d'attester une révolution de l'enseignement par le cinématographe, même en Suisse. En 1993, les nouveaux médias, l'interactivité sont appelés à réformer et à révolutionner la lecture publique. En 2069, plus de soixante-dix ans après cette prophétie, que seront nos discours devenus ?

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    Plan de la Maison du livre, de l'image et du son à Villeurbanne : enfants (niveau 3) et adultes (niveau 2)

    Mes images de l'enfance

    Pour conclure et illustrer mon propos, je voudrais vous proposer mes images de l'enfance.

    La première, ce serait un jardin à la française. J'aurais pu choisir Vaux-le-Vicomte, chef-d'oeuvre de Le Nôtre, mais j'ai préféré le parc de Versailles. Et j'ai fait ce choix parce qu'il existe un plan du parc de Versailles par Le Nôtre, où Louis XIV a écrit de sa main : J'y voudrais plus d'enfance. " L'enfance n'était donc pas absente d'un haut lieu du classicisme français.

    Ma deuxième image de l'enfance serait la Maison du livre, de l'image et du son à Villeurbanne. Avant, il y avait ici une piste de prévention routière, et des gendarmes s'occupaient des enfants. Maintenant il y a un beau bâtiment salué par la presse pour sa force d'inscription, et des bibliothécaires ont pris le relais. Lorsque vous entrez dans le bâtiment, vous êtes comme dans un grand magasin organisé par niveaux : les parfums et les frivolités sont au RDC, la confection femme au 1er étage, la confection homme au 2e étage. Et les enfants sont au 3e étage. Mais ce n'est pas un hasard. La Maison du livre a pris la place d'une bibliothèque datant de 1930, qui disposait de beaucoup de lecteurs d'époque. La hantise du maire et de la municipalité était de perdre ces lecteurs dans le déménagement. Il ne fallait pas que les personnes âgées, pour atteindre la douce quiétude d'une salle de lecture, aient à traverser quelques turbulences enfantines. Par ailleurs, ces chers petits enfants sont un peu dans nos bibliothèques une clientèle captive : un jour ou l'autre, ils viendront tous amenés par leur instituteur et trouver le chemin ne leur sera plus guère difficile. Ils sont donc au 3eétage, et ils doivent y être bien car maintenant il y en a trop. Il faudrait un étage de plus. Le plan de leur étage est le même que ceux des adultes. les couleurs aussi : noir, blanc, argent. Peu de rapport avec le style layette, bleu pour les garçons, rose pour les filles. Pour être honnête, il faut avouer qu'une absence totale de démocratie a présidé à ce choix. La disposition du mobilier, bien qu'ordonnancée comme dans toute la maison, est toutefois différente. Un adulte, c'est bête, pour trouver, il ne doit pas chercher, la disposition doit être très lisible : dix travées pour les dix cotations décimales de Dewey, et les romans dans la rotonde classés par ordre alphabétique. Un enfant, c'est malin, pour trouver il faut qu'il cherche : des alvéoles, un labyrinthe, pourquoi pas ? Cette histoire a une suite. Quelque temps après, le service prêt aux collectivités déménage dans des locaux libérés d'une école. On revient me chercher pour réaliser ces nouveaux locaux, mais aussi pour aménager dans cette école un centre de documentation, un CDI dans le jargon pédagogique. Il fallait donner à tout cela le même style que celui de la Maison du livre. A Villeurbanne, la lecture pour les enfants, même pour les pédagos dans les écoles, c'est maintenant noir, blanc, argent.

    Ma troisième image serait un arc métallique de quarante mètres de long, surmonté de deux traits verticaux. A l'origine, il s'agirait du ravalement d'une école. Échaudée par les joyeuses polémiques que déclenche en général le choix des couleurs, la mairie de Villeurbanne avait décidé d'organiser un concours. Le groupe Totem avait proposé une image colorée, voire bariolée de l'enfance. J'avais remis le texte et la proposition suivante : » Lorsque l'on cherche le groupe scolaire Albert-Camus, on a bien du mal à l'identifier. Les bâtiments se discriminent peu de l'environnement. Le nom se dissimule derrière des frondaisons. Peu de chose le désigne comme bâtiment public. Pourtant, il y a 50 ans, les écoles étaient objet de fierté. Bien que toutes différentes, elles offraient une identité commune, et cette identité était blanche. Aujourd'hui, la ville s'est offert un signe d'une grande qualité. Il serait sans doute bon de le retrouver. Nous proposons que les bâtiments soient blancs. Que le signe de la ville devienne une grande sculpture sur le toit. Que les deux façades principales soient soulignées d'un arc noir. Qu'un portique avec le nom et le signe soit disposé à chaque entrée. Que le sol de la ruelle soit marqué du signe en béton blanc sur fond de bitume. Que les tags dans la ruelle soient de couleur argent sur un fond noir et que la ville offre aux tagueurs la peinture adéquate. Ainsi fut fait. Au levage de l'arc, qui pesait quelques tonnes, les enfants furent conviés. Et depuis, ils montrent du doigt, au loin, cet arc noir, qui désigne leur école.

    Ma quatrième et dernière image serait une bibliothèque pour enfants idéale. Il y aurait un grand portique blanc. Devant ce portique, une portion de sphère en béton poli noir émergerait d'un bassin en ellipse et serait adossée à un mur rideau en miroir, lui aussi tracé en arc d'ellipse. Sur le côté serait un campanile, tour blanche avec un miroir au sommet. Au loin, d'autres campaniles. Parfois, un faisceau laser rebondirait sur le miroir et se perdrait dans le ciel.

    Mais tout cela existe déjà. Ce n'est pas une bibliothèque pour enfants, c'est un restaurant et un pavillon d'exposition sur l'autoroute près de Manosque. Pour le conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, il nous fallait illustrer le thème : « les pieds dans l'eau, la tête dans les étoiles ».

    En vous présentant ceci, je voulais juste reprendre au bond une proposition de Michel Melot qui voulait transformer un aéroport en bibliothèque. Car la plus belle image de l'enfance, c'est sans doute celle qui nous fera le plus rêver.